7ème Semaine internationale du cerveau
Université de Genève
du 15 au 25 mars 2004
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DES HAUTS ET DÉBATS : DÉPRESSION

Table ronde animée par Bertrand Kiefer
17 mars 2004

Pessimisme, sentiment d'impuissance, dévalorisation personnelle, manque d'appétit, diminution de la libido, ralentissement général de l'activité ou des fonctions intellectuelles, la dépression est une maladie aux conséquences parfois lourdes et aux contours souvent mal définis. Si elle se développe de manière accrue dans le monde contemporain, c'est dans les pays industrialisés qu'elle sévit le plus sévèrement. De plus, à en croire les statistiques de l'Organisation mondiale de la santé, 5 à 10% des hommes et 10 à 20% des femmes se retrouveraient une fois au moins dans un état dépressif pathologique proprement dit. Environ 10% de ces cas sont soignés, les quatre cinquièmes par des médecins non spécialisés, un cinquième seulement par des psychiatres. Les dépressions surviennent plus fréquemment après la cinquantaine et sont plus nombreuses en Occident que dans d'autres régions comme les pays musulmans où la pratique religieuse semble endiguer le phénomène. C'est pour mieux saisir les spécificités de cette maladie et les possibilités thérapeutiques qui s'offrent aux personnes touchée que la table ronde "Des hauts et débats: dépression" sollicite les savoirs complémentaires de trois spécialistes.

L'emprise de tête
Pour la sociologue Eliane Perrin, les exigences vis-à-vis de notre corps, de nos capacités intellectuelles et de notre contrôle émotionnel sont très élevées dans les sociétés occidentales actuelles. Quotidiennement, l'individu doit être performant dans tous les domaines, qu'ils soient professionnel, sportif ou sexuel, de l'enfance jusqu'à un âge très avancé. Ne plus y parvenir inflige alors un sentiment de faiblesse et de culpabilité qui nous oriente vers la médecine pour demander de l'aide.

Qu'elle soit déclenchée par un ou plusieurs événements (décès, accident, maladie, échec scolaire, licenciement, séparation, divorce, etc.) ou qu'elle surgisse sans raison apparente, la dépression plonge les individus et leur entourage dans une situation socialement inacceptable et rapidement insupportable. Alors que, suite à un décès, la période de deuil pouvait durer jusqu'à un an, la loi enjoint aujourd'hui à ne pas être absent plus de trois jours de son lieu de travail sans certificat médical. Face à cette problématique, Eliane Perrin évoquera les types de prises en charge socialement acceptées de nos jours: les réponses médicales les plus fréquentes à la dépression sont soit médicamenteuses (antidépresseurs) soit relationnelles (thérapies psychologiques) ou les deux. Elle parlera du choix de ces approches, chaque thérapie dépendant en effet fortement de la perception sociale, des représentations que se font les individus et leur entourage de ce qu'est une dépression, de ses causes (événements, hérédité), des médicaments et des possibilités de guérir (maladie momentanée ou chronique). Elle montrera notamment que ces différentes représentations sont construites culturellement et que les discours de la médecine comme de la science participent à leur édification.

A double tranchant
Gilles Bertschy et Jean-Michel Aubry présenteront, quant à eux, un regard de clinicien sur le champ de la dépression comme maladie à la fois psychologique et biologique que l'on peut approcher au mieux en intégrant et non en opposant ces deux perspectives. Gilles Bertschy insistera d'abord sur une nouvelle perspective, celle qui envisage la construction progressive de la "mécanique" de la dépression à travers la répétition d'agressions et de stress. Il y aurait d'abord la survenue d'éventuels micro-épisodes puis d'un premier épisode majeur qui est fréquemment suivi d'épisodes ultérieurs. Si les mécanismes psychologiques et biologiques se mettent ainsi en place et se développent, ils ne sont donc pas forcément les mêmes lors d'un premier épisode que lors d'une Xe rechute. Dans cette mécanique complexe, la dépression pourrait favoriser sa propre récurrence en constituant des sortes de cicatrices ou séquelles des épisodes antérieurs.

Dans la continuité de cette approche, Jean-Michel Aubry présentera un aperçu des changements biologiques liés à la dépression et plus particulièrement lors de dépressions récidivantes. Il évoquera notamment le dysfonctionnement d'un système neuroendocrinien faisant partie de "l'axe du stress" et se manifestant par une augmentation chronique du cortisol sanguin. Il abordera aussi les pistes liées à d'éventuelles "cicatrices" biologiques d'épisodes dépressifs. Le groupe de recherche avec lequel collaborent Jean-Michel Aubry et Gilles Bertschy tente ainsi de cerner l'existence de ces "cicatrices" dans leur dimension biologique d'une part et dans leur dimension psychologique et clinique d'autre part, afin de mieux comprendre les mécanismes de la rechute et agir plus efficacement à sa prévention.

Intervenants

Jean-Michel Aubry effectue ses études de médecine à l'Université de Genève. Durant sa formation postgraduée, il développe un intérêt pour la recherche qui l'amène à travailler au Salk Institute for Biological Studies aux Etats-Unis entre 1994 et 1996. Après son retour en Suisse, il a terminé sa spécialisation en psychiatrie adulte. Il est actuellement médecin adjoint agrégé au Département de psychiatrie de Genève. Dans ses activités cliniques, il dirige le programme spécialisé pour les patients souffrant d'un trouble bipolaire de l'humeur. Il codirige également un groupe de recherche dans le domaine de l'évaluation et du traitement des troubles de l'humeur, avec un intérêt particulier pour les perturbations biologiques associées à la dépression et pour la prévention des rechutes.

Gilles Bertschy fait ses études de médecine et sa formation postgraduée en psychiatrie à Besançon. Il est interne des hôpitaux en 1983, puis chef de clinique en 1987. Il mène en parallèle une formation à la recherche qui aboutit en 1993 à un doctorat en sciences de la vie et de la santé de l'Université Paris VI. Il rejoint en 1992 le Département de psychiatrie de Lausanne, puis celui de Genève à partir de 1996. Depuis 2003, il est professeur adjoint au Département de psychiatrie et médecin adjoint agrégé au Service de psychiatrie adulte. Il codirige le même groupe de recherche dans le domaine de l'évaluation et du traitement des troubles de l'humeur que Jean-Michel Aubry, avec un intérêt particulier pour l'évaluation clinique des états mixtes, le traitement des dépressions résistantes, la pharmacocinétique des antidépresseurs et les perturbations biologiques associées à la dépression.

Eliane Perrin fait des études de sociologie à l'Université de Genève et les poursuit à l'Université de Nice où elle obtient un doctorat en 1980. Ses recherches se situent dans le champ de la sociologie et de l'anthropologie du corps, du sport, de la santé et de la maladie. Elle enseigne et mène actuellement des recherches aux Universités de Genève et de Lausanne, dans la HES Le Bon Secours et en psychiatrie (HUG). Ses travaux récents portent sur la santé des femmes, notamment dans le cadre de l'avortement ou de la contraception, le retour à domicile de personnes âgées hospitalisées nécessitant des soins chez eux et la prise en charge de la douleur dans des sociétés multiculturelles.