In : Revue française de pédagogie, nº 109, pp. 19-39.


 

 

Relations professionnelles et culture
des établissements scolaires:
au delà du culte de l'individualisme ?

 

 Monica Gather Thurler

1994


I. Prendre en compte la culture: une manière nouvelle de concevoir le changement

II. La culture de l'établissement scolaire

III. La diversité des modes de relations professionnelles entre enseignants

IV. Obstacles et facteurs favorables au développement d'une culture de coopération

V. La culture de coopération: nécessaire mais pas suffisante!

Bibliographie


Certains établissements scolaires sont vivants, heureux, accueillants, d'autres tristes, ennuyeux, et même sévères. Lorsqu'on en visite plusieurs, on sent très bien ces différences. Chaque école a sa propre atmosphère, ses propres vibrations, qui la rendent unique. Le climat d'une école exerce une forte influence sur ceux qui y travaillent, car, dans une large mesure, leurs fonctionnements intellectuels, sociaux et personnels en dépendent. Tout cela n'est pas bien nouveau: si nous pensons à notre propre passé d'élève, nous retrouvons le souvenir d’atmosphères plus ou moins joyeuses ou pesantes, de bons et de mauvais enseignants, de moments de joie et de tristesse, d’événements marquants ou de jours gris.

Ces climats fluctuent au fil des jours, mais avec une toile de fond stable: la culture de l’établissement, les valeurs, les croyances, les habitudes qui règlent la vie quotidienne, les rapports entre les gens, les bruits et le silence, l’aménagement des espaces et des circulations, la propreté, la décoration des lieux et mille autres choses matérielles ou symboliques. Chacun sait par expérience personnelle que tous les établissements comparables n’ont pas la même culture et que la culture d’un établissement particulier détermine en partie son climat, le moral, le plaisir, le bien-être ou l’efficacité des professeurs et des élèves. Toutefois, la culture des établissements scolaires n'est devenue qu’assez récemment un sujet de discussion et de recherche. Cette évolution a été sans doute stimulée par la prise en compte de plus en plus systématique de la culture d’autres types d’organisations, notamment les entreprises. Mais ce transfert n’a pu se faire qu’en raison de l’échec de nombreuses réformes scolaires, qui a obligé à prendre conscience de la complexité de la réalité, à découvrir ou reconnaître peu à peu la partie cachée de l'iceberg et les limites des innovations qui ignorent l’établissement comme lieu de vie et de culture.

Aujourd’hui, la tendance s’affirme à empoigner le problème du développement de l'école en mettant l’efficacité de l’organisation en relation avec sa culture. Cet article propose quelques pistes pour aller dans ce sens. Dans une première partie, nous évoquerons les raisons pour lesquelles l’approche par la culture nous paraît une alternative intéressante aux approches technologiques ou politiques du changement en éducation, en faisant l'hypothèse que le type de culture en place facilite ou entrave la mise en oeuvre du changement. Dans une seconde partie, nous analyserons un peu plus en détail le concept de culture d’un établissement, en montrant notamment qu’elle spécifie un mode dominant, donc légitime, de relations professionnelles entre enseignants. Dans une troisième partie, nous présenterons divers modes de relations professionnelles, participant chacun d’une culture d’établissement fixant également un style de direction et les comportements collectifs. Dans une quatrième partie, nous énumérerons une série d'obstacles ou de facteurs favorables au développement d'une culture de coopération.

 I. Prendre en compte la culture:
une manière nouvelle de concevoir le changement
 Il existe des entreprises qui appliquent la même solution à chaque problème. Et il en existe d'autres capables de trouver des solutions sur mesure.(Publicité AT&T)

Depuis les années '80, la recherche a dégagé les traits d'une école efficace, montrant que les acquis des élèves sont fonction d’une série de caractéristiques: direction forte, attentes élevées, objectifs clairs et explicites, formation continue impliquant la totalité du corps enseignant, systèmes efficaces d'évaluation des élèves. A cette liste, on peut ajouter: la bonne programmation didactique des leçons par les enseignants; un style de gestion interne basé sur une autorité négociée (Perrin, 1991) et démocratique; une bonne structuration du plan d'études; une équipe capable d'établir un règlement interne et de favoriser des pratiques caractérisés par une forte cohérence avec les objectifs. Dans ce domaine, Rutter et al. (1979) ont montré que les démarches les plus efficaces sont celles qui développent chez les élèves le sens de la responsabilité et la motivation face aux apprentissages, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la salle de classe. De même, Thyssen et Kilchner (1991) ont mis en évidence le lien entre autonomie des élèves et capacité collective des enseignants à mettre sur pied un programme de coopération impliquant tous les acteurs de l'établissement.

La recherche montre également que, prises de manière isolée, ces caractéristiques ne sont guère significatives et n'ont que peu d’impact. Leur force dépend de la manière dont elles se combinent. Or cette combinaison renvoie à l’établissement comme système d’action organisée (Crozier & Friedberg, 1977; Friedberg, 1993), comme ensemble de règles du jeu stabilisant la coopération, la communication, les rapports de pouvoir, la division du travail, les modes de décision, les manières d’agir et d’interagir. Ces éléments sont sous-tendus par une culture commune des membres de l’établissement (Hopkins, 1987; Rossmann, 1985; Schein, 1990).

Il apparaît donc pertinent, avant de mettre en place des réformes scolaires complexes, d’accorder une attention particulière au fonctionnement des établissements et à leurs cultures respectives, d’analyser leur tissu social et les modes d'interaction qui y sont en vigueur. Car de telles réformes ne peuvent passer que par des modifications profondes tant des représentations que des comportements des principaux acteurs concernés. Les uns et les autres peuvent être modifiées, notamment grâce à une réflexion continue sur les pratiques et une action concertée. Cependant, ce type de concertation ne va pas de soi, surtout dans un établissement dont le corps enseignant pratique le culte de l'individualisme. Elle devient concevable là où il existe une véritable culture de coopération.

On le sait désormais, la prise en compte de la culture de l’établissement permet de mieux comprendre les dynamiques en jeu dans la mesure où elle éclaire des processus jusqu'alors négligés, tels que le sens subjectif du changement, les non dits, les normes; ou d’interpréter certains blocages du changement comme l’expression de divergences entre les valeurs et les représentations des uns et des autres.

Cette perspective invite également à accorder une attention particulière aux divergences entre la culture des écoles et celle des organisations d'où viennent les réformateurs externes. En 1971 déjà, Sarason comparait la cultures des écoles et celle des universités, pour montrer que les différences expliquent les difficultés des acteurs à communiquer. Huberman et Thurler (1991) parlent de "deux planètes" en comparant le monde de la recherche et celui de la pratique. Selon Wolcott (1973), le monde de l'éducation est constitué de deux "moitiés": d'un côté les enseignants, de l'autre les technocrates, le second groupe comprenant les administrateurs, les chercheurs, les intervenants et d'autres experts externes. Bien que ces deux groupes dépendent l'un de l'autre, le refus qu'opposent les enseignants à la mise en pratique des idées des technocrates serait dû notamment aux profondes différences de Weltanschauung entre les uns et les autres. A noter que cette partition est simpliste: l’ensemble des "technocrates" est loin d’être homogène: la culture des chercheurs en éducation ou des didacticiens n’est pas celle des administrateurs scolaires soucieux de "demandes de subsides", de "planification des coûts", de "rentabilité", expressions aussi étrangères à l'école que le langage académique des universitaires.

Selon Firestone et Corbett (1988), l’approche en termes de culture est encore fort peu présente dans la pensée et la pratique actuelles des politiciens, des spécialistes de l'innovation, des chercheurs et des évaluateurs. Pour la plupart, ils persistent à penser le changement dans une perspective technologique, selon laquelle l’essentiel consiste à informer les praticiens des nouvelles connaissances produites par la recherche, en s'imaginant qu'il suffit de les mettre en contact avec des résultats suffisamment convaincants pour qu'ils changent volontiers leurs attitudes et leurs comportements.

Quelques chercheurs et praticiens ont intégré la perspective politique dans leur interprétation du "management" des processus du changement, en prenant en compte la dimension conflictuelle, et en considérant le processus de changement planifié sous l'angle des stratégies mises en oeuvre par les divers acteurs.

La perspective culturelle (ou anthropologique) permet, quant à elle, d'aller au-delà des perspectives technologique et politique, en suggérant que les différences entre les acteurs engagés dans le processus de changement vont bien au delà des divergences d'intérêts ou des luttes de territoires et de pouvoir, parce qu'elles dépendent d'un ensemble complexe et partiellement enfoui de valeurs, de croyances et de normes.

On comprend qu’un projet d'innovation soit accueilli par un établissement en fonction de ses fonctionnements et de sa culture. L'introduction d’un changement planifié par les autorités scolaires lance un défi au statu quo et oblige les acteurs à mesurer l'innovation proposée à l'aune de leurs normes, valeurs et habitudes. Ils répondront positivement dans la mesure où le changement proposé s'accorde avec leurs façons de penser et leur apparaît conforme à leur définition du bien, du juste, de l’utile. Cela vaut aussi des changements venant de l’intérieur, qu’ils soient proposés par la direction ou un groupe novateur. Compte tenu de leur origine, de tels projets ont de meilleures chances de tenir compte du fonctionnement et des valeurs en vigueur dans l’établissement. Mais il n’y a de façon générale ni homogénéité ni consensus au sein d’un l’établissement. C’est pourquoi, en fin de compte, d’où qu’il vienne, le sort du changement en éducation dépend de ce que les enseignants en pensent et en font (Fullan, 1982). C'est aussi simple et complexe que cela!

Par conséquent, pour comprendre la dynamique selon laquelle un établissement assimile ou rejette les changements, il faut analyser ses fonctionnements et les contenus, la malléabilité, la fermeture, la diversité interne des cultures de l’ensemble et des divers groupes qui le composent.

A partir de cette perspective, une question se pose: peut-on avoir prise sur la culture de l'établissement et comment? Comment préparer le terrain pour introduire le changement de manière efficace? Avant de revenir à ces questions, arrêtons-nous à la notion de culture d’un établissement.

 II. La culture de l'établissement scolaire

L'établissement scolaire est une organisation à l'intérieur de laquelle, en dernière instance, chaque acteur - élève, enseignant ou directeur - façonne son monde, construit sa réalité, développe sa culture. Pourquoi alors parler de la culture de l’établissement? Parce qu’aucun acteur ne réinvente des valeurs et des normes à partir de rien: certes, chacun a vécu une histoire personnelle, suivi un parcours unique, et ses représentations et ses valeurs sont singulières; mais ce sont dans une large mesure de faibles variations à partir d'un fond culturel commun. La construction de la culture de chacun - ses savoirs, ses représentations, ses valeurs - s'apparente largement au prêt-à-porter (Brown, 1978).

Les organisations subissent le poids du passé, qui s'inscrit dans la mémoire des membres les plus anciens et qui est transmis aux nouveaux, dans un processus classique de socialisation. La culture d’une organisation peut, par conséquent, être conçue comme le dénominateur commun des habitus individuels, comme la manière standard dont les membres du groupe réagissent aux événements, les interprètent et les évaluent, ou dont ils font face aux problèmes posés ou pensent et mettent en oeuvre le changement. Selon les établissements, ce dénominateur commun peut être très étroit ou très large, selon le degré de différenciation du système.

Gardons-nous donc de toute vision simpliste de la culture d’un établissement scolaire:

2.1. La genèse d’une culture commune

Chaque enseignant peut évoluer indépendamment des autres, en se confrontant à des idées nouvelles, en suivant des formations continues, en réfléchissant sur ses pratiques (Schön, 1983; Gather Thurler, 1992), en évaluant continuellement l'impact de son enseignement et en introduisant les adaptations nécessaires. Même alors, il ne se développe pas entièrement seul: il apprend au gré de contacts avec beaucoup d'autres personnes qui ont accumulé une certaine expérience ou des connaissances en matière d'enseignement et d'apprentissage, des collègues, des "experts", des formateurs intervenant dans le cadre de cours de formation et de recyclages. De même, il apprend - probablement pas autant qu'il le pourrait - grâce à ses élèves, en obtenant un feedback sur son enseignement, en évaluant l'efficacité de nouvelles méthodes ou moyens d'enseignement. Chacun apprend de tous côtés, à l'intérieur et à l'extérieur de sa classe et de son école. Mais c’est probablement à partir de ses contacts avec des collègues - particulièrement ceux qui travaillent dans le même établissement - qu’un enseignant apprend le plus.

Cela peut se faire à travers des discussions et rencontres assez formelles accompagnant la planification et l'introduction de nouveaux programmes; ou grâce à des évaluations ou des supervisions faites par des tiers; ou encore grâce au soutien d'un expert dans une discipline ou dans le cadre d’un compagnonnage avec de jeunes professeurs. La plupart des enseignants apprennent cependant de manière beaucoup plus informelle, au fil des conversations quotidiennes avec leurs collègues, dans les salles des maîtres, dans les couloirs ou en sortant de l'établissement pour aller vers le parking (Nias, 1989). Leurs apprentissages dépendront dans une large mesure des relations qu’ils entretiennent avec leurs collègues et seront conditionnés par le type de culture scolaire dans lequel ils baignent: les croyances, valeurs et manières de faire qui circulent à l'intérieur d'une communauté d'enseignants confrontés à des demandes et contraintes semblables depuis un bon nombre d'années.

Nous l'avons dit plus haut: la culture d’un établissement véhicule les solutions construites, héritées et partagées en son sein. Elle crée un cadre de référence permettant d'apprendre et de se perfectionner dans son métier, elle contribue à donner du sens, du soutien et de l'identité tant aux enseignants qu'à leur travail. Apparemment, les enseignants à l’oeuvre dans leurs salles de classe respectives apparaissent coupés de la compagnie des autres adultes. Psychologiquement, ils ne le sont pas: tout ce qu'ils font à l'intérieur de leur classe - tant dans leur style que dans leurs pratiques - est profondément influencé par l'opinion et l'orientation de leurs collègues actuels ou de ceux avec lesquels ils ont eu l'occasion de travailler dans le passé. Pour cette raison, la culture de l'établissement et les relations entre les enseignants et leurs collègues font partie des aspects les plus significatifs des carrières d'enseignants, un phénomène bien connu depuis les années trente déjà (Waller, 1932).

Si nous voulons bien comprendre ce que les enseignants font et pourquoi ils le font, il faut par conséquent commencer par mieux comprendre le fonctionnement et la culture de l'établissement dans lequel ils travaillent.

Depuis Waller et Sarason (1982), nos connaissances de la culture des organisations scolaires se sont beaucoup enrichies. Il reste toutefois une série de questions importantes qui n'ont pas été résolues. Première interrogation: dans quelle mesure le concept de la culture scolaire englobe-t-il vraiment la totalité du métier de l'enseignant? Ne devrait-on pas plutôt parler d'une multitude de cultures distinctes et même compétitives? Ou encore de plusieurs cultures coexistantes d'une manière ou d'une autre au sein de l’établissement? Une deuxième interrogation porte sur l'explication des cultures existantes. En effet, jusqu'à présent on s'est surtout attaché à inventorier et à confirmer leur diversité, plutôt qu’à en expliquer la genèse et l’évolution.

Une troisième interrogation touche directement au changement: quelles sont les caractéristiques d’une culture qui conditionnent ses propres possibilités d’évolution? Aucune innovation ne peut affecter le fonctionnement d’une organisation sans suivre les règles du jeu et respecter les valeurs dominantes, au besoin pour les transformer. Or tout fonctionnement est fondamentalement conservateur, parce qu’il est le fruit d’un équilibre qui garantit une certain paix, une certaine prévisibilité des conduites. De même, toute culture est conservatrice, parce qu’elle donne du sens aux institutions et aux pratiques et que nul n’est prêt à affronter sans bonnes raisons l’incertitude, le conflit idéologique, le non sens. Mais certaines cultures sont plus conservatrices, plus fermées que d’autres, plus ouvertes aux changements et aux idées venues de l’extérieur ou d’un sous-groupe..

2.2. Cultures fermées, cultures ouvertes

Le contenu d’une culture professionnelle est fait des attitudes, valeurs, croyances, présupposés et manières de faire partagés à l'intérieur d'un établissement, d'un groupe d'enseignants, ou d’une communauté élargie. C’est la somme de ce que les enseignants pensent, disent et font de façon "standard", en tant que membres de la communauté concernée. On parlera ainsi de la culture des professeurs d'université, des enseignants du primaire ou des maîtres de branches professionnelles. Ou de la culture de tel collège ou de tel ordre d’enseignement. Il reste à explorer, à comparer, à classer toutes ces cultures, à examiner leurs origines, leurs relations mutuelles et leur manière de se modifier avec le temps.

Le contenu d’une culture est évidemment pertinent pour imaginer le sort qu’elle réservera à tel ou tel changement. Il est évident qu’une innovation sera d’autant mieux acceptée qu’elle est en harmonie avec les valeurs et les représentations dominantes dans un établissement ou un groupe professionnel. Là où a cours une culture technique - par exemple dans une école professionnelle ou au sein d’une discipline comme l’informatique - la pédagogie par objectifs ou la pédagogie de maîtrise seront mieux accueillies que dans un groupe où l’on se réclame d’un "humanisme antitechnocratique". Là où on se soucie des droits de l’enfants, un système de représentation participative sera mieux compris et développé que dans une école plus traditionnelle. Mais cela ne mène pas très loin: le problème du changement planifié est de faire évoluer tous les établissements vers une plus grande efficacité ou vers la mise en oeuvre d’une politique de l’éducation définie au niveau du système d’enseignement dans son ensemble. On peut certes - et c’est déjà un immense pas en avant - reconnaître aux établissements une plus grande autonomie quant aux moyens de réaliser des objectifs généraux, ce qui leur laisse la latitude d’accorder leurs stratégies de changement à leur culture. Mais, dans la mesure où les établissements ne sont pas des entreprises indépendantes, ils se trouvent régulièrement confrontés à des propositions ou à des injonctions de changement dont aucune harmonie préétablie n’assure la concordance automatique avec les valeurs et les représentations ambiantes.

N’inviter les établissements à changer qu’au moment où ils le jugent utile, sur le terrain de leur choix et dans le sens des leurs préférences, ce serait renoncer à toute politique de l’éducation. La question essentielle est donc de savoir si l’on peut faire évoluer les représentations et les pratiques dans une direction qu’une partie des établissements ne suivraient pas spontanément. Autrement dit: peut-on les inciter à des changements qui ne sont pas nécessairement congruents avec les pratiques, les représentations et les valeurs en vigueur?

On répondra par l’affirmative si l’on a affaire à des fonctionnements et à une culture relativement ouverts aux apports extérieurs. Peut-on identifier alors ce qui, dans la culture d’une organisation, lui permet de s’engager dans un processus de changement en incorporant des idées, des propositions, voire des injonctions venues de l’extérieur ou d’un sous-système? En se demandant comment l’école apprend, Gather Thurler & Perrenoud (1990) ont énuméré une série de fonctionnements et de traits culturels inégalement partagés:

1. La valeur de la diversité : l'école apprend lorsqu'elle reconnaît que la force d'un système vivant procède de sa diversité plus que de son uniformité, lorsqu'elle permet et encourage la mise en commun et la valorisation des expériences locales.

2. Le droit à l'erreur : l'école apprend lorsqu'elle adopte des procédures de résolution de problèmes, qu'elle accepte le caractère provisoire et inachevé des programmes, des didactiques, des structures, qu'elle abandonne l'esprit de système et le mythe de la réforme définitive, qu'elle substitue le tâtonnement concerté aux directives et recettes venues d'en haut.

  •  3. Une épistémologie réaliste et critique : l'école apprend lorsqu'elle accepte les limites de la connaissance de l'enfant et de l'apprentissage, reconnaît les impasses et les impuissances de toute action pédagogique, refuse la pensée magique, se dégage des mécanismes défensifs et des effets de façade.

     4. Le souci de la méthode : l'école apprend lorsqu'elle s'en donne le droit et les moyens, lorsqu'elle s'organise pour formuler les problèmes, inventorier les hypothèses, ne pas tourner en rond, identifier les variables changeables.

    5. Une certaine objectivation : l'école apprend lorsqu'elle accepte de se prendre et d'être prise comme un objet d'analyse et de théorisation, lorsque les structures et les pratiques, les représentations et les attitudes peuvent être décrites, expliquées plutôt que jugées.

    6. Une ouverture vers l'extérieur : l'école apprend lorsqu'elle accepte de regarder au-delà de ses murs, de chercher des hypothèses, des paradigmes, des stratégies dans d'autres organisations et d'autres champs sociaux, de s'exposer telle qu'elle est au regard extérieur.

  •  J’insisterai ici sur un autre facteur favorable au changement: les modes de relation qui prévalent entre enseignants. Hargreaves (1992) les rapporte à la forme de la culture scolaire par opposition à des contenus, qui sont, selon lui, réalisés, reproduits et redéfinis à travers les formes de la culture des enseignants. En d'autres termes, les changements des croyances, valeurs et attitudes des enseignants se trouvent en étroite relation avec les changements préalables ou parallèles du mode dominant de relations entre les enseignants. Pour cette raison, comprendre les formes de la culture d'un établissement, le mode selon lequel les enseignants interagissent et collaborent, permet de mieux comprendre les limites et les possibilités du développement des enseignants et du changement en éducation et de concevoir des moyens d'action pour faire évoluer les fonctionnements.

    Nous doutons qu’il soit pertinent de définir de la sorte la forme d’une culture. Cette notion est fort complexe, comme le montrent les notions de classification et de "framing" utilisés par Bernstein dans son essai classique sur "The classification and framing of educational knowledge" (Bernstein, 1977). Pour lui, la classification se réfère aux relations entre contenus. On peut sans nul doute analyser les cultures scolaires sous le même angle, par exemple étudier la façon dont elles séparent ou unissent des composantes diverses de la réalité. Il est probable que la forme de la culture d’un établissement a quelques incidences sur l’ouverture au changement. Le cloisonnement des disciplines et des problèmes, par exemple, ralentit la transposition de modes de pensée et d’action d’une partie de l’organisation à une autre.

    Ce n’est pas toutefois à cet aspect structurel ou formel de la culture que s’intéresse Hargreaves, mais plutôt, à notre sens, à une composante particulière de son contenu, même si c’est une composante cruciale, dans la mesure où elle peut faciliter ou entraver l’évolution des autres contenus. Pourquoi? Parce que les représentations et les valeurs évoluent au gré de la communication entre les membres d’une communauté, mais aussi de leur réponse commune aux questions suivantes: "Sur quoi sommes-nous censés nous mettre d’accord? Jusqu’à quel point et dans quels domaines avons-nous un droit de regard sur les idées et les pratiques des autres et leur concédons-nous un droit de regard réciproque sur les nôtres?" Paradoxalement, l’une des fonctions d’une culture commune est de définir le droit à la différence et les limites de l’ingérence possible dans les affaires des autres. Dans les domaines de la pratique où l’individualisme ou l’autonomie de sous-groupes sont acceptés, voire valorisés, il faut s’attendre à des interdépendances faibles entre les changements des uns et des autres. La diffusion d’idées ou de pratiques nouvelles se passe très différemment selon que la culture commune incline à la ressemblance et au consensus, ou au contraire autorise, voire encourage le "chacun pour soi".

    III. La diversité des modes de relations professionnelles
    entre enseignants
     L’enseignant: A partir d'aujourd'hui, plus de scrupules: je ne penserai plus qu'à moi"

    Le directeur: Mais, Jean, où irait-on si tout le monde pensait comme vous?

    L’enseignant: Justement, je pense qu'à ce moment-là, je serais un parfait idiot de ne pas faire comme tout le monde, n'est-ce pas?

    Dans n’importe quel établissement scolaire, la culture donne implicitement ou explicitement une réponse à la question: "Qu’avons-nous à faire les uns avec les autres?" Mais cette réponse diffère d’un établissement à l’autre. Notre propos est de distinguer plusieurs modes typiques de relations professionnelles entre enseignants observables dans les établissements scolaires, avec le style de direction et le type de consensus par rapport aux objectifs éducatifs et aux normes qui y correspondent.

    Pourquoi le mode dominant de relations professionnelles importe-t-il dans l’ouverture d’une école au changement? On peut distinguer au moins trois mécanismes complémentaires:

     1. Le mode dominant de relations professionnelles agit sur le sentiment d’appartenance à une communauté ou au contraire de solitude, de solidarité ou de chacun pour soi. Ces sentiments influencent le degré de sécurité, de prise de risques, d’autoévaluation et d’autocritique de chacun, sa capacité de repenser lucidement sa pratique ou d’assumer les moments de déprime ou de burn out.

     2. Le mode dominant de relations professionnelles détermine en partie la capacité de traiter les idées nouvelles à l’échelle de l’ensemble de l’établissement, de les discuter, affiner, enrichir par un dialogue formel ou informel, donc de favoriser l’appropriation collective du changement à l’échelle locale. Moscovici a montré l’importance des conversations dans lagenèse et l’évolution des représentations sociales; or les conversations sont sous-tendues par un réseau relationnel, lui-même conditionné par le mode dominant de relations entre les enseignants.

    3. Enfin, ce mode de relations est une ressource directement mobilisable chaque fois que l’efficacité des pratiques passe par l’action concertée de plusieurs enseignants, qu’il s’agisse de team teaching proprement dit (présence simultanée face aux mêmes élèves), de travail d’équipe ou simplement de coordination des pratiques d’un degré ou d’une discipline à l’autre. L’échange, la co-opération nécessitent une orchestration précise des façons de faire, qui n’est pas déjà préformée dans le mode dominant de relations professionnelles entre enseignants; mais ce mode prédispose à entrer plus oui moins vite et facilement dans des fonctionnements coopératifs précis.

    Une appréciation du mode de relations professionnelles dominant dans un établissement permettra dans le meilleur des cas d’envisager les régulations nécessaires pour préparer un terrain favorable au changement. Au minimum, on évitera de déployer des stratégies de changement totalement inadéquates en regard du mode de coopération à l’oeuvre.

    Il reste à définir plus précisément ce qu’on entend pas "mode dominant de relations professionnelles". Divers auteurs (Hargreaves, 1989, Broch & Cros, 1990; Staessens & Vandenberghe, 1991) ont travaillé, très récemment, sur ce thème. La comparaison de leurs travaux met en évidence des recoupements et des différences dans les typologies définies pour décrire la diversité des fonctionnements concrets.

    Pour ne pas entrer dans trop de complexité, nous avons décidé d'arrêter notre choix sur cinq modes de relations professionnelles qui sont à la fois des composantes de la culture des établissements et des leviers ou des freins pour son changement selon d’autres composantes. Il s'agit d'une tentative de catégorisation, encore artisanale et schématique, qui doit être utilisée davantage comme moyen de réflexion qu'en tant que grille diagnostique.

    Les cinq modes de relations professionnelles distingués correspondent dans une large mesure à ce que nous connaissons, par expérience et sur la base des travaux menés sur le terrain, dans les établissements de Suisse romande et d’ailleurs. Chacun d’eux comporte des possibilités et des contraintes très spécifiques pour le changement en éducation.

    Le tableau 3.1. (voir page suivante) donne une vue d'ensemble des cinq modes de relations professionnelles que nous proposons de distinguer: individualisme, balkanisation, grande famille, collégialité contrainte, et culture de coopération. A chacun d’eux, on fera correspondre un style de direction, un type de consensus par rapport aux objectifs et aux normes, et enfin, un style de fonctionnement, que nous allons décrire plus en détail par la suite.

    3.1. L’individualisme

    Dans le monde entier, les enseignants travaillent pour la plupart "chacun pour soi", derrière des portes fermées, dans l'environnement insulaire et isolé de leur propre salle de classe. La plupart des écoles primaires fonctionnent encore aujourd'hui selon une "egg-crate-like structure" (Lortie, 1975): des salles de classes séparées protégeant les enseignants les uns des autres, comme les oeufs dans leurs boîtes de carton, les empêchant de s'entrechoquer, mais aussi de voir et de comprendre ce que font leurs collègues (Lortie, 1975).

    Ce type d'isolement offre aux enseignants une sphère privée qui constitue une protection bienvenue, parfois vitale, contre les jugements et les interventions venant de l'extérieur. Mais ce qui protège contre les critiques et les reproches exclut aussi toute source possible de reconnaissance et de soutien. Les enseignants isolés ne reçoivent que peu de feedback de la part d'adultes en ce qui concerne leur valeur et leur compétence.

     Tableau 3.1
    Cinq modes de relations professionnelles entre enseignants
     

     

    Mode de relations professionnelles entre enseignants

     

    Style de
    direction

     

    Type de consensus par rapport aux objectifs

     

    Style de fonctionnement

     

    Individualisme

     

    Autoritaire libéral

     

    Bateau sans boussole

     

    Anomie

     

    Balkanisation

     

    Laisser faire

     

    Accords partiels,
    projets juxtaposés

     

    Mosaïque

     

    Grande famille

     

    Pastoral, grand-père

     

    Lutte pour la survie

     

    Fanfare villageoise

     

    Collégialité contrainte

     

    Chef d'orchestre

     

    Consensus
    "guidé"

     

    Le temps
    d’un projet

     

    Coopération
    et interdépendance

     

    Architecte
    visionnaire

     

    Mission commune

     

    Equipe sportive

    Dans une culture individualiste, les enseignants dépendent d'indices souvent très minces pour s'évaluer mutuellement. Par exemple le bruit provenant de la salle voisine, ce qui les amène souvent à limiter autant que possible les interactions entre leurs propres élèves, pour "qu'il ne soit pas dit...". Ou bien les performances des élèves discutées en réunion des maîtres: nul n'est dupe, on parle autant des performances des maîtres que des résultats des élèves; d'où tous les efforts investis pour se blanchir et pour rejeter la faute sur les élèves, les programmes, les parents, le contexte, etc.

    Dans une culture individualiste, les enseignants développent trois attitudes à l’égard de leur métier. Lortie (1975) les nomme immédiateté, conservatisme et individualisme. Selon lui, les enseignants primaires se concentrent sur une planification à court terme à l'intérieur de leur salle de classe, parce que c'est là que les efforts investis ont des chances de produire des résultats visibles (immédiateté); ils évitent la discussion, se gardent de s'engager dans des projets qui risqueraient d'affecter leur tranquillité ou de soulever des questions de fond quant à leur manière d'enseigner (conservatisme); enfin, ils préfèrent le "chacun pour soi", rechignant à s'engager dans des causes communes, afin d'éviter d'être remis en question, jugés, voire influencés par autrui (individualisme).

    N’est-ce pas un portait excessif? Ne règne-t-il pas dans beaucoup de salles des maîtres une forme de coopération? Ne s’agit-il pas d’endroits agréables, où on se raconte des expériences, des anecdotes de la vie en classe, des nouvelles de certains élèves ou de leurs parents? Oh, il était aussi comme ça avec toi? Où l’on se rassure? Est-ce que ta classe est aussi bizarre aujourd'hui? La mienne est franchement insupportable! D’endroits où circulent des histoires drôles, beaucoup d'histoires drôles, souvent aux dépens des élèves, de leurs parents ou de l'administration; où le mécanisme du bouc émissaire va bon train; où les enseignants passent aussi beaucoup de leur temps libre, par exemple à jouer aux cartes, à faire des mots croisés ou à bavarder? Surtout dans les établissements "difficiles", les salles des maîtres sont des lieux de retraite par rapport au "front" de la classe. C'est un havre de paix, un endroit de relaxation et de soulagement, où les interactions sociales, l'humour, le farfelu permettent de faire un peu contrepoids au stress vécu durant la dure journée de travail. C'est un endroit où l'enseignant isolé trouve une forme de solidarité compensant le sentiment de solitude.

    Toutefois, tant la solidarité que l'échange d'expériences ont leurs limites. Nias (1989) et Dutercq (1991) évoquent le niveau plutôt rudimentaire des discussions dans les salles des maîtres: les discussions s'en tiennent au plus petit dénominateur commun et se limitent aux sujets dont on peut être certain qu'ils ne susciteront aucun désaccord sur le plan professionnel. On évite par conséquent "instinctivement" tout ce qui pourrait mettre en évidence des différences dans les approches du métier, ou encore ce qui pourrait susciter de l'envie chez les autres enseignants, exposant aussitôt à des remarques peu complaisantes et même blessantes.

    Par conséquent, dans ces salles des maîtres, les théories de l'apprentissage, les projets à long terme, les discussions sur les objectifs de base et les méthodes sont carrément absentes des conversations entre les enseignants ou en restent à des généralités peu compromettantes ("programmes trop chargés", "méthodes irréalistes", etc.). Le débat s’arrête avant de mettre en cause l’autonomie de chacun dans sa salle de classe, ou tout simplement ses opinions pédagogiques.

    Que dire de la tendance croissante au partage d'expériences, surtout entre enseignants primaires? Ou du fait qu’ils s'adressent plus souvent à leurs collègues qu'au directeur ou à l’inspecteur pour demander aide et conseils? Certains auteurs y voient des signes du déclin de l'individualisme (Schneider & Hochschild, 1988, et al.). C’est loin d’être sûr: les échanges de "recettes" et de "trucs" (Huberman, 1986) ne touchent pas aux principes de base de l'enseignement, ni aux pratiques pédagogiques. Leur extension ne signifie nullement le recul de l'individualisme, qui reste la culture dominante dans la plupart des écoles.

    Dans de tels établissements, les tentatives de changement sont souvent vouées à l'échec, parce que l'absence de consensus éclate au moment où il faut décider du groupement des élèves, de l'organisation, de la répartition du travail, de l'emploi du temps, de l'évaluation des élèves, etc. Chaque point fait surgir des problèmes qui, faute d'avoir été traités auparavant, retardent ou empêchent la formation d’un consensus. Des conflits éclatent, qu'on tente de résoudre par un "vote majoritaire", qui renforce le sentiment des minoritaires d'avoir été "piégés" et la crainte des autres de l’être à leur tour plus tard. On peut associer un tel mode de relations professionnelles à une culture "anomique" (anomie: vient du grec anomia et signifie absence de loi ou d'organisation). Le scénario "passivité-indifférence" l'emporte, avec un investissement marqué dans le "faux-semblant": tout le monde s'entend pour donner à croire qu'on se trouve en plein centre du changement, alors qu'en réalité, rien se passe. Cette stratégie est souvent adoptée par une direction autoritaire libérale, qui affirme le consensus sans gérer les conflits, ni favoriser des décisions communes; ou par une direction autoritaire faible, qui se retranche derrière des règlements "venant d'en haut". Pareille stratégie n'est en fin de compte payante que là où la volonté de changement est très modeste, où l'on se contente d'amorcer des réformes sans souci de les étendre, ni de les implanter de manière durable.

    3.2. La balkanisation

    A l'intérieur de certains établissements, les enseignants s'associent plus étroitement à certains de leurs collègues, à l'intérieur de groupes distincts. Ils ne se sentent guère appartenir à l’ensemble du corps enseignant. De telles écoles ont une structure balkanisée, constituée par des groupes séparés, parfois en compétition ou en conflits, cherchant constamment à se positionner ou à avoir le dessus. Les sous-systèmes fonctionnent comme des fiefs vaguement connectés.

    Dans un établissement balkanisé, la culture commune justifie l’attachement prioritaire de chacun au groupe de collègues avec lesquels il travaille le plus étroitement, passe le plus de temps et dont il se sent le plus proche. C’est d’un tel groupe qu’il tient son identité principale, à lui qu’il doit sa loyauté. L'existence de tels groupes dans une école reflète et renforce des concepts et des pratiques fort divers en matière de théorie de l'apprentissage, de styles d'enseignement, de discipline, de sélection ou d’application du plan d'études.

    On trouve ce type de culture surtout dans les écoles secondaires, à cause de leur organisation par disciplines. On peut l'observer dans la salle des professeurs. On verra par exemple:

    On trouve une structuration différente, mais équivalente, dans la plupart des établissements du secondaire. Du fait de cette balkanisation, il est très difficile de prendre des décisions associant la totalité du corps enseignant. Mais ce n'est pas uniquement une affaire de grandeur et de complexité des écoles secondaires. La balkanisation prend ses racines dans les différences très profondes de statut et de priorités accordées à tel ou tel type de savoirs ou d’attitudes. De tels clivages traversent de nombreux établissements et se combinent avec des logiques plus locales de fractionnement. La division du plan d'études en disciplines est le clivage le plus général. Il ne crée pas seulement des catégories différentes de savoirs, mais aussi des communautés différentes d'enseignants qui les professent, s'y identifient et y investissent leurs carrières. Ces distinctions et divisions entraînent souvent de fortes discriminations statutaires, qui peuvent provoquer de l'hostilité, de la jalousie et des rivalités entre des groupes d'enseignants qui se sentent plus ou moins favorisés par la dotation horaire ou le poids de leur discipline dans la sélection. Les groupes d'enseignants qui risquent d'être marginalisés, d'obtenir moins de ressources et d'être moins valorisés et reconnus, sont les enseignants des matières les moins académiques. Le savoir académique dans les domaines intellectuels et cognitifs est encore le plus valorisé dans tous les systèmes scolaires. Si l'on tient bien compte de cette réalité, il est aussi plus facile de comprendre que les cultures marginalisées dans les établissements ne se forment pas simplement en raison d’erreurs de gestion, mais à cause des hiérarchies d'excellence établies par le système dans son ensemble. La priorité attachée aux branches "lourdes" académiquement mieux cotés, crée forcément des disciplines "inférieures" et par conséquent des groupes de statut inférieur (Goodson, 1988). Ce qui amène Ingvarsson & Greenway (1984) à dire que "la professionnalisation des enseignants dépend davantage de facteurs administratifs et contextuels du système scolaire en question que des formes de recyclage choisies."

    Toutefois, la balkanisation n'est pas un phénomène limité aux écoles secondaires. On la trouve aussi dans les écoles primaires, par exemple les écoles d'immersion langagière, où les maîtres enseignant en diverses langues dans les mêmes classes se côtoient sans se connaître, encore moins se consulter, aucun n’assistant jamais à l'enseignement de l'autre, chacun demandant aux élèves de s'adapter à ses attentes, jusqu’aux couleurs des crayons ou de stylos feutres… Il y a là plus de liens entre les professeurs enseignant dans la même langue à des classes différentes qu’entre les professeurs se partageant les mêmes élèves!

    Dans certaines écoles primaires, les enseignants de classe de développement (dites encore "spécialisées" ou d’adaptation) sont relégués au fond du couloir et ne prennent que rarement la peine de venir dans la salle des maîtres. Ce qui amène ou trahit évidemment des problèmes sérieux quant à l'intégration de leurs élèves dans la vie quotidienne de l'école. Cette forme d’exclusion empêche en particulier les enseignants des deux types de classes d’établir les relations qui aideraient à trouver et à négocier des solutions originales: échanges d'élèves, tentatives d'harmonisation des horaires, partage de disciplines, selon les compétences, des relations permettant aux uns et aux autres de mieux se connaître et, ensuite, de parvenir à résoudre des problèmes de fond (intégration des élève à problèmes dans une classe "normale", différenciation de l'enseignement permettant de mieux gérer les différences, coopération efficace, etc.).

    De même, à l'intérieur des écoles primaires, rares sont les maîtres de degrés différents qui collaborent régulièrement. Se regroupent plutôt ceux qui enseignent dans des degrés identiques - ils ont alors le même programme - ou très proches. Cette tendance est renforcée souvent par des horaires semblables, qui facilitent les réunions, et des obligations communes, qui créent des solidarités. Ce cloisonnement selon les degrés est le résultat d'une attention accordée à la complicité entre maîtres confrontés aux mêmes problèmes plutôt qu’à la cohérence verticale d’un cycle ou d’un degré au suivant, qui est en général extrêmement faible. Cela vaut aussi pour le suivi et la consultation mutuelle concernant les progrès des élèves, pendant leur carrière scolaire: trop d'enseignants traitent leur nouvelle classe comme une "feuille blanche", comme si toutes leurs aptitudes et connaissances étaient du même niveau.

    Il existe des projets d'établissement constitués de deux ou trois projets pédagogiques situés à une telle distance l'un de l'autre qu'ils ne se télescopent pas. Ainsi, un projet touchant la lecture en 2e année, un autre le décloisonnement pour les 4e et 5e années, et, enfin, un dernier, mené par deux enseignants de 3e année, visant à impliquer davantage les parents. Mais l'action spécifique en 2e année trouvera-t-elle une suite en 3e? Et l'implication des parents ne devrait-elle pas avoir lieu dès le début de scolarité? Le décloisonnement en 4e et 5e année sert-il des buts pédagogiques ou vise-t-il à réduire l'isolement et le burn-out des enseignants? Ces questions-là, parmi d'autres, ne sont que rarement discutées en présence de l'ensemble des enseignants de l'établissement.

    Ces projets "mosaïques" se réalisent souvent dans le cadre d'une direction libérale orientée vers le laisser faire, qui soutient qu’il appartient aux acteurs de décider eux-mêmes. La direction se tient en retrait mais elle accueille les propositions, elle s'en fait volontiers le porte-parole auprès de l'administration de tutelle. Une telle attitude n'est pas nécessairement démagogique: elle est parfois la simple conséquence d'un manque d'assurance, d'une difficulté à saisir le rôle de la direction dans le champ pédagogique, étant donné qu'elle ne se donne pas le droit de développer sa propre vision de l’avenir, ni d'assumer un véritable leadership.

    3.3. La "grande famille"

    Staessens (1991; 1993) et Nias (1991) sont parmi les rares chercheurs à décrire le mode relationnel de la grande famille. Pourtant c’est un mode très répandu, à mi-chemin entre le style morcelé des deux premiers et une approche plus ambitieuse, visant la coopération et l’interdépendance d’un ensemble de professionnels.

    La grande famille représente, en effet, un mode relationnel dont beaucoup rêvent, à l’intérieur duquel les membres du corps enseignant sont parvenus à une forme de "paix sociale", basée sur une forme de "soupçon de qualité", une sorte d’a priori garantissant le respect et la reconnaissance d’autrui, à condition qu’il ou elle se soumette à un certain nombre de règles explicites et implicites. Selon Staessens, on peut comparer une telle équipe à une fanfare de village: l’accent est mis sur les relations informelles entre les membres, il existe peu de structures, on témoigne d’une confiance assez forte dans le déroulement spontané des choses. On essaie de réduire au maximum leur côté administratif, on évite les conflits, on mise avant tout sur le bien-être des uns et des autres.

    Dans un tel mode de fonctionnement, les enseignants n’échangent pas beaucoup sur leur travail, par exemple sur des problèmes rencontrés dans la mise en place de situations pédagogiques et didactiques. Ils n’assistent jamais à une leçon d’un collègue. Jamais ils ne se permettraient de remettre en question lapratique de l’autre - il existe des choses qu’on préfère penser tout bas plutôt que de les dire tout haut - et ils n’admettront pas non plus que quiconque vienne mettre le nez dans la leur. Il existe une espèce de code non écrit selon lequel il vaut mieux éviter la fâcheuse tendance propre à certains formateurs ou chercheurs de couper les cheveux en quatre à chaque instant. Beaucoup de valeur est accordée, par contre, à l’intimité: on reste entre soi, pour se raconter des anecdotes sur les élèves, sur les familles, etc..

    Les contacts entre les enseignants sont amicaux, le soutien et l’entraide se trouvent au premier plan, ainsi que la loyauté, l’humour, le climat agréable, un fonctionnement bien huilé du bâtiment scolaire. Cela se sent en y entrant: le personnel administratif est aimable, disponible. Les élèves ont l’air heureux: ceux des petits degrés viennent embrasser la directrice, ceux des plus grands degrés restent volontiers dans la cafétéria, ou dans le préau. Cela se manifeste dans la salle des maîtres, qui est un endroit accueillant, chaleureux, où on se retrouve volontiers pour se raconter maints petits événements, où on règle rapidement de petits problèmes. Cela se manifeste aussi dans l’importance attachée aux rituels, aux fêtes, aux contacts avec l’extérieur, y compris les familles respectives.

    Et cela se sent lors de problèmes et de conflits, qui sont sinon annulés, du moins minimisés et rarement exploités. A ces occasions-là, l’équipe ne manque pas une occasion pour se montrer très soudée envers l’extérieur.

    Le directeur adopte le rôle du pasteur ou du grand-père: il se préoccupe du bien-être tant des enseignants que des élèves, fonctionne comme "ombudsman" lors de tensions, par exemple avec les parents. Il connaît les conditions de vie de chacun des enseignants, s’informe régulièrement quant à l’évolution de la rougeole du cadet de l’un, quant à la progression des études de l’aînée de l’autre. Il est toujours prêt à défendre les intérêts de tous, lorsqu’il s’agit de demander les crédits pour l’aménagement d’une classe, ou de prendre le parti d’un de ses collègues face à des parents peu commodes.

    Son but principal est d’une part d’anticiper et de calmer les conflits internes, d’autre part de faire de l’établissement un "bastion" protégé de l’extérieur. C’est une forme de lutte constante pour la survie, de recherche d’équilibre, grâce à des solutions pragmatiques trouvées face aux perturbations ponctuelles. Le directeur s’investit, "mène son troupeau" de main sûre: un brin démagogique, assurant les arrières, toujours disponible et entièrement au service de la communauté, il joue le "portier de l’innovation", pour le meilleur et le pire.

    Dans de telles écoles, on se mobilisera par exemple pour l’organisation des transports, pour trouver des réponses adéquates à une forte arrivée d’enfants étrangers, pour s’engager dans la vie culturelle locale. En somme, on investit davantage de temps dans le bien-être et dans la sociabilité et des solutions pragmatiques, que dans la réflexion critique et dans une approche systémique et systématique des problèmes pédagogiques et didactiques.

    Il n’est pas facile de décrire ce mode de relations professionnelles sans une certaine dérive vers la caricature. Car sans elle, un tel système pourrait paraître idéal: il n’est pas facile de percevoir les limites et les effets pervers d’un style de fonctionnement qui, à première vue, semble plus agréable et prometteur que les précédents, dans la mesure où il répond aux exigences de bien-être de chacun de nous, parie sur la confiance dans les collègues et dans le déroulement spontané des choses.

    Les trois types de fonctionnement que nous venons de décrire, ont un trait commun: ils découlent d’une approche traditionnelle et bureaucratique, ou ils représentent des tentatives intuitives d’y échapper. Or, pour mieux enseigner et pour amener les élèves à mieux apprendre, il faut faire un pas de plus vers la professionnalisation, afin de tirer profit des compétences de chacun tout en les développant. C’est ce qu’apportent les relations plus coopératives.

    3.4. La collégialité contrainte

    La critique de l’individualisme des enseignants n’est plus très neuve et une partie des rénovateurs en appellent depuis longtemps au travail en équipe et à la coopération entre professionnels. Il sont alors confrontés à une question clé: comment passer de l'individualisme à la coopération. L'approche que les écoles adoptent habituellement va dans le sens de ce qu'on peut, avec Hargreaves, (1989) appeler la collégialité contrainte (contrived collegiality). Elle se caractérise par des procédures formelles, bureaucratiques et structurelles, dont le but consiste à amener les enseignants à accorder d'avantage d'attention à la planification et à l’exécution concertée: temps de travail en commun pour la programmation didactique ou le suivi des élèves, statut d’équipe pédagogique accordé à n’importe quel groupe d’enseignants, présence simultanée en classe (team teaching) imposée par la grille horaire, séances régulières de clarification des tâches et des responsabilités des uns et des autres, journées de formation continue suivies en commun, etc. Ces initiatives d’ordre administratif visent à créer une collégialité là où elle était absente, à développer davantage de liens entre les enseignants, à les amener à un partage plus constant de leurs expériences et au delà à l'amélioration des pratiques. En général, la collégialité contrainte vise également à créer un contexte favorable à la mise en oeuvre de nouvelles approches et techniques pédagogiques.

    Dans les cas les plus favorables, la collégialité contrainte peut être une phase de transition vers l'instauration d'une coopération plus librement assumée, elle peut aider les enseignants à franchir le pas. Mais on peut aussi craindre qu’elle reste un substitut rapide et superficiel à une véritable culture de coopération, dont la mise en place prend beaucoup plus de temps et de soins qu'on n'en accorde d'habitude aux réformes du fonctionnement interne d’un établissement. La collégialité contrainte rencontre alors les mêmes difficultés que tant d'autres belles idées réformatrices: imposée d’en haut, elle suscite la méfiance et des stratégies défensives, et en tout cas ne garantit pas ipso facto davantage d'efficacité, de transparence ou d'entraide, tout comme l'introduction de l’Espéranto par décret ne peut garantir une meilleure compréhension entre les diverses nations.

    Bien sûr, les cultures de coopération ne se créent pas spontanément. Leur développement exige beaucoup d’attention et d’intelligence. Mais, à la différence de ceux qui instituent une collégialité contrainte, ceux qui travaillent au développement d’une culture de coopération se gardent d'imposer l'entraide et le partenariat: ils les facilitent, les rendent attrayants et significatifs à travers une gestion efficace et astucieuse; en encourageant la discussion, en persuadant, en organisant l'espace et l'attribution des classes de manière réfléchie, etc.

    Les tenants de la collégialité contrainte croient qu’il est possible de forcer la coopération et le partenariat par voie administrative. Ainsi, par exemple, on oblige les enseignants à choisir un collègue avec lequel ils sont sensés établir une relation de supervision mutuelle, à dates fixes; on oblige les enseignants à utiliser des rencontres prévues à l’horaire officiel pour une préparation didactique commune; ou on aménage des contacts réguliers entre professeurs titulaires et enseignants de soutien, sans se rendre compte que, dans de telles conditions, au jour fixé, ils peuvent n’avoir rien à se dire. Chacun, non sans quelque culpabilité, cherche alors à s'esquiver. Autre exemple: lorsque, par souci de "transparence", la direction veut recevoir un compte rendu de chaque réunion, ces dernières ont tendance à s’espacer très sensiblement…

    Pour résumer, disons qu’à l’endroit de la collégialité contrainte, il faut émettre trois réserves:

    1. Tout comme il n'est pas possible d'introduire une langue commune (l'espéranto) et artificielle par pure mesure administrative ou législative, la collégialité contrainte ne peut pas produire par décision autoritaire une culture de coopération, ni constituer un substitut "instantané" d'une telle culture, dont la genèse demande du temps. Il n'est pas possible de travailler avec des slogans propres aux petites entreprises de fast food du type

    Qualité &emdash; Rapidité &emdash; Prix:
    choisissez deux de ces avantages et vous aurez les trois !

    Une solution rapide, administrativement visible et facile à mettre sur le papier, permettra sans doute de démontrer au public ou aux responsables du système que la direction de l’établissement tente de favoriser le travail d’équipe, et plus généralement, la coopération entre les enseignants. Mais il est peu probable que la qualité des interactions à l'intérieur de l’établissement soit améliorée par ce type de mesures.

    2. La collégialité contrainte peut être ressentie comme un affront par les enseignants, lorsqu’elle ignore complètement la coopération spontanée déjà en vigueur. Elle peut même affaiblir les relations existantes, en leur ajoutant une lourdeur administrative mal vécue, par exemple en imposant, à la minute près, la durée des rencontres des groupes d’enseignants. En d'autres termes: la collégialité contrainte peut non seulement échouer à mettre en place une culture de coopération, mais empêcher son développement spontané.

    3. La collégialité contrainte peut conduire à la prolifération de rencontres non désirées, amenant non seulement une surcharge des enseignants, mais détruisant aussi les quelques petits espaces de vie informelle dans une école: les rires, les anecdotes, la conversation thé et café, et tous les autres petits échanges anodins qui contribuent à la cohésion d'un corps enseignant, même dans un établissement individualiste ou balkanisé. Dans l'élan qui peut amener un chef d’établissement à s'assurer que la totalité du temps de travail en commun hors de classe soit utilisé d'une manière "productive", on court le risque de négliger les aspects de la vie d'une équipe qui, apparemment sont oisifs et inutiles, alors qu’ils participent de manière centrale à la construction d'une culture de coopération. La colonisation administrative des "régions informelles" de l’espace et du temps de travail des enseignants risque, d'une certaine manière, non seulement d’interférer avec leur temps libre, consacré à la vie privée et à la relaxation: en envahissant, réorganisant et en minant la spontanéité des interactions informelles, ouvertes et personnelles entre les enseignants, on court également le risque de désintégrer les réseaux interpersonnels, fondements vitaux pour le développement d’une culture de coopération.

    3.5. Coopération et interdépendance

    Ce mode relationnel entre enseignants a déjà été défini "en creux": elle n’est ni l’individualisme, ni la balkanisation, ni la grande famille, ni la collégialité contrainte. Dans une culture de coopération et d’interdépendance, les rapports entre enseignants se caractérisent par l'aide, le soutien mutuel, la confiance et la franchise. Il ne faut pas chercher les manifestations d’une telle culture dans de grands rassemblements, mais dans les interactions au coeur du travail quotidien des enseignants, dans maints petits détails de la vie scolaire: les petits gestes, les anecdotes et les regards qui signalent la sympathie et la compréhension; les mots gentils et l'intérêt personnel que les enseignants se témoignent mutuellement; la manière de fêter l'anniversaire des uns et des autres, le respect d'une série de rituels; l'acceptation que la vie personnelle et professionnelle s'entremêlent; l'appréciation ouverte, la reconnaissance et la gratitude; le partage et la discussion d'idées et de ressources.

    Dans de telles cultures comme Nias et ses collègues (1989) le soulignent, l'échec et l'insécurité ne sont ni niés, ni défendus, mais partagés et discutés dans le but d'obtenir de l'aide et du soutien. Les enseignants ne perdent pas de temps et d'énergie à se retrancher derrière leurs défenses. Une culture de coopération et d’interdépendance exige un très large accord sur les valeurs éducatives, une forte cohérence entre les objectifs et les pratiques, une grande ouverture des uns envers les autres, et un contrôle permanent par rapport à la faisabilité des objectifs visés; mais elle accepte aussi le désaccord, l'encourage même dans certaines limites.

    Les enseignants se sentent dans de tels établissements investis d’une mission commune (Staessens, 1993). Le fait qu’ils utilisent les mêmes expressions pour indiquer ce qu’ils trouvent important est le résultat d’un long processus d’échanges, de réflexions communes, de tentatives collectives de résolution de problèmes pédagogiques et didactiques par rapport à une série d’objectifs qui constituent le fil rouge de ce qui se trame dans l’école aussi bien que dans chacune des classes. Un tel fil rouge peut être, par exemple, un thème comme "Evaluation formative et différenciation de l’enseignement", ou "Développement de l’autonomie des élèves", Staessens (1993), Nias (1991) et d’autres évoquent une autre caractéristique commune: il existe plusieurs "mémoires" de la mission commune.

    Bien entendu, dans une telle culture, la figure du directeur est centrale. Lorsqu'elle fonctionne, une culture de coopération dégage une forte chaleur humaine. Elle ne résulte pas d'une combustion spontanée des sentiment, elle doit être créée et maintenue: comme un bon mariage, elle doit être construite, à travers une gestion efficace, voire avec une aide externe.

    Dans la plupart des systèmes scolaires, les enseignants n'ont pas beaucoup de temps pour se rencontrer, travailler ensemble ou bavarder. Or il faut du temps de conversation pour que la coopération et l’interdépendance puissent se développer. En général, ce temps est pris en dehors des horaires de travail, pendant la pause de midi, lors d'un après-midi de congé ou à la fin d’une journée. Certains horaires qui prévoient explicitement du temps de programmation didactique pour les enseignants coopérant dans les modules, constituent en ce sens une petite révolution. Mais il faut être conscient du fait que ce temps mis à disposition - sans contrainte - n'offre que l'occasion de développer une culture de coopération!

    La mise en place d'une telle culture se heurte à un second obstacle: les programmes, voire l'interprétation que les enseignants en font. L’expérience montre que lorsqu'ils ont l'occasion de coopérer, de faire ensemble de la "programmation didactique", ils ont tendance à concentrer leur énergie collective sur des objectifs relativement immédiats, à petite échelle, tels que la prochaine séquence de travail. Ils ne s’aventurent guère à travailler sur des problématiques plus fondamentales, sur la relation entre les contenus spécifiques et les finalités plus générales de l'école.

    On parvient ainsi à une forme de coopération qu'on pourrait dire "limitée": par rapport à sa profondeur, son étendue, sa fréquence ou sa persistance. C'est une coopération qui ne touche pas aux principes ou à l'éthique de la pratique, mais qui reste au niveau des conseils routiniers, de la recherche de recettes et du partage de matériel d'ordre immédiat, spécifique et technique. C'est une coopération qui ne dépasse pas certaines séquences de travail ou certains sujets d'étude et ne débouche pas sur une analyse et une prise en charge communes des finalités et des valeurs de l'école. C'est une coopération qui se concentre sur des options qu’on peut mettre immédiatement en pratique, en excluant des préoccupations pédagogiques à long terme. C'est une coopération qui se centre sur des événements et initiatives spécifiques, des interventions ponctuelles, sans être fortement insérée dans le tissu des relations interpersonnelles au sein de l’école.

    Il faut par conséquent se garder de crier prématurément victoire, en entretenant l’illusion d'avoir instauré une coopération permettant de dépasser vraiment l’individualisme des enseignants. La coopération a souvent moins de profondeur ou d’ampleur qu’on ne le pense. Mettre les enseignants en situation de coopération en classe, comme c'est le cas dans les modules, ou créer des occasions explicites d'échange d'idées et de programmation commune, n’entraîne pas nécessairement une modification de leur culture, ne permet pas automatiquement de dépasser le conservatisme, ni les habituels mécanismes de défense contre le changement des pratiques à long terme ou de centration sur des problèmes ponctuels et des solutions à courte échéance. En somme: diminuer l'individualisme ne conduit pas automatiquement à affaiblir les deux autres tendances dégagées par Lortie, l’immédiateté et le conservatisme. Pour cela, il faut quelque chose de plus. Avoir du temps pour préparer les leçons ensemble peut renforcer leur caractère traditionnel. Travailler à deux avec les élèves peut renforcer l’autoritarisme ou le respect tatillon des programmes… Bref, si l’on veut une école novatrice, la culture de coopération ne suffit pas!

    3.6. Comparaison entre culture de coopération et collégialité contrainte

    La différence entre culture de coopération et collégialité contrainte est à la fois mince et trompeuse, et l'orientation vers la première est rendue difficile dans la mesure où l'organisation bureaucratique de la plupart des systèmes scolaires favorise la collégialité contrainte. Nous avons trouvé intéressant de comparer ces deux types de cultures, pour mieux mettre en évidence les avantages et limites de l'une et de l'autre:

    Différences entre culture de coopération et collégialité contrainte
     Collégialité contrainte
     Culture de coopération
     Limitée dans le temps
    et l'espace
     Traversant le temps et
    l'espace dans sa totalité
     Imposée
     Suivant sa propre évolution
     "Forcée"
     "Naturelle"
     Régulée par l’autorité
     Spontanée
     Prévisible
     Imprévisible
     La vie professionnelle exclut les interférences avec la vie personnelle
     La vie professionnelle autorise, voire encourage les interférences avec la vie personnelle
     Orientée vers la mise en oeuvre du changement
     Orientée vers le
    développement

     La collégialité contrainte est administrativement imposée, formellement codifiée dans le temps et l’espace, bureaucratiquement organisée. Elle accorde la priorité à la vie professionnelle par rapport à la vie personnelle, et sépare autant que possible ces deux domaines. La collégialité contrainte maintient une séparation hiérarchique entre développement professionnel et mise en oeuvre du changement, en créant un système à l'intérieur duquel les enseignants se trouvent réduits au statut d'exécutants au lieu d'oeuvrer en tant que vrais professionnels.

    Le défi qui s'impose, lorsqu'on développe des cultures de coopération plus étendues, lorsqu'on vise à surmonter tant l’immédiateté et le conservatisme que l'individualisme à l'intérieur de la culture des enseignants, va par conséquent bien au-delà de la mise en place de relations interpersonnelles par voie administrative. Il s'agit également d'un défi lancé aux relations de pouvoir, aux instances qui définissent les objectifs de l'école et leur mise en oeuvre; un défi lancé pour déplacer la responsabilité du développement du curriculum du centre vers la périphérie, des administrations vers les enseignants, des hommes vers les femmes, du moins en ce qui concerne l'enseignement primaire; un défi qui consiste à connecter la professionnalisation des enseignants et le développement des curricula; un défi correspondant enfin à une certaine humilité administrative: en partageant la responsabilité par rapport aux objectifs de l'éducation et en admettant que le rythme du développement des personnes - dans l'enseignement comme partout ailleurs, que ceci soit dit et reconnu - est toujours très lent. Les tentatives de professionnalisation du métier et de mise en place de changements en éducation ne seront couronnées de succès qu'à la condition de prendre en compte les besoins des enseignants, de les reconnaître en tant que personnes et de s'adapter au rythme de leur développement individuel et collectif.

     IV. Obstacles et facteurs favorables au développement d’une culture de coopération
    Le métier d'enseignant… souffre du manque d'occasions offertes aux enseignants de réfléchir, d'observer, de discuter et de planifier en tant qu'individus d'abord, mais avant tout en interagissant avec leurs collègues. Fullan, 1982

    Il n'existe guère de systèmes éducatifs qui donnent à l'ensemble des enseignants d’un établissement un large pouvoir de décision ou d'action. Toutes les conditions de travail importantes (horaires, plan d'études, moyens d'enseignement, règlements de certification et de promotion) sont fixées sur le plan national ou régional, ou laissées à l’appréciation des inspecteurs ou des chefs d’établissements. Les attributions des enseignants varient d’un système à l’autre, mais on ne leur délègue d’ordinaire, pour les décisions importantes, qu'une fonction de conseil de la direction générale ou de ministère, ou encore de première instance de réclamation. Leur cahier des charges ne leur donne aucune tâche de leadership dans le sens d'une interprétation, d'une adaptation et d'une mise en pratique des plans cadres régionaux ou nationaux en fonction des conditions et de la politique particulières de leur établissement. Il n'existe généralement que peu d'échanges et de prises de décision communes avec l'ensemble des enseignants, en ce qui concerne leurs visions de l'orientation de l'établissement tant sur le plan pédagogique et didactique que sur celui de la professionnalisation des enseignants. Si de tels échanges ont lieu, la préférence est accordée aux discussions informelles avec les enseignants pris individuellement ou en petits groupes.

    Finalement, l'établissement, en tant qu'unité de fonctionnement, est souvent réduit à un certain nombre de tâches de gestion et de coordination, telles que l'attribution des horaires et des salles de classe, l'organisation de la surveillance des récréations, l'élaboration d'un règlement intérieur, ou encore le souci d'assurer le bien-être des uns et des autres (organisation de soirées récréatives ou de sessions de gymnastique pour les enseignants, ou encore d'une semaine de formation interne).

    Y a-t-il des raisons de favoriser le développement d’une culture de coopération au sein d’un établissement? Quels sont les facteurs favorables, dans la conjoncture actuelle? Et quels sont les obstacles? Il importe de connaître tant les uns que les autres pour entrer dans un débat constructif.

    4.1 Obstacles

    Le développement d’une culture de coopération rencontre de nombreux obstacles.

    Une socialisation professionnelle qui favorise l'isolationnisme

    Les enseignants n'ont pas pu développer, durant leur formation de base, les attitudes et aptitudes nécessaires à une coopération avec des collègues. Ils ont plutôt appris à devenir des "combattants isolés", ne comptant en principe que sur eux-mêmes pour faire face aux difficultés, aux moments de déprime, à la complexité du métier, à l’échec.

    Une gestion - cantonale ou nationale - qui reste centralisatrice

    La structure de gestion des systèmes scolaires ne valorise pas les performances collectives d'un établissement. Chaque enseignant rend compte individuellement - assez vaguement d’ailleurs - de la qualité pédagogique de son travail et des résultats de ses élèves. Parfois, son interlocuteur est un inspecteur ou un conseiller pédagogique étranger à l’établissement, dont le chef n’a d’autre tâche que de veiller au bon fonctionnement d’une structure, sans se soucier de pédagogie.

    L’absence de structures facilitant la coopération

    La définition des horaires de travail est faite en fonction de logiques et de désirs individuels et relègue le travail d'équipe dans le domaine diffus du temps "libre", du heureux hasard, du bon vouloir de chacun, de l'idéalisme et du stakhanovisme.

    Le travail en tandem est difficile, voire inconcevable

    La coopération à deux - sous forme de vrai team teaching, de tandem ou de supervision mutuelle - reste inconnue ou difficilement réalisable. Ni les horaires, ni les salles de classes ne sont aménagés pour faciliter de telles modalités de travail.

    Le développement d’une culture de coopération n'est pas une tâche prioritaire du directeur

    Le rôle de la direction des établissements n'est souvent perçu que dans sa dimension administrative. La construction d'objectifs communs, le développement d’un esprit de corps, la gestion des conflits, la mise en place concertée de processus de résolution de problèmes ne font que rarement partie du cahier des charges du chef d’établissement. Ces aspects d’un véritable leadership sont même parfois explicitement rejetés, parce qu’ils sont perçus comme une forme d’abus de pouvoir sur les enseignants.

    Par ailleurs, certains directeurs ne rêvent nullement de stimuler le développement d’une culture de coopération et tendent plutôt à l’empêcher pour conserver leur pouvoir, par peur d’avoir à faire face à une nouvelle dynamique de groupe et aux exigences qui en résulteraient, etc.

    Le morcellement des horaires d'enseignement

    Le grand nombre d'horaires partiels soulève la question de savoir qui fait vraiment partie du corps enseignant, qui est assez disponible pour s’engager dans une coopération. Cela rend problématiques les tentatives de mise en place de réseaux de coopération, sur le plan de la gestion, de la présence, de l'identification avec les objectifs de l'établissement.

    4.2 Facteurs favorables

    Face à ces caractéristiques de nos systèmes scolaires, qui entravent la construction d'un fonctionnement coopératif, se dégagent actuellement plusieurs facteurs favorables.

    L'instinct de conservation du corps enseignant

    Les enseignants comprennent toujours mieux que le développement du travail d'équipe leur offre une chance de mieux survivre dans leur métier.

    La prise de conscience de la dimension sociale et systémique du métier d'enseignant

    Les enseignants ont compris que, de toute manière, le métier d'enseignant ne peut être exercé qu'en interaction et interdépendance avec autrui et qu'au lieu de coopérer sous la pression de l’institution, des usagers ou d’autres spécialistes, il vaudrait mieux se donner les moyens de maîtriser cette évolution.

    L'équipe en tant que ressource

    L'équipe est peu à peu perçue comme une ressource formidable, à condition de reconnaître que chacun a des talents et des connaissances dont on pourrait profiter, à condition de mettre fin au tabou selon lequel "Nous sommes tous bons, mais personne n'est particulièrement meilleur que les autres…"

    La coopération en tant que source d'autonomie

    Le travail en équipe ne va pas sans concertation et exige souvent un consensus, mais il augmente aussi les degrés de liberté des enseignants, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la salle de classe: la solidarité, l'action commune et la collégialité améliorent la position des enseignants par rapport aux autorités administratives et didactiques, aux parents, aux commissions scolaires ou autres instances locales ou régionales.

    La mise en place d'un climat d'apprentissage

    L'évolution sociale et économique, le développement des médias obligent l'école à relever un défi important: comment faire face aux habitudes de communication et de négociation des nouvelles générations, à leur style de vie, aux apports extrascolaires, etc. Une culture de coopération à l’échelle d’un établissement ou d’une équipe pédagogique peut développer un climat favorisant les relations entre jeunes et adultes et les apprentissages.

    La relation entre culture scolaire et efficacité

    Les études sur les écoles efficaces des dix dernières années montrent que le consensus par rapport à quelques objectifs d'éducation et d'apprentissage, aux méthodes pédagogiques et au partage des responsabilités entre enseignants et élèves produit de meilleurs effets, en termes de satisfaction, mais aussi sur le plan des apprentissages des élèves. Plus les établissements seront considérés comme des unités autonomes, ayant à rendre compte de leurs résultats, plus les enseignants auront intérêt à coopérer pour renforcer la réputation de leur école.

     

    5. La culture de coopération:
    nécessaire mais pas suffisante!

    En conclusion, une question s’impose: vaut-il la peine d’investir tant d’énergie pour surmonter un à un tous les obstacles? Les relations professionnelles les plus répandues - l’isolationnisme, la balkanisation ou la grande famille - ne garantissent-elles pas une certaine autonomie, une séparation nécessaire, pour l’équilibre des uns et des autres, entre vie professionnelle et vie privée, appartenance à une communauté de travail et pratiques pédagogiques? En favorisant la coopération, ne risque-t-on pas de créer des équipes "surdéveloppées" composées d’individus sous-développés, incapables de résoudre seuls les problèmes, s’appauvrissant à défaut de renouvellement et de recherche personnelle?

    A ces questions, il y a plusieurs réponses. On peut d’abord se dire très tranquillement que, face au risque de surinvestissement du travail d’équipe, on a de la marge: on en est encore très loin dans la plupart des établissements. Ensuite, il convient de ne pas oublier les résultats convergents de nombreuses recherches: une meilleure efficacité va de pair avec un meilleur fonctionnement en équipe, et l’isolationnisme n’est pas la meilleure manière de garantir à long terme le plaisir professionnel des enseignants ou les apprentissages des élèves.

    Il semble donc absolument utile de favoriser - sans l’imposer - le développement d’une culture de coopération. Dans des conjonctures pas trop défavorables, les chefs d’établissements et les enseignants convaincus peuvent, s’ils s’y prennent bien, entraîner leurs collègues vers des fonctionnements plus coopératifs dans lesquels beaucoup trouveront en définitive leur compte, si l’expérience dément effectivement leurs peurs initiales et montre qu’on peut travailler en équipe sans y perdre son identité, sa liberté, son efficacité!

    Le plus dur est alors de reconnaître, sous l’angle du renouveau pédagogique (Gather Thurler, 1993 c), que la création d’une culture de coopération est une condition nécessaire, mais pas suffisante: c’est une base de départ pour un véritable travail en profondeur, un suivi méthodologique, une réflexion continue sur les pratiques, un cheminement commun vers la professionnalisation du métier.

     

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