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Rénovation de l’enseignement primaire
Groupe de recherche et d’innovation en collaboration avec le groupe inter-projets
Dossier de réflexion à l'intention du groupe de pilotage de la rénovation et des écoles en innovation


 

Mieux gérer la progression des élèves
sur plusieurs années

 

 Genève

 Juin 1997

 


Ont collaboré à la conception et à la rédaction de ce dossier :

Mesdames : M. Alpstaeg, S. Bonaiti-Dugerdil, B. Brauchli, J. Cattaneo, C. Donati, C. Fleury, S. Giamboni, B. Gros, C. Jeannet, A. Sprüngli,

F. Wandfluh, M. Wolff,
et Messieurs : B. Riedweg, J-M. Hohl, R. Pasquier, B. Sommer,
J. Vellas,
coordinatrices et coordinateurs des écoles en innovation

Mesdames : D. Bayard, S. Dupuy, D. Jeanrenaud, E. Probst, M. Rudolph,
et Messieurs : J. Buquet, G. Kuhfuss, J-L. Métroz, J-M. Nicod, A. Piguet, H. Schaerer,inspectrices et inspecteurs des écoles en innovation

Madame F. Jaquemet et Monsieur M. Dandelot,
collaboratrice et collaborateur de la division spécialisée

Mesdames : G. Pugin K. Ribaux,
et Messieurs : J-P. Bugnon, C. Küng, A. Pasquier,
formatrices et formateurs dans les services didactiques et de pédagogie générale de l’enseignement primaire

Tous les enseignants des écoles en innovation

Mesdames : M-A. Barthassat, C. Clément, N. Leu,
et Messieurs : E. Baeriswyl, J. Sottini, A. Vieke,
collaboratrices et collaborateurs du groupe de recherche
et d’innovation

Madame A. Mura,
secrétaire du groupe de recherche et d’innovation

Madame M. Gather Thurler,
coordinatrice pour la recherche et l’innovation

Les personnes mentionnées ici sont celles qui ont été directement impliquées dans le dossier par l’intermédiaire du GIP. Dans la partie " réactions ", les différents partenaires ont été libres de rédiger leurs commentaires avec leurs collègues au sein des différents services ou corps inspectoraux.

 


Avant-propos

Introduction Partie I : La progression en neuf thèses

Thèse Nº 1 : Représentations
Thèse Nº 2 : Réussite pour tous les élèves
Thèse Nº 3 : Temps et rythme d’apprentissage
Thèse Nº 4 : Organisation scolaire
Thèse Nº 5 : Regroupements d’élèves
Thèse Nº 6 : Savoirs et sens
Thèse Nº 7 : Evaluation
Thèse Nº 8 : Responsabilité collective
Thèse Nº 9 : Formation
Tableau récapitulatif des thèses

Partie II : Points de vue des partenaires du GIP

Commentaire des coordinateurs
Commentaire des inspecteurs des écoles en innovation
Commentaire des inspecteurs de la division spécialisée
Commentaire des formateurs

Glossaire

Lectures pour aller plus loin

 

 


 

Avant-propos

 

Le présent dossier, " Mieux gérer la progression des élèves ", représente le résultat d’une exploration entreprise au sein du groupe inter-projets d’octobre 1996 à mars 1997. Il sera complété par d’autres dossiers qui porteront sur des problématiques complémentaires :

  Le choix de ce premier champ d’exploration est dû à plusieurs raisons :

 Le groupe de recherche et d’innovation espère, à travers ce dossier, contribuer à l’avancement de la réflexion et à la mise en évidence des besoins de formation sur le terrain.

 

Introduction Partie I: La progression en neuf thèses

Les principaux traits de l’organisation scolaire actuelle, à savoir les groupes-classes et le découpage du programme et des moyens d’enseignement par degrés annuels, se sont stabilisés au siècle dernier et ne sont pas liés indissolublement à l’idée même d’école. Pourtant, nous trouvons cette organisation tellement " évidente " que nous avons du mal à imaginer pouvoir faire autrement.

 Différencier et découper les apprentissages dans le temps

 Une des conséquences de cette organisation scolaire est de définir une progression normale dans les études et de traiter les élèves auxquels cette norme ne convient pas comme des exceptions, aussi nombreuses soient-elles :

  • soit pour les autoriser à sauter un degré, à gagner un an, à la faveur d’une dispense simple ou d’une dispense avec examen ;
  • L’une des illusions les plus tenaces consiste à croire qu’il suffit de laisser davantage de temps aux élèves en difficulté pour leur permettre d’atteindre les objectifs fixés, et de permettre aux plus rapides d’accomplir leur scolarité en un an de moins. La dispense d’âge ne suffit pas à répondre aux besoins des élèves les plus rapides. Quant au redoublement, grand nombre d’études sur l’échec scolaire nous montrent qu’en tant que répétition d’une année entière et identique à la précédente, il n’est efficace qu’exceptionnellement, alors qu’il produit des effets négatifs sans commune mesure avec les bénéfices escomptés. Du fait de cette double illusion, certains élèves sont décalés tout au long de leur scolarité, en avance ou en retard par rapport à leur âge. Leur niveau de développement et d’acquisition les situe " entre deux degrés " dans certains domaines, ou dans des degrés différents selon les disciplines, voire tout à fait hors de la logique des degrés.

    Une autre illusion qui sous-tend l’organisation scolaire actuelle, nourrie par certaines théories du développement et de l’apprentissage, est une vision " linéaire " des apprentissages. Or, de fait, nombre d’élèves avancent dans leur parcours de formation sans respecter strictement les paliers et les chronologies inhérents aux programmes annuels.

    L’enjeu est aujourd’hui de diversifier les échéances, les cheminements et les modes de progression, plutôt que de persister à vouloir faire entrer chaque élève dans un unique schéma de progression, modulé seulement par des redoublements ou des dispenses. Les difficultés de la tâche risquent constamment de nous ramener à la tentation de prendre le temps comme unique révélateur de succès ou d’échec au sein des apprentissages.

    Que faire d’un élève qui sait lire à son entrée en division élémentaire, ou d’un élève qui, en 3e primaire, termine toujours avant les autres, qui a tout vu, tout lu et qui s’ennuie visiblement à longueur de journée ? Ce type d’élève est-il en train de réussir sa carrière scolaire ? Faut-il prendre des mesures énergiques, lui faire sauter un ou deux degrés, ou l’" occuper intelligemment " en attendant de voir ?

    Ou encore, que faire d’un élève qui échoue aux diverses épreuves partielles, mais qui réussit plus ou moins bien les épreuves finales, de l’élève qui ne s’intéresse qu’à certains aspects du programme sans se préoccuper des autres ? Faut-il le pénaliser, ou tenir compte de son style personnel et le valoriser, le laisser progresser avec les autres ? Comment résister aux pressions et sollicitations des parents, des collègues, des autorités ? Et, enfin, comment savoir, en tant qu’enseignant , que la décision prise aujourd’hui ne se retournera pas contre l’enfant dans quelque temps ? Gérer autrement les progressions, c’est se poser toutes ces questions !

    Attentisme ou acharnement ?

    Confronté à l’élève qui n’apprend apparemment pas, l’enseignant se trouve mis devant un choix difficile. Faut-il " laisser aller ", modifier l’objectif ou abaisser ses exigences, accepter un détour pour accélérer ensuite ? Ou au contraire la solution la plus adéquate ne consiste-t-elle pas tout simplement à soumettre l’élève à une discipline draconienne du genre " Si on veut, on peut ", à l’entourer d’une sollicitude infinie qui viendrait à bout de ses résistances, à utiliser alternativement la coercition et la séduction pour parvenir à ses fins ?

    Mieux gérer les progressions sur plusieurs années élargit ce dilemme et crée une nouvelle tentation : " laisser du temps au temps ", se dire que ce qui n’est pas acquis aujourd’hui le sera demain et laisser vivre les élèves en espérant que, tôt ou tard, les choses s’arrangeront d’elles-mêmes. Aller vers des cycles d’apprentissage de plusieurs années ne consiste pas à attendre sans rien faire. Meirieu (1995) l’a dit très fermement lors du premier Forum de l’enseignement primaire " Les différences, je ne les respecte pas, j’en tiens compte ". Tenir compte du rythme sans renoncer à tendre vers les acquisitions est une voie difficile, en pratique. Elle oblige à être plus au clair sur les maîtrises qu’on peut raisonnablement attendre à tel âge ou après telle séquence d’enseignement-apprentissage. Cela amène à s’interroger à la fois sur le rapport au temps et sur la construction des savoirs dans le temps.

    S’il est vrai que la voie médiane se trouve certainement entre l’attentisme laxiste et l’acharnement malsain, n’oublions pas que l’enseignant n’est pas confronté à un seul élève, qu’il doit donc chercher cette voie, peut-être différente pour chacun. Rien n’assure en outre que, pour un élève donné, l’optimum soit stable. Selon les phases et les événements de la vie, les processus de maturation et de développement, les disciplines, peut-être faut-il alterner " savamment " les registres extrêmes, passer d’une forte pression destinée à mobiliser l’élève à des attentes plus modérées à d’autres périodes.

    La question de l’équilibre se pose donc pour chaque élève, non une fois pour toutes, mais à intervalles plus ou moins rapprochés, qu’il conviendrait d’ailleurs de détecter. Ce n’est pas la fin d’un trimestre qui devrait marquer un éventuel changement de stratégie. Celui-ci s’enracinerait plutôt dans une observation individualisée. Pour gérer des progressions individualisées, les enseignants doivent donc s’orienter en fonction d’un ensemble d’indicateurs complexes pour tenter constamment de prendre les bonnes décisions pour chacun des élèves. Il n’y a guère de certitude en ce domaine : sait-on jamais vraiment quelles décisions et quelles actions ont déclenché tel apprentissage ?

    L’évaluation, même sous forme d’observation formative et continue, ne sera jamais assez précise pour que l’on puisse être certain que tel contexte a permis de faire progresser tel élève, que telle circonstance a contribué à dénouer telle situation difficile ou permis de faire le saut qualitatif tant attendu. Chaque enseignant accumule lentement des savoirs d’expérience, qui restent parfois fragiles, souvent en-deçà de ce qu’il faudrait voir et savoir pour agir constamment à bon escient.

    Exigences et savoirs attendus

     Lorsque la progression est pensée de façon linéaire, avec un palier annuel, il n’est pas difficile de procéder à une évaluation normative, surtout si elle compare les élèves entre eux plutôt que de faire référence à des seuils de maîtrise. Notre système scolaire est largement conditionné par cette forme de pensée qui oblige chaque degré et chaque cycle d’études à s’aligner sur les exigences supposées du suivant, avec à la clé des décisions de promotion/redoublement ou d’orientation dès que les filières se diversifient.

    Ces conceptions des étapes et des manifestations du savoir ont été construites de toutes pièces par des êtres humains, qui ont cependant la mémoire assez courte pour penser que cela va de soi. Repenser la gestion des progressions, c’est s’écarter de ces évidences. Certes, les programmes scolaires sont régulièrement remis en question, allégés, voire réorganisés. Malgré ces tentatives, tant les enseignants que d’autres partenaires pensent et agissent en fonction de croyances et d’exigences largement conditionnées par leur propre passé scolaire.

    Penser la progression des élèves, c’est certainement définir le bagage culturel indispensable, élaguer le superflu et cibler ce qui est significatif en fonction des besoins de chacun. Cela va plus loin : il s’agit de redéfinir les contenus en termes d’objectifs-noyaux et de s’orienter vers une évaluation continue en fonction de ces nouvelles balises. L’important n’est pas de faire un bilan périodique, c’est de cerner la progression les élèves aussi souvent que nécessaire pour la piloter le mieux possible.

    L’évaluation formative tente de parer à ces difficultés. Face aux compétences de haut niveau, les spécialistes ont tenté de développer des méthodes d’évaluation qui permettent de déterminer les niveaux de compétences atteints, de déceler les lacunes et de suggérer les régulations nécessaires. Ne nous leurrons pas, cependant : de multiples études montrent que la fiabilité des outils d’évaluation diminue d’autant plus que la complexité de l’objectif s’accroît.

    Alors qu’il est relativement facile de vérifier si un élève maîtrise un procédé de calcul ou une règle d’accord, il est plus difficile de cerner l’endroit où il se situe dans la construction du nombre ou d’une capacité d’argumentation.

    L’évaluation de compétences est autrement plus difficile que l’évaluation de notions ou de connaissances précises certes nécessaires, mais que les compétences doivent intégrer et mobiliser. Pour piloter les progressions et les apprentissages, de nouvelles compétences professionnelles et de nouveaux outils d’observation et d’évaluation formatives paraissent nécessaires.

    Des changements dans la manière d’enseigner et d’apprendre

    Il n’est possible d’assouplir et différencier les progressions que si l’on change aussi de méthodes de travail, en diversifiant notamment les modes de groupement des élèves : groupes multiâges, groupes de besoin, etc. Ceci n’est pas qu’une question de dispositif global : dans chaque groupe, les modes de faire s’écarteront de plus en plus d’une succession de leçons, la tâche de l’enseignant consistant alors à organiser des situations et à gérer des dispositifs plus qu’à donner un cours à un groupe. Une nouvelle gestion des progressions a donc partie liée avec les nouvelles didactiques (cf. les nouveaux moyens romands d’enseignement des mathématiques 1P-2P actuellement introduits en Suisse Romande), le travail par situations-problèmes, les méthodes actives, les pédagogies constructivistes… On ne peut imaginer d’autres cheminements des apprentissages sans aller vers d’autres modes d’enseignement.

    Neuf thèses pour ordonner le débat

    Poser la question de la gestion de la progression des élèves entraîne donc tous les problèmes évoqués : programmes, objectifs, organisation de la scolarité, évaluation, différenciation, emploi optimal du temps, groupement des élèves, avec les enjeux gestionnaires et didactiques correspondants. Comment ne pas se sentir submergé par cette complexité ? Ce dossier tente, sans la nier, de sérier les problèmes pour organiser la réflexion et le débat.

    Dès la rentrée scolaire, en automne 1996, nous avons procédé à un premier balayage du terrain : recherche bibliographique et lecture des ouvrages qui nous semblaient les plus proches de la problématique ; discussions et échanges au sein du GIP et dans les écoles en innovation ; réflexion sur les difficultés rencontrées dans le travail quotidien sur le terrain ; étude de cas dans le cadre d’une des écoles ; analyse permanente, densification et remise en question des données ainsi produites.

    Au fur et à mesure que nous avancions, nous avons organisé nos données sous forme de thèses que nous avons constamment affinées, reformulées, mises en discussion au sein du GIP et du GRI. Au bout du parcours, nous sommes parvenus à formuler neuf thèses dont la figure ci-dessous évoque les concepts-clés autour desquels elles ont été construites.

    Les thèses en mots-clés

    Prises séparément, ces thèses n’ont pas beaucoup d’intérêt. Bien que chacune d’elles offre un éclairage spécifique, elles ne prennent leur valeur que dans leur interdépendance. A chacun, individuellement et collectivement, de construire les liens adéquats entre les neuf thèses (voir la figure ci-dessous).

    Elles visent avant tout à permettre l’explicitation et la confrontation des représentations : en fin de compte, la manière dont un système scolaire et les enseignants gèrent la progression des élèves dépendra de la manière dont ils la pensent. Libre donc à chacun d’établir des connexions entre telle ou telle d’entre elles.

    Mieux gérer la progression des élèves : 9 thèses

      

     Les structures, les programmes, les règles d’évaluation ne sont que la mise en forme de conceptions de l’apprentissage scolaire et de son organisation sur huit ans à l’échelle d’un établissement ou du système. C’est donc à ce niveau qu’il convient de discuter. Par définition, une thèse est une affirmation qui suscite l’adhésion ou le refus, plus ou moins nuancés. C’est donc un moteur du débat !

    Le contenu du dossier

    Ce dossier est le produit d’une collaboration intensive entre les partenaires du GIP et se compose de plusieurs parties. La première partie, qui développe les neuf thèses, a été rédigée par le GRI sur la base des travaux qui ont été menés durant les mois de novembre 1996 à mars 1997 dans le GIP et dans les écoles en innovation . Chaque thèse comprend un énoncé, un bref commentaire et un bref descriptif de l’état de situation dans les quinze écoles en innovation. A la fin de la première partie se trouve un tableau récapitulatif des neuf thèses.

    Dans la seconde partie, quatre groupes d’acteurs, membres du GIP, expriment leur point de vue : coordinateurs, inspecteurs des écoles en innovation, inspecteurs de la division spécialisée et formateurs des services didactiques et de pédagogie générale. A la fin du dossier se trouvent : un glossaire répertoriant les termes susceptibles d’appeler des clarifications, une liste de lectures pour aller plus loin, ainsi que divers documents produits dans le cadre du travail des écoles et du GRI autour du thème de la progression.

    Une première version de ce dossier a été transmise aux membres du GIP et aux écoles en innovation. Les nombreuses réactions ont été intégrées selon la méthode suivante : 

    Enfin, nous avons ôté toute indication permettant d’identifier les écoles. En effet, l’objectif de cette démarche ne consiste pas à singulariser les écoles, mais à mettre en évidence les avancées réalisées, voire les problèmes rencontrés dans le réseau. L’exception à la règle se trouve dans l’annexe, sous forme de documents élaborés dans une école dont le nom est mentionné. 

    Comment faire de ce dossier un outil de travail

     L’objectif de ce dossier n’est pas de produire un simple " document de plus ". En optant pour la formule des thèses et en invitant les divers partenaires à exprimer leur point de vue, nous avons voulu en faire un véritable document de travail, un élément déclencheur de discussions au sein des écoles, des lieux de formation et de réflexion genevois.

    Le dossier " Mieux gérer la progression des élèves sur plusieurs années " a confronté les membres du GIP à un double défi. D’une part, il a fallu trouver une méthode qui permettait à l’ensemble des partenaires du GIP de travailler sur une thématique commune. D’autre part, il a fallu produire un document offrant au groupe de pilotage la possibilité de prendre connaissance de l’état de la réflexion. La décision de présenter le résultat du travail sous forme de thèses, de formuler les énoncés de manière plutôt affirmative, alors que l’exploration n’est pas terminée, peut surprendre tous ceux qui ne sont pas habitués à cette forme d’argumentation dialectique.

    En optant pour cette démarche, le GRI souhaite contribuer à faire avancer la réflexion et la confrontation d’idées, non seulement dans les écoles en innovation, mais aussi ailleurs. Nous savons tous qu’il n’existe pas de solutions simples aux problèmes complexes auxquels la rénovation s’est attelée. Admettre cette complexité, ne pas l’évacuer, accepter que les uns et les autres aient des avis divers, oser les exprimer et enfin se donner les moyens pour mieux comprendre quels sont les verrous - conceptuels et communicationnels - qui nous empêchent d’avancer, voilà tout un programme !

    Au sein de celui-ci, le dépôt de ce dossier auprès du GPR ne signifie aucunement que le travail soit terminé, au contraire : les réactions tant des coordinateurs, que des inspecteurs et des formateurs montrent qu’il reste encore du chemin à faire pour construire une culture commune autour de concepts comme la progression des élèves, qui se situent pourtant au centre de l’action pédagogique.

    L’appellation " dossier " souligne son caractère provisoire de " chantier ", ouvert et perfectible. En effet, il nous semble qu’il faudra le reprendre, le mettre en question, le compléter, le modifier au fur et à mesure que la rénovation aura permis de changer tant les mentalités que les pratiques.

    Quelle suite ?

    La fin d’une étape permet de s’interroger par rapport à la suite. Dans l’avant-propos, nous avions évoqué quatre autres dossiers qui restent à produire. L’option des thèses qui a été retenue pour ce premier dossier ne le sera peut-être pas pour les prochains.

    Alors que toutes les écoles jugent intéressante l’occasion qui leur a été offerte de se centrer sur une thématique unique, elles demandent pour la suite que leur soit accordé un plus grand choix quant aux thématiques à traiter.

    Dans cet objectif et dans le souci d’une certaine rationalisation, le GIP propose de modifier la procédure pour l’année scolaire 1997/98 de la manière suivante : 

    Merci à tous les partenaires du GIP et aux enseignants dans les écoles en innovation d’avoir joué le jeu et de continuer à progresser avec nous !

     

      


    Partie I 
    La progression en neuf thèses

     

    Thèse Nº 1 : Représentations

     La gestion de la progression des élèves dépend largement des représentations des enseignants quant à leur rôle et leur responsabilité
    dans la réussite de chacun.

     

    Commentaire

    La façon dont l’enseignant se représente ses élèves et les attentes qu’il a à leur égard influencent ses pratiques. Ses idées sur l’échec scolaire, jugé inéluctable ou non, sur la manière d’y remédier, sur les profils des élèves en difficulté, sur ce que devrait être un élève qui progresse bien, sur le pouvoir qu’il a ou non de régler seul toutes les difficultés, sont autant de facteurs qui exerceront une influence sur sa manière d’enseigner.

    Toutes les représentations sont importantes, qu’elles touchent à la notion de temps et de rythme, à l’évaluation, aux structures idéales à mettre en place, à la conception de la réussite de l’élève, ou aux didactiques, contenus et formes d’enseignement.

    La plus grande partie de ces représentations sont profondément inscrites dans le vécu des uns et des autres, dans leur histoire personnelle, dans la raison même pour laquelle ils ont choisi de devenir enseignants. Elles contribuent à la culture scolaire, à la manière dont on pense et on agit dans les écoles, ici à Genève et ailleurs.

    Que faire des divergences qui existent entre les enseignants, dans la totalité des écoles, à des degrés divers ? Tous n’ont pas les mêmes opinions, les mêmes valeurs, les mêmes représentations, à propos de l’enseignement, des apprentissages, des élèves, de la réussite et de l’échec, de la façon de gérer les progressions durant l’année scolaire et durant l’ensemble de la scolarité. Cette diversité est normale, en dépit d’un projet commun. Toutefois, si elle ne diminue pas, comment imaginer la mise en place de dispositifs cohérents à l’échelle d’un cycle d’apprentissage au moins, si possible de l’ensemble des huit ans de scolarité enfantine et primaire ?

    Réorganiser la gestion des progressions n’est par conséquent possible que si l’on prend conscience du fait que l’ensemble du système scolaire et en particulier les normes de gestion du temps et d’organisation du travail ne sont pas immuables, que ce sont des constructions, comme l’échec et la réussite. Tout dépendra de la capacité des acteurs du système - et avant tout des enseignants au sein des équipes pédagogiques - à construire de nouvelles approches.

    Etat de situation

     En ce qui concerne la problématique de la progression, les représentations sont très diverses au sein des écoles. Alors qu’on a tenté, dans une première phase, de résoudre les problèmes par des démarches plutôt activistes (multiples formes de décloisonnements), on observe actuellement une certaine prise de distance, le besoin de mieux définir les objectifs d’abord pour agir ensuite plus sûrement.

    L’impuissance ressentie face aux manques de certains élèves amène parfois à une forme de fatalisme, dans d’autres cas à une attitude du genre " Faisons ce que nous pouvons et cessons de nous acharner ". Lorsque les diverses tentatives de coopération (décloisonnements, échanges de matériel, échanges d’élèves etc.) ne produisent pas les effets attendus, on observe dans certaines écoles un certain repli, soit pour investir le maximum d’énergie dans le travail avec son propre groupe-classe, soit pour éviter que la frustration ne dégénère en agressivité au sein de l’équipe.

    On rencontre aussi une certaine difficulté à poser un regard critique et novateur sur les structures et sur l’organisation du travail : la figure de l’enseignant généraliste semble représenter un invariant. Toute idée qui pourrait suggérer une autre répartition des tâches, une approche qui reconnaîtrait des compétences diverses, rencontre beaucoup de résistances, car elle fait peur et peut notamment laisser craindre une perte d’identité.

    Travailler sur une appréhension globale du thème de la progression a constitué, dans plusieurs équipes, un bon moyen pour prendre en compte la diversité des approches, pour la thématiser, pour la relier aux représentations qu’ont les uns et les autres de la progression des élèves. Réfléchir ensemble sur les pratiques, les analyser et tenter de les modifier amène les équipes pédagogiques à prendre conscience qu’une culture partagée en termes de modèles communs d’apprentissage et d’exigences communes est encore fragile, qu’on fonctionne encore largement dans l’implicite, que les objectifs, les idéaux et les valeurs sont souvent différents, voire contradictoires. Face à la difficulté de parvenir à des critères communs pour évaluer certaines compétences chez les élèves (savoir lire, savoir produire un texte, savoir résoudre un problème, savoir se repérer dans le temps, savoir être autonome…) les écoles en innovation se trouvent confrontées à un défi de taille : accepter de s’engager dans un travail sur les représentations des uns et des autres, en utilisant des entrées diverses, par l’évaluation, la didactique, la réflexion sur le métier d’élève, le questionnement des finalités de l’école, les structures, etc.

     

     Thèse Nº 2 : Réussite pour tous les élèves

     La gestion optimale de la progression passe par la conviction préalable que chaque élève est capable d’atteindre les objectifs minimaux fixés à condition d’individualiser son parcours.

    Commentaire

     Faire atteindre à chaque élève les objectifs minimaux fixés ? Face à ce défi, la partie n’est jamais gagnée d’avance. Certes, la grande majorité des enseignants choisissent et exercent au jour le jour ce métier avec la ferme intention de contribuer à davantage d’équité, à une école plus démocratique, plus humaine, plus efficace. Les premières années d’exercice d’un métier " impossible " leur font prendre conscience que la réalité - et avant tout les élèves eux-mêmes - résistent à leur projet et à leur vision idéale de la profession.

    A la longue, lorsqu’on se heurte aussi régulièrement à sa propre impuissance, on peut finir par baisser les bras, par abaisser ses exigences face aux élèves, face aux finalités de l’école, face à soi-même. Il n’est pas évident d’accepter que les élèves soient tous différents, que l’incertitude et l’urgence fassent partie du quotidien, qu’il soit difficile de savoir quand on a vraiment contribué à faire la différence pour l’évolution de tel ou tel élève, qu’il faille constamment parier sur la réussite des élèves sans pouvoir exiger d’être payé de retour par leur reconnaissance, que certains élèves ne répondent pas aux attentes, quelles que soient les situations proposées.

    Face à cette réalité les enseignants font des choix : s’occuper en priorité des élèves en difficulté en " occupant intelligemment les autres " ; accroître leur maîtrise et leur inventivité didactique pour mieux aider les élèves à surmonter les obstacles inhérents aux processus d’apprentissage ; mieux connaître le lien entre difficultés d’apprentissage et développement cognitif et psychoaffectif, pour mieux comprendre les attitudes des élèves, leur histoire de vie, le sens qu’ils donnent à l’école, pour tenter d’analyser leur rapport au savoir et trouver les moyens de les aider à combler la distance culturelle entre leur famille et l’école.

    La prise en compte de ces différents paramètres contribue, progressivement, à renforcer les enseignants dans la conviction qu’il est utile de proposer des entrées diversifiées aux élèves et de réguler leurs apprentissages en tenant compte de leurs phases d’accélération, de latence et de régression. La double exigence qui consiste à prendre en compte les besoins de chacun des élèves sans pour autant en rabattre face aux objectifs fixés amène à individualiser les parcours des élèves. Les thèses suivantes présenteront les voies permettant d’aller dans ce sens. En amont reste cependant la conviction indispensable que tous les élèves sont capables d’atteindre les objectifs minimaux. C’est cette conviction qui permettra de ne pas lâcher prise, de s’engager dans une recherche incessante et passionnée de nouvelles stratégies.

    Etat de situation

    D’emblée, on peut supposer que l’ensemble des écoles en innovation se sont engagées dans l’exploration intensive parce qu’elles adhèrent au postulat de réussite et à la conviction qui s’y rattache. En creusant, on se rend cependant compte que la notion de réussite n’est pas nécessairement liée aux objectifs minimaux qui, à leur tour, sont par ailleurs interprétés de manière fort diverse. De même, la plupart des écoles ont tenté de faire face à la problématique de la progression en la séparant de la problématique de l’individualisation des parcours. Celle-ci est, de manière générale, perçue comme étant liée au redoublement, respectivement aux dispenses d’âge, davantage qu’à la modulation du parcours des élèves à l’intérieur d’un cycle ou à l’intérieur de sa scolarité primaire.

    On constate ainsi que plusieurs écoles ont abordé la problématique de la progression par le biais des enfants en difficulté, voire en grande difficulté. Sensibles aux différences, les enseignants ne savent pas toujours comment l’intégrer à leur action pédagogique. Plusieurs écoles travaillent dans ce sens par le biais des permanences SMP et de la formation continue. Cela implique pour les enseignants une remise en question de leur propre relation aux savoirs, à la personne de l’élève, à l’environnement, ainsi qu’une réelle capacité et volonté à entrer dans la réflexion.

    Dans toutes les écoles en innovation, les enseignants parviennent sans difficulté à accepter et à prendre en compte les phases d’accélération et de stagnation de leurs élèves, sans pour autant perdre de vue les objectifs minimaux. Il s’avère plus difficile pour eux de comprendre les moments de régression, d’y faire face correctement. Entre l’attitude dramatisante (" Nous nous trouvons de plus en plus confrontés à des enfants qui ne sont pas à leur place à l’école primaire ") et la méthode " Coué " (" On n’a qu’à attendre, il comprendra bien avec le temps qu’il faut qu’il travaille "), il existe bien entendu une palette entière d’attitudes et de manières d’agir très diverses.

    Pour faire les choix en faveur de la progression, il est nécessaire d’intérioriser le pari de la réussite de chaque élève, de faire confiance - à soi-même et aux élèves, de dépasser sa crainte d’aller voir du côté de la théorie pour trouver des réponses aux questions que soulève la pratique. Certaines écoles ont intégré réellement ce pari et mettent tout en oeuvre pour le vivre, en s’attachant à repérer les compétences déjà acquises par les élèves, à développer des dispositifs d’apprentissage mieux à même d’individualiser les parcours des élèves (cycles, assouplissement des degrés, diverses formes de regroupement), à mettre en place des dispositifs de réflexion qui les amènent à mieux comprendre les fondements de certaines attitudes - tant individuelles que collectives - qui se trouvent plus proches de l’exclusion et du rejet que de la recherche d’actions pédagogiques efficaces pour faciliter la réussite.

    Pour d’autres écoles, le postulat de réussite n’est pas encore une priorité déclarée, les objectifs minimaux ne sont pas forcément identiques pour tous et l’individualisation des parcours de formation reste confondue avec le travail individuel en classe.

      

    Thèse Nº 3 : Temps et rythme d’apprentissage

     La progression des élèves se gère dans le cadre d’un cycle d’apprentissage dans lequel les élèves passent en principe le même nombre d’années pour atteindre des objectifs d’apprentissages incontournables.

     

    Commentaire

    Comment atteindre pour tous les élèves la maîtrise du " bagage culturel indispensable " tout en tenant compte des rythmes d’apprentissage des élèves ? Que le rythme d’apprentissage soit une notion intuitive et que la définition précise de ce bagage culturel soit encore floue ne simplifie pas le problème.

    Le travail sur cette question a conduit à ouvrir différents chantiers ambitieux, dont :

    Face à la difficulté de tenir compte du rythme de l’élève, dans un temps limité pour atteindre les mêmes objectifs en fin de scolarité, l’enseignant s’efforce d’offrir des apports didactiques adaptés, travaille intensément sur le sens des apprentissages et diversifie et multiplie les approches. Il tente de différencier son enseignement, d’offrir des explications et de donner des indices supplémentaires, d’adapter la consigne, d’être attentif aux multiples difficultés de compréhension que peuvent rencontrer les élèves selon " l’habillage du problème ", les interférences dues au contexte, à l’humeur et au climat de la classe. Malgré tous ces efforts, il se trouvera toujours confronté aux différences induites par le temps et les rythmes d’apprentissage. Il est important que l’enseignant puisse tenir compte de ces différences qui peuvent se traduire sous forme de temps de latence, de régressions, etc., en faisant confiance à l’élève, en s’organisant pour que le " temps perdu " soit rattrapé à un moment ou l’autre durant le cycle d’apprentissage.

    Pour l’aider à relever ce défi, il paraît nécessaire de déterminer des balises intermédiaires qui jalonnent le parcours de formation et qui lui permettent de vérifier la progression de chacun des élèves. A partir de ces balises, des évaluations régulières et adéquates permettent, tout au long d’un cycle, de s’assurer que les élèves suivent une progression satisfaisante, et de prendre les décisions judicieuses pour la réussite de chaque élève (passage à une autre notion ou compétence ; intégration des difficultés repérées dans une situation-problème ; retour éventuel sur des erreurs constatées, voire décisions infléchissant les parcours, etc.).

    Etat de situation

    Les enseignants des écoles ont développé une très grande sensibilité aux rythmes d’apprentissage et de travail des élèves, ils cherchent réellement à en tenir compte et sont soucieux de ne tomber ni dans l’attentisme ni dans l’acharnement.

    Ils semblent acquis à l’idée de privilégier des compétences de haut niveau eu égard aux objectifs notionnels du " fundamentum ", et en conséquence mettent en place les dispositifs les plus pertinents pour la construction de ces compétences. Une insatisfaction assez générale pointe toutefois quant à l’absence d’objectifs intermédiaires qui permettraient de situer l’élève dans sa progression.

    Dans le cadre de leurs travaux sur le nouveau dossier d’évaluation, certaines écoles ont ainsi été amenées à définir ces objectifs, afin de pouvoir assurer la cohérence entre une progression plus individualisée et les exigences du programme. D’autres écoles préfèrent une approche plus étroitement liée à la progression didactique. Certaines écoles, enfin, élaborent cette problématique en liaison avec leur travail sur des dispositifs d’évaluation qui permettent d’observer la progression des élèves dans le cadre de situations complexes qui les obligent à mettre en évidence leur capacité d’intégrer les divers savoirs et compétences acquis.

    La majorité des écoles ne fonctionnent pas encore dans la logique explicite des cycles d’apprentissage pour gérer le temps et le rythme des apprentissages. Face à la difficulté de saisir la vraie portée des cycles d’apprentissage, face à une certaine pudeur - ou crainte - d’imaginer l’exercice jusqu’au bout, elles préfèrent les approches plus organisationnelles (sous forme de décloisonnements) et didactiques, voire l’approche d’une formation continue dans tel ou tel domaine, en renvoyant la discussion des temps et rythmes à une échéance ultérieure . Une des réticences provient de la peur de voir certains choix provoquer des dérives tendant à l’élitisme ou, au contraire, à des formes déguisées de redoublement.

    En définitive, le caractère flou et peu stabilisé des concepts de rythme, de cycle et d’objectifs-noyaux représente à la fois une chance et une difficulté pour les enseignants : la chance de réinterroger, repenser ses pratiques avec un regard neuf, mais aussi la difficulté de devoir gérer au jour le jour des tensions contradictoires.

     

    Thèse Nº 4 : Organisation scolaire

     Une progression satisfaisante des élèves dans leurs apprentissages passe par la remise en question de l’organisation scolaire actuelle, du découpage de la scolarité par degrés, des échéances et programmes annuels.

     Commentaire

    Depuis bien longtemps, de nombreux enseignants, travaillant en équipe afin d’assurer aux élèves une continuité et une progression efficaces dans les apprentissages, se heurtent notamment au cloisonnement par degrés, aux échéances et aux programmes annuels. En effet, les échéances annuelles, auxquelles sont liées les décisions de promotion-redoublement, sont très rapprochées et trop rigides eu égard aux apprentissages fondamentaux, tels qu’ils sont redéfinis par les objectifs-noyaux. L’organisation par degrés, avec les programmes et le matériel d’enseignement qui leur sont attachés, semble sans doute rationnelle et heureuse du point de vue des planificateurs du système, mais provoque de nombreux problèmes pour les élèves dans leur progression et pour les enseignants dans la gestion des activités d’enseignement-apprentissage.

    La division du travail en degrés ne responsabilise pleinement chaque enseignant que sur une année scolaire, sans l’inciter à développer une vision d’ensemble des huit années de la scolarité primaire, ni à exercer collectivement la gestion des parcours d’élèves. Par ailleurs, les dix mois d’une année scolaire ne permettent pas toujours à l’élève de construire efficacement des compétences complexes, lesquelles s’inscrivent dans un processus d’apprentissage à plus long terme. C’est ainsi que les décisions de promotion qui s’opèrent à la fin de chaque année portent plus volontiers sur des résultats ponctuels concernant des tâches limitées que sur l’acquisition de ces compétences.

    La rupture proposée par la restructuration de la scolarité en cycles d’apprentissage vise à adopter une vision beaucoup plus globale, soucieuse du développement de l’élève sur le long terme, l’autorisant à progresser de manière non linéaire, en fonction d’objectifs-noyaux. Cet élargissement en direction de cycles d’apprentissage va de pair avec une individualisation des parcours de l’élève, lui permettant d’emprunter des chemins d’apprentissage variés dans lesquels il peut exprimer tout son potentiel.

     

    Etat de situation

    Les intentions exprimées dans les projets d’innovation marquent une nette volonté de dépasser le découpage en degrés et de trouver une organisation du temps plus satisfaisante pour les apprentissages. Chaque école a développé une réflexion portant sur le suivi des élèves sur plusieurs années, sans qu’il soit toujours possible de mettre en place de véritables changements de structures.

    Dans les faits, les degrés constituent un système de référence prégnant qui structure les représentations des uns et des autres. À la notion de degrés se trouvent rattachés des objectifs, des activités, du matériel d’enseignement, autant d’éléments qui concourent à la pérennité de ce découpage de la scolarité. Beaucoup d’enseignants y restent attachés, certains se sont spécialisés dans un ou deux degrés et peinent à enseigner dans d’autres. Les limites et les faiblesses d’un découpage par degrés ne sont pas reconnues par l’ensemble des enseignants.

    Les écoles en innovation présentent une grande diversité dans les formes d’organisation, avec différentes conceptions du cycle d’apprentissage, auquel bien souvent viennent se superposer les degrés traditionnels et le maintien des programmes annuels. Ces écoles illustrent l’une des difficultés majeures d’un véritable abandon de l’organisation par degrés, qui réside dans le manque d’objectifs intermédiaires et de matériel adaptés aux cycles d’apprentissage. D’ailleurs, les quelques écoles qui ont effectivement remis en question les degrés pour leur substituer, dans le discours et les faits, la notion de cycle, ont effectué un important travail sur le plan d’études et les didactiques . Les objectifs ont été recomposés, voire réécrits en fonction des cycles. Différents regroupement d’élèves ont été mis en place au service d’objectifs d’apprentissages spécifiques ; ils sont analysés, évalués et modifiés régulièrement.

    Dans certaines écoles, les sensibilités des enseignants des divisions élémentaire et moyenne se sont harmonisées en direction d’une meilleure culture commune. Actuellement, il semble toutefois que les pratiques pédagogiques et les objectifs de la division élémentaire se prêtent plus facilement à une organisation en cycle d’apprentissage que les pratiques et les objectifs de la division moyenne.

      Thèse Nº 5 : Regroupements d’élèves

     Une gestion optimale de la progression des élèves dans leurs apprentissages exige la mise en oeuvre de plusieurs formes de regroupement et de travail.

    Commentaire

    Penser la scolarité en cycles d’apprentissage entraîne assez naturellement une diversification des formes de regroupement des élèves, tant les possibilités se multiplient lorsqu’une équipe prend en charge tous les élèves fréquentant le même cycle d’apprentissage.

    Les regroupements étant des moyens, c’est la référence aux objectifs d’apprentissage (socio-affectifs et cognitifs) et aux besoins des élèves qui fonde prioritairement les choix de regroupements d’élèves.

    L’état des connaissances actuelles ne permet pas d’identifier les structures les plus satisfaisantes en termes de progression des élèves dans leurs apprentissages. Ainsi, le champ d’exploration est vaste entre une démarche intuitive basée sur l’expérience professionnelle et la mise en oeuvre réfléchie de regroupements d’élèves articulés aux cycles d’apprentissage. Dans tous les cas, il s’agit d’assurer la coexistence d’un groupe stable (offrant des points de repère) et d’autres groupes formés selon les besoins. L’intention qui préside à l’alternance de plusieurs formes de regroupements d’élèves vise à une utilisation optimale de toutes les ressources disponibles sur un mode coopératif. En fin de compte, ce sont les élèves qui doivent bénéficier de manière privilégiée des compétences que chaque enseignant offre à la communauté éducative.

    Dans une logique de changement organisationnel, il semble essentiel pour chaque école, de trouver, dans sa dynamique particulière, un juste équilibre entre l’utilisation de pratiques existantes qui donnent satisfaction et l’introduction d’autres formes de regroupements dont il conviendra de vérifier la pertinence.

    Etat de situation

    Toutes les écoles en innovation mettent en place, avec une grande inventivité, de nombreuses formules de regroupements d’élèves, dans l’espoir d’assurer une meilleure réussite de ceux-ci dans leurs apprentissages. Les bénéfices enregistrés pour l’instant portent principalement sur un meilleur approfondissement des contenus disciplinaires, la socialisation des élèves, les interactions mises en oeuvre entre eux, la connaissance d’autres enseignants par les élèves et de plus petits effectifs. Toutefois, il est actuellement plus difficile, par manque de données, de déterminer l’efficacité réelle de tel ou tel dispositif sur les apprentissages effectués par les élèves.

    Penser et mettre sur pied des regroupements d’élèves au service des apprentissages provoque des tensions entre perspectives complémentaires, des problèmes de coordination pour assurer un suivi et une continuité adéquats dans la progression des élèves, ainsi que parfois des résistances chez les enseignants. A tous ces paramètres, vient parfois s’ajouter un phénomène de fatigue de la part des enseignants, dû aux problèmes de gestion induits par certains types de regroupements d’élèves.

    Les écoles en innovation ont développé quatre genres d’approche qui se recoupent et se complètent selon les caractéristiques des écoles :

    1. Maintien d’un découpage par degrés qui regroupent des élèves d’âge identique. Quelques doubles degrés, tout en suggérant l’idée de cycles d’apprentissage, se rapprochent plutôt d’une juxtaposition de degrés différents.

    2. Organisation systématique en classes multiâges, selon des formules plus ou moins compliquées, avec des activités d’enseignement-apprentissage adaptées à la diversité des élèves d’âges différents. Pour l’instant, les classes multiâges les plus hétérogènes regroupent des élèves dont l’écart atteint quatre ans de différence.

    3. Moments de décloisonnements ou de tutorat, intervenant aussi bien dans des écoles ayant conservé des classes monoâge que dans celles pratiquant le multiâge. Les décloisonnements provoquent de nombreuses mises en garde contre des regroupements d’élèves dont les écarts d’âge seraient trop importants.

    4. Mise sur pied de filières, regroupant plusieurs classes, gérés collectivement par le groupe d’enseignants concernés. Ces regroupements possèdent chacun leur propre autonomie quant à la progression des élèves.

     

    Thèse Nº 6 : Savoirs et sens

    Une gestion satisfaisante de la progression des élèves passe par une remise en question des modes d’enseignement et d’apprentissage afin d’accroître le sens des savoirs et du travail scolaire pour l’élève.

     Commentaire

     Redonner du sens aux disciplines scolaires, c’est pouvoir répondre au " pourquoi " d’un apprentissage. Il est essentiel d’inscrire la réponse dans l’histoire de la connaissance, de chercher à savoir comment les hommes ont dépassé des obstacles au cours des siècles. La seule intention que les élèves apprennent ne suffit pas. II s’agit pour l’enseignant de pouvoir faire le lien entre le savoir et les élèves, de manière à ce que ceux-ci saisissent ce qui est à comprendre et s’approprient eux-mêmes la connaissance. Il s’agit en quelque sorte de " tricoter " ce sens avec eux, afin qu’ils participent à son élaboration, tout en acceptant l’idée qu’il peut y avoir plusieurs sens selon les élèves.

    La linéarité des apprentissages induite par les programmes annuels et les plans d’études existants est remise en question par ce que l’on sait du développement cognitif de l’enfant. Sans abandonner les contenus disciplinaires et sans nier leur importance comme instruments d’accès à la connaissance, on s’achemine vers des activités plus larges ou vers des situations-problèmes. L’intérêt de celles-ci est de permettre à tous les élèves d’y trouver une place et des tâches à leur portée. Les contenus scolaires sont repris au cours du cycle par des approches et des mises en situation différentes. Les enseignants ont la difficile mission d’articuler les parcours individualisés au programme-cadre fixé par l’institution et de permettre ainsi à tous les élèves de progresser.

    Nous savons aujourd’hui que les élèves peuvent être confrontés très tôt à des tâches complexes s’ils en comprennent les enjeux et les buts . Une formation durable passe par le sens des choses et non par la seule mémorisation, elle repose sur la reconnaissance des intérêts, des cultures, de l’identité personnelle, des goûts, désirs et besoins de chacun pour la conquête des savoirs et savoir-faire. Elle est en lien avec les vécu et contexte familiaux.

    Etat de situation

    Au sein des équipes, l’idée de telles approches s’installe petit à petit. Pourtant, lorsqu’il s’agit de les intégrer dans le quotidien des pratiques, la plupart des enseignants prétendent manquer de moyens et de compétences. Les conseils de classe gèrent principalement les aspects relationnels, ils intègrent relativement peu l’élaboration de projets et d’activités significatives pour la classe ou l’école. 

    Pour certains enseignants, lier sens et savoir signifie se distancier du GRAP. Les enseignants ont une forte tendance au contrôle, ils ont besoin de vérifier souvent les acquisitions de leurs élèves. Aussi se sécurisent-ils en revenant au découpage morcelé des programmes ou en s’investissant dans l’évaluation. L’usage des objectifs-noyaux de fin de 6P est encore peu actualisé pour le moment et une prise de distance vis-à-vis d’un programme linéaire reste frileuse.

    Il est difficile de mesurer si les écoles en innovation articulent mieux aujourd’hui savoirs et sens. De multiples activités offrent de plus en plus d’intérêt, faisant entrer la vie dans l’école, donnant une place aux familles et à leurs cultures. Si la nécessité d’impliquer activement tous les élèves dans des apprentissages qui ont du sens est une conviction permanente, l’on peut espérer voir diminuer progressivement le nombre des élèves qui résistent aux savoirs (voir étude de cas en annexe).

    Les enseignants des écoles en innovation se sont trouvés confrontés à la nécessité d’expliquer leurs nouvelles pratiques aux parents d’élèves. Ces derniers, s’appuyant sur leur propre vécu et subissant les pressions de la conjoncture, ont de la difficulté à faire confiance et à admettre que les élèves apprennent mieux ainsi, tout en développant des compétences de haut niveau. Les familles attendent à juste titre une certaine efficacité de l’école. Les équipes ont alors tenté de les familiariser avec les objectifs visés et les nouvelles démarches centrées sur la construction du sens, pour qu’ils deviennent petit à petit plus solidaires des projets et des finalités de l’Ecole.

    Certains enseignants se trouvent régulièrement déstabilisés par le regard critique d’autres collègues et la cohésion dans les équipes n’est pas encore solide. Même le message de l’institution, qui demande de rendre compte, reste parfois mal compris. Toutefois, de grands efforts sont faits dans les échanges autour des attentes des uns et des autres et la réflexion sur la progression des élèves a permis d’aborder des non-dits de manière plus détendue. Les enseignants revendiquent du temps, le droit à l’exploration, le besoin de se familiariser avec les nouvelles approches pour installer de nouvelles représentations et de nouveaux repères.

      

    Thèse Nº 7 : Evaluation

     La gestion de la progression des élèves implique un réaménagement des pratiques évaluatives, afin de pouvoir rendre visible et réguler le parcours individuelde chaque élève.

     Commentaire

    La gestion de la progression des élèves dans leurs apprentissages implique à la fois la poursuite d’objectifs à long terme et un suivi régulier de chaque élève afin que celui-ci soit placé, aussi souvent que possible, face à des situations favorables à ses apprentissages. En s’inscrivant dans cette logique, l’évaluation ne dépend plus d’échéances annuelles ou communes à l’ensemble des élèves. Elle n’en reste pas moins indispensable. La prise en compte d’objectifs-noyaux et de balises intermédiaires, en lien avec des situations larges d’apprentissage, ou des modules d’enseignement, la réflexion autour du statut positif de l’erreur et sur les régulations à l’intérieur des situations d’apprentissage, devraient être des éléments indissociables d’une évaluation de la progression.

    Chaque activité d’apprentissage d’une certaine importance donne lieu à un bilan établi en concertation entre enseignant et élève. L’observation de l’élève au travail, ses démarches et stratégies sont prises en compte autant que la production finale. L’auto-évaluation, la co-évaluation sont favorisées tout au long du déroulement des activités d’apprentissage. La centration des activités d’apprentissage sur des situations complexes, l’accent porté sur les compétences de haut niveau mettent en évidence la part de subjectivité inhérente à l’évaluation. Un travail approfondi concernant les didactiques permet d’instrumenter les enseignants. Les clarifications apportées aident alors à amener des régulations plus fines à l’intérieur des activités et entre elles, et un jugement professionnel mieux étayé face aux élèves et aux parents. Le bilan de toute activité répond à plusieurs besoins spécifiques :

    La forme de ces bilans, ainsi que la façon de les regrouper en un tout cohérent, reste encore à définir ou à inventer. On peut l’imaginer sous la forme de portfolios, de brevets et de ceintures (cf. pédagogie Freinet et pédagogie institutionnelle) ou encore de blasons (cf. arbres de connaissances d’Authier et Lévy), etc.

    La façon d’employer ces outils au service de la progression des élèves est également à explorer. Les enseignants dégageront du temps pour conduire des entretiens avec les élèves, pour faire le point et orienter les projets ; ils y associeront ponctuellement les parents. Pour exercer leur responsabilité collective quant à la formation des élèves, les enseignants ne traitent pas tout lors de réunions d’équipe ; ils ont besoin d’outils adéquats (carnet de bord, fiche d’élève, etc.), destinés à faciliter la gestion collective des parcours individuels des élèves. La part de visibilisation pour l’inspecteur et l’institution sont également des points à expliciter. Ces nouvelles perspectives concernant l’évaluation de la progression pourraient faire craindre des dérapages, des dérives vers des exigences trop faibles, ou trop élevées. Des dispositifs tels que l’OPEC (SRED) pourraient fournir aux écoles les informations nécessaires pour réguler leurs attentes vis-à-vis des élèves.

    Etat de situation

    Dans de nombreuses écoles, la réflexion des enseignants s’est d’abord portée vers la transmission de l’évaluation aux parents. Cette première étape est souvent l’occasion d’une réflexion sur les fonctions de l’évaluation, l’adéquation des outils en fonction du destinataire, la nécessité d’impliquer l’élève dans une métaréflexion sur ses apprentissages. Les premiers moyens mis en place pour renseigner les parents fonctionnent et s’affinent. La réflexion qu’ils ont suscitée permet aujourd’hui à de nouvelles écoles, grâce au GIP et à la mise en réseau, de présenter des projets plus élaborés. Les recueils d’évaluation mis sur pied dans plusieurs écoles ont d’abord servi, dans la plupart des cas, à une information trimestrielle des familles. On s’oriente maintenant davantage vers une vision qui couvre plusieurs années, vers un portfolio, outil destiné d’abord à l’enseignant et l’élève, pour rendre visible la progression. De la nécessité de supprimer la note scolaire, d’éviter les redoublements, les enseignants en sont peu à peu venus à penser leur action collective à plus long terme, concrètement. La problématique du " suivi des élèves ", autrement dit de la progression, est très présente aujourd’hui dans de nombreuses écoles.

    La remise en question du redoublement a incité certaines écoles à porter leur réflexion sur les élèves en difficulté. Il était nécessaire d’agir tout au long des apprentissages et de sortir de la logique de la remédiation. Cela a mis en évidence le besoin de mieux connaître ce que fait chacun dans sa classe, de s’enrichir des idées des autres, de trouver plus de cohérence entre les pratiques d’école. Les enseignants cherchent à comprendre ce qui a été fait par ceux qui les ont précédés, de façon à pouvoir proposer de nouvelles pistes aux élèves lorsque les obstacles persistent. Ils ressentent le besoin de transmettre les observations, les constats, de garder la trace des actions entreprises pour ne pas faire " toujours plus du même ". Certaines écoles s’acheminent vers l’élaboration d’outils collectifs (fiche d’élève, tableau de bord, etc.), à disposition d’un groupe d’enseignants, ou même des enseignants et des élèves, destinés à mieux inscrire les nouvelles activités proposées dans une continuité.

    Des carnets de bord, des passeports, à l’usage de l’enseignant et de l’élève, mettant en évidence les objectifs à atteindre, sont utilisés dans plusieurs écoles. Construits autour des objectifs du GRAP, ils doivent être remaniés dans une perspective plus globale, en lien avec les objectifs-noyaux. C’est un pas de plus, que certains hésitent à franchir, par manque de disponibilité et de ressources. Les écoles dans lesquelles a été mené un travail préalable plus approfondi sur les didactiques sont les plus avancées dans l’explicitation des objectifs d’apprentissage (grilles d’évaluation de production de textes, cahiers de réussite..).

     

    Thèse Nº 8 : Responsabilité collective

     La gestion de la progression des élèves exige que l’équipe enseignante assume collectivement la responsabilité de toute décision relative aux parcours des élèves, en concertation avec l’ensemble des partenaires internes et externes à l’école.

    Commentaire

    La gestion collective par l’équipe d’une filière, d’un module, ou de toute forme de regroupements d’élèves, est un garant de sérieux et de cohérence dans les prises de décision qui orienteront la gestion des parcours d’apprentissage des élèves. Loin de déresponsabiliser les enseignants par rapport aux élèves qui leur sont confiés, cette démarche les incite au contraire à expliciter leur vision de la progression, à motiver les décisions ou les directions qu’ils souhaiteraient prendre et à inscrire celles-ci dans l’ensemble du parcours scolaire. Le regard des autres partenaires pourra mettre en lumière des aspects peut-être moins visibles pour eux et les décisions collectives qui s’ensuivront, de par la diversité des points de vue et des éléments pris en compte, n’en auront que plus de valeur.

    Bien entendu, une partie des décisions concernant la progression des élèves continueront à être prises par les enseignants au sein des dispositifs dont il sont responsables, en amont et au cours de la situation d’enseignement-apprentissage proprement dite. Dans la vision de l’organisation du parcours par cycles d’apprentissage, la réflexion et la prise de décision collectives offrent à l’équipe d’enseignants la prise de distance nécessaire et l’incitent à dépasser le modèle du " chacun chez soi ", en l’aidant à constamment recentrer son action pédagogique sur les objectifs à atteindre.

    Certaines autres décisions, plus ponctuelles, sont prises pour les élèves qui progressent plus ou moins rapidement que les autres. L’organisation du parcours de formation sous forme de cycles d’apprentissage amène les enseignants à prendre très régulièrement des décisions qui permettent de prendre en compte ces différences de rythme. L’essentiel est alors de les prendre de manière collective en tenant compte de l’ensemble des paramètres : la progression individuelle de l’enfant, son projet personnel, son insertion sociale et affective dans le groupe, la composition du groupe-classe vers lequel il serait éventuellement orienté, l’avis des autres partenaires, internes et externes.

    Il appartient à l’inspecteur d’évaluer la compétence de l’équipe en matière de gestion de la progression, de la rendre attentive à la nécessité de mettre toute prise de décision en perspective avec l’ensemble du système scolaire (définition des balises et seuils d’exigence, des indicateurs d’efficacité, négociation des besoins et exigences de l’ensemble des partenaires, y compris les parents  et les psychologues) et de suggérer, en cas de besoin, des démarches de formation. Par ailleurs, la concertation collective n’affranchit pas l’équipe de la nécessité d’impliquer l’inspecteur dans toute décision influant sur le parcours des élèves.

    Etat de situation

    La plupart des écoles ont mentionné dans la rédaction de leur projet initial la notion de responsabilité collective face à l’ensemble des élèves. Certaines d’entre elles ont concrétisé son application par la mise sur pied de filières ou de modules.

    Toutefois, on se rend compte que la contradiction entre la gestion en équipe et la tendance des enseignants à l’individualisme reste encore un problème, plus ou moins latent, explicite ou conscient.

    On constate dans plusieurs écoles des difficultés, exprimées par les coordinateurs, autour d’un manque de cohérence et de suivi dans les pratiques, de l’existence de visions divergentes entre les enseignants par rapport à certains thèmes, tels que, par exemple, le redoublement. Dans certaines écoles, ces divergences se concrétisent par la séparation entre " partants " et " non partants ", dans d’autres parfois entre divisions élémentaire et moyenne. Il est vrai néanmoins que la focalisation sur le thème de la progression a provoqué une forme de mobilisation qui a permis de dépasser certains clivages.

    Dans de nombreuses équipes, on regrette un manque d’échanges et une méconnaissance des pratiques des uns et des autres. Même dans les écoles où les équipes fonctionnent bien, on n’est pas à l’abri de ces malentendus, souvent par excès d’implicite et de non-dits autour de valeurs que l’on croit communes à tous.

    Plusieurs écoles ont mis ou sont en train de mettre en place des conseils des maîtres, destinés à gérer collectivement les enfants en difficulté, concrétisant par là une responsabilisation collective, limitée plus particulièrement à une certaine catégorie d’enfants. Il va de soi que participent à cette gestion collective, non seulement les titulaires, mais les GNT et les MS ainsi que l’inspecteur.

    Dans l’optique d’une progression " différenciée " de certains élèves, les écoles ont des attitudes et des pratiques très diverses. Ce sont ici des élèves qui n’ont pas atteint les objectifs de fin de 6P, malgré tout le dispositif mis en place, là d’autres que l’on fait redoubler, alors que le projet prévoit la suppression du redoublement ou là encore, des élèves que l’on a placés dans le degré supérieur, sur décision de l’équipe avec accord de l’inspecteur et qui y donnent toute satisfaction.

    La gestion au coup par coup de cas particuliers a ainsi parfois tendance à prendre le pas sur une réflexion favorisant une gestion différenciée et globale des parcours. Les enseignants se sentent sans doute plus libres en naviguant de cas en cas, car ils ont peut-être peur de perdre, par une réflexion et une gestion trop cadrées, le côté qualitatif et " intuitif " qu’ils revendiquent et qu’ils peuvent mettre en oeuvre lorsqu’ils traitent d’un cas particulier.

     

     Thèse Nº 9 : Formation

     La gestion optimale de la progression des élèves implique, tant au niveau individuel que collectif,l’acquisition par les enseignants de nouvelles compétences, dans le cadre d’un plan progressif de réflexion et de formation.

     Commentaire

    La formation des enseignants est envisagée dans une logique de progression. Les enseignants, comme les élèves, ne disposent pas des mêmes compétences de départ et aucun ne peut prétendre posséder un bagage complet, permettant une réponse adéquate dans toutes les situations.

    Parler de gestion de la progression des élèves amène à penser à la progression des enseignants dans leur formation continue. Pour dépasser une conception fondée, tantôt sur le vagabondage, tantôt sur une centration exclusive sur un domaine, il convient de penser la formation comme recherche de réponses à des questions identifiées dans la pratique professionnelle.

    Sur un plan individuel, l’enseignant peut ainsi développer ses compétences, au travers des offres de formation continue, mais aussi de lectures, de conférences, de débats lors de congrès ou de forum, d’une ouverture à d’autres problèmes qui enrichiront en retour son savoir professionnel.

    Par ailleurs, dans la perspective d’une gestion collective de la progression des élèves, l’accent est porté sur l’établissement scolaire. Sur la base d’un bilan, repérant d’une part les points forts et les manques des enseignants par rapport au projet d’école, d’autre part les compétences de chacun dans leur complémentarité, un plan sera mis en place. Il distinguera des domaines où la formation sera collective, parce que favorisant une culture commune, une cohérence, et d’autres domaines où la complémentarité des apports des uns et des autres à la gestion de l’école sera nécessaire. En effet, la complexité des savoirs et savoir-faire à développer aujourd’hui dans une école laisse songeur. Un approfondissement dans les différentes didactiques et dans les diverses problématiques plus transversales (évaluation, prise en compte des différences culturelles, dialogue avec les familles, organisation de classe, développement personnel) nécessiterait une vingtaine d’années de formation ! Il ne peut être question pour une école d’attendre aussi longtemps pour proposer un environnement stimulant la progression des apprentissages dans tous les domaines. Il serait donc souhaitable de s’orienter vers une certaine répartition des tâches entre enseignants en fonction des compétences développées par chacun.

    La formation apparaît dès lors étroitement liée à la réflexion d’ensemble. Les bilans réguliers mis en place dans les écoles pour rendre compte et se rendre compte du travail effectué intégreront naturellement un volet concernant la gestion de la progression des compétences des enseignants.

    Etat de situation

    Les formations continues entreprises par les écoles sont en lien étroit avec les projets de départ. Les entrées sont nombreuses : didactiques des disciplines, différenciation, décloisonnements, réflexion sur les apprentissages, élaboration de pratiques communes autour du conseil de classe et mise en place du conseil d’école, charte d’école, évaluation, constitution de portfolios, entretiens et transmission de l’évaluation aux parents.

    Les tentatives d’activités larges réalisées dans les écoles en innovation dans le domaine de la langue, des mathématiques et quelques unes en environnement, déclenchent la plupart du temps de l’enthousiasme, mais en même temps une impression d’un manque d’outils. Dans le " J’ai envie d’essayer, mais je ne sais pas bien faire ", se joue le même processus dans lequel les enseignants engagent leurs élèves, à savoir affronter un obstacle et réussir à le dépasser pour apprendre. Si ces tentatives de changement de pratiques stimulent le besoin d’aller plus loin dans le développement de ses propres maîtrises et compétences, elles révèlent aussi que les enseignants attendent beaucoup de l’institution, en termes de suivi et de formation.

    La nécessité de croiser les différentes approches (par exemple didactique et évaluation-différenciation) émerge peu à peu. Les compétences particulières des uns et des autres ne sont pas encore suffisamment exploitées, parce que pas assez explicitées et reconnues.

    Dans un premier temps, la concrétisation d’un projet d’école a très souvent rendu nécessaire la participation de tous les enseignants d’une école au même projet de formation. La poursuite de projets de formation différents, mais reliés par un thème fédérateur, apparaît peu à peu. L’émergence d’une gestion plus collective des apprentissages des élèves (enseignement et évaluation d’élèves qui font partie d’autres classes) joue également un rôle d’accélérateur dans l’implication des enseignants dans leur formation.

      Tableau récapitulatif des thèses

     

    Thèse Nº 1 :
    Représentations

     

    La gestion de la progression des élèves dépend largement des représentations des enseignants quant à leur rôle et leur responsabilité dans la réussite de chacun.

     

    Thèse Nº 2 :
    Réussite pour tous les élèves

     

    La gestion optimale de la progression passe par la conviction préalable que chaque élève est capable d’atteindre les objectifs minimaux fixés à condition d’individualiser son parcours.

     

    Thèse Nº 3 :
    Temps et rythme d’apprentissage

     

    La progression des élèves se gère dans le cadre d’un cycle d’apprentissage dans lequel les élèves passent en principe le même nombre d’années pour atteindre des objectifs d’apprentissages incontournables.

     

    Thèse Nº 4 :
    Organisation scolaire

     

    Une progression satisfaisante des élèves dans leurs apprentissages passe par la remise en question de l’organisation scolaire actuelle, du découpage de la scolarité par degrés, des échéances et programmes annuels.

     

    Thèse Nº 5 :
    Regroupements d’élèves

     

    Une gestion optimale de la progression des élèves dans leurs apprentissages exige la mise en oeuvre de plusieurs formes de regroupement et de travail.

     

    Thèse Nº 6 :
    Savoirs et sens

     

    Une gestion satisfaisante de la progression des élèves passe par une remise en question des modes d’enseignement et d’apprentissage articulée à la recherche d’un maximum de sens des savoirs et du travail scolaire pour l’élève.

     

    Thèse Nº 7 :
    Evaluation

     

    La gestion de la progression des élèves implique un réaménagement des pratiques évaluatives,
    afin de pouvoir rendre visible et réguler
    le parcours individuel de chaque élève.

     

    Thèse Nº 8 :
    Responsabilité collective

     

    La gestion de la progression des élèves exige que l’équipe enseignante assume collectivement
    la responsabilité de toute décision relative
    au parcours des élèves, en concertation avec l’ensemble des partenaires internes et externes à l’école.

     

    Thèse Nº 9 :
    Formation

     

    La gestion optimale de la progression des élèves implique, tant au niveau individuel que collectif, l’acquisition par les enseignants de nouvelles compétences, dans le cadre d’un plan progressif de réflexion et de formation.


     

    Partie II

    Points de vue des partenaires du GIP


     

    Commentaire des coordinateurs

     Suite au bilan de l’an I de la rénovation, " de l’activisme à la méthode ", les écoles en innovation ont été amenées à approfondir l’une des cinq thématiques mises en évidence : mieux gérer la progression des élèves. Les écoles ont été invitées à approfondir leur réflexions de manière plus ciblée. Elles ont dû par conséquent :

    On le voit, nous sommes en présence d’une variété de dispositifs qui dépendent souvent les uns des autres, et qui, dans leur ensemble, concourent à mieux maîtriser la progression.

    Globalement, les différents points ci-dessus se retrouvent dans les neuf thèses. Cependant, les différents commentaires et les états de situation s’attachent plus à décrire des changements de structures de fonctionnements des écoles qu’à décrire les moyens de gérer la progression des élèves. Cela s’explique par le fait que les écoles se sont attachées d’abord à instaurer un système de fonctionnement plutôt que d’approfondir les moyens à mettre en place pour gérer les parcours de formation.

    On relève aussi qu’il est bien difficile parfois de faire cohabiter de nouvelles structures, de nouveaux dispositifs sur d’anciennes structures qui restent encore prégnantes. En ce sens, nous sommes bien dans un processus de " rénovation ".

    Les programmes sont encore largement annuels, malgré les discours volontaristes sur les situations ouvertes, les situations-problèmes, qui restent encore trop peu travaillées et souvent mal définies.

    Le sens des mots comme construire des compétences pour les élèves, objectifs minimaux, balises, individualisation, responsabilité collective sont d’usage de plus en plus courant, mais recouvrent des concepts encore flous.

    Le concept de cycle reste lui aussi peu clair dans sa définition, parce qu’en tant que tel, il ne représente rien. Au préalable, en effet doit être déterminé ce qui peut le constituer : les objectifs, les contenus, la manière de progresser. Il y a lieu enfin de définir avec précision ce qui différencie à terme le cycle du degré. On relève qu’on lie trop fréquemment cycle, multiâge, degré. Il est nécessaire d’approfondir les raisons qui président au choix de constituer des classes multiâges, ou à conserver des degrés.

    La problématique du " redoublement " reste ouverte. En effet, il ne signifie plus que l’élève refait le même programme. Il s’agit plutôt de le considérer comme l’allongement du temps de parcours, une période offerte à l’élève pour consolider des apprentissages. Cependant, en dépit de cette redéfinition, le problème reste posé de savoir le sens qu’il a vraiment pour l’élève, les parents, ou l’enseignant. Qu’adviendrait-il d’un élève qui n’aurait pas atteint les objectifs au terme d’un cycle ? Une étude serait à mener sur les effets d’une telle modification de sens.

    Le document pourrait laisser penser qu’il y a consensus entre les quinze écoles autour de ces thèses ou plutôt autour du contenu de chacune d’elles. C’est loin d’être le cas, principalement en raison de la diversité des projets élaborés. L’" état de situation " pourrait quant à lui mettre plus en évidence comment les écoles ont saisi le contenu de la thèse. La globalité du commentaire empêche chacun d’y trouver l’objet de ses recherches.

    Il est évident que la diversité des projets, la richesse de l’échange autour de cette diversité permet aux écoles de s’approprier les richesses des unes et des autres, d’approfondir la réflexion à partir de celle des autres et in fine d’opérer des choix sans tout réinventer, voire d’analyser les pratiques avec un certain recul. C’est ainsi qu’il y aura des chances de faire progresser l’ensemble. La mise en réseau et les contacts fréquents sont donc capitaux et la structure du GIP est un dispositif à même d’assurer ces contacts. Cela ne reste cependant pas encore suffisant. Il est nécessaire d’encourager encore les contacts entre écoles, les stages, pour que l’on puisse appliquer une individualisation de la progression à chaque école et que celle-ci soit encouragée à aller de l’avant, quel que soit le domaine où elle avance puisque l’on est assuré qu’à terme un retour sera établi qui servira aux autres écoles.

    Il faut constater enfin que les écoles ont des convictions sur le chemin à suivre, mais que des certitudes ne peuvent pas se dégager après un laps de temps si court. Il est nécessaire d’avoir plus de recul pour analyser l’efficacité réelle des actions entreprises. Les écoles ont fait preuve jusqu’à maintenant d’engagement, d’esprit militant sur ce dossier, et il ne faut pas cacher qu’elles l’ont fait au prix d’efforts conséquents et de fortes exigences, et qu’elles ne sont donc pas à l’abri d’une certaine lassitude, alors que le rythme d’innovation imposé semble se justifier de moins en moins.

    Enfin, on peut relever que de focaliser les quinze écoles sur la problématique de la progression des élèves, si cela a parfois eu l’effet de les canaliser malgré elles dans une direction, a eu le mérite de permettre un approfondissement conséquent du dossier. 

     


    Commentaire des inspecteurs des écoles en innovation

    Accord sur le fond et d’un point de vue général

    L’introduction au dossier progression représente des évidences pour des gestionnaires de l’école. Les obstacles apparaissent dès l’instant où l’inspecteurs se réfère à ce qu’il constate dans l’école ou les écoles en innovation dont il a la charge.

    L’analyse des commentaires des 9 thèses semble inopportune. Ces commentaires posent bien le problème tel qu’il est compris et représenté par le GIP au travers de ses contacts avec les partenaires des écoles en innovation. L’analyse est lucide, clarifiante et on ne saurait y être opposé. Il convient d’avancer sur les " états de situation ".

    Ce qui frappe d’emblée par rapport aux 9 thèses, c’est que pour être réalisées, chacune d’entre elle nécessiterait beaucoup de temps et d’espace. Parfois, l’impression qui domine malgré la rigueur théorique des énoncés est celle d’un chantier mal organisé où tous les outils traînent n’importe où, comme si les ouvriers n’avaient pas reçu de directives claires et construisaient tous leur maison à leur manière sans souci du respect de l’ensemble architectural, comme si l’architecte n’avait pas fait de plan ou s’en était remis à la seule expérience des ouvriers.

    Certes, l’idéal de changement transparaît dans cette introduction, les référents sont partagés, mais ce changement n’est pas clairement explicité en matière de gains et les résultats, même à court terme, ne sont pas encore visibles.

    Il manque également une analyse en terme de moyens. Il faut cesser de croire que la " bonne volonté " suffit à faire des miracles ; les attentes vis à vis du corps enseignant doivent donc être plus réalistes.

     

    Les thèses

    T1 Fragilité des représentations communes.
    Priorité au travail sur les valeurs.
    Nécessité d’établir un parallèle avec les 10 domaines de compétences.
    Entrée par le vécu et les besoins de chacun.

    T2 La confiance en soi et la confiance dans les enfants impliquent une réflexion sur le statut de l’erreur et un changement dans la vision de l’école. D’autre part, il est fondamental de mettre en évidence le lien entre théorie et pratique.

    T3 Il est urgent de mettre en place des objectifs intermédiaires. Les écoles en innovation ne peuvent pas tout faire ; les seuls " objectifs-noyaux " sont insuffisants.

    T4 La remise en question du découpage des programmes annuels qui est nécessaire pourrait suffire sans impliquer forcément la suppression des degrés.

    T5 Accord sur la thèse 5. A noter que les diverses modalités de regroupements ne constituent pas une fin en soi et qu’elles nécessitent des moments de bilan pour permettre des ajustements.

    T6 Accord sur la thèse 6. Relevons l’importance de la phrase : " les enseignants revendiquent du temps, le droit à l’exploration, le besoin de se familiariser avec les nouvelles approches pour installer de nouvelles représentations et de nouveaux repères ".

    T7 Pour l’atteindre, il convient de prévoir une formation et des moyens adéquats.

    T8 Apprendre à se concerter, à partager, à ne pas considérer le collègue comme un ennemi, comme un juge, nécessite beaucoup de temps.

    T9 La nécessité de motiver (attirer vers) les enseignants à une formation implique de la part des responsables de savoir mettre en évidence des compétences existantes, de les valoriser, de mobiliser les énergies nécessaires pour en trouver d’autres et ainsi déclencher un authentique besoin de formation.

      

    En conclusion, nous citerons une phrase de Marie Bouchard :

     " Dans une vision de mobilisation, la SIGNIFICATION que donnent les employés à un projet sera souvent déterminante dans leur adhésion et leur engagement. Cependant, les discours ne peuvent à eux seuls, suffire à déclencher la mise en mouvement et l’adhésion profonde ".

     


     

    Commentaire des inspecteurs de la division spécialisée

     

    Au-delà de la didactique et des structures :
    les choix d’orientation des élèves

     Le mandat de l’inspectrice et des inspecteurs de l’enseignement spécialisé les implique de façon tout à fait particulière dans l’orientation de certains élèves vers l’enseignement spécialisé depuis les divisions moyenne ou élémentaire. Leur responsabilité est directement engagée de par les procédures formelles définies entre la direction de l’enseignement primaire et la direction du Service Médico-Pédagogique.

    En effet, sans leur accord un passage dans l’enseignement spécialisé n’est pas possible.

    Par ailleurs, des aménagements particuliers d’intégration dans l’enseignement ordinaire d’enfants souffrant de troubles sensoriels et moteurs, de retard mental ou de troubles psychologiques sévères ayant bien évolué, sont étudiés à partir des évaluations faites par les équipes institutionnelles sous la responsabilité et la caution finale de ces mêmes inspectrices et inspecteurs.

    Ces situations sont à chaque fois l’objet d’analyses et de questionnements qui, d’une façon ou d’une autre, éclairent les huit premières des neufs thèses développées dans ce dossier :

     Ces thèses, ainsi que les divers critères retenus par les inspecteurs lors des évaluations des situations, sont interactifs au point qu’il n’est pas possible de les isoler.

    Il en est de même des décisions de progression ou d’orientations des élèves qu’il n’est pas acceptable de prendre à partir d’une simple relation de cause à effet, liée à un comportement ponctuel par exemple.

    Développer la conviction que chaque enfant serait capable d’atteindre les objectifs minimaux fixés à priori par l’école à certains conditions pédagogiques représente selon nous un risque de " condamnation à la réussite " construit sur un engagement volontariste tel que, dans les cas où la confrontation aux limites réelles de certains élèves se révèle inévitable, le sentiment d’échec alors insupportable ne peut conduire finalement qu’à la déresponsabilisation et au rejet évoqués plus haut.

    Cette question de la responsabilisation de chacun des partenaires de l’école est primordiale. Peut-on accepter la thèse no 8 qui veut que l’équipe enseignante assume collectivement la responsabilité de toute décision relative aux parcours des élèves, en concertation avec l’ensemble des partenaires, internes ou externes de l’école ?

    Une approche plus modeste et pragmatique nous semble préférable. Nous pourrions la formuler ainsi : l’équipe enseignante assume collectivement la responsabilité d’explicitation des éléments relatifs à l’évolution de l’enfant et des contacts avec sa famille ainsi que ceux relatifs aux conceptions, projets, enjeux d’organisation, priorités et représentations des membres de cette équipe.

    Cette explicitation devrait permettre que les choix d’orientation définitive puissent être assumés par les inspecteurs avec la préoccupation de ne déresponsabiliser aucun acteur.

    Le dossier progression, dans son introduction, pose que la " fiabilité des outils d’évaluation diminue d’autant plus que la complexité de l’objectif s’accroît ".

    Nous partageons ce postulat. Nous devons donc admettre que tout choix relatif au parcours d’un élève porte une part plus ou moins importante d’arbitraire.

    L’expérience montre par ailleurs que les différents paramètres relatifs à une prise de décision pédagogique sont relativement aisés à répertorier (comportements, attitudes, connaissances, compétences, environnement scolaire).

    Elle montre aussi, là est la face de la clinique, que l’importance accordée à chacun des paramètres fluctue en fonction de l’unicité de chaque situation.

    Comment l’institution scolaire peut-elle le formaliser et l’assumer au mieux dans l’intérêt des élèves ?

     


    Commentaire des formateurs

    Une construction de la problématique a partager

    En premier lieu, le groupe des formateurs, membres du GIP, tient à saluer l’effort de synthèse fourni par le GRI dans la rédaction de ce dossier.

    Le travail entrepris avec les différents groupes d’acteurs sur la gestion de la progression des élèves a contribué à l’avancement de la réflexion sur un plan général et a permis de faire circuler des questions et des réponses possibles.

    Si le consensus existe sur les questions qui se posent, il n’en est pas de même quant aux réponses à apporter. Construire de façon partagée la problématique entre dans la démarche de changement. Aucun d’entre nous n’a une solution à livrer " clé en mains ".

    Une culture commune à construire

    Le cadre théorique de référence qui sous-tend les thèses et commentaires de ce dossier devrait être plus clairement explicité. Les problématiques soulevées sont nombreuses et complexes, et en cela, nous cautionnons le propos initial contenu dans " Neuf thèses pour ordonner le débat " (p. 10).

    Pourtant, l’absence ou l’implicite des références sur les concepts d’apprentissage laissent une trop large place à des affirmations et des postulats, qui deviennent de ce fait discutables et ouvrent la porte à des interprétations ou des simplifications hasardeuses. Il nous semble peu judicieux de prendre ce risque en l’état actuel de la réflexion, et donc important de repréciser les options de départ (Petit Bleu), de leur associer les théories et conceptions connues et reconnues actuellement et touchant à la question des apprentissages.

    L’évidence des besoins de formation

    La qualité de la réflexion et les pistes de questionnement et de recherche que le dossier ouvre sur la progression des élèves en rendent la lecture stimulante. Mais, à le parcourir, chacun mesure l’ampleur de la tâche pour affronter la complexité des savoirs et savoir-faire à développer.

    De nouvelles compétences sont à construire par les enseignants à l’échelle de l’établissement. Les problèmes de structure ne sauraient faire perdre de vue que les apprentissages de l’élève restent l’enjeu majeur.

    A côté des chantiers déjà ouverts (objectifs noyaux, compétences prioritaires, multi-âges, etc.), des questions de fond sont posées aux didactiques des disciplines si l’on veut rompre avec les degrés annuels pour aller vers les cycles d’apprentissage.

    Des choix didactiques restent à élaborer et à débattre. Les enseignants attendent des outils de plus en plus fins pour construire et gérer la progression des élèves à différents niveaux : dans un dispositif didactique, pour un cycle, pour les inter-cycles. Cela implique d’observer les apprentissages, de mieux cerner les obstacles, de construire des dispositifs, d’aménager des situations didactiques, de les ajuster.

    Les décisions de progression, à titre individuel ou en équipe, sont difficiles à gérer. Elles exigent de faire des choix éclairés face à la diversité des possibles. Orienter son action en l’absence de critères solides, relève encore de l’intuition, voire de la spéculation.

    Les services devront donc continuer à se préoccuper d’objectifs et des moyens de situer les élèves par rapport à ces objectifs.

    Face à ces attentes nombreuses et diverses, en plus de l’investissement important déjà consenti dans la phase exploratoire, les formateurs se demandent s’ils disposent des forces nécessaires pour accompagner le processus de rénovation dans sa phase d’extension.

    Les différentes problématiques soulevées demandent également du temps pour leur mise à plat. S’accordera-t-on les moments nécessaires à l’émergence d’une réflexion de fond ?

    Du risque de se trouver isolés

    Un très grand saut qualitatif est attendu de cette démarche. Un groupe d’acteurs favorables à la rénovation, bien encadré, avance dans sa réflexion, crée des outils, modifie ses pratiques. Quelques-uns ne peuvent faire le chemin pour tous les autres, Comment faire progresser la réflexion générale si l’on ne veut pas qu’une trop grande distance se creuse avec les écoles qui n’auront pas été associées à la phase d’exploration ? La diffusion régulière de l’avancement des travaux est à repenser dans un réseau élargi.


    Glossaire

     Nous présentons ici un glossaire de quelques termes en relation avec le thème de la progression, ainsi qu’une explicitation des sigles utilisés dans ce dossier. La plupart des concepts évoqués ici ne disposent pas d’une définition consensuelle, c’est pourquoi nous avons signalé, par un numéro entre parenthèses, les ouvrages inscrits dans la bibliographie qui nous ont permis d’élaborer ce glossaire.

     

     

    Bagage culturel
    indispensable :

     

    Ensemble des apprentissages et compétences que chaque individu devrait maîtriser au terme de la scolarité de base, afin d’assurer l’égalisation des chances de départ dans la vie. (12, pp.143-144)

     

    Compétence :

     

    La compétence se réalise dans l’action, elle est finalisée et s’exerce dans un contexte particulier. Elle est de l’ordre du savoir mobiliser avec la mise en jeu d’un répertoire de ressources (connaissances, capacité cognitive, capacité relationnelle). Cette mobilisation n’est pas de l’ordre de la simple application mais de celui de la construction.

    Disposer de compétences, c’est savoir mobiliser en situation réelle ou provoquée - ses connaissances et ses qualités pour faire face à un problème donné. (13, pp. 15-42)

     

    Cycles
    d’apprentissage :

     

    " Temps qu’on se donne pour permettre à chaque élève de construire un ensemble de compétences correspondant à son âge, son développement, ses intérêts et ses besoins ". (8, p. 9)

    La durée d’un cycle n’est pour l’instant pas encore stabilisée.

     

    GRAP :

     

    Groupe Romand d’Aménagement des Programmes, chargé de la réécriture des plans d’études romands.

     

    Individualisation
    des parcours
    des élèves :

     

    Expression qui adopte résolument le point de vue de l’apprenant, en insistant sur le cheminement personnalisé que chaque élève développe en fonction de " son niveau de développement intellectuel et socio-affectif, de son rythme de travail et d’apprentissage, des attitudes, des intérêts et des acquis qu’il doit à son milieu de vie, de son envie et de sa façon d’apprendre. " Ainsi, " l’individualisation des parcours de formation ne conduit pas à proposer à chacun un travail constamment individualisé, ni à faire éclater les groupes en autant de relations duales entre le maître et chaque élève. " (4, p.8)

     

    Modules
    d’enseignement-
    apprentissage :

     

    Espace-temps de formation caractérisé par une unité thématique et des objectifs de formation définis. Le module est un moyen pour développer de façon intensive chez les élèves les acquis déterminés, il donne une priorité absolue à la régulation des activités en fonction des objectifs poursuivis. (21, pp. 30-31)

     

    Multiâge :

     

    Groupe d’enfants d’âges différents regroupés soit dans une classe, soit lors de décloisonnements. Ce mode de regroupement représente une rupture par rapport à la structure habituelle, régie par les années, civiles ou scolaires. (10, p.8)

     

    Objectifs-
    noyaux :

     

    " A l’intérieur de l’enseignement d’une discipline, voire pour plus d’une discipline, apprentissage central, fédérateur, autour duquel les autres apprentissages s’organisent comme autant de satellites. L’objectif-noyau organise en réseau un ensemble de savoirs ou de compétences complémentaires, leur donne une structure et une cohérence. " (25, p. 6)

    A Genève, certains préfèrent parler d’" objectifs d’apprentissage ", comme le service de didactique des langues de l’enseignement primaire et le cycle d’orientation, alors que d’autres, tel le syndicat des enseignants primaires genevois, insistent pour envisager plutôt des " compétences-noyaux ".

     

    OPEC :

     

    Recherche en cours de réalisation, menée par le SRED dès 1995 auprès d’un échantillon représentatif des écoles du canton pour les classes de 1P, 3P et 6P, et qui vise l’Observation des Performances et Estimation des Compétences des élèves.

     

    Situation-
    problème :

     

    Situation d’enseignement-apprentissage dans laquelle il est proposé au sujet une tâche qu’il ne peut mener à bien sans effectuer un apprentissage précis. Cet apprentissage qui constitue le véritable objectif de la situation-problème, s’effectue en levant l’obstacle à la réalisation de la tâche. (16, p. 191)

    A Genève, les services des didactiques et de pédagogie générale ont développé des approches spécifiques associées à différentes terminologies liées à ce concept : situation mathématique, situation complexe porteuse de régulations, situation large d’apprentissage.

     

    SRED :

     

    Service de la Recherche en EDucation


     

      Lectures pour aller plus loin

    1. Astolfi, J.-P. (1995). Mettre l’élève au centre… oui, mais au centre de quoi ? In : Vers le changement…… espoirs et craintes. Actes du forum 1995 de l’enseignement primaire. Genève : DEP.

    2. Authier, M., Lévy, P. (1996). Les arbres de connaissances. Paris : La Découverte.

    3. Develay, M. (1996). Donner du sens à l’Ecole. Paris : ESF.

    4. Direction de l’enseignement primaire. Eds (1994). Trois axes de rénovation de l’école primaire genevoise. Texte d’orientation. Genève : DIP.

    5. Forster, S. (1997). Apprendre en cycles… Dossier paru dans : l’Educateur magazine. 3/97. Carouge : SPR. pp.13-29.

    6. Forster, S., Sandoz, C. (adaptation française : 1996). Portfolio de mathématiques à l’école primaire : mode d’emploi. Neuchâtel : IRDP. (pratiques : 96.201). Tiré de " Portfolio guidelines in primary math " by Leon Paulson.

    7. Ging, E., Sauthier, M.H., Stierli, E. (1996). Moyens romands d’enseignement des mathématiques. Livre du maître. Méthodologie 1P. Neuchâtel : COROME.

    8. Groupe de recherche et d’innovation (1996). Dossier cycles. Genève : DEP.

    9. Groupe de recherche et d’innovation (1996). Les écoles en innovation : passer de l’activisme à la méthode. Rénovation : bilan de l’an 1. Genève : DEP.

    10. Groupe inter-projets (1997). Dossier multiâge. Genève : DEP.

    11. Groupe de réflexion transdisciplinaire (1994). Rapport de synthèse. Genève : DEP et SRP.

    12. Hutmacher, W. (1993). Quand la réalité résiste à la lutte contre l’échec scolaire. Genève : SRS. No 36.

    13. Le Boterf, G. (1994). De la compétence. Essai sur un attracteur étrange. Paris : Les Editions d’Organisation.

    14. Meirieu, Ph. (1996). Frankenstein pédagogue. Paris : ESF.

    15. Meirieu, Ph. (1994). Différencier, c’est possible et ça peut rapporter gros ! In : Vers le changement…… espoirs et craintes. Actes du premier forum sur la rénovation de l’enseignement primaire. Genève : DEP.

    16. Meirieu, Ph. (1993). Apprendre… oui, mais comment. Paris : ESF.

    17. Paul, J.-J. (1996). Le redoublement : pour ou contre ? Paris : ESF.

    18. Perrenoud, Ph. (1996) Lorsque le sage montre la lune… l’imbécile regarde le doigt. De la critique du redoublement à la lutte contre l’échec scolaire, In : Éduquer & Former, Théories et Pratiques, (Bruxelles), juin, n° 5-6, pp. 3-30.

    19. Perrenoud, Ph. (1996) Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude. Savoirs et compétences dans un métier complexe, Paris, ESF.

    20. Perrenoud, Ph. (1997) Les pédagogies nouvelles en question (s), In : L’Éducateur, n° 7, pp. 28-31.

    21. Perrenoud, Ph. (1997) Structurer les cycles d’apprentissage sans réinventer les degrés annuels, Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation.

    22. Services des didactiques. (1995). L’harmonisation des didactiques. Genève : DEP.

    23. Weiss, J. (1996). Vers une conception cohérente de l’évaluation pour la scolarité obligatoire en Suisse romande et au Tessin. Neuchâtel : IRDP. (ouvertures : 96.403).

    24. En nom collectif sous la direction de Jean Houssaye (1994). Quinze pédagogues. Leur influence aujourd’hui. Paris : Colin.

    25. En nom collectif. (1996). Les objectifs-noyaux : des repères pour mieux maîtriser la progression des élèves. Genève : DEP.