UNIVERSITÉ DE GENÈVE
FACULTÉ DE MÉDECINE
Section de Médecine Clinique,
Département de médecine Interne
Division d'Enseignement Thérapeutique pour les Maladies Chroniques
Les troubles psychologiques et la perte de poids après bypass gastrique
Thèse
présentée à la Faculté de Médecine de l'Université de Genève
pour obtenir le grade de Docteur en Médecine
par
Ileana ILIESCU née GRIGORESCU
(de Bucarest / Roumanie)
sous la direction du
Dr Alain Golay
Thèse n° Méd. 10340
Genève, 2003
Je tiens à remercier tout particulièrement le Dr Olivier Hubert PD pour l'aide et les conseils qu'il m'a donnés, ainsi que :
Mon travail de thèse n'aurait pas été possible sans l'aide et le soutien rapproché de toute l'équipe de la Division d'Enseignement Thérapeutique Pour les Maladies Chroniques :
Introduction
L'obésité est devenue, dans les pays développés, un problème de santé publique. Son incidence augmente chaque année en corrélation étroite avec le changement de mode de vie, notamment avec la sédentarité et le changement des habitudes alimentaires : régime riche en graisses et glucides.
L'obésité est accompagnée d'une multitude de pathologies associées : hypertension artérielle, maladies coronariennes, diabète, dyslipidémies, syndrome des apnées du sommeil, cancers (sein, endomètre, côlon), gonarthrose etc. ; d'où l'importance du traitement et de la prévention.
Malheureusement, parmi les traitements de l'obésité, l'efficacité n'est pas la règle. Il est connu actuellement que le traitement le plus efficace de l'obésité morbide (Index corporel > 40kg/m2) est le bypass gastrique. Son efficacité a été démontrée sur une perte de poids supérieure à 50% de l'excès de poids pour une durée de 5 ans. Il est également connu que le profil psychologique de base des patients obèses morbides joue un rôle important dans l'évolution de la perte de poids.
La dépression, l'anxiété ainsi que les troubles du comportement alimentaire font partie intégrante du tableau psychologique complexe du patient obèse. Les cliniciens avaient l'impression qu'une corrélation existe entre les paramètres psychologiques et le succès de l'intervention thérapeutique dans le cas de l'obésité, mais il n'y avait pas d'étude pour le confirmer ou l'infirmer. C'est la raison pour laquelle nous avons dessiné une étude prospective ayant comme objectif de répondre à la question suivante :
Question :
Y a-t-il une corrélation entre le profil psychologique de base des patients obèses morbides et leur évolution après bypass ? En d'autres termes : pouvons nous prédire qui est le meilleur candidat pour le bypass gastrique en déterminant son profil psychologique ?
Sujets et méthodes
80 patients (68 femmes et 12 hommes) ayant une obésité morbide ( BMI > 40kg/m2 ou BMI > 35kg/m2 associé à des complications connues de l'obésité) ont bénéficié d'un bypass gastrique dans le cadre d'un programme multidisciplinaire de prise en charge de l'obésité morbide, au sein de l'Hôpital Universitaire de Genève.
Le protocole de notre étude a reçu l'approbation de la Commission d'Ethique du Département de Chirurgie de l'Hôpital Universitaire de Genève.
Nos patients ont été sélectionnés par une équipe multidisciplinaire composée de : médecin spécialiste en médecine interne, chirurgien, psychiatre, psychologue et diététicienne. Tout patient ayant une pathologie psychiatrique grave a été exclu.
Avant l'opération, nos patients ont rempli plusieurs tests psychologiques afin de déterminer leur profil psychologique : Beck Depression Inventory BDI pour la dépression (6,7), Hospital Anxiety and Depression Scale HAD pour l'anxiété et la dépression (96), Rathus test pour l'estime de soi (20), Nottingham Health Profile NHP pour la qualité de vie (50) et Eating Disorder Inventory II EDI pour les troubles du comportement alimentaire (37).
A 3 mois, 6 mois et 1 année après l'opération, nous avons étudié les paramètres suivants : poids, BMI, leptine, acides gras plasmatiques (FFA), insuline, glycémie, métabolisme basal, oxydation des protéines, des glucides et des lipides ainsi que l'apport calorique et la composition corporelle.
Pour l'analyse de nos données nous avons divisé nos patients en sous-groups utilisant les critères d'âge et de poids. Malgré le fait que ces deux variables soient des variables continues nous avons, tout de même choisi de séparer notre groupe en sous-groupes en utilisant comme point de séparation une valeur fixe correspondant à la médiane calculée pour le groupe entier: 35 ans pour l'âge et 44kg/m2 (75% excès de poids) pour le poids. Le choix de la limite de séparation à été fait en concordance avec les travaux antérieurs effectués par notre groupe de recherche (12).
Les résultats ensuite ont été analysés par régression simple et/ou multiple pour évaluer tous les paramètres psychologiques. Les résultats ont été exprimés en moyenne +/- erreur standard en utilisant le programme de statistique StatView 4.5, Abacus Concepts Inc. Berkeley, CA. Nous avons considéré comme statistiquement significatif une valeur de P < 0.05. Une analyse par ANOVA a été utilisé pour comparer les quatre groups selon l'âge et le pourcentage d'excès de poids.
Résultats
Le profil psychologique de nos patients avec obésité sévère a présenté les caractéristiques suivantes : une anxiété modérée, une dépression moyenne, une mauvaise qualité de vie et, paradoxalement, peu de troubles du comportement alimentaire (sous-estimation due a une tendance de la part de nos patients de ne pas rapporter de tels troubles du comportement).
La perte de poids après un an est de 76.5% de correction de l'excès de BMI.
Parmi tous les autres paramètres étudiés, nous avons trouvé une corrélation étroite, dans le groupe entier, entre les scores de dépression avant l'opération et la perte de poids après l'intervention : plus les patients étaient déprimés avant l'opération plus ils corrigeaient leur poids grâce au bypass.
Dans le sous-groupe des patients avec moins de 75% excès de poids la corrélation trouvée entre la perte de poids et les paramètres psychologiques a été encore plus étroite. Plus ces patients étaient anxieux, dépressifs et avec une mauvaise qualité de vie, plus ils perdaient du poids. Cette perte de poids a été corrélée étroitement avec la diminution de l'apport calorique (ingestion alimentaire).
La tendance à été contraire dans le groupe avec > 75% excès de poids : plus ces patients étaient anxieux, avec une mauvaise qualité de vie et une mauvaise estime de soi, moins ils perdaient du poids. Cette évolution a été également corrélée étroitement avec l'apport calorique.
Chez les patients < 35 ans nous avons trouvé 37% plus de troubles du comportement alimentaire que dans le groupe plus âgé de > 35ans.
Nous n'avons trouvé aucune corrélation entre les paramètres métaboliques, biophysiques, biochimiques et le profil psychologique préopératoire.
Une corrélation, rassurante d'ailleurs, à été retrouvé entre la quantité de calories ingérées et la perte de poids : moins les patients mangent plus ils perdent du poids !
Nous avons aussi vérifié qu'il existe une bonne corrélation entre les différents tests psychologiques (P < 0.001).
Discussion
Le profil psychologique retrouvé dans notre groupe de patients obèses morbides est concordant avec les données disponibles dans la littérature (9, 39, 43, 49, 80, 31,15 etc.).
L'impact du profil psychologique sur la perte de poids à un an après bypass n'est pas influencé par l'âge, mais par l'excès de poids avec une inversion de tendance autour de 44 kg/m2 de BMI (75% excès de poids) ! Cette modification est due au fait que l'influence des troubles psychologiques (dépression, anxiété etc.) sur l'apport alimentaire post-opératoire change selon l'excès de poids préopératoire. Nous pouvons spéculer qu'en dessous de 44 kg/m2 de BMI les troubles psychologiques (dépression, etc.) ont un effet anorexigène après bypass et que pour les patients avec une obésité sévèrissime (BMI > 44) ceci n'est plus le cas. Cette influence est due à un mécanisme qui est très probablement lié aux changements neuro-métaboliques complexes qui surviennent avec l'âge dans l'obésité extrême, mécanisme qui nous échappe pour le moment.
La perte de poids, une année après bypass est, dans notre étude, supérieure à celle rapportée dans la littérature. Nous expliquons cette différence par le fait que nos données sur le poids sont relevées à un an seulement et qu'il est connu après un an, que les patients ont une tendance à reprendre du poids (7-8kg).
Les troubles du comportement alimentaire prédominent chez les jeunes de moins de 35 ans. Notre impression, basée sur les autres paramètres des questionnaires est que dans le groupe plus âgé (de > 35 ans) il peut y avoir une sous-estimation des troubles du comportement alimentaire: les patients ont suivi de multiples diètes amaigrissantes drastiques qui favorisent les troubles du comportement alimentaire et la peur d'être jugé augmentent peut-être avec l'âge.
Nos résultats sont à interpréter en tenant compte de quelques limitations. L'échantillon de patients que nous avons étudié est de seulement 80 patients et la répartition par sexe favorise essentiellement les femmes (85%). Pour pouvoir étudier les différentes corrélations entre le profil psychologique et l'évolution après bypass, nous avons dû séparer notre groupe en sous groupes en utilisant comme critère deux variables continues (âge et poids).
Conclusion
Le profil psychologique préopératoire influence la perte de poids après bypass. Cette influence est dépendante de l'excès de poids préopératoire, surtout chez les patients avec un BMI > 44 kg/m2. Pour ces patients, une amélioration du profil psychologique préopératoire par une prise en charge spécialisée pourrait améliorer la perte de poids après bypass.