Sexisme à l'UNIGE: rapport de la commission indépendante

Rapport de la commission d'enquête

RAPPORT DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE INDÉPENDANTE
EN MATIÈRE DE SEXISME ET DE HARCÈLEMENT LIÉS AU GENRE
ENVERS DES FEMMES CADRES DE L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE (CEISH)

 

NOTE CONCERNANT LA VERSION PUBLIQUE DU RAPPORT DE LA CEISH
Dans un but de protection de la personnalité, le nom de certaines personnes apparaissant dans le présent rapport a été supprimé. Il n’a été apporté aucune autre modification au rapport qui est présenté ici dans son intégralité.

 

1.  Ampleur et nature des investigations

2.  Principales constatations effectuées

    2.1  Au rectorat et dans ses services

    2.2  Dans les facultés, avec ou sans implication du rectorat

3.  Réponse aux cinq questions posées

      3.1  Incident du stylo tel que relaté par un témoin

      3.2  Relations du vice-recteur incriminé avec ses subordonnées et subordonnés

      3.3  Agissements relevant du sexisme et du mobbing liés au genre envers des femmes cadres de la direction de l’université pouvant être reprochés aux membres du rectorat

      3.4  Recommandations tendant à permettre le rétablissement de relations de travail sereines et constructives au sein de la direction de l’université

      3.5  Recommandations visant à permettre que tout éventuel comportement identifié par la CEISH comme pouvant être constitutif d’une infraction aux devoirs de fonction puisse être dûment établi et le cas échéant sanctionné

4.  Autres observations

      4.1  Outils à disposition permettant l’établissement ou le rétablissement de relations dignes et correctes au sein du rectorat et de ses services. 7

      4.2  Rapports entre «permanents» et «intermittents».

      4.3  Organisation, formation et cahier des charges du rectorat

5.  Recommandations

      Ad 3.1

      Ad 3.2

      Ad 3.3 et 3.5

      Ad 3.4

 

Alerté par plusieurs articles de presse faisant état d’accusations de sexisme ou de mobbing, le Recteur de l’Université de Genève, Monsieur Yves Flückiger, a décidé, le 1er décembre 2017, de l’ouverture d’une enquête indépendante confiée à une commission composée de Madame Sabine von der Weid, présidente suppléante de la Chambre des relations collectives du travail, vice-présidente de la Croix-Rouge genevoise, et de Monsieur Luc Recordon, avocat et docteur en droit de l'Université de Lausanne, conseiller aux États vaudois de 2007 à 2015. Après avoir vérifié et exclu tout risque de conflit d’intérêts entre l’université et les membres de la commission d’enquête indépendante, l’enquêtrice et l’enquêteur pressentis ont accepté leur mission.

Le mandat confié par le rectorat de l’Université de Genève a été libellé comme suit.

1.1   Vérifier si des agissements relevant du sexisme et du mobbing liés au genre envers des femmes cadres de la direction de l’université peuvent être reprochés aux membres du rectorat.

1.2   Vérifier la survenance de l’incident du stylo tel que relaté par un témoin et, le cas échéant, établir toutes les circonstances l’entourant.

Ces vérifications devront être effectuées auprès :

  • du témoin déclaré de l’incident du stylo ;
  • du vice-recteur incriminé ;
  • de toute autre personne en fonction des besoins de la commission.

1.3   Vérifier si le vice-recteur incriminé par les médias entretient des relations dignes et correctes avec ses subordonnées et subordonnés.

Ces vérifications devront être effectuées auprès :

  • des collaboratrices et collaborateurs directement subordonné-e-s au vice-recteur durant les deux années ayant précédé son arrivée au sein du rectorat ;
  • des collaboratrices et collaborateurs directement subordonné-e-s au vice-recteur depuis son arrivée au sein du rectorat ;
  • de toute autre personne en fonction des besoins de la commission.

1.4   Qu’elle formule des recommandations tendant à permettre le rétablissement de relations de travail sereines et constructives au sein de la direction de l’université.

1.5   Qu’elle formule des recommandations visant à permettre que tout éventuel comportement identifié par elle comme pouvant être constitutif d’une infraction aux devoirs de fonction puisse être dûment établi et le cas échéant sanctionné.

 

1.    Ampleur et nature des investigations

     La CEISH disposait à l’origine de la liste des membres et des délégués du rectorat, des collaborateurs du vice-recteur mis en cause, des membres de certaines commissions, ainsi que de tout organigramme de l’université disponible sur le site. La CEISH a eu accès à de nombreuses pièces internes de l’Université de Genève, transmises spontanément ou à sa demande ; il s’est agi de documents personnels ou officiels (d’organisation ou concernant des agents de l’institution).

     Dans un premier temps, la CEISH a pris contact avec des collaborateurs directement concernés par le mandat. Se sont greffées d’autres personnes, soit parce qu’elles avaient un lien indirect avec les premières citées, soit parce qu’elles ont spontanément proposé leur témoignage. La CEISH a procédé à l’audition de cinquante-deux personnes, renonçant en revanche à en entendre quatorze, soit qu’il fût impossible de les entendre, soit qu’elles aient refusé leur audition, soit encore que leur réponse à une invitation ait fourni assez d’informations ou montré qu’elles n’avaient rien à transmettre d’utile. Dans dix-neuf autres cas, il n’est pas apparu nécessaire d’inviter les personnes concernées, faute d’indications qu’il y eût des chances raisonnables d’obtenir d’elles des renseignements contribuant à l’accomplissement du mandat.

     Le mandat de la CEISH lui faisait obligation de «préserver dans la mesure du possible l’anonymat et la confidentialité des témoignages afin de favoriser l’émergence de la vérité». Il en a résulté les conséquences suivantes :

  • à de rares exceptions, les auditions se sont tenues à Lausanne;
  • les personnes entendues ont toutes eu leur attention attirée sur l’importance de cet anonymat;
  • elles ont été priées instamment de ne pas révéler le contenu de leur audition à quiconque (ce qui s’est avéré en partie illusoire), surtout afin de limiter le risque que des recoupements ne permettent de reconstituer qui avait dit quoi;
  • aucun procès-verbal formel des auditions n’a été établi, seules de simples notes étant prises par des avocats de l’étude de l’enquêteur soussigné;
  • la destruction de l’intégralité du dossier de la CEISH, sauf le présent rapport, a été décidée et sera effectuée au plus tard un mois après la remise du rapport;
  • les personnes mises en cause n’ont pas été renseignées sur l’origine précise des reproches exprimés et aucune confrontation n’a été organisée;
  • la CEISH a ainsi sciemment privilégié la recherche la plus large d’indices (caractère inquisitoire des investigations) par rapport à la capacité de se défendre des personnes mises en cause (qui aurait supposé le caractère contradictoire des investigations), afin de ne pas rendre illusoire la condition de l’anonymat des déclarations reçues et de sauvegarder un maximum de chances de récolter des indices;
  • les constats de la CEISH ne peuvent donc en aucune façon être utilisés tels quels pour tirer des conclusions définitives sur les faits retenus, ni – encore moins – pour prendre des sanctions contre les personnes mises en cause;
  • ces constats ne peuvent que servir de base à l’ouverture éventuelle d’une ou de plusieurs enquêtes administratives formelles respectant le caractère contradictoire et aboutissant soit à une sanction soit à laver de tout soupçon certaines personnes visées par l’enquête ou par les personnes auditionnées;
  • le présent rapport porte donc uniquement sur les résultats d’une enquête préliminaire ou préenquête;
  • il demeure succinct.

Enfin, pour des motifs stylistiques, le présent rapport ne fait pas un usage systématique de formulations non genrées, de telle sorte que des termes au masculins désignent occasionnellement tant les femmes que les hommes.

2.    Principales constatations effectuées

2.1   Au rectorat et dans ses services

2.1.1   De manière générale, on peut observer une difficulté à trouver une collaboration optimale entre l’ensemble des « cadres académiques» (le recteur et les vice-recteurs) et des « cadres administratifs » (les cheffes et chefs de division ou de service); la structure hiérarchique idoine est très délicate à définir, étant précisé que le modèle passant par un personnage pivot – le directeur de l’administration –, auquel étaient subordonnés toutes les divisions et tous les services, a été remplacé en février 2007 par un modèle plus classique de rapport hiérarchique direct et individualisé entre chaque membre du rectorat et une à trois unités (division ou de service) qu’il supervise, un secrétaire général et son adjoint ayant notamment des fonctions de coordination et de communication.

Cette situation pose néanmoins toujours des problèmes et on ne saurait exclure qu’elle ait une part dans quelques situations pénibles constatées. Il existe un hiatus important entre un personnel permanent engagé pour une durée indéterminée et un organe supérieur composé de personnes qui sont désignées pour une ou plusieurs périodes de quatre ans (certaines se qualifiant de manière métaphorique d’«intermittents du spectacle »), et ne sont, en général, pas formées aux techniques de gestion et aux ressources humaines, sans compter que certaines exercent leur fonction au rectorat à temps partiel.

C’est une situation que l’on retrouve dans les universités du monde entier, mais également dans les structures politiques (entre élus et administration publique), économiques (entre conseil d’administration et direction générale opérationnelle) et associatives (entre comité d’une association et, le cas échéant, employés fixes), voire d’une fondation (entre conseil de fondation et, le cas échéant, direction). On le sait par expérience: la solution est tout sauf simple à trouver.

2.1.2   La CEISH a retenu, parmi les cheffes et chefs de division ou de service, deux situations actuelles de souffrance manifeste et une troisième de grand inconfort qui sont vraisemblablement en rapport avec ces questions structurelles. Cependant, d’autres facteurs importants entrent en jeu : dans le premier cas de souffrance manifeste, des manquements professionnels semblent vraisemblables ; et, dans les deux cas, ainsi que dans celui de grand inconfort, une certaine inadéquation relationnelle du vice-recteur en charge des ressources humaines joue un rôle important. L’intéressé, dont les qualités de grand travailleur et de compétences techniques et pédagogiques sont pourtant indiscutables, agit sans doute parfois dans certains types de situations par maladresse et, en raison de traits de caractère qui le rendent clivant, manifeste occasionnellement une propension à se fermer aux personnes qui ne sont pas d’accord avec lui ; de toute évidence, des clans nets de partisans et d’opposants se sont constitués à son propos.

En revanche, la CEISH n’a pas acquis la conviction que son comportement puisse être qualifié de sexisme délibéré, nonobstant un paternalisme prégnant et d’ordinaire plus marqué à l’égard des femmes ; son langage souvent familier et fleuri, en lui-même souvent inapproprié à la fonction et dont il n’a, semble-t-il, pas conscience (nonobstant les observations émises lors d’une première enquête, il y a une quinzaine d’années), est plus mal ressenti par les femmes que par les hommes.

Cela dit, l’incident dit « du stylo » n’a pas pu être confirmé : aucune des personnes entendues par la CEISH n’en a le moindre souvenir, sauf une, et même la victime supposée, désignée par la seule personne ayant relaté l’incident, ne se rappelle rien de cet ordre. La plus grande majorité en a, cependant, entendu parler par la lecture de l’article paru dans le Courrier du 12 décembre 2017 et n’a eu aucune peine à reconnaître l’identité de l’auteur incriminé.

2.2   Dans les facultés, avec ou sans implication du rectorat

 2.2.1  Une situation de grande souffrance a été constatée. Elle affecte une doctorante, fort atteinte physiquement et psychologiquement. La professeure dont elle dépend paraît l’avoir prise en grippe et fortement discriminée par rapport à son unique collègue, masculin. Le vice-recteur en charge des RH s’est saisi de l’affaire avant même que la CEISH n’en fasse état.

2.2.2  Un cas de harcèlement sexuel a été signalé dans une autre faculté. Il est très particulier en ce sens que c’est une professeure qui en a été victime et que l’auteur est l’un de ses subordonnés, qui cependant fait valoir un certificat médical. Là encore, la hiérarchie s’occupe d’ores et déjà du cas.

2.2.3  Dans le cadre de son rôle de professeur et de directeur d’un centre, le vice-recteur mis en cause sous chiffre 2.1.2 l’a aussi été par quatre de ses (nombreux) anciens doctorantes et doctorants ou collaboratrices et collaborateurs pour les avoir traités de manière discriminatoire. Néanmoins les intéressés ont pu terminer leur thèse et trouver ensuite des positions satisfaisantes. Il ne s’agit à l’évidence pas de problèmes genrés ; leurs causes sont très vraisemblablement les mêmes que celles indiquées sous chiffre 2.1.2. ci-dessus et tiennent à la personnalité de ce vice-recteur. Au surplus, la nette majorité des personnes travaillant ou ayant travaillé avec lui en disent beaucoup de bien.

2.2.4  Enfin, le transfert d’une somme de 120'000 francs vers un fonds de recherche externe, évoqué par une personne auditionnée, a fait l’objet de vérifications détaillées de la DiFin qui a permis d’attester qu’aucun mouvement suspect n’avait été enregistré.

La même personne a évoqué un montant versé à une doyenne lorsqu’elle est rentrée dans le rang des professeurs à l’issue de sa période de décanat qui aurait été anormalement bas. Vérification faite, il s’avère qu’aucun règlement universitaire ou facultaire ne prévoit le versement d’un montant quelconque en faveur d’un ou d’une doyenne quittant sa fonction.

3.    Réponse aux cinq questions posées

3.1   Incident du stylo tel que relaté par un témoin

Cet incident n’est pas avéré. Sur les cinquante-deux personnes auditionnées ou entendues entre le 11 janvier 2018 et le 16 mars 2018, toutes, à l’exception d’une, ont affirmé ne pas avoir vécu cet épisode et n’en avoir eu connaissance que par la presse ou par ouï-dire. On renvoie ici aux éléments figurant sous 2.1.2 ci-dessus, qui permettent avec une quasi-certitude d’exclure la réalité de l’événement tel qu’il a été relaté dans la presse. La CEISH a en revanche estimé qu’il n’apportait rien sous cet angle d’investiguer en détail sur ce qui s’était dit à ce propos lors d’une séance de devant l’Assemblée de l’université et elle s’est donc dispensée de le faire.

3.2   Relations du vice-recteur incriminé avec ses subordonnées et subordonnés

Elles sont dignes et correctes, sous réserve des éléments de personnalité déjà notés sous chiffre 2.1.2 ci-dessus.

3.3   Agissements relevant du sexisme et du mobbing liés au genre envers des femmes cadres de la direction de l’université pouvant être reprochés aux membres du rectorat

Il n’y a rien d’autre à signaler que ce qui figure sous chiffre 2.1.2. ci-dessus.  De plus, il a été relevé à plusieurs reprises la volonté du recteur de lutter contre toute forme de sexisme ou de mobbing. La création du groupe de confiance, en vigueur depuis novembre 2017, par exemple, est perçue comme une excellente mesure, avec toutefois la crainte que – nonobstant les précautions prises – l’anonymat ne soit pas respecté et le souci que des mesures qui pourraient être prises ne nuisent à l’avenir professionnel des personnes qui s’adressent à cette instance.

3.4   Recommandations tendant à permettre le rétablissement de relations de travail sereines et constructives au sein de la direction de l’université

Voir sous 5 ci-dessous.

3.5    Recommandations visant à permettre que tout éventuel comportement identifié par la CEISH comme pouvant être constitutif d’une infraction aux devoirs de fonction puisse être dûment établi et le cas échéant sanctionné

Voir sous 5 ci-dessous.

 4.    Autres observations

 4.1      Outils à disposition permettant l’établissement ou le rétablissement de relations dignes et correctes au sein du rectorat et de ses services

Toute personne travaillant à l’université et donc au rectorat dispose d’outils (lois, règlements, chartes, documentation, etc.) lui offrant les pistes susceptibles de gérer des situations de harcèlement, de mobbing et de discrimination.

  • L’art. 328 du Code des obligations (CO) oblige l’employeur à protéger et à respecter la personnalité des travailleuses et travailleurs et à veiller à ce que ces personnes ne soient pas harcelées sexuellement.
  • Les art. 62ss du Règlement sur le personnel de l’université (www.unige.ch/rectorat/static/reglement.personnel.pdf) prévoient que tout membre du corps enseignant qui rencontre d’importantes difficultés susceptibles d’être constitutives de harcèlement psychologique ou de harcèlement sexuel peut s’adresser à un médiateur indépendant. L’université dispose ainsi d’un processus de traitement des conflits, confidentiel et volontaire, devant permettre à chacun de poursuivre «la relation de travail dans un esprit de respect durable et mutuel ». Le Recteur établit une liste des personnes extérieures à l’université habilitées à fonctionner en tant que médiateur.
  • Les art. 80ss dudit règlement permettent au doyen ou au recteur de prononcer des blâmes, des suspensions d’augmentation de traitement pendant une durée déterminée, la réduction du traitement à l’intérieur de la classe de fonction, le transfert dans un autre emploi au sein de l’université, etc., lorsque les membres du corps enseignant enfreignent leur devoir de service ou de fonction, intentionnellement ou par négligence.
  • Une brochure intitulée «Gardons les yeux grands ouverts» a été publiée par l’université en 2017. Son objectif : réaliser le principe voulu par le rectorat de « tolérance zéro ». Elle définit les notions de harcèlement sexuel et de harcèlement psychologique, indique les pistes à suivre et à qui s’adresser lorsqu’un étudiant ou un membre du personnel de l’université est témoin d’actes qui entrent dans ce cadre.
  • Le « Groupe de confiance » (confiance(at)unige.ch), nouvelle structure indépendante de l’université composée de spécialistes des questions de harcèlement, actif depuis novembre 2017, a pour but d’«Accueillir les collaborateurs et les collaboratrices ainsi que les étudiantes et les étudiants cibles, témoins ou auteur-e-s de situation de sexisme ou de harcèlement sexuel au sein de l’institution. Conseiller les hiérarchies devant faire face à de telles situations au sein de leur équipe». Les outils proposés sont des interventions adaptées à chaque situation, des entretiens confidentiels, une médiation, des solutions individuelles, etc.
  • Une brochure «Plan d’actions égalité 2017-2020», publiée par l’Université de Genève, précise les actions que cette institution entend exercer pour «ancrer l’égalité» au cœur de sa politique.
  • Une étude commandée par le Service égalité de l’UNIGE, menée par Madame Klea Faniko, docteure en psychologie sociale de l’Université de Lausanne et intitulée «Carrière académique à l’Université de Genève : le facteur humain» explore les raisons d’une faible représentation des chercheuses aux échelons hiérarchiques supérieurs et propose quelques «solutions efficaces et durables».
  • Une Charte d’éthique et de déontologie, entrée en vigueur le 1e avril 2010, a notamment pour but de veiller au respect de la personne, plus précisément à ce que «toute forme de discrimination soit proscrite et à ce qu’il n’existe aucun comportement constitutif de harcèlement psychologique, sexuel ou sexiste» (art. 4).
  • Le département des ressources humaines, placé sous la responsabilité d’un vice-recteur, a entre autres pour tâche de veiller au respect de l’art. 328 CO.

Au vu de ce qui précède (et la liste n’est pas exhaustive), la CEISH observe d’abord que l’université dispose de moyens suffisants susceptibles de permettre que toute personne ayant connaissance ou étant victime de situations de harcèlement, de mobbing ou de discrimination fasse dûment examiner et traiter le ou les cas en cause, qu’elle obtienne justice et qu’il soit mis fin à tout acte de harcèlement, de mobbing ou de discrimination.

Force est toutefois de constater que ces instruments sont peu utilisés, selon les personnes entendues, le plus souvent par peur du non-respect de l’anonymat, de représailles ou d’obstacles susceptibles d’interrompre une carrière. Terminer sa thèse, obtenir un emploi postdoctoral est à l’évidence prioritaire. Sans oublier les désagréments d’une procédure longue, tortueuse, souvent humiliante et pour les faits de laquelle les preuves sont difficiles, si ce n’est impossibles, à apporter.

Le fait de ne pas recourir aux instruments à disposition en raison d’entraves possibles à une carrière crée évidemment un climat délétère, car les rumeurs vont bon train, les relations se péjorent et les victimes souffrent d’un sentiment d’injustice contre lequel elles ne veulent ou ne peuvent se défendre. Elles n’arrivent pas à sortir de leur isolement et parfois ne demandent qu’à pouvoir se confier.

Les témoignages ont prouvé qu’il existe à l’université des cas de souffrance réels mais dont il est souvent difficile de déterminer s’ils sont imputables à du mobbing ou s’ils résultent tout simplement d’autres situations conflictuelles propres aux relations de travail, telles qu’on les rencontre aussi bien dans le secteur public que privé. Il n’en demeure pas moins que la crainte concernant l’absence de confidentialité constitue un réel problème qui doit être traité et souligné. Il serait judicieux que toutes les personnes concernées connaissent convenablement les règles et les procédures appliquées par le groupe de confiance, ce qui pourrait faciliter le dépôt de plaintes.

4.2      Rapports entre «permanents» et «intermittents»

Deux mondes se côtoient : le monde académique et le monde administratif. Ceux qui appartiennent au premier passent, les autres demeurent. Ce constat n’a rien de révolutionnaire, tant il est propre au monde universitaire. Il s’agit de deux mondes, voire de deux corporatismes ayant chacun leurs spécificités. De nombreux témoignages ont fait état d’une forme d’inégalité de comportement entre des personnes ayant un cursus universitaire et les autres, qui se manifeste, parfois dans les propos, parfois dans l’attitude. Comme – et bien que l’on constate une lente évolution dans ce domaine – les hommes sont beaucoup plus nombreux à faire partie du monde académique, les femmes ressentent plus vivement un sentiment d’inertie.

4.3      Organisation, formation et cahier des charges du rectorat

La nouvelle loi sur l’Université de Genève a supprimé le poste de directeur administratif pour répartir les fonctions qui lui étaient dévolues entre le recteur et les vice-recteurs.

Selon l’art. 7, 1er al., du Règlement sur le rectorat de l’Université de Genève (réf. légale : C 1 30.10), «la rectrice ou le recteur exerce sa fonction à plein temps et ne peut avoir d’autres activités pendant la durée de son mandat à l’exception de la poursuite d’activités académiques au sein de l’université pour autant qu’elles ne portent pas préjudice à l’exécution de son mandat».

L’Université de Genève a édité un cahier des charges général intitulé « Missions et charges d’un(e) vice-rectrice (recteur) »; chaque vice-recteur a parallèlement reçu un cahier des charges définissant de manière spécifique sa fonction, les personnes avec lesquelles il est en lien direct et celles qui sont en support ainsi que les commissions qui lui sont rattachées. Les activités sont diverses et nombreuses ; elles touchent à la gestion administrative, à l’information, à la statistique, aux ressources humaines, aux relations internationales, etc.

Cela signifie que l’on demande à un vice-recteur de coiffer plusieurs casquettes. Gérer une partie du rectorat à plein temps constitue déjà en soi une lourde tâche. Si l’on y ajoute la poursuite d’activités académiques, il est évident que, pour maîtriser toutes ces responsabilités, il faut y consacrer plus qu’un plein temps, et pour autant évidemment que l’on dispose des connaissances nécessaires à remplir de nouvelles fonctions sans lien avec celles pour lesquelles on a été formé et que l’on a exercées exclusivement avant d’être nommé vice-recteur.

Il est bien précisé dans le règlement que les activités académiques ne peuvent être poursuivies que pour autant qu’elles ne portent pas préjudice à l’exécution du mandat de vice-recteur. Le vice-recteur dispose d’une équipe pour l’appuyer ; il semble toutefois que cela ne suffise pas à garantir la bonne exécution de son mandat, tant il a été souvent remarqué que la plupart des vice-recteurs ne sont pas des gestionnaires, ne disposent d’aucune formation de management ou de gouvernance, et peuvent quelquefois être enclins à privilégier la défense de leur faculté au détriment de l’intérêt de l’ensemble de l’université.

L’université est une organisation complexe, ses structures le sont donc aussi. Si, pour certains, l’entente est collégiale et soudée entre les vice-recteurs et le recteur, ce dernier donne, à d’autres, le sentiment d’être très seul et de ne pas disposer de moyens de contrainte suffisants, ce qui paraît paradoxal mais relève plutôt du ressenti de chacun. La question s’est posée de savoir si la culture «en silo» ne présentait pas aussi certaines limites et devrait peut-être être abandonnée pour un système plus transversal qui amènerait davantage de flexibilité et de fluidité, mais qui nécessiterait transparence, confiance et abandon de la défense de son pré carré. Cette critique concerne surtout certaines divisions et de certains services.

Dans la mesure où il y a unanimité pour approuver le nouveau système prévu par la loi sur l’université qui a mis fin à une forme de direction bicéphale entre le recteur et le directeur administratif (le second demeurant toutefois subordonné au premier), la situation actuelle montre ses limites. Un vice-recteur ne peut pas être enseignant, chercheur, informaticien, statisticien, responsable des ressources humaines, etc. Dans la mesure où il est peu probable que ce mode de fonctionnement prévu par la loi change, à tout le moins à court terme, il s’impose d’alléger le cahier des charges des vice-recteurs ou de mettre à leur disposition une aide à la gestion, voire de nommer un vice-recteur qui serait chargé de certaines tâches spécifiques à la gestion.

Une hypothèse allant plus loin, qui pourrait se combiner avec la précédente, consisterait en la fin de l’attribution à chaque recteur ou vice-recteur de dicastères fixes ; chaque cheffe ou chef de division ou de service répondrait alors au rectorat in corpore. Cela générerait certes des besoins accrus de coordination, sans pour autant aller jusqu’au rétablissement d’une fonction de directeur de l’administration ; une des tâches importantes du rectorat serait alors de veiller à ce que l’on n’aille pas de facto jusqu’à cette extrémité. Cette solution aurait néanmoins pour effet d’enlever une part importante de responsabilité aux vice-recteurs, ce qui n’est pas forcément souhaitable compte tenu de l’esprit de la nouvelle loi.

Si le système des dicastères est conservé, une procédure d’évaluation (sans aller jusqu’à un asssessment) avant la nomination au rectorat apparaît judicieuse, afin d’examiner préalablement s’il y a concordance entre le cahier des charges et la personne pressentie.

Enfin, ultime hypothèse, une augmentation du nombre de vice-recteurs, si elle permettrait d’alléger le fardeau de travail individuel, constituerait un simple palliatif. De toute évidence, les besoins de coordination augmenteraient et la cohésion risquerait de diminuer.

5.    Recommandations

Ad 3.1

La CEISH estime n’avoir aucune recommandation à émettre ; en effet, et sous réserve de l’apparition d’un très peu vraisemblable fait nouveau, l’incident dit du stylo doit être considéré comme n’ayant pas existé, du moins pas sous la forme sexiste allégée.

Ad 3.2

La CEISH estime que, si elle émettait une ou des recommandations sur ce point, elle empièterait sur le rôle du recteur. Elle estime néanmoins qu’il serait souhaitable que ce dernier invite le vice-recteur à adopter un comportement moins paternaliste avec ses subordonnés.

Ad 3.3 et 3.5

  • Chacune des deux situations actuelles de souffrance manifeste relevées sous chiffre 2.1.2 doit être réglée par le rectorat sur la base d’une procédure formelle.
  • Par ailleurs, les indices d’anomalies décelés dans une faculté et relevés sous chiffre 2.2.4 devaient faire l’objet d’une investigation formelle, qui a eu lieu avant même l’établissement du présent rapport (voir sous chiffre 2.2.4 ci-dessus).

Ad 3.4

  • Il importe au minimum d’instruire précisément les personnes nouvellement engagées au sein du rectorat ou de ses services sur les règles et les procédures appliquées par le groupe de confiance, mais aussi sur les outils signalés sous chiffre 4.1 ci-dessus, et de rappeler régulièrement ces éléments aux personnes en place.
  • Pour les personnes se plaignant de harcèlement sexuel, de discrimination genrée ou de mobbing et désireuses de faire reconnaître cette situation par l’université et d’obtenir des mesures en conséquence, une procédure formelle contradictoire indépendante, simple et rapide devrait être mise à disposition et pouvoir être poursuivie (au moins sur le plan administratif), si les personnes concernées le souhaitent, même en cas de départ de l’université de l’un ou l’autre des protagonistes (ou les deux). Les personnes plaignantes devraient, sur la base de la vraisemblance de leurs allégations, pouvoir obtenir de leur hiérarchie des mesures provisoires de protection en cours de procédure, telles que limitation des contacts avec la ou les personnes mises en cause, déplacement, mise en congé, etc.
  • Dans cette optique, l’accent devra être mis sur la division des ressources humaines, afin que cette dernière ne soit pas seulement un lieu d’écoute et une boîte d’enregistrement, mais dispose des instruments nécessaires aux victimes et les accompagne jusqu’à ce que le cas soit réglé.

Par ailleurs, l’organisation du rectorat et son rapport avec ses divisions et services appelle aussi quelques recommandations.

  • Tout d’abord, en tout cas dans le modèle actuel, une procédure d’évaluation préalable – dont la forme reste à définir – des vice-recteurs pressentis serait de nature à favoriser le choix des personnes adéquates et l’attribution de rôles appropriés à tel ou telle.
  • En outre, une formation semble urgente et nécessaire pour permettre aux vice-recteurs d’exercer leur fonction. Il n’appartient certes pas à la CEISH de décrire précisément en quoi cela consisterait (MBA, coaching, voire appui d’un gestionnaire particulier – sorte de chef ou cheffe de cabinet –, etc.), d’autant moins que la forme choisie varierait sans doute d’une personne à l’autre. Mais ce point doit impérativement être défini.
  • Dans la mesure où un vice-recteur entend poursuivre ses activités académiques, il doit être libéré de certaines charges ou de certaines commissions.
  • Il s’impose d’alléger le cahier des charges des vice-recteurs ou de mettre à leur disposition une aide à la gestion, voire de nommer un vice-recteur qui a des connaissances spécifiques sans être parallèlement professeur. Cette responsabilité incombe au seul recteur qui est libre de constituer son équipe.
  • L’attribution de dicastères (avec une procédure d’évaluation préalable des candidatures) pourrait être envisagée, mais semble peu réaliste et difficilement praticable ; en revanche, une structure entièrement collégiale (avec une coordination forte) et une modification du nombre des vice-recteurs méritent une nouvelle réflexion.
  • Sans pouvoir émettre une recommandation précise, tant le problème est profondément culturel, la CEISH ne saurait se dispenser de relever ici à quel point subsiste souvent une hiérarchisation excessive des rapports entre le monde académique stricto sensu et celui des collaboratrices et collaborateurs administratifs et techniques, voire à l’intérieur du monde académique entre ses différents niveaux. Les exigences intensives du cursus universitaire et la recherche quelquefois forcenée de la performance n’y sont pas étrangères. Cela doit être modéré et pourrait alors contribuer à améliorer les relations de travail au sein de la direction de l’université.

Lausanne, le 3 avril 2018

Sabine von der Weid, Luc Recordon

9 avr. 2018

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