Olivier
MAULINI
Université de Genève
Faculté de psychologie et des sciences de
l'éducation
21 février 2003
Texte paru dans l'Educateur (n°2), rubrique Sacré Charlemagne (L'école, idée folle ?).
Lutter contre les inégalités. Lambition ne date pas dhier, mais aujourdhui, cest une sorte de poncif. Le lieu commun de tous nos débats. Lultime argument de chaque discutant. Et si la discussion, nous la documentions ?
Lorsque lécole innove, mute ou rénove, elle assure que cest pour " mieux lutter contre les inégalités ". Et ceux qui contestent ses méthodes disent que chaque réforme promet de réduire les écarts que la précédente a creusés. Quen est-il en vérité ? Que tout le monde prétende égaliser, cest une chose. Mais quobserve-t-on dans les faits ?
Marie Duru-Bellat est sociologue. Dans son dernier livre, elle fait la synthèse de vingt-cinq ans de recherches sur la " genèse " des inégalités sociales à lécole. Elle ne dit pas absolument ce quil faut faire. Mais elle montre ce quon ne peut pas dire. Dabord, il ne faut pas attendre de linstitution quelle " crée de légalité dans une société inégale ", mais quelle " joue son rôle de la manière la plus juste possible ". Ensuite, il ne faut pas se tromper de justice. Ne pas confondre légalité des chances (" à chacun la culture quil mérite ") et légalité des capabilités (" à chacun la culture de base "). Une école juste, cest une école équitable, qui ne met pas dabord les élèves en concurrence, mais qui sefforce de tous les amener à un niveau minimal de compétence, celui qui leur permettra dexercer et de défendre leurs droits. " Loin que légalité devant la loi soit suffisante, une égalité par la loi doit être visée ". Le nivellement par le haut ne se décrète pas. Il demande un travail et un contrôle réguliers, dont les chiffres montrent la complexité.
95% des enfants denseignants passent sans heurt leurs deux premières années de collège, contre 49% des enfants dinactifs. En labsence de filières, on cherche les " bonnes options ", celles qui regroupent les " bons élèves " : 56% des maîtres contre 15% des ouvriers non qualifiés choisissent le latin pour leurs héritiers. On pourrait dire que Bourdieu avait raison, et que lécole reproduit toujours les mêmes stratifications. Mais des travaux plus récents montrent aussi que " lécole fréquentée pèse autant, voire plus, que lorigine sociale ", et que " leffet-établissement " et " leffet-classe " sont surtout forts chez les élèves les plus faibles. Autrement dit : toutes les pratiques ne se valent pas. Les écoles les plus équitables sont les plus hétérogènes, celles qui ont un projet politique densemble, une identité professionnelle forte, des attentes élevées, une polarisation sur les apprentissages, de fréquentes évaluations des progrès individuels, un climat paisible, des règles claires, des droits et des responsabilités pour les élèves. Ces écoles sont exigeantes. Pour leur public, mais aussi pour elles-mêmes. Elles résistent aux deux tentations qui, ailleurs, tendent à creuser les écarts : le redoublement de fin dannée et les dispositifs réservés aux enfants en difficulté.
Devant tant dindices convergents, le lecteur raisonnable conclut avec lauteure : " Les recherches invitent à défendre lhétérogénéité des publics. ( ) Si léducation se trouvait libérée de son monopole dans lévaluation officielle du mérite, [elle] y gagnerait, tant cette compétition lancinante qui sinsinue au cur même des apprentissages et des années de formation en pervertit largement le sens ". On peut plaider, aujourdhui, pour une école sélective. Mais si lon est de bonne foi, on ne peut plus dire que la compétition et les classements sont les moteurs de la démocratisation. Ils lencombrent. En matière déquité, toutes les prétentions ne se valent pas. Certaines sont scientifiquement défendables, dautres non. Bien sûr, cest une inégalité. Tellement incorrigible qu'il faut bien l'assumer.
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Duru-Bellat, M. (2002). Les inégalités sociales à lécole. Genèse et mythes. Paris : PUF.
Voir aussi le site de l'Institut de recherche sur léconomie de léducation (IREDU-CNRS), Université de Bourgogne.