UNIVERSITÉ DE GENÈVE

FACULTÉ DE MÉDECINE

Section de Médecine dentaire
Département de Prévention et Pathologie buccale
Pr Jacky SAMSON
Division de Stomatologie et chirurgie orale

Manifestations stomatologiques de la sclérodermie :

Description et prise en charge

Thèse
présentée à la Faculté de Médecine de l'Université de Genève
pour obtenir le grade de Docteur en Médecine dentaire

par

Sara Daniella MEIRI

(de Göteborg / Suède)

Thèse No Méd. 616

Genève, 2002


      Tout médecin-dentiste est amené, un jour ou l'autre, à traiter des patients atteints d'affections systémiques. Plusieurs de ces affections comportent des manifestations stomatologiques directement en rapport avec le processus pathologique ou à la maladie. Il est donc important d'avoir au moins une connaissance élémentaire de ces manifestations afin de pouvoir assurer une prise en charge médicale adaptée et dépister ces affections systémiques car, dans certains cas, les premières manifestations intéressent la cavité buccale. En étant capable de reconnaître de telles manifestations, le médecin-dentiste peut suspecter l'affection et orienter correctement le patient pour la réalisation d'un bilan et la confirmation du diagnostic. Ce diagnostic précoce aboutit parfois à une prise en charge dès le stade initial de la maladie, ce qui permet souvent au traitement d'être plus efficace.

      La sclérodermie est une maladie systémique, appartenant au groupe des connectivites. Hippocrate (460 - 377 avant J-C.) semble avoir été le premier à rapporter une affection de la peau comparable à la sclérodermie mais, en raison de sa description imprécise, ce cas ne fut pas pris en compte. La première description précise de la maladie a été retrouvée dans la monographie de Carlo Curizo (Naples, 1753) où il décrivait la dureté de la peau d'une jeune femme de 17 ans. Le terme de sclérodermie a été introduit par Gintrac en 1847. Il a fallu attendre 1924, et la description par Matsuis de 5 cas avec des lésions pulmonaires, rénales et gastro-intestinales, pour reconnaître l'atteinte viscérale. Dans la sclérodermie systémique, la plupart des manifestations visibles intéresse la peau, d'où le nom donné initialement à la maladie. Sclérodermie (du grec skleros : dur, et dermos : peau) est un terme générique utilisé pour décrire une atteinte généralisée ou localisée. Devant l'atteinte systémique évidente, le terme de sclérose systémique progressive a d'abord été utilisé. Le qualificatif « progressive » fut peu à peu abandonné en raison de son impact psychologique défavorable sur les patients. La plupart des études scientifiques utilise actuellement le terme de sclérose systémique : c'est celui que nous avons adopté pour ce travail.

      La sclérose systémique se caractérise par une fibrose sévère. La peau, les vaisseaux sanguins, les muscles ainsi que les organes internes suivants peuvent être touchés à des degrés divers : le tractus gastro-intestinal, les poumons, le coeur et les reins. Dans la plupart des formes, la sclérose systémique se traduit par une induration de la peau, avec modification des contours, perte de la mobilité sur les tissus sous-jacents et disparition des plis. Les premières manifestations intéressent toujours les doigts. Il existe de nombreuses formes cliniques et d'importantes variations dans le degré de sévérité de l'atteinte organique. Les formes localisées et les formes généralisées se distinguent principalement par la vitesse d'évolution de la maladie et le nombre d'organes atteints.

      Dans la pratique clinique courante, le terme de sclérodermie a été retenu car il fait référence à la sclérose systémique et aux différentes manifestations rencontrées dans le groupe hétérogène des affections modifiant la souplesse, l'épaisseur et l'élasticité de la peau. D'un point de vue clinique, la sclérodermie est présente dans de nombreuses entités allant de la sclérodermie localisée aux syndromes de chevauchement ayant principalement des manifestations systémiques ; dans ce contexte, on parle de syndromes de chevauchement lorsque les signes de la sclérodermie sont associés à un syndrome de Sjögren, un lupus érythémateux systémique, une polyarthrite rhumatoïde, une dermato- ou polymyosite ou une connectivite mixte débutante. Dans la sclérose systémique, on distingue différentes formes diffuses caractérisées principalement par une atteinte diffuse de la peau du tronc, des extrémités et de la face. Les formes systémiques particulières, jadis appelées acrosclérose ou acrosclérodermie, sont maintenant plus connues sous le terme de CREST syndrome (Calcinosis, Raynaud's phenomen, Esophagohypomobility, Sclerodactily and Telangiectasia). Et il existe des formes de sclérose systémique où l'atteinte cutanée reste discrète. La sclérose systémique a une répartition ubiquitaire mais, en raison de sa faible incidence, les études épidémiologiques sont peu nombreuses. On découvre environ 4,5 - 14,5 nouveaux cas par an, par million d'habitants. Les études épidémiologiques sont également rendues difficiles par l'absence de signes cliniques et d'examens complémentaires spécifiques. La sclérose systémique se développe rarement chez l'enfant, généralement chez un adulte d'âge mûr, ayant 30-50 ans. Le sex-ratio F/M est de 3/1, avec une incidence maximale avant la ménopause. Toutes les races sont touchées mais l'incidence est légèrement plus élevée chez les noirs que chez les blancs.

      Plusieurs études rétrospectives larges ont étudiées la survie des patients atteints d'une sclérose systémique : la survie à 5 ans varie de 34 à 73 %. Cette variation importante est la conséquence de l'impossibilité d'effectuer des sous-groupes en fonction du pronostic. Bien d'autres facteurs, comme la sévérité de la maladie et le nombre d'organes atteints, semblent influencer le taux de survie. La sévérité de la maladie peut souvent être évaluée dans les 2 premières années. L'âge joue également un rôle. Les atteintes rénales, cardiaques et pulmonaires - par ordre décroissant de gravité - sont synonymes de pronostic défavorable. Mais il semble maintenant démontré qu'un traitement agressif de l'insuffisance rénale par les inhibiteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine améliore le taux de survie.

      La sclérose systémique est une maladie bien connue des médecins généralistes, des spécialistes de médecine interne et des dermatologistes. Ses manifestations buccales et faciales le sont moins. C'est pour cette raison que l'on trouve peu de publications traitant correctement les manifestations stomatologiques. De plus, ces manifestations surviennent tardivement dans l'évolution de la maladie et elles n'engagent pas le pronostic vital. Les manifestations bucco-faciales sont souvent très spécifiques et comportent fréquemment une ostéolyse touchant la branche montante de la mandibule. Cette ostéolyse a été décrite pour la première fois par Taveras en 1959 ; elle a été rapportée depuis dans plusieurs publications. Elle peut être importante et entraîner une modification du profil du malade mais elle ne s'accompagne jamais de troubles fonctionnels. Par contre, il existe d'autres manifestations plus gênantes, en particulier, la xérostomie et la microstomie ; cette limitation de l'ouverture buccale rend difficile la réalisation des soins d'hygiène bucco-dentaire et des soins dentaires.

      La peau de la face prend une consistance de cuir lisse, entraînant une limitation des mouvements. La disparition de la mimique, la limitation de l'ouverture buccale et la microstomie donnent un aspect momifié au visage. La limitation d'ouverture buccale est présente chez 68 à 100 %. La modification des tissus mous péri-buccaux réduit la mobilité de la mandibule, gène la mastication et la phonation, et rend difficile la réalisation des soins d'hygiène bucco-dentaire, les soins dentaires et l'intubation. Cette limitation de l'ouverture buccale s'accompagne de nombreux complications sociales. Les difficultés rencontrées pour l'hygiène bucco-dentaire et les soins dentaires ont souvent des conséquences sévères. Plusieurs études se sont intéressées à ces complications et ont proposé des soins médicaux ou chirurgicaux. Malgré cela, la prise en charge des patients atteints d'une sclérose systémique reste souvent très difficile.

      Dans la sclérose systémique, la sécheresse buccale représente l'une des manifestations subjectives les plus gênantes. Elle est très fréquente : elle a été retrouvée dans environ 70 % des cas contre 33 % dans un groupe contrôle. L'hyposialie favorise les candidoses buccales et leur récidive. Chez les patients édentés, partiellement ou totalement, elle entraîne d'autres troubles : elle augmente l'instabilité des prothèses amovibles et, avec la microstomie, elle rend plus difficile les différentes étapes de la réhabilitation prothétique.

      L'hyposialie et la microstomie sont souvent responsables d'une augmentation de l'indice de plaque entraînant une inflammation gingivale. Les patients atteints d'une sclérose systémique ont donc une augmentation significative de leur indice gingival et de leur indice de mobilité ; les dents postérieures sont plus touchées que les dents antérieures La diminution de la vascularisation pourrait être responsable d'une ischémie favorisant l'apparition des lésions parodontales entraînant la récession gingivale et l'apparition de mobilité dentaire. L'élargissement ligamentaire, sans doute la manifestation buccale de la sclérose systémique la plus connue, représente aussi un facteur favorisant la mobilité dentaire. Il semble exister une corrélation directe entre l'importance de l'élargissement et le nombre d'organes atteints alors que l'âge du sujet et la durée d'évolution de la maladie n'auraient aucune influence. Au total, l'atteinte parodontale est proportionnelle à la sévérité de la maladie.

      L'atteinte osseuse touche presque uniquement la mandibule : elle est asymptomatique et serait présente chez environ 30 % des malades.

      Ce travail comporte une revue de la littérature et la présentation de quelques cas traités dans la Division de Stomatologie et Chirurgie Orale.


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