Tout bouge puisque tout se tient :
une réforme, neuf changements
(extrait de Gather Thurler, M. & Maulini, O. (2007).
Lorganisation du travail scolaire. Enjeu caché des
réformes ? Québec : Presses de l'Université
du Québec, pp. 16-19.
1. Les cycles dapprentissage comme organisation pédagogique. . Lécole primaire genevoise devrait être organisée en deux cycles de quatre ans : le cycle élémentaire (degrés 2 à +2) et le cycle moyen (degrés +3 à +6). . Pas de redoublement dans le cycle, des parcours individualisés, un prolongement exceptionnel en fonction de besoins particuliers, bien identifiés. . On ne refait jamais une année : les difficultés doivent être prises en charge plus tôt, de manière ciblée, voire individualisée.
2. Les objectifs-noyaux, les programmes et les situations dapprentissage. On ne peut diversifier les cheminements que si les objectifs sont hiérarchisés et que lon dispose de moyens denseignement qui ne sont pas eux-mêmes découpés en degrés. . Le plan détudes est donc lui aussi réorganisé sous la forme dobjectifs spiralaires et dattentes de fin de cycle.
3. La différenciation de lenseignement. Les dispositifs de travail doivent alterner les situations complexes, lenseignement explicite des savoirs à mobiliser, le repérage des erreurs, des obstacles et la construction de ce qui permet de les dépasser. Cest ce que proposent des séquences didactiques qui complètent les moyens denseignement, cycle par cycle, objectif par objectif (« produire une lettre pour donner son opinion », « lire et écrire des nombres entiers », « analyser un paysage », etc. Pour ne pas laisser les maîtres décider seuls de la progression, la Direction de lenseignement primaire fera aussi éditer par ses services des « propositions de planification » standardisant, à titre indicatif, lenchaînement des séquences sur un, deux ou quatre ans.
4. Lévaluation des élèves dans les cycles dapprentissage et le passage à la première secondaire. Si le problème nest plus tant de sanctionner lélève en difficulté que de poser le diagnostic qui laidera, où quil soit, à progresser, les manières dévaluer doivent saffiner, devenir plus qualitatives, moins schématiques quune moyenne chiffrée. Dès la phase dexploration, des écoles ont renoncé à noter les travaux au profit dune observation formative, dun jugement critérié, de balises et dépreuves standardisées, de livrets et de portfolios commentés, dentretiens tripartites maître-élève-parents. En français et mathématiques, les appréciations (« a atteint, a presque atteint, na pas atteint les objectifs ») sont restées traduites en notes globales à la fin du cycle moyen afin dorienter les élèves dans lune des filières (gymnasiale ou non) de la première secondaire. Cest sur lextension de ces nouvelles pratiques que sest cristallisé par la suite le débat politique.
5. La gestion des groupes, du temps et des espaces dans les cycles. Comment tenir ensemble les deux idées « éviter la ségrégation » et « placer chaque élève en situation de progresser » ? Degrés multiples, classes multiâges, décloisonnements, groupes de besoins, de niveaux, de projets, modules dapprentissage ou dévaluation : les écoles sont invitées à trouver et revoir sans cesse leur propre organisation, pour que le cycle ne soit ni le cache-misère de classes toujours juxtaposées, ni une simple dilatation de lespace-temps. Objectifs communs et diversité des besoins demandent une différenciation constante au sein des leçons, des séquences, des activités, mais aussi entre elles, sans quoi lon referme les classes sur elles-mêmes et lorganisation du travail nest pas un enjeu collectivement appréhendé. Cest larticulation entre des groupes de base et dautres réunions, stables ou éphémères, qui doit éviter le double piège du tout homogène qui évite de différencier et du tout hétérogène qui empêche de cibler.
6. La question des enfants migrants et des structures daccueil. Plus de 40 % des élèves genevois ont une langue maternelle différente du français. La proportion monte au-delà de 80 % dans certains quartiers de la ville ou de sa périphérie. Longtemps intégrés dans une classe de leur âge, les nouveaux arrivants sont maintenant partiellement et provisoirement regroupés dans des structures daccueil où des maîtres spécialement formés sont chargés dassurer la transition, non seulement entre les langues, mais aussi, très souvent, entre les conditions de vie locales et celles dun pays dorigine dont les émigrés fuient la violence ou la pauvreté. Louverture aux langues est valorisée par lécole et une Genève internationale fière de promouvoir la pluriculturalité, lhumanisme et la paix. Cela nempêche pas des remises en cause de la politique dintégration au motif que les enquêtes PISA classent moins bien les élèves de la ville que ceux des cantons ruraux, plus homogènes socialement.
7. Lenseignement spécialisé dans lenseignement primaire rénové. Jusquoù faire le pari de lintégration ? Le passage aux cycles peut donner le sentiment quune structure flexible saura tout assumer, y compris le travail avec les élèves les plus différents, psychologiquement fragiles ou handicapés physiquement. Le système reste quand même organisé sous forme dunités particulières : à Genève, 2,4 % des élèves sont scolarisés dans des classes ou des institutions de lenseignement spécialisé. Cest un taux plutôt faible par rapport à la majorité des cantons suisses et à dautres pays de la communauté européenne ou de lOCDE.
8. Linformation et lassociation des parents dans le cadre des cycles. Changer lécole ne peut plus senvisager sans le soutien donc la participation des parents. Ils ont dabord un jugement sur la manière dont est organisé le travail des maîtres et des enfants : si lon ne veut pas quils lexercent par la bande (par des stratégies dévitement, de pression, de politisation ), il faut organiser dans lécole des espaces de dialogue et de concertation. Réunions collectives, entretiens et dossiers dévaluation, cahiers de liaison, commissions paritaires, soutien aux devoirs, réseaux de traduction, liens avec les associations et leur fédération : une partie du travail sorganise pour et avec les familles, mais aussi grâce à elles lorsque les élèves produisent par exemple un journal ou des ateliers qui montrent ce quils apprennent et de quelle façon. À lavenir, le Département de linstruction publique souhaite faire un pas de plus vers le partenariat en instituant partout des conseils détablissement.
9. Lautonomie des établissements, leur coordination, le rendre compte. La logique taylorienne place les classes sous le contrôle direct de la voie hiérarchique. Le processus de réorganisation a demblée sollicité lespace intermédiaire de létablissement. Ce sont des équipes pas des personnes qui ont entrepris lexploration. Projets décole, cycles et sous-cycles, coordinateurs puis responsables de bâtiment, réseaux et groupe daccompagnement, suivi collégial des élèves, formations collectives, bilans et plans quadriennaux : le travail sest collectivisé aux deux niveaux interne aux groupes scolaires ; externe, par leur coordination. Moins de cloisonnement vers le bas, cest plus de rendre compte en amont, de pilotage stratégique et de délégation de responsabilités aux acteurs à toutes les étapes du système.