Olivier
MAULINI
Université de Genève
Faculté de psychologie et des sciences de
l'éducation
26 novembre 2005
Texte paru dans l'Educateur (n°12), rubrique Sacré Charlemagne (L'école, idée folle ?).
Le savoir se transmet à condition dêtre appris. Le bon maître instruit lélève tout en sintéressant à lui. Idée simple, travail complexe. Preuve que les familles, en tout cas, sont loin de détester la pédagogie.
Quattend-on dun enseignant ? La question frise parfois la guerre de religion. Tout le monde a sur ce point son opinion. Chaque ancien élève sait ou prétend savoir ce que devrait être un bon maître, ce que les instituteurs daujourdhui répèteraient ou braderaient de lécole de jadis. Avant, on faisait la leçon, maintenant, on écoute béatement les enfants... Hier, on brimait sans crainte, demain on justifiera chaque règle et chaque sanction Quil peigne en noir ou en rose les effets du temps, le débat public a tendance à forcer les contrastes, opposer les fronts, sonner la fin ou le début de la juste éducation. On entend les jours pairs que les parents se défieraient des maîtres, sinquièteraient dune pédagogie rigide et/ou sans ambition. Les jours impairs quils sont eux-mêmes en perdition, quils se défont ou abusent de leur autorité, forçant les professionnels à réparer les pots cassés. Le divorce serait-il donc consommé ? Dun côté, des familles déçues ou dépassées par les événements ; de lautre, des maîtres coupables ou victimes du désamour que leur vouent les bonnes gens. Disons plutôt quune contradiction annule lautre : si chaque partie a tantôt tort, tantôt raison, cest peut-être que les camps ne sont pas si tranchés et que les époques bénies nont pas davenir parce quelles nont jamais existé.
Deux étudiants, futurs collègues, sont allés questionner six familles : quattendent-elles au juste des enseignants ? Lorsquelles les voient au travail, quels sont les signes, les manières dêtre, les façons de faire qui leur semblent dignes dun « bon maître », du « professionnel compétent » auquel elles confieraient sans arrière-pensée la formation de leur fils ou de leur fille, (un bout de) son avenir soit dit en passant. Leurs réponses ont peut-être de quoi nous étonner. Elles offrent surtout au milieu des anathèmes ambiants une vision de lécole et de léducation à la fois simple et complexe, pleine de bon sens, de nuances et de raisons despérer.
Au premier plan, cest vrai, des paradoxes. Le maître est fiable lorsquil fait face aux élèves, quil toise la classe bras croisés, sourcils froncés pour donner à voix haute et claire ses instructions. On attend quil sache, quil dise, quil sexprime à propos. Quil connaisse son affaire et ne cherche pas ses mots. Bref, « il faut quil ait lair de quelquun à qui lon na rien à apprendre ». Sauf quen même temps, on aime quil circule dans les rangs. Quil sapproche des élèves, sasseye auprès deux, sinquiète de leurs erreurs, de leurs questions, de la manière dont il est compris ou non. « Il doit donner des bonnes explications tout en sachant sarrêter quand il le faut, en faisant participer les élèves, en nhésitant pas à reprendre autant de fois que nécessaire. » En somme, le bon maître semble omniscient, mais il nenseigne vraiment que sil apprend des enfants, quil les met au travail, observe leur raisonnement, suscite lexpression pour apporter des corrections. Professer ne suffit pas : « il faut savoir écouter. »
Chaque qualité, finalement, a son revers. Le mieux étant lennemi du bien, il faut en tout et pour tout se garder dexagérer : « Les maîtres doivent être stricts, mettre des limites, punir les abus, mais rester justes. » « Ils doivent être tolérants, mais fermes quand même. » « Lidéal, cest quelquun dun peu distant, sans lêtre trop. » « Quelquun de sévère, mais pas trop. » Labus fait le défaut. Il y a moins un parti à prendre quun dosage vers lequel tendre. « Il faut trouver un juste milieu » : passer de la contradiction à léquilibre des forces, leur alliance, leur composition. Cest lévidence, mais cest aussi excusez du peu lart et la science pédagogiques résumés en deux mots.
Tout se joue dans la coïncidence : « Lenseignant doit être gentil tout en punissant lorsque cest nécessaire Il doit être ferme, savoir poser ses conditions et ses limites tout en restant tolérant Être attentif tout en étant détendu et à laise Construire un cadre tout en restant cool... Avoir beaucoup dhumour tout en demeurant un peu sérieux Le mieux, cest dimposer une certaine rigueur tout en gardant un esprit douverture et de propension au dialogue. » Faites ceci, sans oublier cela. Soyez celui-ci, mais aussi celle-là. Refusez les fausses alternatives : montrez-vous exigeant et respectueux, compréhensible et compréhensif, bref enseignez tout en apprenant, soyez comme vos aînés tout en innovant. Les familles, conclut lenquête, nont que faire des querelles de doctrines. « Cest lexigence et le souci que les enfants apprennent qui les préoccupent. Il y a une attente très forte que lenseignant ne se contente pas de faire cours, mais quil sassure que lélève ait compris, quil ait appris. » Ni magister ni enfant-roi, mais une école cherchant le progrès et ajustant le tir tant que ce nest pas fait. Garder laplomb tout en allant de lavant : est-ce une contradiction ou la condition du mouvement ?
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Rabbani, R. & Ruchet, S. (2005). Images denseignant-e-s. Quen disent les familles ? Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de léducation (mémoire de licence)