In : AFIDES : Actes du colloque Le directeur, la directrice d'établissement scolaire et le renouveau pédagogique, tenu à Coppet (Suisse), 12-13 novembre 1992.


 

 

 

Renouveau pédagogique et responsabilités
de la direction de l'établissement

 

Monica Gather Thurler

1993


1. Le renouveau pédagogique

1.1. Un processus continu
1.2. Une double spirale
1.3. Un système d'apprentissages coordonnés
1.4. Une culture de coopération

II. Le directeur face au renouveau

2.1. Savoir habiter son rôle
2.2. Exercer une action indirecte sur la spirale
2.3. Pratiquer un " leadership coopératif "

En guise de conclusion, dix lignes de conduite…

Bibliographie


Il est impossible de comprendre le rôle du directeur dans le renouveau pédagogique, au sein de son établissement, sans clarifier d'abord ce qu'on entend par renouveau, à quelles conditions il peut être favorisé et quelles sont les responsabilités de leadership et d'encadrement du directeur.

Si la littérature sur ce thème abonde depuis une dizaine d'années environ, il n'est pas toujours facile d'en dégager un modèle unique indiquant des moyens d'action à court et à long terme. Il serait d'ailleurs faux de tenter une telle démarche indépendamment d'une véritable réflexion sur les pratiques pédagogiques, le fonctionnement des établissements, la professionnalisation des enseignants et l'orientation de l'école dans son ensemble.

Nous allons donc :

1. Le renouveau pédagogique

Le renouveau pédagogique, dans un établissement, est dans la plupart du temps la résultante d'un processus continu mêlant modernisation, régulation, intégration, innovation, démocratisation et professionnalisation. L'efficacité de ce processus se mesure à ses effets sur les pratiques pédagogiques des enseignants et en dernière instance aux résultats obtenus auprès des élèves. Cette efficacité dépend d'un double cheminement : le développement personnel et professionnel de chacun d'une part, le développement de l'établissement comme système d'autre part.

1.1. Un processus continu

Aujourd'hui, nous disposons d'une série de travaux nouveaux qui affinent l'analyse des pratiques des enseignants ainsi que celle des facteurs (internes et externes à l'établissement) qui facilitent ou au contraire rendent difficile l'introduction de changements pédagogiques. Ces travaux nous amènent à repenser le lien entre l'amélioration des pratiques pédagogiques au niveau de la classe et les " réformes scolaires globales ". De plus en plus, on accorde une attention toute particulière à l'enseignant en tant qu'apprenant, ainsi qu'à l'établissement scolaire comme lieu d'apprentissage, de coopération et de concertation des enseignants, permettant à la signification du changement de s'élaborer. Tant les personnes que les établissements sont à la fois :

Au lieu de traiter la problématique du changement des systèmes éducatifs comme une succession de rénovations à large échelle, plus ou moins abouties, donc toujours à recommencer, on peut favoriser un autre paradigme : le renouveau ne vient pas nécessairement d'en haut, n'est pas une opération globale et ponctuelle, mais plutôt un processus continu qui se développe, en parallèle, dans les divers établissements, chacun contribuant, à sa manière et avec son " génie propre ", à moderniser et optimiser le curriculum et les pratiques. A l'image centralisée de la réforme inspirée par le ministère et les spécialistes s'oppose l'image de processus de renouveau multiformes et locaux.

Il reste à cerner les conditions d'un renouveau pédagogique régulier à l'échelle d'un établissement, tant il est vrai que ce processus n'est pas spontané et exige à la fois des conditions favorables, un engagement des acteurs et des savoir-faire dans le registre de l'animation, de la communication, de la coopération, de la prise et de la mise en œuvre des décisions. Le renouveau passe en effet par un travail permanent de (re)construction des objectifs et du sens de l'action de chacun, travail assumé par tous les acteurs de l'établissement, aux fins d'une plus grande efficacité, d'une meilleure image de soi et de l'établissement. Le renouveau est un processus qui exige de parvenir à des représentations communes, de rapprocher les intentions et les motivations et de se mettre d'accord sur un modèle de pensée et d'action.

1.1.1. Une affaire de représentations communes

La manière dont les différents acteurs du système (le directeur, les enseignants, les élèves et leurs parents) conçoivent le renouveau dépend de leurs cadres de référence respectifs, des besoins professionnels et personnels de chacun, de leurs projets et priorités, leur trajectoire et statut actuel, leurs représentations tant des objectifs visés que des cheminements permettant de les atteindre. Ainsi, on ne peut attendre la même conception du renouveau chez :

Selon la façon dont les événements touchent tel acteur, et selon la perspective à court ou long terme qu'il adopte, celui-ci sera amené à percevoir le renouveau soit comme une rupture, mineure ou majeure, avec les pratiques existantes, soit comme une preuve de la stabilité d'un système qui sait s'adapter aux transformations de l'environnement. Chacun se situera aussi en fonction des effets qu'il attend, craint ou espère du renouveau, à court ou à long terme. Les plus directement concernés se sentiront personnellement menacés ou gratifiés, alors que les acteurs moins impliqués se demanderont à quoi peut bien servir tout ce remue-ménage.

L'image du renouveau dépendra également des objectifs et des projets des uns et des autres. Un enseignant décidé à changer un nombre de choses dans son contexte de travail parviendra, au bout d'un certain temps, à se persuader que son action a abouti ; tel autre, qui préfère s'en tenir au statu quo, s'appliquera évidemment à prouver que rien n'a changé, que la stabilité est maintenue. Ce phénomène de self fulfilling prophecy n'est pas réservé aux politiciens ; il fait partie de notre fonctionnement quotidien, et n'a rien à faire avec de la malhonnêteté, de l'aveuglement ou de la manipulation.

Examinons, à titre d'exemple, la rénovation de l'enseignement du français. Ceux qui sont restés très à l'écart ont l'impression qu'en fin de compte, le changement se limite à quelques aménagements des plans d'études, à la production de nouveaux moyens d'enseignement et au perfectionnement des enseignants, une série de mesures qui se sont finalement mises en place en dépit de quelques soubresauts. Ceux qui ont vécu la rénovation en première ligne, se sentant invités à adopter, souvent contre leur gré, des approches didactiques très nouvelles, remettent le changement en question en raison des difficultés rencontrées, des effets décevants auprès des élèves, des résistances et des critiques du côté des parents, de la fatigue ressentie à force de devoir constamment tâtonner, et d'une certaine amertume face aux décideurs ou aux théoriciens jugés fort éloignés de la réalité scolaire. Enfin, ceux qui attendaient de la rénovation des changements en profondeur, une véritable remise en question, une redéfinition de l'école dans le sens des pédagogies actives, de la communication et de l'ouverture sur la vie, ont l'impression que rien n'a changé, voire que les chose ont empiré…

Cette diversité de représentations n'est pas favorable au renouveau. Si, dans l'établissement, les uns ont l'impression de courir des risques et de progresser, alors que d'autres ironisent (" Que de bruit pour rien ! "), si les uns adhèrent à certains mouvements de rénovation (enseignement par objectifs, différenciation, évaluation plus formative, pédagogie du projet, emploi de technologies nouvelles) alors que d'autres affichent le plus grand scepticisme, si les uns se sentent acteurs du changement et les autres objets de manipulations technocratiques, alors il est peu probable que l'ensemble des collaborateurs de l'établissement puissent travailler ensemble aux mêmes changements. D'où l'importance de clarifier ce qu'on entend par " renouveau " et ce qu'on en attend. Il s'agit de faire en sorte, au minimum, que ceux qui sont actifs dans la mise en œuvre du changement en aient une représentation commune, et que les autres, moins impliqués, en soient suffisamment proches pour ne pas l'empêcher par ignorance ou simple indifférence. Nous verrons qu'un tel consensus n'est possible que si les représentations sont, dans un premier temps, formulées et explicitées, partagées, puis traduites en actions faisant partie d'un système cohérent, à l'intérieur duquel tous les acteurs se retrouvent et se reconnaissent.

1.1.2. Une affaire d'intentions et de motivations communes

Dans les systèmes sociaux, à la différence des cellules biologiques, il n'existe pas de " mutations spontanées ". Il n'y a pas de radiations qui peuvent heurter des " gènes sociaux " et produire, soudainement, des changements imprévisibles. Il y a toujours quelqu'un, un acteur individuel ou collectif, à l'intérieur ou à l'extérieur du système, qui veut que quelque chose se passe. Certes, le renouveau peut résulter d'une conjonction très complexe de forces sous-tendues par des intentions très diverses. Dans une organisation, aucun acteur ne maîtrise à lui seul le changement. Mais nul renouveau ne résulte entièrement du hasard, même s'il est vrai que les événements et les interactions sont, parfois, si complexes qu'il n'est pas facile de les démêler, de repérer les origines et les initiateurs du changement*.

Prenons l'exemple de tel établissement scolaire qui " fonctionne bien " : les enseignants collaborent, les élèves se montrent responsables, le concierge est efficace et sympathique, les parents participatifs et le nouveau directeur dynamique et visionnaire. Des observateurs naïfs pourraient croire que cet heureux fonctionnement est le résultat d'un choix judicieux du chef d'établissement par les autorités cantonales. Or, il se peut que leur choix ait été fortement influencé par les enseignants en place, habitués à collaborer étroitement depuis plusieurs années, conscients de l'importance de la personnalité et du rôle du directeur et donc décidés à orienter la succession, tant en agissant sur le plan politique qu'en faisant émerger un nouveau leader et en le préparant à sa nouvelle fonction.

1.1.3. Une affaire de modèle

Le débat autour du renouveau est souvent opaque du fait de la diversité des modèles qui permettent aux uns et aux autres de penser la façon dont les changements s'opèrent en éducation. Ces modèles sont, en général, des théories subjectives du changement des attitudes et des pratiques. Au cours de son existence, en particulier comme professionnel dans une organisation, chacun est en effet amené à se construire sa propre " théorie " psychosociologique, sur la base de sa propre expérience, de sa formation en sciences humaines, de sa vision du monde social. Autant d'acteurs, autant de théories subjectives. On peut cependant identifier quelques modèles assez répandus :

Il n'est pas très courant que les personnes engagées dans des processus de changement prennent le temps de parler du modèle auquel elles se réfèrent. Chacun agit donc à partir d'une théorie qu'il croit partagée, faute d'avoir vérifié que les autres pensent comme lui. Cela ne peut que favoriser les malentendus et les désaccords, d'autant plus difficiles à vivre qu'on n'en saisit pas bien la nature. Il peut ainsi arriver que, dans un même établissement, les uns mettent l'accent sur une clarification des rôles, alors que d'autres pensent en fonction de ressources supplémentaires. Tel enseignant ayant passé d'un établissement très innovateur vers un autre plus traditionnel défendra le modèle systémique ou volontariste, alors qu'un membre de la commission pédagogique, pensant en termes de développement organisationnel, sera plus proche du modèle gestionnaire. Certains adopteront le modèle adaptatif alors que d'autres chercheront à mettre en place un processus de professionnalisation à long terme. Si dans un même établissement scolaire, l'un perçoit le renouveau comme une évolution spontanée, alors qu'un autre pense que c'est un processus d'adaptation, et qu'un tiers pense encore que le renouveau ne se réalisera qu'à condition que quelqu'un décide et dirige, le tout va se terminer dans la confusion et le conflit.

Aucun de ces modèles n'est absurde, aucun n'épuise la complexité des organisations. Mieux vaudrait un certain éclectisme, un certain pragmatisme. Il est donc à la fois irréaliste et inutile d'espérer que chacun adhérera au même modèle. Il serait plus efficace d'admettre que les divers points de vue se complètent et qu'il faut tenir compte de chacun d'eux pour comprendre le phénomène du renouveau, à condition d'expliciter et de confronter les expériences et les théories du changement des uns et des autres.

1.1.4. Une affaire de continuité et de temps

Le renouveau dans l'établissement n'est pas une réforme ponctuelle, ni même une succession de réformes ponctuelles. Il les inclut, les porte et les déborde en même temps, parce que, dans un système complexe, en dehors des temps forts de la réforme, le changement est toujours en train de se préparer ou de se réaliser dans la vie quotidienne. Certes, tant les réformes venues de l'extérieur que les projets de rénovation venus de l'intérieur peuvent être des moments clés dans le renouveau. Ils infléchissent, recadrent, relancent l'évolution, ne serait-ce que parce qu'ils obligent chacun à réagir, à s'impliquer ou à se marginaliser, contraignant les acteurs à des choix tactiques, à des aménagements de leur travail, à des restructurations, à des changements d'attitudes. Tant les réformes décidées à l'échelle du système que les projets internes lancés par une minorité sont en quelque sorte assimilés par un processus de renouveau qui leur préexiste et leur survit, un processus plus ou moins lent, organisé, stimulant, mais toujours présent.

Le renouveau ne passe donc pas seulement par des mobilisations ponctuelles, mais par une réflexion et une communication constantes autour des problèmes professionnels. Cette démarche exige de chacun un esprit d'ouverture, ainsi que la volonté d'ajouter des connaissances et des savoir-faire nouveaux à son " répertoire ". Dans une école fortement et durablement engagée dans le renouveau, changer, apprendre et se professionnaliser ne sont pas seulement des objectifs, mais des activités personnelles et collectives banales, participant d'une démarche de recherche-formation continue à l'intérieur des divers groupes d'enseignants et à l'échelle de l'établissement tout entier. Il s'agit donc forcément d'un processus de longue durée, à l'intérieur duquel tant les personnes que l'organisation cheminent de conserve et en interdépendance, selon le principe d'une double spirale.

1.2. Une double spirale

Le potentiel de renouveau de chaque établissement dépend de deux facteurs :

- le système scolaire formel, le plan d'études, le programme annuel ou le plan de travail, les directives concernant les disciplines spécifiques, les innovations ponctuelles, tout ce qui fait partie des objectifs et des intentions définis par écrit et par rapport auxquels le corps enseignant est constamment amené à se demander s'ils correspondent à la réalité et sont appropriés ;

- la pratique dans la salle de classe, à savoir l'expérience vécue quotidiennement tant par les enseignants que par les élèves, la cohérence entre celle-ci et les objectifs visés, le curriculum réel plus ou moins éloigné du curriculum formel.

 

On peut donc concevoir le renouveau en fonction de deux lignes interdépendantes de développement :

 Ces deux lignes de développement doivent être en équilibre : il faut veiller à ce qu'aucune ne prenne durablement le dessus. Parfois, en investissant dans la formation continue des personnes sans se soucier du système, on engendre des individus " surdéveloppés " dans des organisations " sous-développées ". On peut craindre l'effet inverse, là où on se centre sur les structures et le fonctionnement, où l'on ne tient compte que du développement de l'établissement, sur le plan social et organisationnel, en n'accordant pas suffisamment d'importance aux enseignants en tant qu'individus, à leurs pratiques pédagogiques en classe et aux effets de ces pratiques sur leurs élèves.

L'équilibre entre les deux lignes ne va pas de soi, il doit être pensé, mis en place, structuré et organisé, grâce aux liaisons qui, dans la figure, sont schématisées par la ligne brisée. Cette ligne d'intégration représente l'essence même du développement de l'équipe enseignante, résultant d'une concertation approfondie touchant aux valeurs, normes, attentes, représentations, et attitudes qui constituent la culture d'un établissement. Elle représente la structure sous-jacente à la dynamique de l'établissement, qui conditionne les pratiques dans les salles de classe et les modes d'interaction entre les divers acteurs. On peut s'attendre à ce que le véritable renouveau pédagogique n'ait pas lieu sans une (auto-)évaluation approfondie et sans le développement de cette dimension profonde et structurelle.

Dans cette logique, la formation continue organisée sous la forme d'ateliers, séminaires, journées de réflexion, est sans doute un outil puissant pour affaiblir les résistances d'ordre culturel au changement. Mais n'oublions pas qu'en dehors de ces occasions ponctuelles de travail, de réflexion et d'élaboration en équipe, chacun retourne à sa réalité quotidienne de combattant solitaire et, du coup, risque de succomber à nouveau à l'incertitude inhérente à son métier d'enseignant : les succès obtenus ne correspondent que rarement aux aspirations nouvelles élaborées durant la journée de réflexion. Cette dimension doit également être travaillée afin que la déception ne soit pas systématiquement au rendez-vous, entre les quatre murs de la classe.

1.3. Un système d'apprentissages coordonnés

Lewin insistait en 1946 déjà sur la nécessité de dépasser la recherche-action en faveur d'une véritable action sociale et de transformer la bonne volonté individuelle en action organisée efficace. Or, l'action organisée n'est pas réductible aux apprentissages des uns et des autres. Il s'agit davantage d'un système d'apprentissages coordonnés, aucun d'entre eux, pris séparément, n'étant suffisant pour faire fonctionner l'ensemble, parce que c'est de leur synergie que dépend le résultat global (Gather Thurler & Perrenoud, 1991).

Les travaux les plus récents (Rossmann et al., 1988 ; Schein, 1985) partent de l'hypothèse que pour accroître l'efficacité de l'action organisée dans un établissement, il faut comprendre et éventuellement transformer sa culture. Il s'agit ici d'une dimension vitale, mais jusqu'alors négligée par rapport au renouveau, ce qui constitue, selon les tenants de la perspective culturelle, une des raisons majeures des échecs de ces projets. En effet, dans le passé, on se centrait trop fortement sur des changements et projets spécifiques, sur l'enseignant individuel dans sa salle de classe. Il s'agit d'opter pour une nouvelle centration. Celle de la culture de l'établissement, de la communauté professionnelle.

Organiser une action sociale efficace dans l'établissement, c'est en effet tenir compte de sa culture, c'est réfléchir aux valeurs et aux normes, identifier la façon dont " les choses se pensent et se font ici ", la manière dont les habitus sont orchestrés (Bourdieu, 1972, 1980), la façon dont les acteurs perçoivent et décrivent la réalité, réagissent à l'organisation, aux événements, aux paroles et aux actions, les interprètent, leur donnent du sens. Dans cette perspective, la culture peut se définir comme la connaissance socialement partagée et transmise de ce qui est et devrait être. Elle est transmise, souvent involontairement et implicitement, et symbolisée, à travers des actes et des produits, ainsi que par le langage : la manière dont les gens parlent de leur monde, ce dont ils parlent et ne parlent pas, avec qui et où. La culture de l'établissement est activement construite par les acteurs, même si cette construction reste en grande partie inconsciente. Il s'agit en fin de compte d’un processus dynamique et évolutif, d’un processus d’apprentissage qui se déroule à travers les solutions qu’un groupe a trouvées par rapport à des problèmes apparus. Le contenu d'une culture peut être défini en tant que " somme des solutions qui ont suffisamment bien fonctionné pour qu’elles finissent par aller de soi et par être transmises aux nouveaux venus en tant que manières correctes de percevoir, de penser, de percevoir et d’agir " (Schein, 1985, p. 34). Or ces nouveaux venus, si on veut obtenir leur adhésion à cette culture, devront en comprendre les pouvoirs et les vertus, donc passer par une re-construction de cette culture.

1.4. Une culture de coopération

Les chercheurs en sont venus, ces dernières années, à insister de plus en plus sur l'importance de la mise en place d'une culture_de_coopération (Rosenholtz, 1985 ; Hargreaves & Fullan, 1991, et al.) dans l'établissement, en tant que condition optimale pour améliorer son fonctionnement et modifier les pratiques pédagogiques*. Les principales caractéristiques d'une telle culture sont les suivantes :

Les enseignants qui partagent une telle culture de coopération sont plus unis que divisés. Le climat de travail se caractérise en priorité par l'aide, le soutien mutuel, la confiance et la franchise ; ces sentiments se trouvent au centre de l'expérience quotidienne de l'enseignant d'abord, mais aussi des élèves et du directeur. En outre, comme Niais et al. (1989) le soulignent, dans une telle culture, l'échec et l'insécurité ne sont ni niés, ni cachés, mais discutés aux fins d'obtenir de l'aide et du soutien. Les enseignants ne perdent plus de temps et d'énergie à se retrancher derrière leurs défenses. Si en règle général, il existe un accord très large sur les valeurs éducatives, dans une telle culture, on accepte aussi le désaccord, on l'encourage même dans certaines limites, afin de développer, à partir des différences ainsi mises en évidence, des stratégies d'action toujours plus efficaces. Une telle culture exige des rencontres régulières entre les différents partenaires. Celles-ci ne sont pas toujours faciles et peuvent menacer d'éclatement certaines équipes de travail, lorsque les divergences sont trop importantes. Partager une culture commune est le résultat d'un travail de longue haleine.

Or, dans la plupart des établissements, les enseignants n'ont pas beaucoup de temps pour se voir, pour s'apprivoiser, pour créer une telle culture. En général, de telles rencontres se produisent de manière informelle, en dehors du temps de travail, après une journée fatigante, pendant la pause de midi, lors d'un après-midi de congé. Même là où le temps de coopération est institutionnalisé, inclus dans les horaires, il faut être conscient qu'il n'offre que l'occasion, le contexte matériel. Les temps de travail en commun trop ritualisés comportent le risque du faux-semblant, ils provoquent des résistances plutôt que de stimuler le développement d'une culture de coopération.

Un autre problème lié à la mise en place d'une telle culture réside dans la nature des plans d'études, voire dans l'interprétation que les enseignants en font (Perrenoud, 1993). Les enseignants, lorsqu'ils ont l'occasion de collaborer, ont tendance à concentrer leurs énergies collectives sur des problèmes relativement immédiats, souvent à défaut d'un habitus de concertation et de négociation leur permettant d'aller au fond des choses, afin de parvenir à un véritable objet de recherche commune. On ne réserve ainsi que peu d'espace à la réflexion sur des problématiques plus fondamentales, par exemple sur les valeurs et les idées directrices plus générales de l'école, sur la cohérence entre les objectifs poursuivis et les pratiques, etc. En fin de compte, on donne la priorité à la mise en œuvre de changements dictés par l'extérieur - qu'il s'agisse de directives administratives ou pédagogiques imposées par l'autorité centrale ou de réponses obligées à des problèmes venus d'ailleurs, par exemple l'arrivée massive d'élèves immigrés. En somme, souvent, les milieux d'enseignants réagissent - en général de manière défensive - aux pressions externes, plutôt que de viser le développement de leur propre projet.

Les difficultés liées à la mise en place d'une culture de coopération véritable sont multiples et sont facilement explicables, dans la mesure où elle va à l'encontre des habitudes en place. Parmi les difficultés les plus marquantes, nous trouvons ainsi :

De telles difficultés renvoient à une question centrale : peut-on, de façon volontariste, transformer une culture ? La réponse ne peut qu'être différenciée et complexe. Il est vrai qu'à première vue, la culture tend à être une force conservatrice, stabilisatrice au sein d'un système social. Les contenus culturels sont très normatifs, ils inclinent les acteurs à agir et penser d'une certaine manière parce qu'ils sentent très fortement qu'il est " juste " ou " désirable " de penser et d'agir ainsi. Mais la culture change et se développe lorsque les gens rencontrent de nouveaux problèmes, accueillent de nouveaux venus, assument de nouvelles tâches, construisent de nouveaux savoirs ou redistribuent les rôles. Par conséquent, la culture est, paradoxalement, à la fois statique et dynamique. Les conflits, les disputes, les ruptures à l'intérieur d'un établissement, ou du moins une certaine envie de changer, de la part de quelques innovateurs, de quelques visionnaires, de quelques leaders, constituent une sorte de " gâchette " (Tichy, 1983), amenant à mettre la culture actuelle en question. On crée ainsi une dynamique grâce à laquelle les acteurs mettent en commun leurs objectifs et leurs représentations, grâce à l'adaptation et l'accommodation mutuelle : en négociant et en se concertant par rapport aux objectifs visés, on construit le sens du changement. En bref : la culture, sauf dans les sociétés totalement traditionnelles, est à double face : à la fois frein au changement et levier. La transformation des structures et des règles peut être décidée de façon autoritaire, mais rien n'assure qu'elle aura une forte incidence sur les pratiques. Au contraire, les valeurs et les façons de penser n'évoluent pas par décret, mais lorsqu'elles se transforment, on peut espérer des changements durables des pratiques en classe et du fonctionnement dans l'établissement.

II. Le directeur face au renouveau

Les recherches systématiques sur le fonctionnement du directeur en relation avec le renouveau pédagogique sont assez récentes*. Elles montrent que le renouveau ne peut que difficilement s'opérer sans le soutien actif du directeur de l'établissement ; en cas d'opposition ou même de simple indifférence de sa part, le changement est voué à un échec à court ou moyen terme ; l'ampleur et l'emprise du renouveau dépendent donc, dans une large mesure, de la part active que les directeurs y prennent et de l'importance qu'ils donnent à leur propre rôle dans le processus.

Dès lors, on pourrait être tenté d'accorder au directeur un rôle déterminant. Ce serait oublier que ses attitudes et ses pratiques font partie du système lui-même, et sont donc partiellement solidaires de la manière dont les divers acteurs du système coexistent, travaillent et décident ensemble. Autrement dit : il ne suffit pas de transformer l'identité, les savoir-faire, les ambitions des chefs d'établissement pour qu'aussitôt leurs " troupes " suivent. Le " Je suis leur chef donc je les suis " n'est qu'en apparence une boutade : aucun acteur, quelle que soit son autorité, ne peut échapper à la culture de l'établissement, ni la modifier de façon unilatérale. A l'inverse, il serait naïf de croire qu'il n'y a aucune marge de manœuvre. Chaque acteur de l'établissement, a fortiori le directeur, qui détient quelques atouts supplémentaires, peut exercer une certaine influence sur le système, ses valeurs, ses règles de fonctionnement.

Pour tirer le meilleur parti de cette marge de manœuvre, il importe d'avoir une idée claire et réaliste du "leadership" qu'on peut et qu'on veut exercer en tant que chef d'établissement. Dans ce domaine, la littérature anglo-saxonne évoque régulièrement le concept de " leadership coopératif ". Il s'agit d'un concept difficile à manier dans la mesure où l'emprunt de mots clés de ce type et provenant d'un autre contexte linguistique et culturel, est sujet à produire des connotations très ambiguës en français. Par exemple, nous n'associons pas nécessairement à l'autorité administrative, comme le font les anglophones, des pratiques telles que " prendre l’initiative ", " inciter ", " créer les conditions favorables dans une équipe ", " influencer positivement le climat scolaire ", " avoir de la présence ", etc. Et pourtant, ce type de leadership est indispensable pour que l'école apprenne et se développe, pour que les enseignants se professionnalisent. C'est la condition sine qua non pour éviter des déraillements, des initiatives à contresens, pour développer une culture d'établissement, quelle qu'elle soit ! Aux directeurs revient alors un rôle clé : assumer une large part de responsabilité et de travail dans la professionnalisation du corps enseignant de l'établissement. La recherche ne s'est préoccupée que tardivement de ces charges supplémentaires. Divers auteurs (Vandenberghe & Staessens, 1991 ; Garant, 1991, et al.) en analysent les diverses facettes, mais il nous manque encore des études qui montreraient vraiment combien de directeurs réussissent dans cette intégration des rôles et quels en sont les effets !

D'autres chercheurs parlent des chefs d'établissements comme " constructeurs de la communauté pédagogique " (community builders, Calabrese, 1989) ou encore comme " accoucheurs de personnes " (people developers, Killion, Huddelston & Claspell, 1989). Ces auteurs mettent en évidence les diverses étapes nécessaires pour parvenir à cet objectif : cela va de la création d'un climat favorable et basé sur le respect de l'individualité de chacun à la mise en place d'une véritable culture de coopération (Hargreaves, 1991, Gather Thurler, 1994 b).

La plupart des auteurs s'accordent cependant à dire que le rôle et l'influence du directeur ne sont pas aussi univoques, ni aussi linéaires qu'on l'avait imaginé. Malgré cela, il incombe certainement au chef d'établissement un rôle majeur dans le renouveau pédagogique. Nous la définirons en fonction des trois axes suivants : 1. savoir habiter son rôle, 2. exercer une action indirecte sur la spirale, 3. pratiquer un leadership coopératif.

2.1. Savoir habiter son rôle

Qui dirige, coordonne, incite, organise ? qui encourage au renouveau, au changement des pratiques, à la transformation de la culture existante dans un établissement ? Questions très importantes : les enseignants résistent souvent aux tentatives faites pour les amener à changer leurs pratiques, mais plus encore si elles émanent de la directrice ou du directeur. La plupart des acteurs de l'établissement, et en particulier les directeurs eux-mêmes, perçoivent et définissent les tâches et les responsabilités liées à leur fonction en relation avec une vision bien particulière du métier d'enseignant, du comportement humain et des organisations. Par ailleurs, ils sont influencés par les expériences qu'ils ont vécues ou qu'on leur a rapportées en matière d'exercice, voire d'abus du pouvoir par des personnes occupant des positions d'autorité. Comme les enseignants - corps dont ils sont le plus souvent issus - ils associent souvent l'existence d'une autorité à une perte d'autonomie, à un sentiment d'étouffement et d'oppression, à des phénomènes de manipulation et de soumission.

Dans le contexte du renouveau, pour que le rôle du directeur prenne à la fois une nouvelle importance et une signification bien spécifique, on ne peut faire l'économie d'une analyse des identités et des images de l'autorité et du rôle qui circulent au sein du corps enseignant et parmi les cadres. Pour favoriser le renouveau, diriger un établissement ne devrait plus se confondre avec commander, contrôler, corriger ; le nouveau rôle du directeur serait plutôt d'initier, de conseiller, d'aider à résoudre des problèmes, d'associer aux décisions, d'entreprendre des actions concrètes et symboliques dans le but de faire comprendre ses visions, de transformer la culture existante, de susciter des projets et des envies. Pour cela, il lui faudra habituer ses collègues à son nouveau rôle, en l'habitant différemment, en trouvant des réponses aux trois questions suivantes :

2.1.1. Ne pas se laisser imposer son rôle par l'extérieur,
ni par l'urgence du quotidien

Si le changement est vraiment dans l'air, on pourrait espérer - un peu naïvement, il est vrai - que le directeur redéfinisse assez rapidement son rôle et puisse prendre davantage de responsabilités pédagogiques. Cependant, beaucoup de directeurs font l'expérience du contraire, et de mauvaises langues diraient même qu'ils l'acceptent volontiers : ils subissent d'importantes pressions pour maintenir le statu quo, même s'ils ne réagissent pas tous dans ce sens.

De la représentation qu'a le directeur de sa fonction et de ce que les autorités et les enseignants attendent vraiment de lui dépendront en fin de compte sa façon de faire face aux pressions stabilisatrices. Sur le papier, tout semble relativement facile. En effet, la grande majorité des cahiers des charges cantonaux, ainsi que les cours et séminaires de formation continue, de gestion (suivis tout de même par un grand nombre) insistent sur les responsabilités de leadership du directeur : faciliter le changement, aider les enseignants à mieux collaborer, évaluer et réguler le développement de l'établissement. Aux directeurs, il revient de gérer, d'activer, de mettre en place, de " s’arranger pour que… ", de stimuler, de convaincre, de séduire. Ces prescriptions partent de façon un peu optimiste du point de vue que tant les directeurs que les enseignants sont convaincus d'emblée que favoriser le changement est l'une des facettes nobles de leur métier. Est-ce si sûr ?

Pour nuancer les images trop simples, voyons comment les chefs d'établissements passent réellement leur temps. On comprendra mieux alors tant le rôle qui leur est imposé que celui qu'ils se donnent. Leithwood & Montgomery (1986), Dubs (1992) et d'autres chercheurs ont suivi pas à pas de nombreux directeurs d'écoles. Voici leurs observations :

En résumé, les divers auteurs s'accordent à constater que la difficulté de la tâche est énorme, en raison :

- du défi constant de devoir faire mille choses en même temps ;
- du caractère répétitif et ennuyeux de la plupart des tâches ;
- du niveau superficiel et débilitant des interactions ;
- du besoin constant de jongler avec des partis et intérêts divers ;
- du déséquilibre entre tâches de gestion et véritables fonctions de leadership ;
- de la fatigue et du surmenage ;
- la prise de conscience de ses propres limites sur le plan personnel ;
- de la prise de conscience des possibilités limitées de carrière professionnelle ;
- du choc de la réalité ;
- du manque d'autonomie et de soutien.

A cette liste impressionnante on peut ajouter une série de dilemmes auxquelles les directeurs se trouvent confrontés lorsqu'ils doivent choisir entre changement et continuité, afin d'éviter de se " mettre à dos " tant les autorités que les enseignants.

2.1.2. Le dilemme du choix entre changement et continuité

Les exigences émanant de la direction générale pleuvent, et le directeur est censé les mettre en œuvre, faire face aux enseignants, faire bonne figure alors qu'il n'est pas d'accord, n'a pas bien compris…

On ne l'aide guère à faire face à la tâche. En général, il reçoit quelques ordres, quelques suggestions durant une séance d'informations où il est difficile d'admettre, devant ses pairs ou ses supérieurs, qu'on n'a pas compris, qu'on a quelques autres soucis, sans être considéré comme stupide ou borné, voire réactionnaire. Le chef d'établissement gardera alors ses doutes pour lui. Souvent, il n'aura que peu d'occasions d'en discuter avec d'autres directeurs : la solitude, la difficulté de partager avec d'autres font partie de son quotidien.

Il ne peut pas partager avec les enseignants non plus : la tradition entre enseignants (que le directeur a intériorisée lors de son passé d'enseignant) est de maintenir la distance et le respect de l'autonomie professionnelle d'autrui. Dans la plupart des cas, les directeurs ont fait l'expérience qu'il est difficile de changer ce type de relation.

Lorsque l'interaction s'annonce difficile, chacun fait ce qui lui semble le plus évident : il réduit les contacts au minimum. Or sans contacts personnels, il n'y a pas de changements significatifs. Dans la majorité des établissements, prévaut traditionnellement une culture de l'isolationnisme : on suppose que les gens préfèrent qu'on leur " fiche la paix " et qu'on les laisse libres d'affronter leurs responsabilités professionnelles à leur manière.

Est-ce vrai pour quelques directeurs, pour la moitié, pour la majorité ? Désirent-ils davantage de contacts sociaux autour de sujets professionnels, de préférence dans un climat de soutien mutuel ? Les gens croient que les normes sont maintenues par les autres, alors qu'ils y contribuent eux-mêmes.

Ainsi, le directeur ne parle-t-il que rarement, avec les enseignants, des nouvelles méthodes didactiques, de leurs degrés d'autonomie, de son souci de mettre en place une véritable culture de coopération, de garantir une cohérence optimale entre objectifs, organisation et structure. Eux le perçoivent souvent, à tort ou à raison, comme peu intéressés par le changement ou même par leurs soucis professionnels.

En regard de ces constats assez pessimistes sur l'emploi du temps réel des directrices et directeurs, il est intéressant de souligner que diverses enquêtes menées récemment en Belgique (Garant, 1991) et en France (CREDOC en France, fin 1990 et 1991*) font ressortir l'importance des préoccupations pédagogiques des chefs d'établissement, qui souhaiteraient davantage se percevoir et être perçus comme animateurs (68%), coordinateurs (54%), chefs de projet (42%), que comme "leaders" ou chefs de personnel…

2.1.3. Un nouvel équilibre des rôles

Celle ou celui qui dirige un établissement est continuellement confronté à une double tâche : l'action individuelle et celle de l'organisation bureaucratique. Ces deux tâches sont interdépendantes, ou disons plutôt, se trouvent dans une relation dialectique, ce qui signifie que le directeur se trouve dans l'intersection entre deux rôles sociaux bien différents:

A l'intérieur du système bureaucratique selon lequel nos écoles sont organisées, le directeur doit assumer la gestion de l'établissement sur le plan administratif et collectif, assurer sa représentation auprès des partenaires externes et maintenir l'ordre sur le plan interne. Sa position sera forcément hiérarchique, sa tâche de veiller à ce que les règlements soient connus et respectés : on lui demande de " diriger son entreprise ".

Cette vision traditionnelle du rôle social du directeur se trouve en contradiction avec une autre vision, qui est plus proche du souci de renouveau de l'école et par conséquent du rôle pédagogique : favoriser le développement professionnel des enseignants, aller vers une culture de coopération, assurer l'efficacité des actions entreprises en mettant en place un système d'auto-évaluation, etc.

La question est de savoir dans quelle mesure les directeurs parviendront à rééquilibrer leur rôle dans ce sens, tout en conservant ou renforçant leur crédibilité auprès des divers acteurs : enseignants et élèves d'abord, autorités scolaires, parents et autres acteurs ensuite. On constate par exemple que certains projets de changement dysfonctionnent ou échouent parce que les directeurs ne réussissent pas à changer de registre de fonctionnement : ils continuent à " donner des ordres ", à prendre des décisions à la place des enseignants, à ne pas assumer leur part de travail à l'intérieur d'un projet commun, à " jouer au patron " à l'intérieur des groupes de travail.

Mais on observe aussi que les tentatives de changement sont parfois censurées, sabotées par une fraction du corps enseignant, qui a intérêt à rejeter le chef d'établissement dans son rôle traditionnel. C'est l'un des problèmes classiques des structures bureaucratiques : on en souffre et on en tire des bénéfices…

2.2. Exercer une action indirecte sur la spirale

En admettant que le renouveau dans l'établissement s'organise selon diverses lignes interdépendantes de développement, entre l'évolution individuelle de chacun et l'évolution de la collectivité, un des rôles importants du directeur soucieux de renouveau est certainement d'exercer une action sinon directe, du moins indirecte sur la spirale (cf. figure 1). Indépendamment des caractéristiques organisationnelles et contextuelles, il existe une série d'actions qui permettent d'exercer une influence favorable au renouveau. Parmi celles-ci :

2.3. Pratiquer un " leadership coopératif "

Le concept de " leadership coopératif " n'est pas une simple recette pour faciliter l'interaction avec les collègues, mais un cadre de référence, qui doit être situé dans le contexte des théories actuelles sur les cultures de coopération. (Hargreaves, 1991, Fischer & Schratz, 1990, et al.). Le leadership coopératif entend la direction comme une force de transformation culturelle et de développement de la dynamique de l'équipe pédagogique. A cette fin, il s'agit de :

Le leadership coopératif n'est pas conçu en termes de responsabilité unilatérale. Il ne délègue pas la charge du développement au directeur uniquement, mais au contraire, analyse l'autorité en termes de réciprocité, de responsabilité partagée, négociée (Perrin 1991) des deux côtés. Or, celles-ci ne se développent pas d'abord par des pressions exercées par la politique éducative (et sociale), ni par des calculs savants et rationnels des directeurs, de la direction générale, des formateurs. Elles se développent, au contraire, grâce à un certain nombre de démarches de la part de la direction, visant à :

En fin de compte, on cherche à dépasser l'approche bureaucratique traditionnelle qui repose sur l'hypothèse qu'un contrôle serré exercé sur les enseignants qui " sont à la fois le problème, la solution et le bouc émissaire ", soit le seul moyen d’introduire le renouveau. On vise au contraire à mieux profiter des potentiels existants, en suscitant l'engagement, l'intérêt, la participation et l'appropriation par les enseignants du processus de développement. Dans un climat d'esprit d'équipe, de confiance mutuelle, de transparence, de coopération et de collégialité, "…naissent de nouvelles normes de travail, grâce à des enseignants se supervisant mutuellement, parlant souvent de problèmes pédagogiques et didactiques, s'engageant dans la planification commune, d'où un partage des valeurs qui renforce l'amélioration de l'école " (Cuban, 1984).

Afin de faire face à la complexité des tâches, les directeurs seront obligés de dépasser la distinction traditionnelle entre leadership et management, en acceptant qu'en fin de compte, comme Louis & Miles (1991) le proposent, le fait que ces rôles sont à la fois complémentaires et distincts et en négociant au mieux l'alternance entre eux : les leaders définissent l'orientation d'une organisation ; les managers s'assurent que l'orientation est mise en œuvre. Le tableau suivant donne un aperçu des articulations possibles entre les deux rôles et des tâches diverses qui en découlent :

Boy-scout /
Leadership
 Metteur en scène / Chef d'orchestre / Manager
  • définir l'orientation de l'organisation, innover
  • développer des stratégies
  • stimuler et produire des idées
  • s'assurer que l'orientation donnée est suivie
  • créer les conditions pour mettre en pratique les stratégies
  • utiliser son influence interpersonnelle pour acheminer les nouvelles idées dans son établissement

1. Définir des objectifs

1. Créer des représentations de comment les choses pourraient être mieux faites

2. Développer des programmes de travail clairs et explicites

2. Transformer les représentations en dprojets opérationnels

3. Faciliter l'exécution des programmes définis (négocier les demandes et ressources avec l'environnement, etc.)

3. Communiquer les représentations de manière à motiver et à engager/ impliquer autrui

4. Offrir l'occasion de renforcements fréquents

4. Impliquer l'équipe dans une planification et commune et continue

5. Organiser le suivi systématique et les régulations

5. Créer un climat propice à la résolution de problèmes et au tâtonnement, à la régulation continue et à l'apprentissage autour du projet

6. Persister jusqu'à ce que le projet soit mené à terme.

6. Maintenir la stabilité : discipline, personnel, budget… et récompenser les efforts investis.

En d'autres termes, leadership et management sont difficiles à séparer dans le travail quotidien dans l'établissement. Mais tout comme la ligne de démarcation entre ces deux rôles est difficile à établir, il ne revient pas uniquement au directeur d'introduire le changement : au contraire, la responsabilité revient à tous les acteurs.

D'excellents directeurs ne sont pas tombés dans le chaudron du leadership le jour de leur nomination. Il ne s'agit pas non plus de leaders nés, avec un caractère hors pair, avec une méthode infaillible. Il s'agit au contraire de professionnels ayant accumulé progressivement de la sagesse et de l'espoir, grâce au partage de l'expérience avec les collègues sur le plan local et cantonal.

Le rôle du directeur n'est pas de mettre en œuvre l'innovation, ni celui de montrer l'exemple en enseignant dans la salle de classe. Il y a des limites par rapport au temps que le directeur peut passer dans chaque salle de classe. Son but le plus important est celui de transformer la culture de l'établissement.

 

En guise de conclusion, dix lignes de conduite…

Pour contribuer au renouveau, dépasser l'inertie du système, recentrer la responsabilité sur l'individu, voici quelques suggestions " terre-à-terre " :

1.

Éviter les constats du type seulement, cesser d'attribuer la faute aux autres et de jouer
le jeu du contentement : étant donné…, ça ne va pas si mal…, cesser de faire semblant.

2.

Penser en grand, mais commencer avec de petites choses. Ne pas fixer d'objectifs trop exigeants, ne pas tomber dans le piège du management.

3.

Se centrer sur un objectif concret et important, comme le curriculum, les méthodes pédagogiques, l'évaluation, etc.

4.

Se centrer sur quelque chose de fondamental, comme la culture professionnelle de son établissement.

5.

S'exercer à agir sans peur et en adoptant de nouvelles attitudes de prise de risque, apprendre à faire le deuil, à anticiper les conséquences, à développer des stratégies de coping (savoir " faire face ")

6.

Déléguer du pouvoir aux collègues.

7.

Construire une vision commune par rapport aux objectifs communs et aux processus
du changement.

8.

Définir et décider es limites du renouveau, afin d'aller dans le sens de la cohérence.

9.

Se créer des alliés.

10.

Etre prudent ; prendre du temps pour réfléchir ; se faire conseiller.

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