In Actes du
colloque international de l'AFIDES Diriger un établissement
scolaire : une profession ! de Tunis, 25-28 octobre
1995.
Professionnaliser
le métier de chef
détablissement : pourquoi et
comment ?
Monica Gather Thurler
1996
1. De nouveaux principes organisateurs
La professionnalisation du métier d'enseignantDécentralisation et déréglementation
2. Nouvelles réalités pour les acteurs
Problèmes perçus par les enseignants
3. Vers une nouvelle fonction du chef d'établissement
Amener la communauté-établissement à se mettre d'accord sur quelques idées directricesSusciter, encourager et développer le travail d'équipe comme source de professionnalisation
Favoriser la pratique réfléchie
Organiser des lieux où les problèmes aigus peuvent être exprimés
Aménager des structures de travail fonctionnelles
Veiller au maintien du cap fixé
Aménager la culture d'évaluation et de feedback
Développer un leadership coopératif
4. Vers un leadership innovateur
Le débat sur la professionnalisation est devenu familier aux gens décole, depuis une dizaine dannées. A ses origines, il répond à différents développements politico-sociaux et idéologiques, qui ont déclenché une profonde remise en question du fonctionnement de lécole et, en particulier, du métier denseignant. Or, limiter le débat à ce métier serait à courte vue et ne tiendrait pas compte de deux facteurs essentiels liés à la dynamique en cours :
A tous les niveaux, les acteurs devraient donc se demander comment ils pourront contribuer à intensifier et à accélérer un processus qui sannonce difficile et de longue durée. Paradoxalement, personne ne sest encore demandé si la prolétarisation qui menace le métier denseignant (Perrenoud, 1994a) pourrait également guetter les chefs détablissement, alors que la tentation de les transformer en exécutants nantis de directives de plus en plus précises est également valable pour eux. Aujourdhui, certes, leur fonction administrative les contraint à mettre en oeuvre ou à transmettre des ordres venus de plus haut, ce qui les met souvent en mauvaise posture. Ils ne sont donc pas des chefs dentreprise ; ils continuent cependant à jouir, auprès de la population et dans la plupart des cas auprès des enseignants, dune respectabilité, dune crédibilité et dune autorité qui compensent en partie les difficultés liées à la complexité de la tâche, au stress, aux routines gestionnaires, au manque de temps qui empêche de se consacrer aux tâches pédagogiques.
Durant ces dernières années, leurs associations professionnelles ont investi de grands efforts pour rendre attentif à la complexité du métier de chef détablissement, pour offrir à leurs membres des formations leur permettant dacquérir de nouvelles compétences de gestion ou de leadership et, enfin, pour redéfinir - et réhabiliter - ce métier. Toutefois, on peut se demander dans quelle mesure ces mesures ne constituent quune opération cosmétique, face à lurgence liée à la rapidité du changement du système, des mentalités et des besoins. Face à ces changements, qui vont profondément modifier la vision de lidentité professionnelle des acteurs à tous les échelons, les associations professionnelles peuvent adopter deux attitudes : lune consiste à sadapter aux changements, à les analyser à posteriori, à se battre pour maintenir les acquis, à proposer à leurs membres des cours de formation, des séminaires de réflexion pour une mise à niveau des savoirs et des savoir-faire.
Lautre attitude est plus active, plus prospective et participative. Elle consiste à bien connaître les mutations en cours, à inciter les chefs détablissement à se joindre activement au processus du changement, à assumer leur part de responsabilité et de leadership dans un processus de transformation qui va sans doute entraîner des mutations profondes dans la distribution des rôles et dans le fonctionnement des rapports de pouvoir à tous les échelons.
Cette contribution sinscrit dans cette dernière perspective. Dans une première partie, nous présentons la professionnalisation du métier denseignant et lautonomie partielle des établissements scolaires comme nouveaux principes organisateurs de la gestion des systèmes scolaires. Dans la deuxième partie, nous tentons de formuler quelques réponses, de montrer comment procéder à la professionnalisation du métier de chef détablissement, en tant que réponse constructive aux transformations en cours.
Il sagit de deux tendances complémentaires qui méritent dêtre bien comprises et bien analysées dans la mesure où elles obligent les acteurs, à tous les niveaux des systèmes scolaires - et notamment les chefs détablissement - à sinterroger sur leurs nouvelles réalités, leurs nouveaux rôles et leurs nouvelles obligations.
La professionnalisation du métier denseignant
En 1994, Perrenoud rendait attentif au carrefour devant lequel se trouve le métier denseignant, face aux ambitions de plus en plus fortes des systèmes éducatifs et face à la complexité croissante des sociétés développées :
" - ou les enseignants se trouvent progressivement dépossédés de leur métier au profit de la noosphère, sphère des gens qui conçoivent et réalisent les programmes, les démarches didactiques, les moyens denseignement et dévaluation, les technologies éducatives et qui prétendent livrer aux maîtres des modèles efficaces denseignement ; cest une forme de prolétarisation ;- ou les enseignants deviennent de véritables professionnels, orientés vers la résolution de problèmes, autonomes dans la transposition didactique et le choix des stratégies, capables de travailler en synergie dans le cadre des établissements et déquipes pédagogiques, organisés pour gérer leur formation continue ; cest la voie de la professionnalisation.
Ces deux évolutions sont aujourdhui possibles. Elles renvoient à des modèles différents et dans une large mesure antinomiques du fonctionnement et de la modernisation des systèmes éducatifs. Lavenir nest pas tracé : il dépendra des stratégies et des forces des acteurs en présence : gouvernements, spécialistes, institutions de formation, cadres de ladministration scolaire, associations professionnelles. " (Perrenoud, 1994b, pp. 29)
Ce type de discours, à peine alarmiste, nest évidemment pas toujours favorablement accueilli par les gens décole. De larges factions denseignants clament très haut quils ne parviennent pas à sy reconnaître. Les confusions vont bon train entre " professionnalisation " et " professionnalité ", amenant les uns à déclarer le but déjà bien atteint, les autres à mettre en question la bonne foi des chercheurs qui osent ainsi dénigrer leur métier. Toujours est-il quune confrontation détaillé des critères de la professionnalisation (par exemple, Lemosse, 1989) avec létat actuel du métier oblige à faire le constat que ce dernier est encore bien loin dêtre une profession à part entière : le caractère solitaire du métier denseignant, son imperméabilité à lenvironnement économique et social, labsence de mobilité et de plans de carrière, le manque de tradition interne de réflexion et de théorisation du métier, labsence de projets collectifs, dautonomie etc. (Perrenoud, 1994b) ne sont que quelques exemples dun métier au mieux " en voie de professionnalisation ".
Deux autres exemples - le manque dencadrement par des professionnels plus qualifiés et de mécanismes de contrôle et de régulation - font penser que létat du métier denseignant est également le résultat dune série de dysfonctionnements aux niveaux hiérarchiques supérieurs, dont participent les chefs détablissement.
Il est difficile de savoir où le bât blesse. Sagit-il dun manque de savoir-faire, de compétences face à de nouvelles exigences peu comprises ? Sagit-il dun aveuglement collectif, qui empêche les uns et les autres dopérer les changements de paradigmes indispensables pour décider dun véritable changement des pratiques ? Sagit-il dune complicité entre pairs, pour sauvegarder des routines bienfaisantes et se protéger des craintes et des engagements inévitables face à toute innovation ?
Face à ces réalités, quelle voie les systèmes vont-ils choisir ? Il est vrai quen de multiples lieux, on voit émerger des projets qui déclarent parmi leurs objectifs prioritaires de vouloir contribuer à la professionnalisation du métier. Il est également vrai que la plupart des groupes dacteurs ont pris la mesure du problème, sans pour autant bien savoir comment se situer face à sa complexité, comment agir efficacement sans tomber dans le piège du volontarisme. Enfin, dautres tendances, telles que la décentralisation et la déréglémentation, semblent confirmer lurgence de mettre en route un processus qui va être sans doute être de longue durée.
Décentralisation et déréglementation
La tendance du politique à envisager des solutions décentralisées, développées sur mesure, pourrait bien entendu être perçue comme une sorte de résignation et de laisser-aller devant les résistances des acteurs du terrain face au pouvoir central. Elle pourrait également être interprétée comme une recherche dalternative suite au constat du manque defficacité des réformes du passé.
Mais il est tout de même intéressant de constater, lorsquon regarde du côté des autres systèmes, plus proches de la politique, du monde économique et social, quils participent à la même évolution que la politique de léducation. Il sagit précisément de la volonté explicite dun assouplissement, voire dune élimination des réglementations étatiques en faveur dune plus grande liberté daction et de décision accordée aux individus et/ou aux unités locales.
Evidemment, ce processus déclenche des espoirs, des attentes mais également des peurs et des résistances souvent importantes, voire démesurées. Ainsi les uns espèrent que la décentralisation amènera les acteurs, sur le terrain, à résoudre les problèmes avec davantage de créativité et de responsabilité, à développer des solutions moins coûteuses. Ils songent également à profiter de la décentralisation pour réduire lappareil bureaucratique (instances de contrôle, etc.). Ils imaginent que la diversité des solutions introduira une certaine compétition et, par conséquent augmentera la recherche de qualité par les établissements.
Les autres craignent que la compétition entraîne des conséquences néfastes ; que légoïsme et le pouvoir des minorités privilégiées lemportent par rapport aux règles de justice sociale ; que des fonctionnements à deux vitesses sinstaurent ; que les prestations de lEtat pour les enfants ayant des besoins spécifiques deviennent plus rares ; que la base ne trouve que des solutions de dilettantes face aux problèmes de léducation.
Il importe de trouver une voie médiane entre ces deux extrêmes et de construire des représentations communes, réalistes et acceptables pour tous les partenaires, permettant de faciliter et daccompagner un processus de décentralisation et de déréglementation qui puisse véritablement contribuer à maintenir, voire à améliorer la qualité de nos systèmes scolaires.
Or, le choix des mots est significatif. Opter pour une " déréglementation " veut dire quon décide dinverser la tendance à la surréglementation. En fin du compte, il sagit de parvenir à une régulation équilibrée entre un plan-cadre centralisateur, prescrivant les axes prioritaires de laction sociale et définissant les limites territoriales de la responsabilité individuelle, respectivement locale, quant à la mise en oeuvre de ce plan-cadre. La recherche dune plus grande autonomie des établissements scolaires se situe dans cet éclairage.
Autonomie partielle des établissements scolaires
Lautonomie est, à lorigine, une indépendance revendiquée et conquise face à un pouvoir : autonomie des villes face au suzerain, autonomie des régions dominées ou colonisées. Actuellement, ce concept est utilisé au sein des systèmes scolaires : il sagit de libérer les établissements scolaires des réglementations et dépendances fortement centralisées et de les encourager à prendre davantage de responsabilités, à exploiter les forces et les ressources dont ils disposent de manière plus consciente et plus efficace, mieux adaptés au contexte local, en développant des modes de fonctionnement et de relation appropriés.
Le concept dautonomie est composé par les deux mots grecs " auto " et " nomos ", signifie " dans son propre nom, selon ses propres lois ". Or, lorsque les acteurs aux divers niveaux du système scolaire demandent " davantage dautonomie locale ", il nest pas toujours facile de dire dans quel registre de représentations ils se trouvent. Songent-ils à une procédure formelle selon laquelle le pouvoir organisateur se limitait à définir les degrés de liberté (par exemple, en ce qui concerne la possibilité dintroduire de nouvelles formes dévaluation des élèves, dexpérimenter de nouvelles modalités de regroupement, de coopter les nouveaux collègues) aux unités locales ? Ou bien pensent-ils plutôt aux moyens à mettre en place pour permettre aux unités de se munir des compétences nécessaires (par exemple, lorientation vers une culture de coopération professionnelle, vers une auto-évaluation des pratiques pédagogiques et didactiques en cours) ?
En effet, lautonomie peut faire dobjet de représentations très différentes. Les uns simaginent une liberté totale, alors que pour les autres, lautonomie ne va jamais sans lobligation de respecter un plan-cadre, quelques valeurs communes et de rendre compte de ce quon fait. A lintérieur des systèmes éducatifs dépendant de largent et des pouvoirs publics, il ne peut sagir que dune autonomie partielle. Elle nest pas dabord un droit, mais un choix stratégique.
Lidée de base consiste à croire quune organisation du système scolaire qui accorde davantage de possibilités dauto-détermination et de décision aux établissements scolaires leur permet de mieux atteindre leurs buts que sils sont les rouages administratifs dune organisation fondée sur des réglementations centralisées. Face à lexigence de standards élevés de connaissances et de compétences et dégalité des chances, il est important que les unités locales puissent atteindre les objectifs fixés par le pouvoir politique en prenant en compte des conditions locales diverses : taille, spécificité et composition de la population délèves, possibilités et besoins économiques et culturels de lenvironnement. En outre, on sait que les petites unités sont capables de trouver des solutions locales plus rapides, plus innovatrices, plus originales que les grandes unités. En outre, la responsabilisation des établissements oblige les enseignantes et les enseignants à dépasser lisolement dans lequel ils travaillent encore pour la grande majorité actuellement, pour se poser et reposer la question-clé : " Comment parvenir à une organisation interne plus efficace pour atteindre les buts fixés ? "
Liberté et responsabilité des acteurs
Autonomie partielle ne veut pas dire autarcie et ne veut pas non plus dire décisions prises à la légère. Au contraire, autonomie veut dire : projet collectif original, explicite et négocié entre les partenaires, dans le cadre dun ensemble de droits et dobligations librement consentis (par rapport à lEtat et ses lois, par rapport à des principes éthiques, etc.) Lautonomie partielle des établissements est, par conséquent, à concevoir comme un équilibre entre règlements centralisateurs et initiatives locales, dans les domaines suivants :
Concrètement cela veut dire que lEtat se limite à prescrire les axes dorientation et les règlements absolument indispensables pour coordonner les divers ordres scolaires et demande aux établissements dexpliquer comment ils travaillent dans les domaines qui viennent dêtre évoqués. En complément, cela veut dire également que lEtat se verra obligé de mettre en place un système de suivi et dévaluation externe qui permette de contrôler la qualité et la cohérence de la mise en oeuvre au sein des divers établissements.
Du côté des établissements, se pose la question de savoir comment lautonomie partielle se traduira dans leur fonctionnement interne, comment elle amènera les divers acteurs - enseignants et chefs détablissement - à redéfinir leur rôle et leur fonction, quels moyens dauto-régulation ils se donnent pour atteindre les objectifs fixés et comment ils documentent leurs démarches tant pour eux-mêmes que pour les partenaires externes.
Les développements possibles qui viennent dêtre décrits - la professionnalisation du métier denseignant et lorientation vers davantage dautonomie dans la gestion des écoles - sont accueillis de manières très diverses dans les divers ordres de lenseignement.
Dune part, la compréhension des deux concepts en soi semble déjà poser problème, elle produit des commentaires du genre :
" Pas besoin de gratte-papier pour nous dire ce que nous avons à faire. Nous sommes des professionnels. Quils viennent nous remplacer devant une classe de 26 élèves avec les problèmes de violence, des lacunes existantes, les moyens qui font défaut, qui sont notre pain quotidien ! ""Lautonomie des écoles. Et alors ? ! Je la connais depuis toujours. Une fois la porte de ma classe fermée, jaimerais bien voir celui qui peut se permettre de venir me dire comment je suis sensé organiser mon enseignement."
Dautre part, même les enseignants et les administrateurs acquis à ces approches, ne nient pas les difficultés et les obstacles qui risquent de rendre difficile leur mise en oeuvre.
Problèmes perçus par les enseignants
Tant lidée de la professionnalisation que celle de lautonomie partielle provoquent des réactions très ambivalentes chez les enseignants. On les entend, depuis des décennies, demander dêtre reconnus en tant que professionnels, défendre leur autonomie et accuser la lourdeur des règlements qui étouffent toute prise dinitiative. Toutefois, lorsque le politique commence à prendre au sérieux ces demandes, en sappropriant le discours sur la professionnalisation ou lautonomie partielle en tant quidées directrices dune future gestion du système, ceci suscite tout un cortège de réactions, de peurs, de mécanismes de défense, dévocation de problèmes. En voici quelques-uns dans une longue liste.
Le refus dapprendre
Les règlements centralisés sont mal vécus, mais ils sont en même temps très confortables : sils sont adéquats, on se félicite davoir échappé aux efforts nécessaires pour leur négociation ; sils sont mauvais, on peut tranquillement se plaindre de linefficacité de la direction générale ou du des autorités politiques, sans se sentir responsable : " Ce sont les autres, ce nest pas mon problème "
La professionnalisation et lautonomie des écoles obligent les enseignants à participer à lélaboration de leur projet, à développer leur coopération, à améliorer leur processus de prise de décision, à affronter les conflits indispensables lors des diverses concertations entre les partenaires, et, enfin, à assumer leurs responsabilités lorsque les décisions savèrent ne pas avoir été les bonnes.
La peur du surmenage
Il est important de distinguer deux éléments : le réel surmenage dune part et, dautre part, le souvenir " mythique " de mauvaises expériences du passé. Une grande partie des enseignants travaillent, durant certaines périodes de lannée scolaire, bien au-delà des limites du supportable. Est-ce inévitable ou cela résulte-t-il dune mauvaise gestion des tâches ? Quelle que soit la réponse, le fait est que si les enseignants ne disposent guère de réserves nécessaires, refuser le travail supplémentaire imposé par les changements suggérés devient une opération de survie. Bien quil existe, dans toute population denseignants, quelques irréductibles qui préfèrent leur propre bien-être à tout remise en question de leurs pratiques, les " résistants " ne font pas tous partie de cette catégorie. En parlant avec eux, on se rend compte quil sagit de personnes souvent très engagées, soucieuses du bien-être de leurs élèves, de leurs collègues ; il sagit même souvent denseignants qui, quelques années auparavant, faisaient partie de mouvements militants pour une école nouvelle, qui participaient à des projets de recherche-action, défendaient des visions novatrices du système scolaire. Lexpérience de pertes de temps liées aux discussions sans fin, des blessures liées au manque de reconnaissance des efforts investis ou aux attaques subies, la peur quà nouveau, on veuille les embarquer dans des démarches qui risquent dentraver la qualité de leur travail personnel peuvent amener ces mêmes enseignants à prétexter un manque de temps, ou à sopposer de manière très agressive à toute tentative dingérence dans leur " sphère personnelle privée ".
La difficulté de rendre des comptes
Tant la professionnalisation que la prise dautonomie sur le plan local obligent les enseignants à adopter une attitude nouvelle. Il sagit de présenter les décisions, de les débattre et de les défendre et, surtout, dassumer les responsabilités lorsquil y a problème et désaccord. Or, ces nouvelles exigences provoquent différentes peurs, voire même des refus :
La peur de perdre les privilèges acquis au sein dun Etat centralisateur
Grâce à la pression exercée par des spécialistes et des responsables auprès du pouvoir politique, la plupart des systèmes scolaires ont mis en place une série de mesures spéciales (mesures de soutien pédagogique pour des enfants présentant des difficultés face aux apprentissages, mesures dintégration pour les enfants allophones, etc.) pour mieux prendre en compte les problèmes délèves confrontés à léchec scolaire. Certains enseignants craignent - en partie à raison - que face aux difficultés conjoncturelles actuelles, lorientation vers lautonomie locale amène lEtat à renvoyer aux communes la responsabilité dassumer les frais de maintien de ces mesures spéciales.
La peur dun contrôle social densifié et de phénomènes dexclusion
Tant la professionnalisation que lautonomie partielle engagent les équipes pédagogiques à négocier des accords, à expliciter des projets communs, à développer leur culture de coopération. Dans certains cas, le pouvoir organisateur admet même le principe de la cooptation. Au regard de la culture individualiste qui prévaut encore largement dans linterprétation du cahier des charges de lenseignant, cette évolution implique une augmentation du contrôle social au sein des équipes. La plupart des enseignants nont pas une grande confiance dans leur propre capacité de mettre en place une culture équitable de la communication et de la gestion des conflits, de parvenir à un bon équilibre entre exigences de consensus collectif et besoin de liberté individuelle. En outre, il existe une certaine crainte que les tensions insurmontables au sein des équipes conflictualisent le tissu relationnel, amènent à mettre à lécart toute personne exprimant un avis contraire, voire produisent des phénomènes dexclusion de toutes sortes.
Problèmes perçus par les chefs détablissement
Un certain nombre de chefs détablissement donnent limpression davoir tellement intériorisé leur statut et par conséquent lopinion de leur environnement politique, quils avancent les mêmes questions défensives que celui-ci : quel coût, quelles nuisances, quels risques, quels recours possibles ? Sajoute une certaine peur de la perte de contrôle, face à la diversification inévitable de modes de faire. Il est parfois difficile de cerner à quel niveau ces soucis se situent : la blessure narcissique, le sentiment dêtre dépouillé dun pouvoir de prise de décision, la peur de perdre le pouvoir ? la volonté de maintenir le niveau de qualité, la panique quant à la surcharge provoquée par une augmentation de demandes dinterventions lors de recours, de désaccords, ou en cas de pannes ?
Outre ces soucis dordre général, la plupart des chefs détablissement formulent les préoccupations suivantes.
Le souci de la coordination entre les écoles
En jouant la carte de lautonomie partielle et par conséquent de la diversité des écoles, peut-on encore assurer une cohérence minimale, de sorte que tout ne parte pas dans tous les sens ? Quelles sont les garanties pour que les élèves, lors dun déménagement, ne se trouvent pas complètement désorientés ? Pourra-t-on encore donner des garanties de justice sociale, notamment en cas de plaintes déposées par des parents qui pensent que leur enfant a été désavantagé ? Pourra-t-on encore parler dune égalité des chances ?
Le souci dune procédure décisionnelle responsable
Les chefs détablissement connaissent bien les dynamiques qui se développent entre enseignants, les difficultés que ceux-ci rencontrent pour parvenir à une culture commune basée sur des valeurs partagées. Ils connaissent le problème des rivalités entre disciplines, des égoïsmes individuels et des conflits idéologiques de toutes sortes. Ils savent que, dans un établissement en quête dautonomie, les conflits, inévitables, porteront sur la façon denseigner, sur les problèmes dévaluation des élèves, sur la valeur accordée aux diverses disciplines, sur la mise en cause dun certain nombre dhabitudes et de privilèges personnels, en fin de compte, sur le droit de la personne.
Lorsque les établissements peuvent eux-mêmes définir les cahiers des charges et les priorités de développement, se pose dès lors le problème de savoir comment les empêcher dadopter de mauvaises décisions, de pencher vers les solutions les plus " commodes ".
Le souci du maintien dune répartition équitable des ressources
Tant la professionnalisation que lautonomie partielle amènent les divers acteurs à remettre en question la répartition habituelle des ressources, à faire le bilan de léquilibre entre effets visés et moyens investis. Confrontés à une telle perspective, comment éviter que les établissements entrent dans une dynamique perverse de compétition avec les autres, pour obtenir la plus grande partie du gâteau des ressources ? Comment mettre en place une logique de concertation et darbitrage, qui favorise la transparence entre les intéressés, et une répartition des ressources et des contraintes qui tienne compte des conditions du terrain plus que des règles bureaucratiques ? Comment amener ses collègues, chefs détablissement et enseignants confondus, à adopter cette vision et à développer cette attitude, à instaurer une confiance mutuelle ?
Le souci identitaire
Au sein dun établissement dans lequel les enseignants ont développé une véritable culture de coopération, sont capables de résoudre des problèmes de manière efficace et ont mis en place un dispositif de réflexion continue sur ses pratiques, quelle serait la position du chef détablissement ? Sera-t-elle purement administrative ? Se contentera-t-il dun rôle de chef dorchestre voire de gentil animateur ? Sinvestira-t-il dun rôle de " go-between " entre les autorités et léquipe pédagogique, pour enlever les grains de sable, pour assurer les petites régulations indispensables, pour défendre les intérêts sur le plan local ? Assurera-t-il le rôle dun pompier de service, pour régler les petits problèmes de la vie courante, pour faire de la représentation auprès des partenaires externes ? Ou, alors, remplira-t-il un rôle de visionnaire permanent, ou de garant de léthique ?
En admettant que la professionnalisation du métier denseignant, tout comme lautonomie partielle des établissements scolaires, seront les chantiers essentiels, la question essentielle est la suivante : de quelle manière les chefs détablissements peuvent-ils contribuer à ces changements ?
Diriger un établissement devient un autre métier si les enseignants évoluent dans le sens de la professionnalisation, de lanalyse continue de leurs pratiques, dune solide formation continue ; sils refusent les activités routinières, mécaniques ou répétitives ; sils se donnent une organisation forte et construisent une grande cohésion interne.
Sesquisse alors un profil très différent de celui du chef qui doit constamment susciter, aplanir, encourager, pousser à entreprendre pour que quelque chose bouge. Et qui ne le fait que sil a beaucoup dénergie, sil est résolument orienté vers la promotion du changement, sil accepte de se heurter aux pesanteurs et aux résistances, sil vise le développement et la valorisation du travail déquipe comme source de professionnalisation, sil se centre sur la régulation des processus de changement, sur la recherche de cohérence et de synthèse, sil incite son corps enseignant à concevoir un projet collectif original. Les chefs détablissement qui travaillent dans ce sens, réussissent à redonner du sens à une série de comportements connus, mais qui, vus sous langle de la professionnalisation, prennent une signification nouvelle, reçoivent plus de force et parviennent en fin de compte " à faire la différence " :
Amener la communauté-établissement à se mettre daccord sur quelques idées directrices
Il est nécessaire de veiller à un accord sur quelques idées directrices et objectifs de développement qui engagent toutes les parties. Ce type de démarche amène les acteurs à construire des représentations communes, à expliciter une série de valeurs partagées, à mettre en relation les objectifs de développement à long terme et les actions entreprises à moyen et court terme. Le rôle du chef détablissement est primordial, dans la mesure où il veille à organiser ce type déchanges, où il favorise les prises de décision nécessaires, où il pousse vers une définition des rôles et des tâches, où il orchestre et vérifie la mise en oeuvre des actions convenues et pousse à les faire évaluer.
Susciter, encourager et développer le travail déquipe comme source de professionnalisation
Divers auteurs (Hargreaves, 1992 ; Katzenbach & Smith, 1993 ; Staessens 1991 ; Gather Thurler, 1996) ont montré la difficulté quéprouvent les enseignants à coopérer de manière véritablement efficace au sein de leur établissement. Un des défis pour les chefs détablissement consiste à favoriser une culture de coopération adaptée aux besoins et " vivable ", acceptable, pour les uns et les autres. Cela exige un diagnostic très fin des conditions de départ. Et, également, la mise en place doccasions qui permettent aux enseignants de faire lexpérience que coopérer peut être une expérience constructive, quils peuvent en tirer des bénéfices. Cela demande suffisamment de doigté pour savoir " faire du forcing " lorsque cest nécessaire, pour passer par des liens informels pour diminuer les résistances, pour faire appel à des intervenants externes lorsque les relations senveniment, pour " donner du mou ", pour laisser du temps au temps, lorsque cest nécessaire.
Favoriser la pratique réfléchie
La professionnalisation passe par une reconstruction de lidentité des enseignants et de limage quils se font de leur pratique. Selon Perrenoud (1994 c), il est important de les aider à dépasser le " nombrilisme coopératif " (Gather Thurler, 1996), le sentiment fréquent dêtre " persécutés " (Ranjard, 1984), dêtre impuissants ou indifférents face aux forces et événements externes. Il est important quils puissent être amenés à " produire leur profession " (Novõa, 1991), à assumer la complexité dune praxis et dun métier " impossible " (Cifali, 1986), quils entrent dans le " scénario pour un métier nouveau " que propose Meirieu (1989 b), quils développent le " savoir-analyser " identifié par Altet (1994). La " pratique réfléchie " au sens de Schön (1983, 1987), voire une " démarche dexploration " continue au sens dAltrichter et Posch (1990), permet de développer lanalyse et la compréhension des dynamiques en cours. Elle favorise la transparence des processus, des réussites et des difficultés, met en évidence les conditions du succès ou de léchec des démarches entreprises. Favoriser une telle démarche contribue à créer un climat non culpabilisant et centré sur la recherche continue de solutions, sur le développement, sur lamélioration des processus et sur laptitude dapprendre.
Organiser des lieux où les problèmes aigus peuvent être exprimés
Dans la recherche defficacité et lorientation vers le développement, il sagit de ne pas de perdre de vue que les enseignants peuvent rencontrer des problèmes graves face à certains élèves, face à des incompatibilités au sein de léquipe, face au rythme soutenu exigé et qui leur crée par exemple des tensions dans leur vie de famille. Il est important de ne pas banaliser de tels problèmes, de les prendre au sérieux, dy réagir de manière adéquate sans pour autant organiser des psychodrames permanents. Il appartiendra au chef détablissement de créer les structures pour que les enseignants confrontés à un problème aient un accès rapide et presque de " plain-pied " à des entretiens, à des échanges en petit ou en grand groupe, pour éviter que le problème devienne une crise.
Aménager des structures de travail fonctionnelles
La plupart des établissements sont encore aujourdhui caractérisés par un vif individualisme, des alliances ponctuelles, " balkanisées " (Gather Thurler, 1994b) et une culture de réunion réduite et stéréotypée. Lorsque les groupes de travail sorganisent, leurs membres ne connaissent souvent pas les règles de base de lanimation dune démarche orientée vers lefficacité. On se perd dans des tâches administratives, plutôt que dexploiter les ressources et les compétences des uns et des autres. On na que rarement recours aux techniques danimation qui favorisent une analyse efficace des problèmes existants et la production de solutions créatives et novatrices.
Il est important que le chef détablissement veille à la mise en place dune organisation souple et fonctionnelle, permettant davoir recours à un large éventail de formes et techniques de travail individuel et collectif, pour la planification de lenseignement, pour la conception et lexécution de projets denseignement et de développement des pratiques, pour le travail auprès des parents délèves et du public, pour la formation continue.
Veiller au maintien du cap fixé
Souvent, les équipes pédagogiques parviennent très bien à définir des objectifs communs, à convenir dune méthode de travail, à se distribuer les rôles et les tâches respectives, mais senlisent en cours de route, parce quil leur manque un " Surmoi externe ". Le chef détablissement peut leur offrir cette force de soutien qui les oblige à ne pas reculer devant les obstacles, à garder le cap, à ne pas déclarer forfait, à sengager jusquà la réalisation et à lévaluation des effets produits. Il sagit pour lui de veiller à la mise en oeuvre des décisions prises, déviter quelles ne soient évacuées ou soumises à des renégociations continuelles à la première occasion, que lon tire des conclusions hâtives face à des événements isolés. Et le cas échéant, de suggérer les régulations nécessaires pour assurer les ajustements indispensables. Il sagit en somme de créer un climat de confiance, dacceptation de la complexité, dune certaine opiniâtreté, dadaptation face aux difficultés inévitables.
Aménager la culture dévaluation et de feedback
Un des grands enjeux liés à la professionnalisation des enseignants consistera, dans les années à venir, à relier - dans les têtes et dans les faits - gain dautonomie et obligation de rendre des comptes. En effet, il nest pas concevable quun corps professionnel, au sein dun système public, puisse accéder au niveau dauto-gestion et dindépendance souhaité, sans rendre compte régulièrement des progrès accomplis, des résultats obtenus et des régulations introduites pour dépasser les difficultés observées. Il nest pas concevable non plus que ce corps professionnel ne reçoive de lautorité dont il dépend, aucun feedback concernant ses choix éducatifs, ladéquation des pratiques en cours, lutilité des mesures prises et lefficacité de leur mise en oeuvre.
Le chef détablissement sera confronté à de fortes réticences par rapport à toute tentative dévaluation - tant interne quexterne - pour mettre en place une véritable culture dévaluation formative, orientée vers le développement des pratiques et la recherche de qualité. Son rôle dans la mise en place dune telle culture est pourtant évident : il sagit de construire une confiance interne suffisamment solide pour affronter, voire pour chercher activement les mises en question, pour éviter que toute tentative dévaluation soit vécue comme menaçante et déclenche aussitôt les mécanismes de défense et les tricheries connues.
Développer un leadership coopératif
Le concept de " leadership coopératif " nest pas une simple recette pour faciliter linteraction entre collègues, mais un cadre de référence, qui sinscrit dans les recherches actuelles sur les cultures de coopération. (Hargreaves, 1992). Le leadership coopératif accorde aux chefs détablissement un rôle central de transformation culturelle. Ils sont ainsi amenés à :
Le leadership coopératif nest cependant pas conçu en termes de responsabilité unilatérale. Il ne délègue pas la charge du développement au chef détablissement uniquement, mais au contraire, analyse lautorité en termes de réciprocité, de responsabilité partagée, négociée (Perrin, 1991). Or, celle-ci ne se développe pas dabord par des pressions exercées par la politique éducative (et sociale), ni par des calculs savants et rationnels des chefs détablissement, de la direction générale, des formateurs. Elle se développe, au contraire, grâce à un certain nombre de démarches, visant à :
En fin de compte, on cherche à dépasser lapproche bureaucratique traditionnelle qui repose sur lhypothèse quun contrôle serré exercé sur les enseignants qui " sont à la fois le problème, la solution et le bouc émissaire " est le seul moyen pour introduire le renouveau. On vise au contraire à " mieux profiter des potentiels existants " en suscitant lengagement, lintérêt, la participation et lappropriation par les enseignants du processus de développement. (Gather Thurler, 1993b).
Viser lauto-détermination des acteurs
Divers chercheurs (Rolff, 1993 ; Edelstein, 1995 et al.) insistent sur limportance, pour les acteurs concernés - les élèves, les enseignants, les parents - davoir un sentiment demprise sur leur destin. Cela nest possible que si on leur accorde une certaine auto-détermination, pour quils puissent construire le sens du changement quon leur demande. Sans cette construction de sens, les effets de stress et les impressions subjectives de surcharge augmentent très rapidement et paralysent les démarches entreprises, provoquent des tensions, des résistances et la défection.
Il est important que les divers acteurs au sein de létablissement aient loccasion de prendre la mesure des avantages et des enjeux dun engagement collectif dans la maîtrise des problèmes liés à leur profession, dans le sens quon donne en anglais à " empowerment " (Olson, Butler & Olson, 1991), grâce à une évaluation sérieuse des fonctionnements et dysfonctionnements, des besoins et des voies prioritaires de développement.
A cette conditions, les enseignants professionnels perçoivent leur lieu de travail comme un centre dinitiative et daction, un " foyer de changement ", au lieu de le vivre comme cible de réformes venues den haut ; ils le perçoivent comme un lieu de recherche et de développement, comme un terrain dexpériences et dobservation plutôt quun endroit de production à la chaîne.
Dans ce sens, lauto-détermination des enseignants - là où elle va de pair avec une véritable quête damélioration des pratiques et de la qualité de lenseignement - devient un levier important pour dépasser limmobilisme et la recherche de confort, mais aussi le risque de déresponsabilisation et de prolétarisation (Perrenoud, 1994a) qui guette le métier denseignant dans les systèmes bureaucratiques. Block écrit :
" Au niveau le plus bas, lennemi du système à performance élevée se trouve être le sentiment dimpuissance que tant de personnes ressentent dans les organisations bureaucratiques. Laspect central du schéma de pensée bureaucratique consiste à ne pas prendre la responsabilité des événements. Le problème, ce sont les autres . Revenir à une attitude desprit différente veut dire quil faut affronter la signification dune prise dautonomie. Mais réaliser son autonomie dans une culture qui favorise la dépendance est une entreprise en soi " (Block, 1987, pp. 1-6).
Il revient dès lors au chef détablissement de créer les conditions nécessaires pour permettre une telle évolution. Les diverses démarches qui viennent dêtre évoquées ci-dessus en font évidemment partie. Mais ils sajoutent deux éléments importants : premièrement, les chefs détablissement doivent être intimement convaincus de la valeur de cette orientation, pour ne pas la vivre comme une perte de pouvoir et de statut. Deuxièmement, il est important quils se donnent les instruments pour la mettre en place et pour amener les enseignants à prendre conscience de limportance de lopération engagée, de leurs responsabilités et des nouvelles règles de jeu quune telle évolution implique.
Chercher et assurer la cohérence
Le modèle traditionnel de la gestion des systèmes scolaires et, par conséquent, des établissements, avait recours à une réglementation relativement serrée, au contrôle externe et formel, voire à une série de rituels institués avec le temps, pour assurer une certaine cohérence de facto. Si ce type de cohérence devenait souvent assez factice, elle avait au moins le mérite de donner une forme de tranquillité aux divers partenaires - qui avaient limpression que les responsables avaient le système " bien en main ".
Les modèles actuels sorientent, comme nous lavons vu ci-dessus, vers la diversité, une forte répartition des tâches et des rôles, des formes de coopération multiples en fonction des objectifs visés, le leadership coopératif et les diverses démarches dauto-gestion et dauto-détermination. Doù limportance que les chefs détablissement sefforcent de garantir la cohérence, en coordonnant les efforts investis, en mettant en synergie les tentatives innovatrices des uns et des autres, enfin, en amenant les enseignants à développer une attitude constructive face aux droits et aux obligations qui font partie dune culture professionnelle.
En 1994, Perrenoud sinterrogeait si au bout du chemin, on pourrait se passer de cadres et y répondait aussitôt par la négative, en proposant des alternatives :
" certainement pas, du moins si les professionnels de lenseignement restent salariés dune organisation, et en particulier dune administration publique. De même que les médecins rattachés à un hôpital dépendent dune hiérarchie, les enseignants ne seront pas " à leur compte ". Mais on peut imaginer que la nature de lencadrement changera du tout au tout, allant de plus en plus nettement dans le sens dune coordination des tâches des uns et des autres, de lanimation des circonscriptions et des établissements scolaires dans le sens de linnovation permanente, de la formation continue, de lauto-évaluation, de la régulation, de la capacité dapprentissage de chacun et de lorganisation elle-même. " (Perrenoud, 1994a)
Le même auteur mettait en garde, à la fois contre un optimisme démesuré et contre un attentisme tout aussi irréaliste, soulignant quil sagit dune formule de transition, voire de transformation, que la professionnalisation fera évoluer vers un partage progressif à la fois du pouvoir et de la responsabilité, essentiellement orienté vers la transformation du système.
Dans cette perspective dun leadership innovateur, Leightwood, Begley & Cousins (1994) insistent sur les compétences et les attitudes des futurs chefs détablissement, en tant que promoteurs - ou leaders - du changement. Claude Quirion (1994) à son tour propose de placer sur un graphique le savoir-faire sur lun des axes et le savoir-dire sur lautre, pour distinguer le leader promoteur des trois autres types de leaders : girouettes, amorphes, missionnaires..
Source : Claude Quirion, 1994
Selon Quirion, les amorphes ne disent rien et ne font rien : ils sarrangent pour passer inaperçus ; ils exploitent le système ; ils ne défendent aucune position ou croyance ; ils se sont pas capables de se motiver face à un objectif ou à un projet.
Les girouettes parlent beaucoup, mais ne font rien : ils exploitent la crédibilité des gens ; ils penchent continuellement du côté du pouvoir ; ils ne font pas de vagues, ne blessent personne ; ils adoptent une attitude défensive à légard de la critique ; ils doivent être encadrés continuellement.
Les missionnaires ne disent rien, mais font beaucoup (trop ? !) de choses ; ils sont très motivés au travail ; ils ne veulent pas se mettre en avant ; ils ne désirent pas influencer les orientations ; ils poursuivent une vision en solitaire ; ils perçoivent le travail comme une valeur en soi ; ils sont très sensibles à la critique.
Les promoteurs disent et font beaucoup de choses : ils sont très motivés au travail ; ils aiment partager leurs expériences ; ils agissent sans fausse pudeur ; ils sont francs et transparents ; ils poursuivent une vision quils partagent avec leur équipe avec ténacité ; ils sont innovateurs.
On retrouve ici une série des caractéristiques que nous avions déjà évoquées précédemment. On les retrouve également, légèrement modifiées, dans la liste de facteurs que Quirion (1994) appelle les " facteurs favorisant lémergence de la mobilisation ". Nous avons regroupé ces facteurs dans la figure 2 ci-dessous, intitulée " les 9 P de la mobilisation " : chacun des facteurs, en effet, commence par un " P ".
Fig. 2 : Les 9 P de la mobilisation
Face à cette fleur à 9 pétales, on peut se lamenter face à la complexité de la tâche. On peut également redéfinir le leadership centré sur les " transformations " en termes de : " travailler plus intelligemment au lieu de travailler plus dur ". Ce serait certainement une des voies royales qui mènera vers la professionnalisation du métier de chef détablissement.
Face à lévolution esquissée, on peut se poser la question du rôle des associations des chefs détablissement, de leur participation active à la dynamique en cours, de leur volonté et capacité de susciter et daccompagner le changement. Parmi les actions possibles, jen entrevois un certain nombre, quil faudrait évidemment examiner, compléter, redéfinir en fonction des priorités des uns et des autres :
Altet, M. (1994) La formation professionnelle des enseignants. Paris : P.U.F.
Altrichter, H. & Posch, P. (1990) Lehrer erforschen ihren Unterricht. Bad Heilbrunn : Klinkhardt.
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Block, P. (1987) The empowered manager. San Francisco : Jossey-Bass.
Bonami, M., de Hennin, B., Boqué, J.-M. & Legrand, J.-J. (1993) Management des Systèmes complexes. Pensée systémique et intervention dans les organisations. Bruxelles : De Boeck.
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Cuban, L. (1984) Transforming the frog into a prince : effective schools research, policy and practice at the district level, Harvard Educational Review, 54, 2.
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