LE CERVEAU MIS AU PARFUM:
OLFACTION
Table ronde animée
par Isabelle Moncada
19 mars 2004
Flatteuses, plaisantes ou
désagréables, à même
de raviver de vieux souvenirs oubliés,
de créer un fort sentiment de répulsion
ou de solliciter notre plus vive attention,
les odeurs constituent notre quotidien au même
titre qu'elles demeurent un véritable
mystère pour la plupart des gens. Tout
le monde hume des odeurs en ignorant à
peu près tout de leur "fonctionnement"
au niveau cérébral, de leur influence
sur notre comportement ou sur celui des individus
qui nous entourent. Motivée par cette
carence de connaissances sur le sujet, la table
ronde "Le cerveau mis au parfum: olfaction"
entend introduire le public au monde fascinant
des odeurs en s'appuyant sur le regard avisé
de trois spécialistes du domaines.
Mené par la bout
du nez?
Le nez contient un extraordinaire détecteur
de composés volatils: les récepteurs
olfactifs, des centaines de capteurs moléculaires
qui permettent de détecter et de différencier
plusieurs milliers d'odeurs, avec une sensibilité
et une rapidité surpassant celle de
toutes les machines analytiques. Mais combien
d'odeurs? Comment et pourquoi? Ce sont ces
questions que Christian Margot abordera en
montrant d'abord que nous différons
toutes et tous par notre sensibilité
absolue. Il montrera notamment que la discrimination
des odeurs perçues dépend en
premier lieu de nos récepteurs, mais
fait surtout intervenir notre cerveau. Premier
relais du signal odorant capté par le
nez, le bulbe olfactif dresse en effet une
sorte d'image propre à chaque odeur.
Certains éléments de cette image
sont ensuite transmis à plusieurs régions
du cerveau pour y être analysés
et comparés. Dans cette optique, le
cortex orbitofrontal réalise l'association
des informations olfactives avec d'autres modalités
sensorielles comme la vue, la texture et le
goût. Cette information multisensorielle
servira à établir la valeur émotionnelle
de la stimulation rencontrée, de façon
à ce que les odeurs puissent induire
un conditionnement que les autres modalités
sensorielles peuvent influencer. Ce conditionnement
semble important dans le sens où il
peut permettre d'anticiper l'intérêt
ou le danger d'une situation donnée,
comme celle d'un aliment non comestible par
exemple.
Des nez à la tête
De son côté, Ivan Rodriguez s'exprimera
sur le rôle primordial joué par
les phéromones, ainsi que par une classe
très particulière de leurs récepteurs
nouvellement découverts et situés
dans le nez de la plupart des mammifères.
Présentes dans la salive, la sueur et
d'autres sécrétions, les phéromones
sont des molécules qui, produites par
un animal et perçues par un congénère,
induisent un comportement particulier, comme
par exemple l'agressivité ou l'excitation
sexuelle. Pour la souris, comme pour pratiquement
tous les mammifères - à l'exception
notable des grands singes et de l'homme - les
phéromones jouent un rôle important,
voire indispensable à la survie de l'espèce.
Un parfum d'envoûtement
Enfin, Maria Inés Velazco fera partager
son expérience au sein de la Division
recherche & développement de Firmenich.
Située entre la chimie, la physique
et la physiologie de la perception, elle traitera
des moyens mis en uvre pour parvenir
à une meilleure compréhension
des structures fonctionnelles des stimuli chimiques
responsables de la perception et de la performance
des goûts et des parfums. Pour elle,
les odeurs jouent un rôle essentiel dans
le système de communication "émotionnel"
entre individus. Les parfums, dans des applications
cosmétiques, d'hygiène corporelle
ou domestiques et les arômes dans des
applications alimentaires ou pharmaceutiques
sont des vecteurs de ce langage émotionnel.
Ils transmettent au consommateur une information
sur le produit qu'il essayera et adoptera peut-être.
Dans la description d'un produit parfumé
ou aromatisé, il y a une information
sur sa performance qui s'ajoute au plaisir
sensoriel ou nutritionnel qu'il apportera au
consommateur. A travers les messages qu'ils
envoient à notre cerveau, les parfums
et les arômes sont censés nous
faire voyager et rêver, nous transporter
dans un monde d'émotions. Maria Inés
Velazco expliquera dans quelle mesure le cerveau
joue un rôle primordial dans la perception
des odeurs, les associant à notre mémoire,
à notre histoire émotionnelle
pour nous informer et nous faire agir au bénéfice
de notre survie ou de notre bien-être.
Une association qui influence nos préférences,
selon qu'une odeur est rattachée à
un épisode agréable ou désagréable
de notre vie. L'éducation, l'expérience
et d'autres facteurs externes comme l'environnement
géographique et socioculturel ont aussi
un impact sur nos préférences.
Intervenants
Christian Margot est ingénieur-chimiste
diplômé de l'Ecole polytechnique
fédérale de Lausanne. En 1985,
il poursuit sa formation par une thèse
de doctorat en chimie organique. Deux stages
postgrades, à Okayama et Stanford, lui
permettent d'élargir ses connaissances
en synthèse organique et en biosynthèse
de terpénoïdes. Il rejoint en 1987
les laboratoires de recherche de Firmenich
à Genève pour y développer
des procédés de synthèse
de molécules odorantes. Un congé
sabbatique d'une année lui permet de
se familiariser avec la chimiosensation en
1990, dans l'Institut Monell et l'Université
de Pennsylvanie à Philadelphie. Depuis,
ses recherches portent sur l'étude des
relations entre structure moléculaire
et odeur d'une part, et les mesures de perception
humaine d'autre part.
Ivan Rodriguez étudie
la biologie à l'Université de
Genève et obtient un doctorat en 1996.
Il poursuit ensuite ses études postgraduées
à l'Université Rockefeller de
New York. Depuis 2001, il est professeur boursier
du Fonds national suisse de la recherche scientifique
au sein du Département de zoologie et
de biologie animale de l'Université
de Genève, et membre du Pôle national
de recherche Frontiers in Genetics. Il dirige
un groupe de recherche s'intéressant
principalement aux aspects moléculaires
de la perception des phéromones chez
les mammifères.
Maria Inés Velazco
étudie la biochimie et la chimie à
Genève. Elle travaille ensuite dans
le secteur R&D de l'industrie agroalimentaire
chez Danone en Argentine. Son intérêt
pour la chimie des surfaces biologiques et
les mécanismes de reconnaissance ligand-récepteur
l'amène à obtenir un doctorat
en biochimie, mention neurobiologie, de l'Université
de Genève pour son travail sur le récepteur
de l'acétylcholine. Par la suite, elle
étudie les surfaces biochimiques responsables
de l'adhésion bactérienne sur
des polymères. Depuis 1986, Maria Inés
Velazco travaille chez Firmenich où
elle est Vice-présidente "analyse
et perception" dans la Division R&D.
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