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II. Introduction


Le métabolisme cérébral

      Le calcul des différences artérioveineuses des intermédiaires métaboliques du cerveau a clairement démontré que le glucose est virtuellement le substrat métabolique exclusif du cerveau, et qu'il est presque complètement oxidé en eau et en dioxyde de carbone[1]. Pourtant, des différences régionales existent dans l'utilisation de glucose en relation avec l'activité cérébrale normale[2]. De plus, pendant l'activation de circuits neuronaux spécifiques, l'utilisation de glucose, mesurée avec la méthode d'autoradiographie du 2-deoxyglucose, augmente dans la neuropile, c'est-à-dire dans des régions où coexistent des éléments neuronaux (dendrites, axones) et des processus astrocytaires qui entourent les synapses[3]. Ces observations ont fait apparaître la possibilité que lors de l'activation cérébrale, les astrocytes pourraient contribuer au captage de 2-deoxyglucose ainsi qu'à sa phosphorylation. Des travaux récents effectués sur des cultures primaires d'astrocytes et de neurones ainsi que sur la rétine de faux-bourdon supportent cette vue[4, 5].

      Dans la rétine de faux-bourdon, le glucose est absorbé par les cellules gliales qui effectuent la glycolyse et produisent donc du lactate et du pyruvate[6]. Dans les cultures de cellules astrocytaires, l'application de glutamate, qui y simule l'activation, stimule l'utilisation du glucose et la production de lactate[5]. La stimulation du captage et de la phosphorylation du glucose par le glutamate a récemment été montrée dans des astrocytes de rats[7].


Objectifs du travail

      En fonction de ces observations, et devant les preuves croissantes que le lactate peut être un substrat métabolique suffisamment adéquat pour permettre aux neurones de continuer leurs activités synaptiques[8], Magistretti et collaborateurs ont formulé l'hypothèse d'une compartimentation cellulaire métabolique dans laquelle, pendant l'activation, le glucose serait également absorbé par les astrocytes, qui produiraient du lactate et 2 ATP par la glycolyse sans utiliser d'oxygène. Le lactate produit par les astrocytes serait alors utilisé par les neurones de manière aérobie dans le cycle de Krebs, produisant 32 ATP[5].

      En fait, l'aspect morphologique des astrocytes supporte fortement cette hypothèse : les pseudopodes astrocytaires entourent pratiquement tous les capillaires du cerveau[9-11], indiquant un rôle très probable dans le transit des substrats métaboliques provenant de la circulation, tandis que d'autres processus astrocytaires entourent les synapses et possèdent des récepteurs ainsi que des canaux de recaptage pour ces mêmes neurotransmetteurs[12]. Ces capacités font des astrocytes les candidats idéaux pour moduler le captage de substrats de la circulation sanguine en fonction de l'activité synaptique; en d'autres mots, les astrocytes sont bien positionnés pour coupler l'activité neuronale au métabolisme énergétique[13].

      Comme le lactate apparaît comme un important métabolite énergétique pour les cellules du cerveau, il s'ensuit que la localisation cellulaire de la lactate déshydrogénase (LDH), enzyme limitant les flux de lactate, mérite une attention particulière. Chez les vertébrés, les cinq isoenzymes de la LDH sont une combinaison tétramérique de deux polypeptides différents[14]. Le polypeptide A (ou M pour muscle) que nous appellerons ici la sous-unité LDH5, et le polypeptide B (ou H pour heart) que nous appellerons ici la sous-unité LDH1. Les différentes propriétés catalytiques des cinq isoenzymes de la LDH (B4 ou LDH-1, B3A ou LDH-2, B2A2 ou LDH-3, B A3 ou LDH-4, et A 4 ou LDH-5) sont proportionnelles aux taux des deux sous-unités LDH5 et LDH1[15, 16 , 17]. De plus, la distribution relative des sous-unités LDH1 et LDH5 sont spécifiques aux différents tissus[18-20]. La sous-unité LDH5 a été identifiée de manière prédominante dans des tissus produisant le lactate, alors que la sous-unité LDH1 est active dans des tissus fonctionnant de manière principalement aérobique[17, 21]. Plusieurs travaux indiquent que la sous-unité LDH1 est mieux désignée pour oxyder le lactate en pyruvate[17, 22], alors que la sous-unité LDH5 convertit préférentiellement le pyruvate en lactate[17]. La pyruvate dehydrogénase, quant à elle, catalyse l'entrée irréversible du pyruvate dans le cycle de Krebs[23]. Elle est donc un marqueur de la phosphorylation oxydative, au même titre que la cytochrome oxydase qui a été utilisée par Margaret Von Riley dans ses travaux d'histochimie[24].

      En vue de ces considérations, nous avons dans un premier temps produit et caractérisé des anticorps polyclonaux contre chaque sous-unité LDH1 et LDH5. Les résultats de ce travail ont été publiés en 1996 dans le Journal of Cerebral Blood Flow and Metabolism (Bittar et al. 16, 1996).

      Par la suite, nous avons développé et caractérisé des anticorps monoclonaux contre les sous-unités LDH1, LDH5 et contre la pyruvate dehydrogénase. En effet, puisque le pyruvate représente l'articulation entre la glycolyse et le cycle de Krebs, nous avons ainsi obtenu des marqueurs pour les deux destinées possibles du pyruvate, soit une oxydation en lactate avec la sous-unité LDH5 (nécessaire pour produire de grandes quantités de lactate), soit une entrée irréversible dans le cycle de Krebs au travers de l'activité de la pyruvate dehydrogénase (table 1).

      

Table 1 : les deux anticorps monoclonaux

      En utilisant une approche immunohistochimique, nous avons observé la distribution de ces deux enzymes dans le cortex occipital primaire et l'hippocampe de l'homme et du singe. Ces deux régions ont été sélectionnées car le 2-deoxyglucose est connu pour s'y accumuler en couches spécifiques[25, 26].


II. Matériels et méthodes


Production et caractérisation des anticorps monoclonaux :

      L'isoenzyme 5 de la lactate déhydrogénase purifié à partir de muscle de lapin, l'isoenzyme 1 de la lactate dehydrogénase purifié à partir de coeur de lapin et la pyruvate déhydrogénase purifiée à partir du coeur de porc ont été obtenus chez la compagnie Sigma, à Buchs en Suisse. Les trois produits ont été dialysés pendant la nuit contre de l'eau à 4°C et ont été ensuite stockés sous forme lyophilisée. Des rats wistar (pour la LDH5 et LDH1) et des souris balb/c (pour la PDH) ont été immunisés de la manière suivante : le premier jour et le 15e jour, injections sous-cutanées d'immunogènes (50 à 200 µg / 100 µl) émulsionnées avec la même quantité d'adjuvant de Freund (FA) complet. Ensuite, trois injections intra-péritonéales ont été administrées avec l'adjuvant de Freund incomplet aux jours 30, 45 et 60. Environ 400 µl de sang ont été prélevées dix jours après la dernière injection. Le sérum a été immédiatement extrait par centrifugation et stocké à 4°C en présence de minimes quantités d'azide de sodium (produit conservateur). Une première sélection a été effectuée par immunohistochimie sur des coupes de cortex occipital humain ainsi que sur du muscle de lapin et des coupes de coeur pour l'anti-LDH5 et l'anti-LDH1 respectivement. Les animaux dont le sérum révélait une immunoréactivité ont reçu une dose intra-péritonéale supplémentaire de 0.2 mg d'immunogène dissout dans 0.3 ml de NaCl en l'absence d'adjuvant de Freund. Trois jours plus tard, des hybridomes ont été produits par la fusion de splénocytes avec des cellules myelomateuses de souris (Sp2/00; ATCC) en présence de polyéthylène glycol, conformément à la méthode décrite par Løvborg, 1982[27]. Les cellules fusionnées ont été clonées par la technique de dilution limite dans un liquide nutritif : RPMI 1640 avec addition de 15 % de sérum foetal de veau ainsi que du milieu HAT (GIBCO BRL, Bâle, Suisse), milieu nutritif ne permettant pas la croissance de cellules myelomateuses non fusionnées. Une quinzaine de jours plus tard la sélection des surnageants a été effectuée par immunohistochimie sur des coupes occipitales humaines. Après caractérisation effectuée par western blots, les hybridômes sécrétant des immunogènes spécifiques pour l'antigène et capables de produire une réaction immunohistochimique sur du cerveau humain ont été développés dans un système Biofarm 2000 (Digitana, Suisse).

      Western blots : L'électrophorèse sur gel de Sodium dodecyl sulfate-polyacrylamide (SDS-PAGE) a été effectuée d'après Laemmli [28]. Les extraits de tissus humains, de coeur et de muscle de lapin, ainsi que des extraits de souris et de singes ont été homogénéisés sur de la glace avec le tampon d'extraits (voir plus loin) et centrifugés à 10 000 g pendant 20 minutes. Tous les extraits ont été chauffés à 100°C pendant 5 minutes, et environs 5 µg de protéines ont été chargés dans les gels. Le tampon d'extraits contenait 100mM dithiothreitol sans mercaptoethanol.

      Pour la caractérisation de l'anticorps anti-PDH, les mitochondries ont été isolées par centrifugation successives dans 0.01 M de Tris-HCl avec 0.32 M de sucrose en accord avec Hamberger[29]. Les extraits ont été chauffés à 100°C pendant cinq minutes et environ 50 µg de protéines ont été chargées sur les gels.

      Les extraits ont ensuite migré par électrophorèse sur des gels de polyacrylamide (12%); puis électrophorésés sur des membranes de nitrocellulose (Bio-Rad, Glattburg, Suisse). Après avoir été bloquées à 20°C avec du lait écrémé (Bio-Rad) et lavées dans du PBS, les membranes de nitrocellulose ont été incubées pendant cinq heures à 20°C avec les surnageants des hybridomes. La détection de l'immunoreactivité est identique à celle décrite sous la section d'immunohistochimie. Des marqueurs de poids moléculaire ont été utilisés dans tous les gels (Kaléidoscope Pre-stained Standards de Bio-Rad).


Préparation des tissus

      Les cerveaux de 10 patients contrôles provenant des Hôpitaux Universitaires de Genève ont été obtenus à l'autopsie dans des délais post-mortem allant de 3 heures jusqu'à 12 heures[30]. Les patients étaient démunis d'antécédents de désordres neurologiques, métaboliques ou psychiatriques. Les cerveaux ont été examinés de manière routinière pour déceler des lésions histopathologiques, en utilisant les colorations histologiques classiques ainsi que des procédures immunohistochimiques décrites ailleurs [31]. Les prélèvements d'hippocampes et de cortex occipital ont été immédiatement congelés avec de la glace sèche pour les analyses biochimiques, pendant que d'autres extraits ont été fixés avec 4 % de paraformaldéhyde dilué dans 0,1M de tampon phosphate salin pH 7,4, PBS) pendant dix-huit heures. Ils ont ensuite été immergés dans une solution contenant 5 % de sucrose pendant quarante-huit heures et dans 10 % de sucrose pendant les quarante-huit heures suivantes (cryoprotection) puis congelées sur glace sèche avant d'être stockées à -80°C. Pour les expériences contrôles, des extraits de coeur et de muscle psoas de lapins ont été fraîchement disséqués chez un lapin tué avec du CO2 ; ces extraits ont été traités de la même manière que les prélèvements humains décrits ci-dessus.


Immunohistochimie

      Des coupes de cerveaux humains obtenues au cryostat (20µm) ont été incubées une nuit à 4°C avec les surnageants (dilution 1:100) dans du PBS contenant 3% de serum albumine et 5% de Triton X 100. Apres l'incubation, les sections ont été rincées dans du PBS et mises en incubation pendant une heure avec l'anticorps secondaire conjugué à la peroxydase anti-souris (pour l'anticorps primaire anti-PDH provenant d'une souris) et anti-rat (pour les anticorps primaires anti-LDH1 et anti-LDH5 provenant de deux rats) à des dilutions de travail de 1 :100 (DAKO, Zug, Suisse). L'anti-cytochrome oxidase a été utilisé conformément aux indications des auteurs[32] avec un anticorps secondaire anti-lapin développé chez le mouton à une dilution de 1/100. Les produits de l'immunoréaction ont été visualisés en incubant les sections dans une solution de PBS contenant 0,02 % de 3,3'-diaminobenzidine tetrahydrochloride (DAB, Sigma) et 0.005 % H2O2 pendant vingt minutes à la température ambiante.


III. Résultats


Caractérisation des anticorps monoclonaux

      Les contrôles effectués par Western-Blot et immunohistochimie suggèrent fortement la spécificité des anticorps testés pour leurs antigènes respectifs pyruvate dehydrogenase et lactate dehydrogenase isoenzyme 5.

      La figure 1a illustre la caractérisation par western blot de l'anti-LDH 5. Les analyses par western blots indiquent que l'anti LDH 5 reconnaît spécifiquement la forme monomérique de la sous unité LDH 5 dont le poids moléculaire est de 35 kDa. L'anticorps n'est pas immunoreactif pour le monomère LDH1 pur (figure 1a, 3), confirmant sa spécificité sélective à la sous-unité 5 de l'enzyme. L'anti LDH 5 appliqué sur des extraits de coeur de lapin est peu immunoreactif (figure 1a, 1). En revanche, l'anticorps provoque une forte immunoreaction avec des extraits de muscle de lapin (figure 1a, 2), tissu réputé contenir de grande quantité de la sous unité LDH 5. De plus, l'anticorps monoclonal anti LDH 5 a réagi en révélant une bande de 35 kDa sur des extraits d'hippocampe humain (figure 1a, 4) ainsi qu'avec l'immunogène (non illustré, mais identique à la figure 1a, 2).

      

Figure 1a : caractérisation par western blot de l'anti-LDH5

      La figure 1b illustre la caractérisation complète de l'anticorps monoclonal anti-PDH sur des extraits d'hippocampe humain. L'anticorps anti-PDH a révélé exclusivement deux bandes proches de 45 kDa qui étaient localisées dans la fraction mitochondriale (figure 1b , 7 et 8). La fraction cytosolique des extraits d'hippocampe n'a pas révélé de marquage (fig 1b, 6). L'anti-PDH conduit à l'immunodétection d'une bande d'environs 45 kDa avec l'immunogène (fig 1b, 1 à 5), une pyruvate dehydrogénase d'origine porcine. La masse moléculaire de l'immunogène et des deux bandes des extraits mitochondriaux s'est révélé comparable à environ 45 kDa. De plus, lorsque l'immunogène était chargé en quantités croissantes dans les gels (fig 1b, de 1 à 5), une double bande similaire apparaissait également aux concentrations plus importantes (fig 1b, 4 et 5), suggérant que la double bande observée dans les extraits mitochondriaux humains (fig 1b, 7 et 8) pourrait être provoquée par la migration des protéines en plus grande concentration.

      

Figure 1b : caractérisation complète de l'anticorps monoclonal anti-PDH


Immunohistochimie

      Les anticorps monoclonaux ont révélé une distribution d'immunoreactivité similaire sur les dix cerveaux humains étudiés (figures 2-3).


Cortex occipital humain

      Dans le cortex occipital humain, la région 17 a été étudiée (figure 2). L'anti-PDH a été principalement observé dans la couche IV (figure 2a, C), marquant les corps neuronaux (fig 2a, D). Grâce à un généreux don de M .T .T . Wong-Riley, nous avons pu comparer la distribution de l'anti-PDH avec un anticorps polyclonal anti-cytochrome oxydase sur des coupes de cryostat adjacentes[32]. Nous avons observé une excellente corrélation entre les deux immunomarquages (non illustré). La majorité des corps cellulaires neuronaux était immunoréactif ainsi que les dendrites (fig 2a, C). Au contraire, aucun marquage astrocytaire n'a été détecté (fig 2a, C, D). Nous avons déjà montré que le marquage des deux sous-unités LDH1 et LDH5 de la lactate dehydrogenase était enrichi dans les couches IV et VI du cortex occipital 17[30]. Pourtant, la résolution cellulaire était faible dans ces couches avec les anticorps polyclonaux à disposition. Avec l'anti-LDH5 monoclonal, nous confirmons la distribution exclusivement astrocytaire du marquage de la sous-unité LDH5 (figure 2a, B et figure 2b, B et C) dans la matière blanche et dans la couche corticale I du cortex visuel. De plus, avec la meilleure résolution de l'anticorps monoclonal, des astrocytes protoplasmiques apparaissent également dans la couche IV du cortex visuel (figure 2a, B et figure 2b, B et C). Ces cellules forment une délinéation similaire à celle observée par l'histochimie et l'immunohistochimie de la cytochrome oxidase[24], ainsi que par des études sur l'absorption du 2-deoxyglucose[26].

      

Figure 2a : cortex occipital humain, région 17

      

Figure 2b : distribution astrocytaire du marquage de la sous-unité LDH5

      Ainsi, dans cette région, les marqueurs glycolytiques (LDH5, 2-deoxyglucose) et les marqueurs oxidatifs (PDH, cytochrome oxidase) sont co-localisés dans la couche IV. Par contre, au niveau cellulaire, le marqueur glycolytique anti-LDH5 apparait exclusivement localisé dans des astrocytes, alors que le marqueur oxidatif anti-PDH apparaît exclusivement dans les corps neuronaux et leurs dendrites.

      Dans la matière blanche du cortex occipital, mais aussi dans celle des cortex pariétaux, frontaux, hippocampiques et spinaux, la quasi-totalité des astrocytes a montré un intense marquage à l'anti-LDH5, suggérant que les astrocytes de la matière blanche pourraient fonctionner de manière généralement glycolytique. Chez le rat, alors que le captage de 2-deoxyglucose est plus élevé d'un facteur 3 dans la matière grise que dans la matière blanche[33], une étude récente de l'activité de la cytochrome oxidase a montré une plus grande activité d'un facteur 8 à 12 de cette enzyme dans la matière grise comparé à l'activité dans la matière blanche[34]. Toujours chez le rat, l'anti-LDH5 a intensément marqué également les astrocytes de la matière blanche [30]. Notre observation s'intègre avec d'autres observations effectuées avec d'autre techniques et suggèrent que la matière blanche pourrait en effet davantage dépendre énergétiquement du métabolisme glycolytique, et que cette glycolyse pourrait s'effectuer dans les astrocytes de la matière blanche.


Hippocampe humain

      Le marquage des deux anticorps dans l'hippocampe humain a confirmé la spécificité de l'anti-LDH5 aux cellules astrocytaires et celui de l'anti-PDH aux neurones et leurs processus dendritiques (figure 3a, 3b, 3c). En plus de cette observation, nous avons pu observer des différences régionales entre le marqueur glycolytique et le marqueur oxidatif. La figure 3a montre le marquage de l'anti-LDH5 dans l'hippocampe humain. Un détail du marquage des astrocytes dans le stratum moleculare par l'anti-LDH5 est montré dans la figure 3c, C. La figure 3b compare le marquage de l'anti-PDH (figure 3b, A) avec celui de l'anti-LDH5 (figure 3b, B) sur deux coupes de cryostat adjacentes traversées par le même capillaire dans la région CA4 (cf étoile blanche). Nous pouvons clairement observer une corrélation négative entre les marquages des deux anticorps, avec un marquage intense de l'anti-LDH5 dans le CA4, le stratum moleculare et l'alveus (figure 3a) avec une absence de marquage dans le stratum granulosum (SG, figure 3b, B) et les couches CA (figure 3a et 3b, B). L'anti-PDH produit un marquage uniquement dans le stratum granulosum (SG ; figure 3b, A) et dans les couches CA contenant les corps cellulaires des neurones pyramidaux (figure 3c, A). Hormis ces régions, aucun marquage n'a pu être observé dans le CA4, le stratum moleculare et l'alveus. De manière générale, le marquage anti-PDH colocalisait avec celui de l'anticorps polyclonal anti-LDH1 que nous avons précédemment caractérisé et illustré.

      

Figure 3a : marquage de l'anti-LDH5 dans l'hippocampe humain

      

Figure 3b : comparaison du marquage de l'anti-PDH avec celui de l'anti-LDH5

      

Figure 3c : A : marquage anti-PDH hippocampe humain; C : détail anti-LDH5

      Un résumé du marquage des deux anticorps est montré dans la figure 3c, B.


IV. Discussion

      Dans ce travail, nous avons décrit la production, la caractérisation et la distribution dans deux régions du cerveau humain de deux anticorps monoclonaux dirigés contre des enzymes clés du métabolisme cérébral (voir table 1). Dans ces deux régions, le 2-deoxyglucose s'accumule dans des régions spécifiques : la couche IV du cortex occipital et le stratum moleculare de l'hippocampe[25, 26].

      Dans la couche IV du cortex occipital, nous avons pu observer la présence d'anti-LDH5 uniquement dans les astrocytes et celle de l'anti-PDH uniquement dans les corps neuronaux et leurs dendrites. De plus, les neurones (et pas les astrocytes) de la couche IV ont également réagi à un anticorps polyclonal anti-cytochrome oxidase et à un anticorps polyclonal anti-LDH1 que nous avons précédemment caractérisé et publié[30]. S'il n'en était que de l'observation de cette région du cerveau, la colocalisation régionale des astrocytes riches en LDH5 et des neurones riches en PDH à l'endroit où le glucose est capté en grandes quantités pourrait déjà suggérer la notion d'un transfert de lactate des astrocytes aux neurones. En effet, le pyruvate représente l'étape terminale de la glycolyse dans les cellules de mammifère. Un des facteurs déterminant son devenir métabolique est le rapport NADH/NAD+. Quand ce taux est bas, le pyruvate est converti de manière préférentielle en acetyl coenzyme A par la pyruvate dehydrogenase (qui est normalement inhibée par de fortes quantités de NADH)[23]. Ensuite, il est oxidé dans le cycle de Krebs et produit de l'énergie au travers de la phosphorylation oxidative. Dans des conditions de haut rapport NADH/NAD+, qui peuvent se produire quand la glycolyse excède les capacités du cycle de Krebs, le pyruvate est converti en lactate par la lactate dehydrogenase[23]. Afin de produire un taux de glycolyse élevé, cette réaction, qui utilise le NADH comme cofacteur, est essentielle pour la régénération du NAD+ utilisé par l'enzyme glycolytique glyceraldehyde phosphate dehydrogenase[23]. Les tissus qui produisent d'intenses et brèves augmentations d'activité sont en général capables de produire une glycolyse à taux élevé et produisent de fortes quantités de lactate. C'est le cas dans les fibres musculaires des muscles squelettiques qui produisent et relâchent du lactate dans la circulation pendant leur activité. Ces tissus ont en général davantage de sous-unité LDH5, alors que d'autres tel que le coeur, qui peuvent utiliser le lactate comme substrat, sont enrichis en sous-unité LDH1[17-20, 35].

      Même si les caractéristiques cinétiques des enzymes in vitro ne correspondent pas nécessairement à leur véritable activité in vivo, elles marquent leurs limites et sont une indication utile de leur potentiel cinétique. Malgré de nombreuses influences (incluant le pH et la température), deux points majeurs peuvent être soulignés qui ont été confirmées dans différentes conditions des espèces [17, 36, 37]: le premier est que la LDH-1 a une plus grande affinité au substrat que la LDH-5 ; la vitesse maximale de la LDH-1 est inférieure à celle de la LDH-5[38]. Le second point est que la LDH-1 est inhibée par le pyruvate dans des conditions physiologiques de manière bien plus importante que la LDH-5[15, 16, 37]. Le lactate inhibe aussi la LDH-1, mais à des concentrations bien plus importantes que la concentration d'inhibition du pyruvate[36].

      De plus, des déficiences homozygotes des deux sous-unités LDH1 et LDH5 ont été rapportées dans la littérature ; elles soulignent la nature glycolytique de la LDH-5. L'absence de LDH5 a été associée à des myopathies d'exercice avec myoglobinurie[39]. Pendant un exercice en condition anaérobie, les patients déficitaires en LDH-5 ont démontré une incapacité de relâcher du lactate dans la circulation en comparaison avec des patients contrôles[40]. A la place du lactate, c'est un pic de pyruvate qui a pu être observé chez ces patients, indiquant que la sous-unité LDH5 est nécessaire pour la production et l'exportation de grandes quantités de lactate et qu'elle ne peut être remplacée par la sous-unité LDH-1 à cette fin.

      En d'autre termes, le bagage enzymatique des neurones est clairement d'ordre oxidatif (PDH ; LDH-1, cytochrome oxidase) alors que celui des astrocytes dans les deux régions connues pour capter les plus grandes quantités de glucose est d'ordre glycolytique (LDH-5).

      Dans l'hippocampe, la même ségrégation cellulaire a été observée, avec en plus une étonnante séparation régionale entre l'anti-PDH et l'anti-LDH5. Il ne fait aucun doute que la région connaissant un captage maximal de 2-deoxyglucose, c'est-à-dire le stratum granulosum[25], soit principalement occupée par des astrocytes riches en LDH-5. Le marquage d'anti-PDH dans cette région est en plus quasi-inexistant. Ainsi , la ségrégation entre la glycolyse et le cycle de Krebs ne serait pas uniquement cellulaire, mais aussi régionale. Si tel était le cas, on pourrait alors supposer l'existence d'un pool de lactate extracellulaire qui pourrait servir de réserve d'énergie extracellulaire aux neurones.

      Il y a de plus en plus d'indications provenant d'études d'imagerie fonctionnelle du cerveau qui suggèrent que le cerveau pourrait avoir recours à une glycolyse transitoire pour faire face aux besoins métaboliques liés à l'activation. C'est ainsi que l'analyse combinée du débit sanguin, de la consommation d'oxygène et d'utilisation du glucose par PET a indiqué l'existence d'un découplage pendant l'activation où le débit sanguin et l'utilisation de glucose étaient proportionnellement plus élevées que l'utilisation d'oxygène[41, 42]. D'autre études effectuées avec la méthode de spectroscopie à résonance magnétique ont montré l'existence d'un pic transitoire de lactate pendant l'activation[43, 44]. La méthode de microdialyse a également permis d'objectiver la formation transitoire de lactate dans le cerveau de rat[45]. Etant donné la présence de sous-unité LDH5 en grand nombre dans les astrocytes, ainsi que leur présence exclusive dans une couche de l'hippocampe connue pour être le lieu du captage du glucose, il est logique d'émettre l'hypothèse que la production augmentée de lactate pendant l'activation pourrait être due à la glycolyse effectuée dans les astrocytes.


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