Olivier
MAULINI
Université de Genève
Faculté de psychologie et des sciences de
l'éducation
29 août 2003
Texte paru dans l'Educateur (n°8), rubrique Sacré Charlemagne (L'école, idée folle ?).
Dans un monde incertain, il nest pas simple pour lécole de tracer son chemin. Dans sa " Lettre à tous ceux qui aiment lécole ", Luc Ferry a voulu ménager la chèvre du renouveau et le chou du statu quo. Les enseignants français ont pris leur ministre pour un drôle de zèbre : moitié noir, moitié blanc.
Pour Luc Ferry, lécole est en déclin. Les maîtres sont désemparés. Il subissent de plein fouet la " crise des valeurs " qui a " sapé " les principes fondamentaux de " lidéal républicain ". Ils sont victimes du " harcèlement textuel " des précédents ministères, une frénésie de changements sur ordonnance dont tout le monde se moque et qui finit par " discréditer la parole dEtat ". Des professeurs ont trouvé que sa prescription était pire que le mal : comment dénoncer lindividualisme contemporain et le réformisme à tout crin en publiant, aux frais du contribuable, un édit de 134 pages censé " expliquer les réformes en cours " ? Les plus virulents ont piétiné ou brûlé louvrage au pied des académies, devant les caméras de télévision. Dautres lont renvoyé à lexpéditeur. On pourrait leur donner raison, et se dire que les biblioclastes ont montré au héraut de lautorité que la fin des décrets ne se décrète pas. Mais on doit aussi leur donner tort. Quand nos supérieurs font fausse route, quel est notre rôle denseignants : pilonner la pensée de lautre ou contre-argumenter ? Il y a, dans la " Lettre " de Luc Ferry, une série de contradictions qui mérite examen. Par exemple :
" Le peuple aime son école, mais non... Les jeunes veulent apprendre, mais non... Il faut innover, mais non " Le ministre voit bien que lenseignement balance entre progression et régression, et il choisit de ne pas choisir en disant tour à tour une chose et son contraire. Cest la stratégie du zèbre : alterner les bandes blanches et les bandes noires pour briser la continuité du corps, et embrouiller ladversaire qui ne peut plus distinguer lavant de larrière. Dabord, Ferry lécrit haut et fort : " il ne sagit nullement didéaliser le passé ni de sinstaller dans la perspective dune quelconque restauration ". Et ensuite, il biffe la moitié des alinéas : il veut " redonner son sens au métier denseignant ", " recentrer le métier et sa formation sur ses vraies missions ", " réconcilier les élèves avec lécole ", " rétablir la légitimité de la culture scolaire ", " redéfinir les programmes ", " repenser et réinventer la sanction ". Il veut " restaurer lautorité des enseignants ". Il ne veut rien restaurer, mais il ne fait que cela. On dirait quil court davant en arrière, comme un zèbre affolé fuyant le danger. Ce défilement des extrêmes est peut-être éblouissant, mais il néclaire pas.
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Ferry, L. (2003). Lettre à tous ceux qui aiment lécole. Paris : Odile Jacob.