2008

80 ans et après?

80ans

Pour les Suisses, et surtout les Suissesses, qui naissent aujourd’hui, devenir octogénaire sera banal ou presque. Mais comment vit-on après quatre-vingts ans? Fruit d’une recherche de longue haleine entamée en 1994 par des chercheurs genevois, sous la direction de Christian Lalive d’Épinay et de Dario Spini, l’ouvrage «Les années fragiles» apporte quelques éléments de réponse. 

«Le monde scientifique n’est pas parvenu à anticiper l’évolution démographique, il n’a pu que la suivre, explique le professeur Christian Lalive d’Epinay, fondateur du Centre interfacultaire de gérontologie (CIG) et initiateur du projet. Les très vieux sont devenus un objet d’étude à partir de la fin des années 1980 avec un intérêt marqué pour les questions liées à la santé et plus particulièrement pour les maladies dégénératives. En soi, c’est tout à fait compréhensible, mais cela a aussi eu pour conséquence de renforcer l’équation: grand âge = personne malade. Avec ce travail, nous souhaitions prendre le contre-pied de cette vision en examinant le parcours de vie de ces personnes au sens large.»

Tordre le cou aux préjugés
Les chercheurs du CIG ont décidé en 1994 de suivre pendant dix ans un échantillon de 340 personnes, âgées alors de 80 à 84 ans. L’ouvrage «Les années fragiles» présente les résultats obtenus lors des cinq premières années de l’étude (1994-1999), au cours desquelles près de 1500 questionnaires ont été réunis ainsi que les retranscriptions d’une cinquantaine d’entretiens. L’ensemble des résultats est annoncé prochainement chez un éditeur newyorkais.

Les résultats obtenus permettent de corriger quelques a priori. L’étude montre ainsi que le passage par une institution n’est pas une fatalité. A Genève, moins de 20% des plus de 80 ans se trouvent en EMS. Près de 60% des personnes décédées durant la recherche ont terminé leur vie sans passer par une étape de longue durée – en gros plus de quatre à six mois – de dépendance lourde. «Toutefois, seule une petite minorité de notre échantillon est morte en «bonne santé», poursuit le professeur. C’est une chose sur laquelle il ne faut pas trop compter. Le décès survient cependant assez souvent suite à une maladie subite ou relativement brève, ce qui est plutôt une bonne nouvelle.»

cieljaune
La mauvaise, c’est que plus on devient vieux, plus le risque de connaître une situation de dépendance durable augmente. Et à ce jeu là, les femmes sont doublement perdantes. Car si elles vivent effectivement plus longtemps que les hommes, elles sont globalement en moins bonne santé: à âge égal, elles ont un plus grand risque de devenir dépendantes. Et lorsqu’elles ne sont pas veuves, elles vivent souvent avec un mari plus âgé dont elles doivent s’occuper.


Assumer son parcours

Les récits des très âgés sont souvent jalonnés par des incidents qui marquent la fin de telle ou telle activité: on arrête de conduire, puis de prendre les transports publics, puis d’emprunter les escaliers… «La personne âgée qui reste indépendante a besoin de plus de temps pour elle, observe Christian Lalive d’Epinay. Chaque petit geste du quotidien (se lever, se raser, lacer ses chaussures) devient plus lent et plus pénible. Le défi principal de cet âge est de savoir comment négocier ce rapport avec sa propre fragilisation, qui est le signe de la mort prochaine. On philosophe beaucoup sur la finitude humaine. Mais ce sentiment de fragilité lié à la condition humaine, les vieillards en font l’expérience quotidiennement et de façon très concrète.»

Assumer son parcours, disposer d’une identité solide et paisible sont ainsi autant d’éléments qui ont une incidence positive sur le bien vieillir. Logiquement, les relations avec les proches comptent beaucoup. «Pour les personnes âgées, il est très important de conserver un statut de donneur aussi longtemps que possible, conclut Christian Lalive d’Epinay. Même s’il faut renoncer à rendre des services aux siens ou à s’occuper de ses petits-enfants, offrir à ces derniers quelques bonbons ou un peu d’argent est un moyen de maintenir une image de soi positive. Cela permet de ne pas être réduit à une relation de dépendance, de ne pas exister uniquement en tant que personne qui reçoit des soins et de se situer dans un réseau d’échange.»

-----------------------------------------

annees-fragiles
Les années fragiles.
La vie au-delà de quatre-vingts ans
,
Christian Lalive d’Epinay, Dario Spini (et coll.),
Presses de l’Université de Laval, Québec, 2008, 345 p.

 


15 avril 2008
  2008