DÉBAT EN HERBES sur le cannabis

Table ronde animée par Isabelle Moncada
13 mars 2003


Une enquête réalisée en novembre 2000 par l'Institut suisse de prévention de l'alcoolisme et autres toxicomanies (ISPA) montre que sur notre sol un quart des jeunes de 15 à 24 ans est consommateur, au moins occasionnel, de cannabis. Parmi eux, 49'000 fument au moins une fois par jour, soit d'une manière problématique. Les effets induits par la consommation de drogues sur le cerveau, ainsi que les mécanismes sous-jacents aux différentes formes d'ivresse qu'elle procure, ont déjà fait l'objet de nombreuses études. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour mieux cerner les effets à long terme. Mais que sait-on exactement aujourd'hui ? C'est ce que ce " débat en herbes sur le cannabis " se propose de faire découvrir.

De nos jours, le cannabis est un sujet d'une actualité aussi médicale que politique. En décembre 2001, le Conseil des Etats a approuvé un projet de dépénalisation de la consommation, qui sera examiné en mai prochain par le Conseil National. Les partisans de la dépénalisation partent du principe qu'il s'agit d'un problème de santé publique qui serait beaucoup plus efficacement traité par le biais d'informations que dans les bureaux de police. Une position qui semble recueillir l'adhésion d'une majorité d'élus.

Le débat s'est toutefois alourdi au fil des mois. Les éducateurs et les parents s'alarment : les fumeurs de cannabis dans les cours de récréation des écoles seraient en augmentation et de plus en plus jeunes. Une observation d'ailleurs confirmée par les statistiques. Le pourcentage de personnes âgées de 15 à 39 ans ayant consommé du haschisch ou de la marijuana au moins une fois dans leur vie est passé de 16,3% en 1992 à 26,7% en 1997, selon l'Office fédéral de la santé publique. En 1998, près du tiers des écoliers de 15 ans avait déjà tiré sur un joint au moins une fois, alors qu'ils étaient moins de 20% en 1994.

2003, l'Odyssée de l'extase

Face à cette problématique, trois intervenants s'exprimeront. La psychiatre Marina Croquette-Krokar parlera notamment de la prise en charge des jeunes en proie à l'abus de cannabis. Selon elle, la consommation de cannabis n'est généralement pas la cause des problèmes rencontrés par les adolescents. Mais elle suggère plutôt l'existence d'un mal-être qui se traduit le plus souvent par de l'anxiété et de la dépression, et qui n'a pas été détecté par l'entourage. De son point de vue, l'usage du cannabis peut, dans certains cas, s'apparenter à une forme d'automédication permettant momentanément de relâcher les tensions internes. Elle fera une brève revue des nouvelles connaissances en la matière, notamment de l'influence du cannabis sur l'apprentissage, sur le psychisme (lien avec la schizophrénie), sur la conduite de véhicules, le système hormonal, le système respiratoire, etc.

Parallèlement, Marie-Claude Amacker mettra en avant la nécessité de décriminaliser le cannabis sans le banaliser. A ce titre, elle se propose de répondre à des questions aussi élémentaires que pragmatiques, comme de savoir ce qu'est le cannabis, si sa consommation est dangereuse ou encore quelle attitude adopter face à un jeune qui en consomme ? Autant de questions régulièrement posées par des jeunes, des parents, et des enseignants, dont les réponses devraient aider à mieux comprendre dans quelle mesure une décriminalisation de la consommation de cannabis doit s'accompagner d'un renforcement de la prévention à l'égard de la jeunesse.

Enfin, Martin Tramèr exposera les avantages de la méta-analyse, une méthode de recherche qu'il utilise pour déterminer l'efficacité et les effets secondaires des traitements médicaux. M. Tramèr pourra parler de l'application et des résultats de la méta-analyse à la question du cannabis, en montrant comment cette substance peut être utilisée pour soigner des patients. Traditionnellement, les cliniciens se tournent vers la littérature scientifique pour décider des traitements indiqués. Cependant, cette littérature est composée de millions d'articles, dont une grande partie de qualité médiocre. Face à cette impasse, Martin Tramèr se sert d'une méthode à même d'identifier les données scientifiques les plus satisfaisantes et de les synthétiser pour que le clinicien les utilise comme base d'une meilleure prise en charge des patients. Dans ce dessein, toutes les études cliniques qui répondent à une question spécifique - par exemple " est-ce que l'anti-douleur X est utile ? " - sont systématiquement recherchées, les plus valables et les plus fiables d'entre elles sont sélectionnées, à l'aide de procédés biostatistiques, les résultats de ces études sont ensuite combinés. Ainsi, une seule grande étude est artificiellement créée.

Intervenants :

Marie-Claude Amacker obtient un diplôme de travailleuse sociale, option " éducation spécialisée ", à l'Institut d'études sociales de Genève. Elle travaille ensuite pendant 9 ans et demi au Centre d'aide et de prévention de la Ligue valaisanne contre les toxicomanies à Monthey, puis à Sion. Depuis 1999, Marie-Claude Amacker occupe un poste de chargée de projets de prévention à l'Institut suisse de prévention de l'alcoolisme et autres toxicomanies (ISPA), à Lausanne. Elle est co-auteure du guide " Cannabis en parler aux ados " destiné aux enseignants, ainsi que du feuillet " Cannabis, ce que les parents devraient savoir ". Par ailleurs, elle a accompagné le projet " Pétard mouillé ". Enfin, sur le site www.ciao.ch, elle répond aux questions que les jeunes posent anonymement sur le thème des drogues et intervient régulièrement dans le cadre de conférences sur ce thème.

Marina Croquette-Krokar obtient son diplôme de médecine à l'Université de Zagreb en 1984. Après son arrivée en Suisse, elle réussit son diplôme fédéral de médecine en 1988 et son FMH en psychiatrie-psychothérapie en 1997. A compter de 1988, elle travaille dans le Département de psychiatrie des HUG et depuis 1995 à la Division d'abus de substances. Elle en est le médecin cheffe de service a.i. depuis le 1er juin 2001. Marina Croquette-Krokar a notamment mis en place et développé plusieurs programmes cliniques. En 2002, elle a créé et inauguré un programme de soins spécialisés pour adolescents et une permanence téléphonique. Dans le domaine des addictions, elle effectue de nombreux enseignements prégradués et postgradués à l'Université de Genève ainsi que de la formation continue pour médecins praticiens et pluriprofessionnels de la santé dans différents cantons.

Martin Tramèr obtient son diplôme de médecine à l'Université de Bâle en 1985. Il fait ensuite une formation clinique en anesthésiologie dans différents hôpitaux de Suisse alémanique et finalement aux HUG. De 1994 à 1997 il écrit, à l'Université d'Oxford en Grande Bretagne, une thèse PhD sur des méthodes et l'application de la méta-analyse à la recherche clinique. Dès son retour à Genève, Martin Tramèr obtient des fonds de recherche du Fonds national suisse pour poursuivre ses activités de recherche dans le domaine de la méta-analyse. Depuis 2000, il est médecin adjoint au sein de la Division d'anesthésie des HUG, et responsable de la médecine factuelle (Evidence Based Medicine). En 2001, il publie, avec des collègues d'Oxford, deux méta-analyses dans le British Medical Journal sur l'efficacité et les effets secondaires des cannabinoids dans le contrôle à la fois de la douleur et des nausées et vomissements.