Olivier
MAULINI
Université de Genève
Faculté de psychologie et des sciences de
l'éducation
20 février 2004
Texte paru dans l'Educateur (n°2), rubrique Sacré Charlemagne (L'école, idée folle ?).
Les experts deconomiesuisse préconisent, en collaboration avec le Cercle détude Capital et Économie, de " nouvelles pistes pour le financement des Hautes Écoles ". Plus dargent pour plus de savoir, mais de drôles de redistributions.
Quand economiesuisse parle décole, cest dabord pour faire des économies. Dernière idée en date : taxer les étudiants pour quils paient le droit dapprendre le russe, la chimie ou larchitecture. Les universités coûtent cher trop cher ! mais elles forment les élites. Des taxes plus élevées seraient " le prix de lexcellence de lenseignement et de lencadrement ". Aujourdhui, létudiant lambda paie deux francs par heure de cours. Cest moins cher que sa soirée au cinéma economiesuisse a fait ses comptes : si 130'000 étudiants payaient 5'000 francs par an, les Hautes Écoles pourraient engager 500 millions dans le recrutement de professeurs et dassistants. Plus dargent, cest plus de formation. Plus de formation, cest plus dinnovation. Linnovation, cest de la compétitivité, la compétitivité de largent et largent de la formation. Comment hésiter devant un jeu dont tout le monde sortirait gagnant ?
Car aujourdhui, il y a des perdants. economiesuisse le sait bien, et veut trouver une solution qui " garantisse légalité des chances pour tous " et une " meilleure solidarité ". Elle veut un système " performant " à " haute valeur ajoutée " et qui " crée des richesses ", mais qui lutte aussi contre les inégalités. La preuve de sa bonne foi ? Elle vise les étudiants, car les étudiants sont des privilégiés. Et les grands patrons naiment pas les privilèges : " Malgré des taxes détudes modestes, la participation aux études supérieures des milieux moins favorisés reste comparativement faible. Le niveau actuel des taxes détude sapparente dès lors à des subventions aux milieux privilégiés. Un système garantissant une meilleure formation grâce à des taxes détudes plus substantielles, couplé à un besoin ciblé aux étudiants moins aisés, peut contribuer à une plus forte égalité des chances. " Sils veulent des diplômes, les bons élèves nont quà les acheter. Plus tard, ils seront médecins, enseignants ou banquiers : leur formation est un investissement quils auront le temps damortir. Un apprenti na pas cette chance : pourquoi lui demander de subventionner son voisin lycéen ?
Que les riches paient les écoles qui les ont rendu riches On dirait de la démocratie, et cest juste de la démagogie. Car il y a deux biais dans le raisonnement : premièrement, les élus ne se plaindront pas ; deuxièmement, les autres ne gagneront rien. Les élus, dabord : faire payer leurs études aux étudiants, cest comme priver les millionnaires dAVS ; si ces économies compensent des baisses dimpôts, lÉtat gagne dune main ce quil perd de lautre. Et qui profite dune baisse dimpôt : lapprenti-boucher ou le millionnaire ultralibéralisé ? Si lécole a besoin dargent et si les ouvriers sont assez imposés, ce nest pas la bourse des étudiants quil faut rogner : cest la répartition de limpôt quil faut changer. Mais economiesuisse ne veut pas de cette égalité. Elle préfère privatiser les charges sociales, ce qui est une drôle de solidarité.
Ersatz de Robin des Bois... La redistribution, nos décideurs ny croient pas. Ni pour lavoir, ni pour le savoir. Leur deuxième biais est plus discret, mais ses effets sont concrets. Quest-ce quune école où les premiers paient les études dont sont privés les derniers ? Cest une école à deux vitesses, qui ne lutte plus contre les inégalités. Pour economiesuisse, lavenir du pays est tout tracé : des élèves qui échouent, il y en aura toujours, cest une nécessité ; et comme ils seront toute leur vie mal payés, il faut une ristourne en provenance des favorisés. Les moins bons perdent, cest une fatalité. Les meilleurs remboursent, cest ça légalité. Cest immoral ? Mais non, cest bon pour la compétitivité.