Calculs chinois

Les notes ne datent pas d’hier, et le débat sur les notes non plus. Edouard Claparède publie L’école sur mesure en 1920. Il y dénonce l’école actuelle [qui] veut toujours hiérarchiser, alors que ce qui importe avant tout, c’est de différencier. Pour dénoncer la pédagogie à une dimension et les expédients des concours, des rangs et de la notation, il cite Henri Roorda (p.30-32) :

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Les pédagogues chinois - cela n’étonnera personne – emploient un moyen très compliqué pour savoir s’ils doivent accorder à tel de leurs élèves le droit de poursuivre les études qui le mettront en mesure d’exercer, plus tard, la profession de dentiste. Quand l’écolier a seize ans révolus, on calcule la moyenne des notes qu’il a obtenues, durant les douze premiers mois, dans ses leçons de chinois. On procède de même pour ses notes de géographie, d’histoire, de mathématiques, de religion, d’économie politique, de dessin, de danse et de trombone à coulisses. Chacune de ces moyennes est multipliée par l’un des nombres : 5, 4, 3, 2 ou 1. Ce sera, par exemple, le multiplicateur 3 pour l’histoire et le multiplicateur 1 pour le dessin. Puis on additionne tous les résultats obtenus. Si le total de cette addition est inférieur à 266, l’élève est retenu un an de plus à l’école ; c’est-à-dire qu’on abrège d’un an son existence de dentiste.

Les pédagogues chinois se rangent d’ailleurs dans deux camps opposés : les partisans du professeur Dzimm, qui multiplie par 3 la note de géographie et par 2 celle de mathématiques ; et les partisans du professeurs Lahitou, qui fait l’inverse.

Comme on pouvait le prévoir, les pédagogues de notre pays procèdent d’une manière beaucoup plus rationnelle. D’abord, ils ont renoncé de tout temps à l’enseignement du chinois. Ils estiment , avec raison, qu’un futur vétérinaire peut se contenter d’étudier le latin huit ans de suite. Mais c’est surtout dans la manière dont ils enseignent le français à leurs élèves qu’ils se montrent plus sérieux que leurs collègues du Céleste-Empire. D’une part, ils considèrent la composition et la dictée ; et dans un autre groupe ils rangent la grammaire, la récitation, l’analyse logique et la lecture. Ils sont assez raisonnables pour comprendre que l’importance de la composition est à celle de la lecture comme 2 est à 1 ; et, en définitive, il leur suffit d’effectuer neuf additions, neuf divisions et une multiplication pour reconnaître que le jeune Robert ne mérite, pour le français, que la note 6,392. Et comme cette note, combinée avec les autres (calculées d’après le système Bolomais), ne donne qu’une moyenne de 6,499, le collégien Robert devra rester un an de plus sur les bancs de l’école avant de succéder à son papa, le vétérinaire. Voilà pourquoi nos vaches sont si bien gardées.

Henri Roorda, cité dans : Claparède, E. (1920). L'école sur mesure. Lausanne et Genève, Payot.

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