In : M. Crahay (dir.) Problématique et méthodologie de l'évaluation des établissements de formation, Bruxelles : De Boeck, pp. 203 - 224.  


 

 

 

L'efficacité des établissements
ne se mesure pas : elle se construit,
se négocie, se pratique et se vit

 
 Monica Gather Thurler
1994


1. Des écoles efficaces à l'évaluation de l'établissement:
origines et implications du concept

2. Le modèle des cinq zones

En guise de conclusion...

Bibliographie


Lorsqu'on veut "mesurer son efficacité", on court le risque d'enfermer la dynamique d'un établissement dans une perspective classique et sommative, de croire que des catégories préfabriquées peuvent saisir une réalité constamment en mouvement, qui n'existe que dans l'espace d'interaction des acteurs concernés.

La problématique de l'efficacité a subi une évolution. On se distancie aujourd'hui de l'approche initiale, techniciste et quantificatrice, pour mettre en relation différents effets avec des caractéristiques qualitatives, telles que le climat de l'établissement, sa culture ou son éthique. Ces caractéristiques ne peuvent être captées par les méthodes classiques d'observation ponctuelle et externe, car elles participent de fonctionnements qui ne sont saisissables que dans la durée et en observant les interactions et les représentations des acteurs.

On peut faire un pas de plus et considérer que l'efficacité qui compte, en dernière instance, résulte d'un processus de construction, par les acteurs concernés, d'une représentation des objectifs et des effets de leur action commune. L'efficacité n'est plus définie de l'extérieur: ce sont les membres de l'établissement qui, par étapes successives, définissent et affinent leur contrat, leurs finalités, leurs exigences, leurs critères d'efficacité et, en fin de compte, organisent leur propre contrôle continu des progrès accomplis, négocient et mettent en oeuvre les régulations nécessaires.

Ce qui pose évidemment deux questions:

 

1. Des écoles efficaces à l'évaluation de l'établissement: origines et implications du concept

 L'intérêt pour l'efficacité des établissements s'inscrit dans le prolongement direct de travaux polémiques de divers auteurs des années '70 qui mettaient en doute la capacité des écoles d'influencer véritablement, dans le sens positif, le développement des enfants. Bernstein (1970) soulignait que "l'éducation ne peut compenser les problèmes créés par la société". Bourdieu et Passeron (1970), encore plus critiques, affirmaient que l'école ne peut que reproduire les inégalités sociales, en favorisant les favorisés. D'autres chercheurs soutenaient que l'école n'a qu'une incidence limitée sur les apprentissages, soit parce que les facteurs héréditaires sont prédominants (Jensen, 1969), soit parce que l'école ne peut équilibrer l'influence décisive et pratiquement irréversible du background familial durant la petite enfance (notamment Coleman, 1966; Plowden, 1967, Chiland, 1971, Jencks, 1972).

L'efficacité du système scolaire faisait alors l'objet d'un constat fort pessimiste. On tirait un bilan mitigé des réformes qui prétendaient "compenser" les "handicaps socio-culturels", sans vraiment comprendre les raisons de ces échecs. Cette confusion et cette déception ont amené certains chercheurs à explorer d'autres voies, et notamment à s'intéresser de plus près à certains établissements qui semblaient exercer une influence significative sur la vie de leurs élèves, enseignants, voire sur la communauté éducative environnante entière. En analysant les caractéristiques organisationnelles et contextuelles de ces écoles performantes, on pouvait espérer identifier les conditions de l'efficacité en éducation.

L'étude la plus connue, intitulée "15.000 heures d'école" est dûe à Rutter et al. (1979). Ses résultats ont été à la fois largement confirmés par grand nombre d'autres auteurs et violemment remis en question. En effet, dans ces études, l'effet propre de l'établissement est estimé à travers des analyses multivariées complexes, qui aboutissent souvent à des corrélations plutôt faibles et instables et à un degré de sophistication de la méthode qui accroît le risque d'artefact.

Ces études exploratoires ont cependant permis de cerner une série de facteurs-clés, qui ont servi de base, depuis le début des années '80, à une deuxième vague de recherches, qui tentent d'établir une relation systématique entre l'efficacité de l'enseignement et certaines caractéristiques essentiellement qualitatives des établissements, tels que leur climat, leur culture ou leur éthique, ou encore la "qualité" du système social. Ces travaux participent de deux courants théoriques:

a) l'interactionnisme symbolique, qui considère l'enseignement comme une profession avant tout artisanale, à l'intérieur de laquelle chacun construit ses propres significations, représentations et pratiques, à travers ses conceptions et valeurs, sa personnalité, sa manière d'être au monde et de s'y adapter, sa capacité de négocier et de réaliser ses besoins face aux contexte social fait d'ambiguïtés et de conflits et qui obligent à une négociation constante avec autrui, les élèves, les parents, l'administration, les collègues. Face à un environnement peu favorable, qui met constamment les bâtons dans les roues, il faut être très actif, réfléchi et créatif pour ne pas tomber dans des réactions émotionnelles et irrationnelles hostiles au changement.

b) le socio-constructivisme qui montre que la construction progressive de représentations, à travers l'expérience et l'interaction, permet aux enseignants de s'approprier leur métier. Ceci se produit à travers un processus de prise de conscience de soi comme acteur libre, du fait que ni les structures, ni les conditionnements ne sont inéluctables et qu'ils sont en partie choisis ou négociés. Perrenoud et Montandon (1988) insistent sur la différence entre acteur individuel et acteurs collectifs. Ces derniers, contrairement à l'individu qui voit bien rapidement ses degrés de liberté limités par les exigences du système, peuvent défendre leur identité, leurs intérêts et leurs projets à l'intérieur d'un système plus vaste, en donnant un sens concerté et négocié à leurs entreprises.

Dans cette perspective, la culture de l'établissement est perçue comme le produit d'actions communes régulières, ainsi que de la prise de conscience du fait qu'ensemble, dans une école, on fait bien davantage que de produire des apprentissages.

L'accent s'est ainsi progressivement déplacé vers le rôle de l'interaction et de la communication dans le cadre de l'établissement scolaire, vers la recherche d'un langage commun permettant de décrire les principes spirituels et moraux de l'école, les significations implicites et les représentations liées aux objectifs - souvent cachés - qui régissant les stratégies et les pratiques des divers acteurs.

Cette évolution a considérablement élargi les critères définissant l'efficacité de l'établissement scolaire. Hopes (1988) identifie certaines qualités des directeurs efficaces, par exemple une "attitude visionnaire" et une "présence symbolique". Fullan (1985) attire l'attention sur les processus grâce auxquels les écoles efficaces donnent un sens à l'action des acteurs, à travers des interactions intenses, un leadership "vécu", des valeurs, et d'autres idées qui dépassent de loin les formulations rationnelles dont se sert habituellement l'école. Fenstermacher & Berliner (1985) affirment pour leur part l'importance tant de la dynamique organisationnelle interne du système que du contexte, alors que Darling-Hammond & Wise (1985) opposent la culture de l'enseignement à la culture bureaucratique des gestionnaires et observent que les réformes conçues par des tiers se trouvent dans la plupart des cas en porte-à-faux avec les valeurs et croyances internes du système des acteurs. Purkey & Smith (1985) vont encore plus radicalement dans ce sens en déclarant que "l'établissement est le centre du changement, dont la culture est la cible première".

Les travaux les plus récents partent de l'hypothèse que pour accroître l'efficacité d'une école, il faut comprendre et éventuellement transformer sa culture. Dans cette perspective, les écoles sont jugées tant sur leur apparence et leur organisation que sur leurs résultats (Meyer & Rowan, 1983). La foi et les croyances des enseignants, des responsables et de l'opinion publique dépendent moins d'expériences concrètes que de représentations globales, qui se construisent à partir de valeurs et symboles partagés. Comme Farrar, Neufeld & Miles le soulignent, les programmes visant à augmenter l'efficacité des établissements sont des "réformes basées sur des processus visant à capturer l'imagination des collèges d'enseignants, à revitaliser ceux qui sont résignés et à générer de l'enthousiasme pour travailler ensemble sur des objectifs communs" (1983, p. 11).

Selon van Velzen (1985), l'évaluation de l'établissement scolaire a comme but principal son perfectionnement. On ne se situe donc pas dans le registre de la mesure, mais de l'action, de la régulation. Si l'évaluation n'est qu'un moyen, il faut l'adapter à ce qu'on sait désormais du fonctionnement effectif des établissements. Ce qui conduit très logiquement à placer l'auto-évaluation à la base d'une recherche de l'efficacité, en pariant (Runkel et al., 1979) sur un ensemble de démarches qui rendent l'école capable de résoudre ses propres problèmes : 1) le diagnostic; 2) la récolte des données; 3) la mise en oeuvre d'actions coordonnées; 4) la supervision. La première démarche est la plus importante. La dernière est la plus rarement réalisée. On ne peut espérer améliorer l'efficacité d'un établissement dont les initiatives sont neutralisées par des demandes contradictoires (facteurs externes), ou qui échoue à institutionnaliser sa capacité de diagnostic ou d'action coordonnée (facteurs internes).

Insister sur l'auto-régulation des établissements conduit à lui accorder une autonomie importante, tant au stade de l'explicitation des critères et du diagnostic qu'à celui des actions entreprises. Cette conception tranche radicalement avec les pratiques bureaucratiques et centralistes encore actuellement en cours dans la plupart des systèmes scolaires. Elle repose implicitement sur un ensemble de postulats quant à la manière dont s'opère le changement (David, 1982):

1. aucun changement ne se produit si l'on ne tient pas compte des caractéristiques particulières de l'école et du milieu qui l'entoure;

2. les enseignants ne prendront aucun intérêt personnel au changement (y compris à l'évaluation) s'ils ne sont pas associés aux décisions qui concernent les objectifs et les démarches adoptées;

3. une école efficace se caractérise par le fait que le mouvement est commun à l'établissement tout entier, qu'il existe un ensemble d'objectifs unanimement partagés et une méthode d'enseignement unifiée;

4. dès qu'un effort de planification incite le corps enseignant à prendre conscience de la situation et à y réfléchir, les chances sont beaucoup plus grandes que le personnel modifie son comportement et ses attitudes.

Dans la pratique, on constate que les établissements ne dépassent que rarement le premier stade de Runkel, celui du diagnostic. On peut envisager diverses explications:

En résumé:

- l'évaluation de l'établissement scolaire/ le processus du changement porte sur le déroulement des activités plutôt que sur les résultats. Il s'agit d'une entreprise systématique et non seulement d'un sujet ponctuel de réflexion;

- l'évaluation a pour objet l'amélioration et le développement du fonctionnement de l'école et constitue une phase de la procédure utilisée à cette fin;

- elle s'effectue par un travail en groupe, et ceux qui y participent ont à consentir un effort collectif;

- la procédure adoptée est propre à l'établissement et doit tenir compte de divers aspects de son organisation.

Ces divers aspects peuvent être organisés en cinq zones.

 

 2. Le modèle des cinq zones

Ce modèle propose un inventaire des divers aspects de l'organisation et de la dynamique internes d'un établissement dont il faut tenir compte dans une démarche d'auto-évaluation ou d'évaluation négociée. Il s'agit essentiellement de prévenir les déséquilibres, en mettant en évidence les interdépendances et le besoin de cohérence: les éléments/critères d'évaluation relevant d'une des zones sont forcément solidaires d'éléments/critères appartenant à d'autres zones.

Dans la première zone se trouvent les objectifs et les fondements pédagogiques (autrement dit les diverses compétences cognitives, affectives et sociales visées), les pratiques didactiques et évaluatrices (par exemple, l'accent mis sur la différenciation et l'évaluation formative), les priorités de développement de l'établissement. On trouve ici à la fois les éléments prescrits par les plans d'études officiels et les objectifs faisant partie du curriculum implicite, le tout décrivant en somme l'impact que l'établissement pense avoir sur les performances, comportements et attitudes des élèves et des enseignants.

Dans cette zone, Rutter et al. (1979), Peters & Waterman (1982), Haenisch (1985), et Hopkins (1990) ont identifié une série de caractéristiques des établissements efficaces:

Questions:

 Dans la deuxième zone on trouve la culture de l'établissement - une dimension vitale, mais jusqu'alors négligée dans la plupart des projets d'innovation et d'évaluation, ce qui constitue, selon les tenants de la perspective culturelle, une des raisons majeures des échecs de ces projets. En effet, dans le passé, on se centrait trop fortement sur des changements et projets spécifiques, sur l'enseignant individuel dans sa salle de classe. Tenir compte de la culture de l'établissement, c'est réfléchir aux valeurs et normes, identifier la façon dont "les choses se pensent et se font ici", la manière dont les acteurs perçoivent et décrivent la réalité, réagissent à l'organisation, aux événements, aux paroles et aux actions, les interprètent, leur donnent du sens.

Dans cette perspective, la culture peut se définir comme la connaissance socialement partagée et transmise de ce qui est et devrait être. La signification de cette connaissance est transmise, souvent involontairement et implicitement, et symbolisée, à travers des actes et des produits, ainsi que par le langage: la manière dont les gens parlent de leur monde, ce dont ils parlent et ne parlent pas, avec qui et où.

La culture de l'établissement est activement construite par les acteurs, même lorsque c'est inconsciemment. Il s'agit en fin de compte,

" d'un processus dynamique, évolutif, d'un processus d'apprentissage qui se déroule à travers les solutions qu'un groupe a trouvé par rapport à des problèmes apparus." Le contenu d'une culture peut être défini "...en tant que somme des solutions qui ont suffisamment bien fonctionné pour qu'elles finissent par aller de soi, et par être transmises aux nouveaux venus en tant que manières correctes de percevoir, de penser, de sentir et d'agir " (Schein, 1984, p. 34).

Les types de culture qui mènent à une efficacité optimale sont:

Questions:

 Quels sont les liens de l'établissement avec l'environnement?

 Mission et fonction de l'enseignement, relation avec des groupes/personnes-clés.

Cntraintes, dangers, opportunités; conflits dans le passé.


Quelles sont les réalités objectives, sociales, subjectives et les critères de vérification habituels?

Décisions vérifiables par critères objectifs: des faits; réalités sociales uniquement vérifiables par le consensus: opinions, coutumes, dogmes, principes; réalités subjectives, vérifiables par l'expérience: opinion personnelle, biais, goûts.

Critères de vérification: moralisme vs. pragmatisme; tradition, dogme moral, référence aux sages, aux autorités, processus rationnel/légal, résolution du conflit par débat ouvert, tâtonnement par essai et erreur, vérification scientifique.


Quelle est la vision sous-jacente de l'homme?

L'être humain est par définition "mauvais": paresseux, désorganisé, égoïste; ou l'être humain est par définition "bon": travailleur, engagé, généreux, organisé; ou encore l'être humain est par définition "neutre".

Capacité de changement: l'être humain est prédéterminé dès sa naissance et doit accepter ce qu'il est; ou: à la limite, il pourra, par son action, compenser le fait d'être mauvais.


Quelle est la vision concernant les capacités humaines d'agir sur l'environnement?

Orientation vers l'action: tout est possible, il faut se battre, gagner, tenter.

Orientation vers l'être: accepter le destin, se détendre et profiter de l'inévitable.

Orientation vers l'harmonie: être en devenir: épanouir les talents naturels, réalisation de soi.

 

Quelle est la vision concernant la nature des relations humaines?

Postulats sous-jacents pour mener les relations avec autrui, afin de bien gérer les besoins d'amour et l'agressivité, statut accordé au pouvoir, au contrôle, à l'influence, l'intimité et l'affection.

Relations personnelles: linéarité (tradition, hiérarchie, famille); collatéralité, (coopération, consensus et bien-être du groupe); individualisme (compétition, droits de la personne).

Relations organisationnelles: autocratie, paternalisme, consultation, participation, délégation, collégialité.

 Dans la troisième zone, on situera l'organisation interne de l'établissement: le style de gestion et de direction, les bonnes relations entre les enseignants, le contexte dans lequel le corps enseignant est appelé à fonctionner (l'aménagement des horaires et de l'espace, la répartition des élèves selon des groupes d'âge ou des groupes mixtes, les procédures de regroupement et de promotion, la forme de certification, etc.). Il n'est pas nécessaire d'insister sur ces facteurs internes, dans la mesure où ils ont été la cible principale des tentatives de réforme, souvent perçus comme les seuls facilitateurs du changement visé ou les seuls obstacles. Ce qu'on a ignoré trop longtemps, c'est que l'organisation d'un établissement est le reflet direct du système de valeurs sous-jacent, d'où la relation étroite entre la culture de l'établissement et l'organisation.

Voici sous cet angle quelques caractéristiques des écoles efficaces:

Questions:
Quelle est la cohérence entre les objectifs, la culture et l'organisation interne (horaires, espaces, regroupement d'élèves...)? (où se trouvent les contradictions, pourquoi ne sont-elles pas levées, où se trouvent les obstacles?)

Dans la quatrième zone se trouve l'organisation des contacts avec le monde extérieur: les autorités scolaires, les systèmes-ressources, les parents.

Evidemment, les contacts dépendront dans une large mesure du climat socio-politique et culturel du système dont fait partie l'établissement. L'efficacité dans cette zone dépendra de la capacité de l'équipe enseignante à établir des rapports étroits avec les parents, à les impliquer dans l'organisation de la vie scolaire. Elle dépendra également de sa capacité à trouver le ton et l'approche juste pour convaincre tant les parents que les autorités, que les objectifs et priorités définis ne vont pas à l'encontre des lignes directrices inscrites dans les curricula nationaux/régionaux. Par ailleurs, l'efficacité dépendra également, dans une large mesure, de la capacité de l'établissement d'utiliser au mieux les ressources internes et externes disponibles pour l'aider dans sa démarche.

Du côté du pouvoir central, on peut imaginer que les problèmes varient selon le niveau d'enseignement concerné. Alors que, dans la plupart des pays, l'autogestion de l'établissement est généralement un fait acquis au niveau secondaire, ce n'est pas le cas dans l'enseignement primaire. C'est donc à ce niveau qu'on risque fort, par excès de bonne volonté ou à la faveur d'une mauvaise interprétation de ses finalités, que l'évaluation soit imposée aux établissements, sans tenir compte du fait qu'une telle démarche se trouve en contradiction absolue avec ses postulats de base et surtout ses finalités: accroître l'efficacité du système. A en juger selon le durcissement du ton dans les pays anglo-saxons, et dans la foulée des restrictions économiques qui n'ont pas tardé de toucher l'école, on peut se demander dans quelle mesure les autorités seront prêtes à cautionner des démarches qui ne font qu'accroître la difficulté de gérer un ensemble disparate et facilement perçu comme "ingouvernable" dès lors que chaque école se différencie des autres.

Il n'en reste pas moins que les études concernant les établissements efficaces soulignent le juste équilibre entre autogestion et pouvoir central, entre l'autonomie de l'établissement et le soutien de ses efforts pédagogiques par les autorités scolaires.

Questions:
La décision d'évaluation émane-t-elle de l'établissement ou du pouvoir central?

Au centre du modèle se trouve la cinquième zone, le "climat" de l'établissement. Le concept de "climat" a été sujet à controverses plus encore que celui d'efficacité, et mériterait d'être approfondi dans l'avenir. Il s'agit en somme de la catégorie à la fois la plus "tangible" et la plus subjective: c'est l'atmosphère qui accueille le visiteur - non-naïf - qui entre dans un établissement et qui cherche à se situer, en observant, en discutant avec les élèves et les enseignants, en parcourant les lieux, en participant au travail dans les classes, en entrant dans la salle des maîtres, en lisant les annonces sur le tableau d'affichage, etc.

Un établissement, comme ensemble vivant de personnes qui cohabitent et qui collaborent, développe son propre langage, possède ses mots, ses propres concepts, rituels et modes d'expression familiers, qui facilitent la communication, sécurisent, donnent à chacun l'impression d'être "chez soi", l'aide à prendre conscience de qui est important dans la vie de tous les jours. Suivant le "climat scolaire" existant, un établissement sera plus ou moins ouvert à la remise en question, au changement, à l'auto-évaluation. Voici les caractéristiques mentionnées dans la littérature:

 Questions:

 

En guise de conclusion...

Le modèle qui vient d'être présenté ne se veut pas exhaustif, dans la mesure où les paramètres ne cessent de changer, tant sur le plan des contingences, que sur celui des connaissances et approches théoriques. Reste une ligne conductrice générale: éviter à tout prix les contradictions entre les buts et les méthodes adoptées.

Une évaluation qui vise des objectifs fonctionnels à court terme et qui cherche à améliorer les pratiques, se centrera forcément plutôt sur les contenus, par exemple sur les problèmes ponctuels rencontrés par les enseignants lors de l'introduction de nouveaux programmes. Elle aboutira à des régulations aidant les enseignants à s'adapter, à apprendre, en bons techniciens, à mieux exécuter les mesures imposées par autrui, sans nécessairement se sentir obligés de modifier leur manière d'enseigner. Une évaluation qui vise des objectifs structurels à moyen terme aura comme but le changement organisationnel et aboutira forcément à changer l'environnement de travail et d'apprentissage des enseignants, par exemple en les amenant à développer une culture propre. Une évaluation visant des objectifs "visionnaires" à long terme touchera à l'identité professionnelle des enseignants, qui seront perçus comme les gestionnaires principaux de la dynamique interne de l'établissement et auxquels on demandera d'être actifs, penseurs, créateurs de signification et de culture, partenaires et explorateurs, et pourquoi pas, des fois même rêveurs.

Une seconde ligne conductrice consiste à tenir compte des 3 points suivants, propres au système scolaire dans son ensemble:

 

 



a. Aucun instrument d'évaluation ne fera jamais l'unanimité

Même construit à des fins de comparaison "scientifique", il aboutira à des résultats qui seront toujours doublement contestés du point de vue de leur validité et de leur fiabilité en rapport avec les données contextuelles spécifiques. Même construit en tenant compte des divers aspects de l'efficacité de l'établissement, et en définissant des critères de manière "soft" et aménageables à souhait, il se heurtera aux représentations subjectives et divergentes des enseignants concernant leurs tâches, leur rôle, leur responsabilité.

 



b. Tous les objectifs ne sont pas également évaluables

Les exigences de la mesure privilégient des objectifs sur le plan des contenus cognitifs et des performances, tout ce qui est transformable en items et en questions objectivables et mieux encore, quantifiables. Par contre, l'évaluation d'objectifs globaux, tels que la créativité, la cohérence, la collaboration, le style de leadership etc. exigerait des instruments très complexes et sophistiqués qui ne produiraient que des estimations très discutables. Se restreindre aux objectifs facilement évaluables obligerait donc de limiter l'évaluation aux aspects les plus conventionnels de l'établissement, qui n'ont, par expérience, qu'un impact limité sur le changement des attitudes et des pratiques.

 


c. Un constat d'inefficacité ne débouchera qu'exceptionnellement sur le changement

Contrairement au monde de l'entreprise, où de tels constats aboutissent rapidement à des mesures radicales tant sur le plan de la restructuration du personnel que sur celui des pratiques, l'école gère différemment les différences inter-personnelles: on s'accommode, on ne juge pas ouvertement, on évite d'entrer en discussion sur certains sujets, on censure. On se contente d'évaluations ponctuelles, au lieu de mettre en place une culture et par conséquent les structures de collaboration, permettant d'abattre les défenses, de poser le problème, sans blesser, sans accuser, sans dramatiser et enclencher ensuite le processus nécessaire à sa solution. Notons ici que dans la plupart des établissements, de telles structures existent, mais sont en général perverties à des fins administratives ou de formation ponctuelle, sans méthode ni animation appropriées pour dépasser les connivences et les règles de coexistence pacifique, mais sans implication.

 La troisième ligne conductrice, nous l'avons formulée dès le début: s'abstenir de mesurer l'efficacité des établissements ne veut pas dire rejeter l'idée même de l'efficacité. Mais il conviendrait d'abord, au sein de l'établissement, de mettre en route une réflexion concernant le concept d'efficacité, et de négocier ensuite les buts, les formes et les démarches d'une évaluation qui, au-delà du diagnostic, permette d'élaborer le sens du changement et de le mettre en pratique.

 

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