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Paru in C.O. Informations
(Genève), novembre 1990, n° 8, pp. 16-41.

 

 

 

La formation équilibrée des élèves,
chimère ou changement du
troisième type ?

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
1990

Bien avant d’autres écoles comparables, et plus explicitement, le Cycle d’orientation genevois a appris à se penser comme un système en réforme permanente, comme une organisation capable de se transformer de façon volontariste à condition :

Ces deux conditions ne sont pas constamment réunies depuis 30 ans. Par moment, le Cycle a l’impression d’être pris dans un carcan de conservatisme, celui par exemple qui a bloqué la réforme II ou l’introduction généralisée d’un tronc commun en 7e. À d’autres moments, c’est le doute sur la participation interne qui prend le dessus : on se sent piégé dans des consultations illusoires, ou encouragé à faire des expériences mais sans garantie de pouvoir les stabiliser.

L’observateur, tout en reconnaissant ces fluctuations et ces limites, doit souligner que cette école reste capable de penser son avenir et de se transformer, au moins virtuellement.

Elle se trouve aujourd’hui, semble-t-il, devant un double défi :

  1. Reconstruire à l’échelle de l’ensemble (différemment dans chaque collège) une confiance et un dynamisme qui se sont un peu effrités.
  2. Affronter en même temps des changements d’un troisième type.

Sur le premier point, je n’insisterai guère ici. Il faudrait faire l’histoire des occasions manquées depuis la réforme II et l’analyse des désillusions, des rancunes, des procès d’intention et des rognes qui en ont découlé. Le risque d’une telle entreprise serait double : d’une part prêter une dynamique d’ensemble plutôt fragile et morose, au cours des dernières années, à chaque établissement, alors que les contrastes sont réels ; d’autre part, impliquer dans une histoire ancienne une fraction des enseignants d’aujourd’hui qui n’y ont pas participé et n’ont pas nécessairement de raisons de recueillir un héritage assez lourd.

Sans doute pourrait-on faire l’histoire de chaque établissement pris séparément, des complicités et des conflits entre la direction et les maîtres, entre le collège et l’ensemble du Cycle d’orientation. Je manque d’éléments pour faire ce travail à propos du collège des Grandes Communes. De toute façon, la situation me semble y être suffisamment ouverte pour que cette analyse soit faite à l’intérieur même du collège, par les intéressés, s’il devait se révéler que toute dynamique future suppose un retour sur le passé plus ou moins récent.

Je ne puis donc, sur ce premier point, qu’insister sur l’impossibilité de faire table rase des expériences, des succès et des déceptions antérieurs. La formation équilibrée, d’une certaine façon, mobilise des utopies " classiques " et ne constitue pas un dossier tout neuf, indépendant des débats et des contentieux du passé. À sa façon, ce thème repose le problème de la sélection, de la discipline, de la structure, des rapports entre la hiérarchie et les maîtres, de l’autonomie et des responsabilités de chacun, du poids des diverses branches, de l’évaluation, etc. Il serait donc absurde de vouloir ouvrir le chantier de la formation équilibrée sans se soucier des traces que d’autres débats récents ont laissé dans les esprits. À l’inverse, il serait fâcheux que les uns et les autres demeurent complètement prisonniers des positions définies auparavant. La formation équilibrée des élèves, sans être un thème absolument indépendant de tous ceux qui ont agité le Cycle d’Orientation depuis sa création, met plus que jamais l’accent sur un ce que j’appelle un changement de troisième type. C’est une chance de redistribuer les cartes.

I. Contrat didactique et sens des savoirs :
vers un changement de troisième type

Les changements de premier type, ce sont les réformes de structures, à commencer par la création même du C.O. en 1962. Les changements du deuxième type, ce sont les aménagements des disciplines et des programmes, souvent en parallèle aux réformes de structures : modernisation des plans d’étude et des didactiques de toutes les disciplines traditionnelles, introduction de l’information générale, de la critique de l’information, de l’informatique.

Les changements du premier type ont mobilisé toute l’école, et souvent la cité, sur des enjeux visibles, qui touchent directement à la sélection. Les changements du second type ont été vécus de façon moins globale, agitant tour à tour les spécialistes de telle ou telle discipline plutôt que l’ensemble des maîtres. Alors que les réformes de structures ont été discutées dans des instances variables de participation, construites ou reconstruites de cas en cas, les aménagements de contenu ont été gérés par des groupes et des structures plus stables.

Il serait un peu excessif de dire que ces deux types de changements n’ont touché ni à la relation pédagogique et au contrat didactique, ni à la place des personnes et au sens de leur travail dans le système. Forcément, en modifiant l’hétérogénéité des classes, en créant des niveaux, en changeant les objectifs et les plans d’études, on modifie ce qui se passe dans les classes. Nul ne songe à nier qu’en dernière instance, ce qui compte, dans la formation, c’est ce qui se passe au jour le jour entre les maîtres et les élèves, et surtout ce qui en résulte. Tout le reste, plans d’étude, structures, bâtiments et moyens d’enseignement ne sont que des ressources qui rendent plus ou moins facile, plus ou moins probable tel type d’interaction didactique favorable aux apprentissages visés. Il reste que :

Pendant des années, ces incertitudes n’ont pas découragé les réformateurs, qui ont multiplié les actes de foi dans les vertus des changements de structures et de programmes. Mais peut-être arrivons-nous à une phase historique de l’histoire de l’école où il ne suffit plus de viser des effets indirects sur les pratiques. Pour trois raisons :

  1. Les changements structurels n’ont pas produit tous les effets qu’on en attendait, en matière de démocratisation et de modernisation de la formation ; on arrive dans une phase de rendements décroissants des aménagements globaux et aussi d’indécision générale quant au sens du progrès.
  2. Nous vivons dans une situation d’opulence matérielle extraordinaire ; désormais, en dépit des crises budgétaires, les enjeux sont plus qualitatifs que quantitatifs ; qui pourrait prétendre qu’en doublant du jour au lendemain le nombre de maîtres, le nombre de locaux, le nombre de moyens ou d’ordinateurs, on surmonterait les problèmes que posent la formation des adolescents aujourd’hui ?
  3. Nous nous trouvons aussi, c’est une banalité, dans une période assez troublée quant à l’avenir qui nous attend, aux valeurs qu’il faut défendre, aux rapports entre l’individu et la cité ; crise des valeurs, " société du vide ", individualisme, perte du lien social, désorganisation urbaine, angoisse écologique, explosion possible de la planète font que beaucoup - maîtres, élèves, parents et autres - ne savent plus très bien, du moins pas tous les jours, s’il vaut la peine de vivre et pourquoi.

D’où la nécessité d’un changement du troisième type, qui consiste à mettre enfin l’accent, ouvertement et institutionnellement, sur ce que vivent les élèves et les maîtres au jour le jour, dans les classes et les établissements.

Une question de sens

Un changement du troisième type, c’est une question d’âme pourrait-on dire, au risque de paraître romantique ou théologique. Disons, de façon plus prosaïque, que c’est une question de sens : sens de la présence, du travail, de la coopération en classe et dans le collège, et peut-être au-delà, sens de la relation et de la vie.

Ce qui manque au Cycle d’orientation et probablement à la plupart des écoles secondaires dans le monde, ce n’est pas une réforme de plus, un nouveau passage à l’acte, une nouvelle injection de ressources, une nouvelle modernisation de textes déjà modernisés. Ce qui manque le plus, c’est une capacité de dégager l’essentiel et d’en parler. Or l’essentiel, c’est notamment la définition d’une formation équilibrée et équilibrante, qui tienne compte de la réalité des adolescents et des sociétés contemporaines.

Tout le monde s’accorde à dire que la question de la grille horaire n’est qu’un facteur déclencheur d’une interrogation plus profonde. Qui pourrait croire en effet qu’en casant habilement une heure d’informatique sans susciter un scandale, on avancerait en quoi que ce soit vers la solution des problèmes de fond ? Ou même croire que des regroupements interdisciplinaires sur le papier ou une reformulation flamboyante des objectifs des disciplines pourraient vraiment sortir de l’ennui, de l’apathie ou de la révolte ceux qui y sont plongés ?

La question ne porte pas seulement sur le bien des élèves. La préoccupation d’une formation équilibrée devrait amener chacun à se demander " A quoi jouons-nous ? " Plutôt que d’accoucher d’un nouveau plan d’études, il s’agit plutôt de s’arrêter un moment pour se regarder courir, en se demandant si toute l’énergie investie dans la transmission des savoirs et le maintien de l’ordre, dans l’évaluation et l’orientation, est proportionnée à ses effets, ou encore si, à force de fonctionner, de remplir des heures et des leçons, de maintenir une pression, de s’attacher à des formes extérieures de rendement et de conformité, on gagne grand-chose au bout du compte.

L’école aura-t-elle la sérénité voulue pour se poser ces questions ? À divers moments, séparément ou globalement, les maîtres et les établissement en prennent plein la figure. À l’aide d’un certain nombre d’observations bien choisies, il n’est pas difficile de suggérer que tant les maîtres que les élèves s’ennuient, perdent d’année en année en autonomie, en détermination, en créativité, développent face aux savoirs des attitudes cyniques et instrumentales, s’habituent au chacun pour soi ou à la déviance sournoise, etc. Cette mise en cause du corps enseignant et de l’institution activerait les mécanismes habituels de protection : les gens d’école savent aujourd’hui se défendre, au moins en apparence, contre les jeteurs de pierres. Ce qui serait plus intéressant, c’est que ces questions puissent être calmement formulées et débattues dans l’école, qu’elles soient abordées non sur la place publique, en réponse à des attaques externes, mais parce qu’on se les pose soi-même et qu’on a des doutes sur le sens du travail scolaire et du métier d’enseignant.

 Les vertus paradoxales du flou

La formation équilibrée des élèves n’est pas un concept clair, partagé à l’échelle du Cycle d’orientation. C’est plutôt un ensemble flou, une expression sur laquelle chacun peut projeter une signification personnelle. Dans un premier temps, on peut être tenté de sortir de ce flou le plus vite possible, de stabiliser une définition officielle de l’équilibre et de la formation équilibrée, pour travailler ensuite sur des modalités et des problèmes concrets. Nous avons tous cette tentation, car c’est moins angoissant que de se demander pendant des âges exactement de quoi l’on parle.

Pourtant, c’est à tirer parti du flou que je vous inviterai. Un changement du troisième type touche aux personnes et au sens de leur pratique dans le système, donc à ce qu’il y a de plus subjectif et de plus existentiel chez les élèves, les parents, les maîtres ou les responsables scolaires. Tout effort prématuré de schématisation, de standardisation ne peut qu’appauvrir les mots et les concepts. Et surtout, il exclut du débat une fraction importante des acteurs, ceux qui ne se reconnaîtraient plus dans une définition trop étroite. Il est donc très important de maintenir assez longtemps, peut-être des mois ou des années, une certaine ouverture sémantique. Concrètement, chacun devrait conserver longtemps le droit de dire " A mes yeux, la formation équilibrée c’est… " sans qu’aussitôt quelqu’un brandisse une définition officielle pour montrer qu’on s’écarte du sujet.

Tous les enseignants le savent, dans leurs domaines respectifs, la question est souvent beaucoup plus importante et intéressante que la réponse. Ce sont les problématiques, non les solutions qui font avancer. Parce qu’elles obligent à une confrontation, à une remise en question des certitudes, à de nouvelles vérifications et de nouveaux échanges. La première vertu du thème de la formation équilibrée est là : obliger les gens de l’école à se parler, à se redire parfois des évidences, mais peut-être aussi des choses plus neuves ou moins banales. Permettre à chacun de trouver un lieu où il importe de dire pourquoi il fait ce qu’il fait, à quoi ça sert, ce qu’il y trouve et ce qui lui manque.

Plutôt que comme un dispositif ou un objectif précis, je vous propose de concevoir la formation équilibrée de l’élève comme un langage que le Cycle d’orientation a envie de se donner pour se dire : " Dans la vie quotidienne des maîtres et des élèves, ça pourrait aller mieux, parlons-en ! ".

Parlons-en ! " ne signifie pas nécessairement " Décidons vite quelque chose ", " Alignons rapidement quelques noix sur un bâton et fermons le dossier ". " Parlons-en " devrait vouloir dire " Prenons le temps de la conversation, donnons à chacun l’occasion de se demander ce qu’il fait, ce qui le fait courir, ce qu’il attend et de le dire dans un lieu pas trop menaçant. "

Les risques de la lucidité

Tirer la réflexion sur la formation équilibrée du côté de l’interrogation existentielle et du travail sur le sens, c’est évidemment risqué. Il est bien plus rassurant d’être confronté à une question structurelle ou technique. C’est pourquoi certains s’efforceront de ramener la formation équilibrée des élèves à un changement du second, voire du premier type. Si l’on s’en tient à une réforme de la grille horaire, voire à certains décloisonnements ou regroupements des disciplines, on reste dans un changement du second type. On peut même imaginer qu’une reconstruction du curriculum modifie le visage des sections ou des niveaux, et aboutisse à une transformation du premier type, qui deviendrait l’enjeu principal.

Il ne faut pas sous-estimer cette tentation de ramener le thème de la formation équilibrée à des enjeux connus, à des affrontements déjà expérimentés, avec une distribution prévisible des rôles et des intérêts. On peut imaginer qu’une partie des collaborateurs du C.O. vont faire tout ce qu’ils peuvent pour infléchir le débat dans le sens des structures, au sens large, autrement dit des principes, des textes organisateurs, des plans d’étude, du statut des disciplines et des personnes, etc. C’est beaucoup moins menaçant, on connaît les règles du jeu, on peut se retrancher derrière des intérêts acquis et des discours idéologiques ou pédagogiques qui ont fait leurs preuves, sinon comme moyen de changer l’école, du moins comme façon de se défendre et de maintenir le statu quo.

C’est le jeu normal des institutions : engloutir une énergie considérable dans des problèmes secondaires ou limités, pour ne pas parler de l’essentiel, parce que l’essentiel dérange, menace les conforts et les intérêts acquis, suscite le vertige parfois. En temps normal, il vaut peut-être mieux que le personnel d’une clinique ne se demande pas constamment à quoi ça sert de réussir de beaux avortements ou de faire survivre des morts vivants. Ce sont des questions qui entament la quiétude. Dans tous les lieux de travail, une certaine cécité à l’arbitraire est en temps ordinaire une condition de fonctionnement relativement efficace. Pour agir sans états d’âme, mobiliser des routines relativement payantes, boucler le programme, tenir les élèves, équilibrer sa vie, il vaut parfois mieux ne pas penser. C’est vrai aussi à l’échelle individuelle : combien d’entre nous doivent-ils leur apparente stabilité à l’immense énergie mise à ne pas se poser les bonnes questions ?

Les risques de la cécité

Peut-on vivre durablement de cette manière ? À quel moment la cécité, cessant d’être protectrice, devient-elle aliénante ou destructrice ? Faut-il attendre la paralysie ou une crise profonde pour réfléchir ? D’un côté, l’école genevoise se porte bien : moyens importants, programmes et structures parmi les plus modernes, démocratisation plus avancée que dans beaucoup de systèmes comparables, niveau de formation relativement élevé si l’on en juge par l’accès au collège ou à la maturité par exemple. Pourquoi se casser la tête ?

Est-ce que tout va si bien que ça ? Si oui, on peut se demander pourquoi le thème de la formation équilibrée a mobilisé l’ensemble des cadres et des responsables de disciplines ces derniers mois et pourquoi il réunit tous les maîtres du collège aujourd’hui.

Même si c’est difficile, il me paraîtrait beaucoup plus fécond de décoder l’émergence de ce thème pour ce qu’elle est : un signe de désorientation, d’inquiétude. Non pas la peur d’une catastrophe administrative ou d’une totale impuissance pédagogique, la crainte du blocage de la machine ou de son vieillissement. Ce n’est pas la panique, mais une inquiétude plus sourde, analogue peut-être à celle qui saisit l’adulte de 30 ou 40 ans le jour où il se dit : " J’ai un bon métier, une situation, une famille, des choses. Tout a l’air bien. Et alors ? " Neuf fois sur dix, la réponse est " Et alors rien ! " Mais parfois, justement parce que matériellement, socialement aucune catastrophe précise ne menace, on saisit l’occasion de se dire : " Qu’est-ce que je deviens ? À quoi riment tous mes efforts ? Est-ce bien ce que je voulais faire de ma vie, de mon travail, de ma famille ? "

C’est justement lorsque aucune crise n’est imminente qu’on peut prendre le temps de réfléchir, essayer de reconstruire le sens de ce qu’on fait, peser le pour et le contre, réorganiser sa vie si l’on trouve une hypothèse plus convaincante. Pour le Cycle d’orientation, la réflexion sur la formation équilibrée pourrait être une occasion privilégiée de se poser deux ou trois questions fondamentales sur la vie quotidienne dans les classes et les établissements, les jeux autour du savoir, du pouvoir, de la reconnaissance, de l’évaluation.

Lorsqu’une personne décide de s’interroger sur le sens de son existence, elle mène un combat contre elle-même, elle doit gérer une forte ambivalence : envie de se poser certaines questions et envie de les refouler, envie de gratter où ça démange et envie de se dire que tout ne va pas si mal. Lorsque dans un couple, une famille ou un petit groupe, se posent les mêmes questions, un obstacle supplémentaire surgit : il faut gérer cette ambivalence en commun, décider ensemble qu’on nie ou qu’on pose les problèmes, qu’on met les cartes sur table ou qu’on continue à tricher, etc. C’est difficile parce que nous manquons de mots et de savoir-faire pour négocier une décision commune de cet ordre. Et aussi, peut-être surtout, parce que chacun n’a pas les mêmes raisons, en un moment précis, de s’interroger sur le sens de l’existence ou du métier de maître ou d’élève.

Dans une institution aussi vaste qu’un collège, avec des anciens et des nouveaux, des gens qui occupent une position centrale et des marginaux, des gens qui ont un pouvoir formel ou informel et d’autres qui n’en ont presque pas, des gens qui vivent bien leur métier et d’autres mal, des gens qui font le sale boulot, d’autres qui ont la meilleure part, il serait étrange que, au jour J, tout le monde se dise : " ça y est, il faut qu’on réfléchisse, on va ensemble se poser des questions fondamentales ". Il y en aura forcément toujours quelques-uns ou davantage pour dire que ce n’est pas une bonne idée, que ce n’est pas le moment, que ce n’est pas un vrai problème, que les dés sont pipés, les questions mal posées, etc. Il y en aura d’autres pour dramatiser, s’engouffrer dans la brèche pour refaire le monde ou réenfourcher leur cheval de bataille habituel. Il y en aura sans doute beaucoup pour se dire : " C’est vrai, ce serait intéressant de discuter un peu, de faire le point ; mais ça va prendre du temps, ça pourrait bien s’enliser ou compromettre ma tranquillité ; restons prudents, regardons ce que font les autres, il sera toujours temps de s’engager s’il se passe quelque chose… "

 Faut-il entrer en matière ?

Face à ces phénomènes, parfaitement compréhensibles et légitimes, il y a deux stratégies possibles :

Vous l’aurez compris, la seconde stratégie me semble à la fois plus honnête et plus convaincante. Embarquer des collaborateurs de l’école dans le train d’une nouvelle réforme en laissant entendre qu’il est déjà en marche, qu’il sait où il va et qu’il faut monter maintenant sous peine de rester sur le quai, c’est une tentation de toute autorité. Mais beaucoup peuvent dire : " On m’a déjà fait le coup, je connais la manœuvre, c’est une forme de manipulation qui ne prend plus ".

J’aurais plutôt tendance à poser le problème de façon radicalement inverse : rien, ni dans la politique du Département, ni dans la situation de l’école genevoise, ni dans l’évolution de la société, n’oblige aujourd’hui à s’arrêter pour réfléchir sur la formation équilibrée des élèves. On peut se permettre le luxe de ne pas penser pendant pas mal d’années encore, de vivre sur son acquis, sa lancée, en se disant " On verra bien ", ou " D’autres après nous seront confrontés à ces problèmes ". La crise budgétaire rend prudents, du côté de l’autorité scolaire, les partisans les plus convaincus du changement. À l’heure où ils refusent de nouvelles ressources et amputent certains acquis, ils ne sont pas très à l’aise pour exiger du corps enseignant une réflexion fondamentale…

Cela revient à dire aux acteurs de chaque établissement " Vous êtes libres, libres de prendre ou de laisser ". Avec cependant une mise en garde : l’entre-deux est détestable. Ne faites pas semblant de vous poser des questions sur un thème aussi riche et stimulant. Jouez vraiment le jeu ou ne jouez pas du tout ! Et si vous décidez de ne pas jouer, n’empêchez pas les autres de se piquer au jeu.

Mais avant de décider, prenez le temps de vous demander : qui a envie de jouer, avec qui, et selon quelles règles ? est-ce une bonne idée ? aurons-nous la force. Dans un parlement, il y a un débat sur l’entrée en matière. Si l’on fait abstraction du caractère un peu formel d’une telle procédure, son bon sens saute aux yeux : la situation n’est pas toujours favorable pour débattre de n’importe quoi. La première sagesse d’un corps constitué, c’est de reconnaître ses limites et d’identifier des priorités. C’est pourquoi il est dangereux d’escamoter le débat sur l’entrée en matière.

Certes, à l’échelle des instances centrales du Cycle d’orientation, le choix est fait. Mais la réflexion ne peut véritablement s’amorcer que dans les collèges et chacun doit, à son tour, prendre une option claire. On peut concevoir qu’ici ou là un collège juge que la problématique n’est pas claire ou qu’il n’est pas prêt à l’affronter. Dans une structure partiellement centralisée, il prend certes le risque de s’exclure de la réflexion d’ensemble et de devoir éventuellement s’accommoder de changements à la genèse desquels il n’aura pas participé très activement. C’est un risque à considérer. Il ne devrait pas être tel qu’il oblige un collège à s’engager dans une réflexion à laquelle la majorité ne croit pas.

La rivière sans retour

Comme le soulignait Michael Huberman aux Diablerets, une fois qu’on a décidé de s’engager dans une réflexion sur le sens du travail scolaire et sur l’équilibre de la formation des élèves, il est difficile de revenir en arrière. Dans toute réforme, la mise en cause des structures existantes affaiblit leur légitimité, si bien qu’assez rapidement la résignation au statu quo apparaît comme un retour en arrière, voire un échec. C’est plus vrai encore lorsque la réflexion s’engage sur le sens des pratiques quotidiennes des maîtres et des élèves. Car par définition, cette réflexion met ce sens en doute et oblige à le reconstruire. Dès le moment où on se demande sérieusement à quoi sert l’école, que font les élèves des savoirs qu’ils accumulent, si l’évaluation saisit des compétences fondamentales, si on utilise bien le temps et l’énergie investis dans les classes, on ne sort pas indemne de ces interrogations. S’engager dans la réflexion, c’est donc envisager, tôt ou tard, de transformer l’organisation du travail et les pratiques pédagogiques, les rapports maîtres-élèves, la place des parents dans l’école, la définition de la culture.

C’est aussi s’engager sans très bien savoir où l’on va, car contrairement à une réforme de structures, qu’on peut mettre sur le papier, voire tester à petite échelle, le changement des pratiques dans le sens d’une formation plus équilibrée des élèves n’est pas codifiable d’avance. Il peut certes aboutir à des décisions précises concernant la dotation horaire des disciplines, les cloisonnements ou décloisonnements, les objectifs prioritaires. Mais tout cela, à ce stade, sans l’esprit et le cheminement qui y conduirait, ne serait qu’une occasion d’affrontements statutaires et territoriaux sans intérêt. Discuter aujourd’hui du poids respectif des disciplines artistiques, linguistiques ou scientifiques dans la formation conduirait chacun à un repli sur des positions défensives, faute d’un véritable débat sur la conception d’une culture générale ou d’une compétence de base à l’issue de la scolarité obligatoire.

Il faut aussi accepter l’idée qu’à une question d’une telle ampleur, on ne trouvera pas de réponse définitive et consensuelle, qu’on ne fera au mieux, en quelques années, qu’avancer un peu vers une autre école, vers une formation plus équilibrée et que cette conquête, aussi limitée soit-elle, sera provisoire, parce que plus encore que toute rénovation, l’évolution des contenus et des objectifs de la formation, ou de la relation pédagogique, est une évolution fragile, qui peut perdre son sens dès qu’on en revient à des routines et à des rituels, comme c’est la pente normale de toutes les institutions.

L’équilibre de la formation des élèves est un thème qu’on ne peut épuiser, sur lequel on ne peut espérer conclure. C’est une des questions avec laquelle l’école devrait apprendre à vivre, avec des temps forts et des temps faibles. La phase qui s’amorce aujourd’hui pourrait être un temps fort, en aucun cas un aboutissement. Ne serait-ce que parce que l’équilibre ne se définit jamais dans l’absolu, mais en fonction de l’évolution de la société et des savoirs. C’est d’ailleurs la vocation de tout équilibre dans un système vivant : non pas inertie mais résultante d’un constant travail de rééquilibration.

La décision à prendre, collège par collège, n’est donc pas vraiment confortable : ce qui vous est proposé, c’est d’adhérer à une démarche ouverte de réflexion et de recherche plus qu’à un changement déjà défini. Et c’est d’accepter d’avance que, malgré d’immenses efforts de concertation et de clarification, on ne puisse arriver à l’harmonie totale ou à l’équilibre définitif.

Qu’y a-t-il à gagner dans l’aventure ? Sans doute rien en termes d’avantages statutaires et matériels. Pas davantage un plus grand confort ou une plus grande tranquillité d’esprit. Peut-être un renouveau de la réflexion et de la communication à l’intérieur de l’établissement et des groupes de discipline. Peut-être une identité professionnelle plus forte, plus centrée sur l’action pédagogique. Peut-être aussi du courage ou du plaisir à essayer de fonctionner autrement, avec les adolescents ou avec les adultes. Peut-être encore le charme de l’aventure. Ou, qui sait, un rapprochement entre les pratiques et certaines utopies auxquelles beaucoup nous ne peuvent ni tout à fait souscrire ni tout à fait renoncer.

II. Formation équilibrée : quelques doutes constructifs

Pour les raisons qui viennent d’être indiquées, je n’ai aucune envie, en serais-je capable, de vous proposer une conception cohérente et étoffée de la formation équilibrée de l’élève. Cette conception, c’est à vous de la construire et de la négocier, entre vous et avec d’autres, et de la confronter aux résistances du réel.

Ce que je peux faire en revanche, c’est esquisser quelques pistes. Non pas celles qui ont été dessinées par la commission Printemps, les divers groupes de travail et le séminaire des Diablerets. Tout cela, vous l’avez lu ou vous pourrez le lire dans CO Informations. Dire que le thème de la formation équilibrée est un ensemble flou n’est pas dire que personne ne sait de quoi on parle. Au contraire, depuis un certain temps, au Cycle d’Orientation, des groupes et des personnes réfléchissent sur cette thématique. La plupart s’efforcent de dresser l’inventaires des buts et des besoins, de confronter les ambitions et les possibilités des diverses disciplines. Ces démarches s’appuient sur d’autres travaux qui, s’ils ne parlent pas explicitement de la formation équilibrée, répondent à la même préoccupation. Enfin, dans chaque collège, à leurs façons, certaines facettes du problème ont été explorées : à propos de l’horaire, de l’échec, de la discipline, de l’absentéisme, des épreuves communes, on parle nécessairement de sens du travail et d’équilibre de la vie d’élève ou de maître.

Je ne puis ici synthétiser ou résumer tous ces apports. Je préfère expliciter ce que j’ai appelé des doutes constructifs. J’en avais brièvement dressé la liste en vue du séminaire des Diablerets, mais sans avoir le temps de développer et sans qu’aucune discussion s’engage. D’une certaine façon, ce n’était ni le moment ni le lieu. L’enjeu était de dégager des perspectives thématiques et stratégiques suffisamment claires pour que la question soit posée dans les différents collèges. Elle l’est désormais.

Or à l’échelle d’un collège, le plus utile me semble de commencer par les doutes constructifs plutôt que par les définitions rassurantes et les programmes de réforme. Pour les raisons que j’ai dites plus haut : l’urgence consiste à ouvrir la réflexion et à semer le doute beaucoup plus qu’à avancer rapidement vers une solution praticable. Je ne suis évidemment pas contre les solutions praticables lorsqu’elles sont possibles. Mais je suis contre les pseudo solutions qui ne règlent rien sur le fond et n’ont d’autre fonction que de rassurer l’institution jusqu’au moment où elle devra bien constater que les problèmes demeurent et qu’on a perdu son temps.

Chacun de ces doutes mériterait à lui seul une longue analyse. Ce qui m’importe davantage, dans un premier temps, c’est de suggérer l’étendue du chantier et la complexité des interdépendances. Peut-être cela peut-il susciter une sorte de panique, de mouvement de recul en tout cas. À vrai dire, je ne vois pas l’intérêt de s’engager dans une réflexion sur la formation équilibrée de l’élève en faisant comme si c’était un problème simple. Et encore moins, en faisant comme si c’était un problème qui concerne les élèves seulement. J’y reviendrai dans la conclusion : l’équilibre des uns - les élèves - ici et maintenant ou dans ce qu’ils garderont de leurs études, n’est pas indépendant de l’équilibre des autres, les parents, les enseignants, l’ensemble des collaborateurs de l’école. Nous faisons tous partie tant du problème que de la solution. C’est une des thèses qu’entendent étayer les dix doutes que je vais formuler.

1. Une nouvelle norme ?

L’idée de formation équilibrée pourrait s’entendre comme un avatar du mythe de la formation idéale, du dosage optimal convenant à tout honnête homme. Ne faut-il pas au contraire envisager que la construction des savoirs peut prendre toutes sortes de formes équivalentes, avec des dominantes fortes ou des éclectismes, selon les personnes ?

Nous vivons encore sur une image de la culture générale comme ouverture à toutes sortes de savoirs et de disciplines. En réalité, cette ouverture n’est pas illimitée, puisque l’école exclut ou marginalise fortement des pans entiers de la culture, par exemple certaines musiques, tout ce qui se joue autour du sport et des jeux et assez largement le cinéma et la télévision, les arts de la table et du voyage, etc. L’éclectisme qui a cours prévaut donc à l’intérieur d’un sous-ensemble relativement restrictif.

On a l’habitude de souligner les mérites de cette diversité, un peu sur le modèle de l’éducation alimentaire : goûter de tout pour découvrir en connaissance de cause ce qu’on aime. C’est défendable du point de vue de l’orientation, cela protège contre une spécialisation hâtive et parfois malencontreuse. Cela prépare aussi à un minimum de compréhension et de tolérance envers d’autres spécialistes une fois que la division du travail se sera instaurée. C’est parce qu’on a fait un peu de biologie, quand on devient juriste, un peu de travaux manuels quand on a un métier intellectuel, un peu d’analyse de textes quand on devient artisan qu’on garde une vague idée de ce qui fait courir les professionnels des autres métiers.

Sans nier ces avantages, réfléchissons un instant au coût de ce système de formation : une immense dispersion des centres d’intérêts et des efforts intellectuels, une forte fragmentation du temps scolaire, la nécessité de changer de point de vue et de logique pour des raisons purement pratiques et donc arbitraire sous l’angle de la construction des connaissances. Une superficialité évidente : on survole tout, on n’approfondit rien faute de temps. Une pédagogie nécessairement moins active parce qu’on fait la course aux contenus, aux notions, aux chapitres sans laisser le temps de la découverte, de la recherche, du détour, de la construction d’une problématique personnelle.

La question qu’on devrait se poser est : quelqu’un qui, dès dix - douze ans, aurait la possibilité de se lancer à corps perdu dans une ou deux disciplines de son choix serait-il nécessairement moins équilibré, plus fermé aux autres composantes du savoir et aux autres personnes ? Ne serait-il pas, en même temps qu’il est appauvri de la diversité, enrichi de l’appropriation réelle de quelques domaines à partir desquels il pourrait entrer en contact, explorer d’autres territoires ?

Sur ces questions, il est difficile d’avoir des opinions démontrables. C’est plutôt le doute qui m’intéresse. La réflexion sur l’équilibre ne devrait pas conduire nécessairement à un nouveau saupoudrage, et encore moins à un saupoudrage idéal pour tout le monde, indépendamment des styles et des fonctionnements intellectuels, des besoins, des trajectoires.

2. Qui définit l’équilibre ?

Il se peut que chacun porte en lui une certaine image de l’équilibre, ou plus exactement une capacité de détecter des déséquilibres et d’y remédier. Exemple du sommeil, du travail/loisirs, de l’alimentation. Pourquoi imposer une définition externe de la formation équilibrée, fut-elle pluraliste ? Pourquoi ne pas viser plutôt à donner à chacun la force et les moyens d’évaluer sa formation et de travailler à la rendre cohérente, harmonieuse, équilibrée en fonction de la personnalité, de ses besoins, de ses projets ?

Ce qui constitue la dynamique même des systèmes vivants, et en particulier de l’être humain, c’est une capacité d’auto-organisation et d’équilibration. Pourtant, s’agissant des adolescents, on la sous-estime constamment. Prenons l’exemple du sommeil : la plupart des adultes font comme si les enfants et même les adolescents étaient incapables de gérer l’équilibre entre temps de veille et temps de sommeil, comme s’ils allaient à coup sûr compromettre leur santé en refusant de se reposer pour poursuivre des activités plus amusantes. Lorsqu’on laisse une liberté totale, on s’aperçoit qu’assez vite des régulations interviennent, parmi lesquelles la fatigue, mais aussi une certaine réflexion sur ce que ça coûte de dormir de façon anarchique : stress, rencontres manquées, etc.

Il est vrai que l’équilibre des savoirs est autrement plus difficile à gérer intuitivement, et qu’il requiert davantage une formation et un encadrement. Mais on pourrait envisager un système analogue à l’horaire à la carte : les entreprises fixent certaines règles du jeu, des plages où tout le monde doit être présent, des minima et maxima qui s’imposent à tous. Dans ces limites, chacun utilise les degrés de liberté restants pour aménager le mieux possible son emploi du temps en fonction de ses priorités et de ses besoins.

Tous les cours à option vont bien dans ce sens. Mais on sait bien qu’ils représentent des choix relativement marginaux dans la scolarité une fois qu’on a choisi une filière. Pourquoi refuser d’envisager qu’à certaines périodes de sa vie un adolescent puisse avoir besoin, pendant des mois ou une année entière, de faire essentiellement de la musique ou du dessin ou du sport, ou au contraire d’apprendre à plein temps une langue étrangère et la culture correspondante ?

On voit bien les difficultés de gestion d’une telle liberté, les risques encourus par les premiers intéressés mais aussi par les adultes, qui veulent assurer un minimum d’acquis pendant la scolarité obligatoire. On ne peut donc pas rêver d’un système complètement ouvert et souple. On peut en revanche se demander si la rigidité actuelle des programmes est un facteur d’équilibre et s’il suffit, au prix de savantes réflexions, de définir un nouvel optimum pour tout le monde. Il vaudrait mieux considérer que jusqu’à un certain point la recherche de l’équilibre est le problème de chacun et que la responsabilité du système scolaire est de faciliter cette quête plutôt que d’imposer à tous un modèle uniforme.

3. Faut-il nier l’idéologie et le conflit ?

L’équilibre est un concept séduisant, qui a des connotations esthétiques, pacifistes, harmoniques. En réalité, dès le moment où sa définition devient un enjeu concret, les camps idéologiques se reconstituent, avec quelques incertitudes initiales liées au flottement sémantique. Que gagne-t-on à jouer avec des mots clés condamnés soit à rester abstraits, soit à être investis des vieux conflits sur la culture et le rôle de l’école ?

L’école est, sans doute définitivement, obligée de concilier deux logiques : une forme de personnalisme, qui définit la culture en fonction des besoins supposés ou réels des individus dans la société. Et une forme d’économisme, qui considère les individus comme des ressources pour le fonctionnement du système social. On peut s’efforcer de rendre les deux logiques aussi peu antagonistes que possible, en privilégiant un modèle de développement n’empiétant en principe au moins ni sur la liberté, ni sur le bonheur des individus. Même alors demeure une tension à reconnaître et à gérer.

L’équilibre se comprend dans un premier temps comme un équilibre personnel. Mais assez vite se pose la question des équilibres collectifs, notamment de l’adéquation de la formation des générations nouvelles aux besoins de l’économie et plus globalement aux besoins de la société, qui n’exige pas seulement des qualifications professionnelles, mais des compétences civiques, sanitaires, familiales, etc.

La contradiction traverse en partie chacun, mais elle s’incarne aussi dans des camps et des clivages, entre la gauche et la droite, entre l’école active et le " back to basic ".

Reconnaître la contradiction et le conflit n’aide pas à les dépasser par magie. Mais on peut au moins travailler sur des compromis, ne pas faire comme si l’école était toute entière tendue vers l’épanouissement des élèves alors qu’en réalité ce n’est qu’une moitié de sa logique.

Sans que cela constitue une solution miracle, il faut avoir conscience d’un atout dans la société contemporaine : il se pourrait que l’équilibre des personnes devienne la priorité des sociétés. Tout simplement parce que, pour affronter la complexité, le changement, les mutations culturelles, les conflits autour de l’intégrisme, de l’immigration, de la différence, il suffira de moins en moins de savoir lire, écrire, compter ou d’avoir " de l’instruction ", fut-elle " civique ".

Il fut un temps où les mots d’ordre d’épanouissement, de créativité, de solidarité, de sens critique, n’intéressaient que les idéalistes, une partie des pédagogues, des intellectuels et des parents. Il n’y avait, dans la société, aucune force réelle pour dire, preuve à l’appui, que ces qualités manquaient dans la vie quotidienne, dans le travail et en dehors. Cette situation est en train de changer parce que, dans tous les pays développés, les classes dirigeantes prennent conscience du fait que le développement assis sur une forte productivité, donc des qualifications techniques et scientifiques de pointe, n’aura plus beaucoup d’intérêt dans une planète dominée par la menace de la guerre, de la catastrophe écologique ou des bouleversements perpétuels des frontières et des identités.

La thématique de l’équilibre vient donc à un bon moment, c’est d’ailleurs ce qui la rend cette possible et plausible. Reste à construire les liens, à travailler aussi bien à l’intérieur de l’école que devant l’opinion publique, pour faire comprendre qu’en favorisant des personnes équilibrées, on travaille autant à préparer l’avenir qu’en insistant sur la maîtrise de la règle de trois ou de l’accord du participe.

4. L’inégalité devant l’école, c’est fini ?

Le problème majeur n’est-il pas que, quelle que soit la définition de la culture scolaire, une fraction des élèves en restent exclus ? La formation équilibrée en Pratique ou en Générale, est-ce la même chose qu’en latino-scientifique ? L’inégalité devant l’école ne conduit-elle pas à réserver une formation équilibrée aux privilégiés de toujours ?

Un peu abruptement, on pourrait dire : l’équilibre est une préoccupation de nantis, de ceux pour lesquels le souci de soi, de l’épanouissement personnel, du bonheur a un sens parce que la survie et un minimum de réussite matérielle sont assurés.

Le thème de la formation équilibrée contient les mêmes pièges : privilégier ceux qui ont une formation, qui savent quelque chose, en se demandant si le poids des différentes composantes est le bon. C’est en effet une question non négligeable de savoir si un adolescent qui va entrer au collège a reçu au C.O. une formation équilibrée. Le fait qu’il sorte des filières les plus exigeantes n’est pas à cet égard une garantie définitive.

Reste que le vrai problème, le plus important, c’est l’équilibre de ceux qui seront confrontés plus vite au monde du travail, avec moins de ressources intellectuelles et matérielles. L’un des privilèges des études longues, justement, c’est qu’elles sont longues. Cela peut avoir des inconvénients dans l’autonomisation des jeunes. C’est aussi un temps de construction de la personnalité, d’essais et d’erreurs, de recherche d’identité et donc d’équilibre qui est offert à une fraction seulement des générations. C’est vrai, parmi ceux qui y ont suivi leur scolarité obligatoire à Genève, une minorité très faible d’élèves entrent aujourd’hui directement dans le monde du travail. Il est possible aussi que l’expérience d’apprenti soit à certains égards plus équilibrante que l’enfermement jusqu’à vingt ou vingt-quatre ans dans des milieux scolaires puis universitaires. Reste que l’équilibre, c’est un mélange optimum de stimulation et de protection. Et c’est aussi, dans le sens indiqué plus haut, une capacité d’autoéquilibration, donc en partie d’auto-analyse, de prise de décision, de rapport réflexif à soi-même, de clé pour décoder l’expérience, les exigences d’autrui, etc.

Il n’y a pas de raison d’identifier purement et simplement le thème de l’équilibre à celui de l’échec scolaire et de l’inégalité devant l’école. Tous les élèves ont droit à l’équilibre, il faut s’assurer que les formations les plus exigeantes le respectent aussi, par exemple en s’écartant du " modèle japonais ". Inversement, l’échec scolaire a toutes sortes de facettes, il n’est pas toujours synonyme d’absence d’équilibre.

L’équilibre le plus serein et le plus construit n’efface pas toutes les autres inégalités. Reste une forte interpénétration entre les deux thématiques, qu’un discours psychologisant et humanisant trop abstrait, sans dimension sociologique, pourrait faire oublier.

5. Peut-on ignorer les disciplines ?

On sait le risque des conflits territoriaux. Mais fera-t-on illusion longtemps sans prendre le problème des disciplines à bras le corps ? Comment parler de l’équilibre un peu concrètement sans parler de la langue, de l’art, de l’histoire, des sciences, de la mathématique, du sport, de l’informatique ? Le langage des savoir-faire est-il un substitut ou un complément ?

À l’école secondaire, chacun sait que le partage du gâteau - entendez du temps des élèves - entre les disciplines est un problème explosif. Pour mettre la pagaille dans un établissement secondaire, il suffit de laisser entendre qu’on pourrait enlever une heure à n’importe quelle discipline pour faire place à une nouvelle branche, donner cette heure à une autre discipline ou simplement alléger l’horaire des élèves. On peut donc comprendre que la réflexion sur la formation équilibrée choisisse de ne pas buter immédiatement sur des défenses de territoire. Mais on ira pas très loin en adoptant la politique de l’autruche.

C’est une réalité sociologique incontournable : l’école secondaire s’est bâtie, depuis le début, comme une forme de coexistence pacifique entre des groupes de pression qui défendent des statuts et des dotations horaires. On peut parfaitement imaginer que dans quelques lieux protégés, en tout angélisme, chacun contribue à fabriquer une belle utopie tout en finissant par conclure, au moment de sortir de la salle " Mais pas question qu’on touche à mes heures ! "

On peut sans doute, dans la situation genevoise, donner des garanties sur l’emploi. Mais si l’on veut repenser la formation des élèves sans toucher si peu que ce soit à la division du travail entre les professeurs, au partage actuel du territoire, mieux vaut arrêter tout de suite. Un changement où personne ne renonce à rien, ça n’existe pas. Ce qu’on peut viser, et c’est déjà beaucoup, c’est un changement équitable dans la répartition des renoncements et des pertes, une stratégie de changement qui évite de disqualifier ou de marginaliser qui que ce soit et enfin un effort particulier pour retrouver du sens, du plaisir, de l’identité même dans une division du travail modifiée ou des décloisonnements plus poussés.

Chacun est capable, dans des lieux privilégiés, de parler en tant que pédagogue aimant les enfants et les adolescents. Donc de taire son identité professionnelle principale qui est d’être professeur de mathématique, de français, de chimie, de sciences naturelles ou de dessin. Dans le débat sur la formation équilibrée, il vaudrait mieux que ces identités s’affirment suffisamment clairement et fortement, sans que chacun se retranche derrière une barricade.

On peut imaginer, comme dans beaucoup de domaines, deux seuils : en deçà d’une certaine tranquillité d’esprit, d’une certaine certitude d’enseigner quelque chose d’important, on ne peut pas discuter avec un minimum d’écoute et d’ouverture. À l’autre extrême, lorsqu’on devient totalement sûr de soi, sûr de détenir la meilleure part de la culture, la clé pour l’univers contemporain, lorsqu’on ne peut même pas imaginer qu’on puisse être un être complet sans savoir le latin ou la physique, ou sans être un peu musicien ou sportif, c’est qu’on est tout aussi fermé au débat, tout aussi peu préparé à relativiser. Les identités disciplinaires, il ne faut pas les gommer, mais tenter de les concilier avec d’autres logiques, notamment celles qui se centrent sur l’élève et l’intégration de ses apprentissages, ou encore sur l’usage des compétences indépendamment de leurs sources disciplinaires.

 6. Les objectifs niés par l’évaluation ?

L’histoire de l’école est faite de discours ambitieux sur la culture. Mais ce qui détermine les contenus effectifs de l’enseignement, c’est bien davantage les exigences de l’évaluation : du souhaitable à l’évaluable, qui maîtrise la déperdition ?

L’école n’a pas fini de payer son tribu à l’évaluation. Tout ce qu’elle gagne dans la modernisation intelligente des programmes, elle le reperd souvent parce que les objectifs les plus neufs, les plus intelligents, les plus ambitieux sont rebelles aux formes traditionnelles d’évaluation papier - crayon, d’épreuves communes, de notation par points et par stanines. Dans l’abstrait, tout le monde s’accordera sans doute à dire que le raisonnement, l’imagination, la compétence de communication, importent davantage que des acquis notionnels ponctuels, des algorithmes, des techniques, des connaissances encyclopédiques. Reste que ces derniers apprentissages sont évaluables de semaine en semaine. En les privilégiant, on peut à bon compte se donner l’impression qu’on a fait quelque chose, avancé dans le programme, ajouté une brique à l’édifice. Travailler au développement, à l’épanouissement, à la capacité d’anticiper, de décider ou de communiquer, c’est manier des compétences bien plus fondamentales, mais moins saisissables au jour le jour. On peut à la rigueur imaginer des tests formatifs, des épreuves standardisées qui permettent de suivre l’évolution des élèves en longue période. On ne voit pas comment fonder des décisions de sélection ou des sanctions disciplinaires sur l’évolution de telles compétences, alors qu’on a moins de scrupules à faire doubler ou à réorienter un élève parce qu’il ne maîtrise pas l’orthographe, le vocabulaire allemand ou la résolution des équations du 2e degré.

Favoriser une formation équilibrée, c’est à mon sens favoriser les apprentissages de haut niveau taxonomique, les acquis les plus transposables, les plus puissants, donc ceux qui exigent le plus de temps et sont le moins contrôlables au jour le jour, voire de trimestre en trimestre.

On ne bute pas alors sur l’évaluation seulement. On met en question la façon de faire la classe, de progresser dans le programme, de tourner la page, de mettre les élèves au travail. Mais il est sûr que l’évaluation est le verrou institutionnel le plus fort et le plus commun.

Penser une formation équilibrée, c’est donc aussi penser une évaluation équilibrée et une évaluation de l’équilibre.

7. Les formateurs incarnent-ils l’équilibre ?

Les professeurs sont-ils des modèles d’équilibre, eux qui ignorent souvent presque tout de la culture de leurs collègues des autres disciplines et ne leur parlent pas beaucoup ? L’école ne donne-t-elle pas l’impression que l’aboutissement du cursus, c’est la possibilité d’oublier sans conséquences et définitivement 3/4 de ce qu’on a appris auparavant ?

Je n’envisage pas ici de plaider pour une société de généralistes formant des généralistes. La complexité des savoirs dans les sociétés développées et toute l’organisation de la production et de la recherche exigent des spécialisations comme prix de la qualification.

Il reste dans le monde contemporain quelques personnages d’exception qui maîtrisent plusieurs sciences, la littérature, différentes formes de sport et d’artisanat. C’est plutôt rare et ça ne pourrait certainement pas être la norme pour l’ensemble du corps enseignant.

De là à n’avoir aucune compétence dans d’autres domaines, aucun intérêt, aucune curiosité, aucun contact, aucune idée de ce qui se passe, il y a un pas. Est-il franchi ? On peut se poser la question. En fait, on ne sait pas grand chose sur la culture générale des enseignants dix ou vingt ans après leur maturité. La question n’est pas tant de savoir s’ils ont de beaux restes, si le professeur de mathématique peut dire à coup sûr si " Le Cid " est de Racine ou de Corneille ou encore si le professeur de français a quelques vagues souvenirs lorsqu’on lui parle d’un nombre complexe ou d’une dérivée. Ce qui serait plus intéressant, c’est de savoir si, au-delà des souvenirs, il y a une pratique de l’ouverture à d’autres champs de connaissance ou de savoir-faire. Par exemple, divers magazines ou journaux, comme Le Monde, publient régulièrement des articles de vulgarisation assez complets sur la médecine, les technologies, les sciences humaines aussi bien que naturelles. Les enseignants secondaires lisent-ils ce genre de textes ? A-t-on vu un professeur de français demander à un collègue de lui expliquer ce qui se passe à propos de la couche d’ozone, ou un biologiste demander à un géographe ou à un historien de lui donner quelques clés pour comprendre ce qui se passe dans le Golfe persique ou en Europe de l’Est ?

Les écoles secondaires représentent des concentrations incroyables de savoirs et savoir-faire différents. Les professeurs s’en doutent-ils ? se servent-ils de la collectivité enseignante comme ressource culturelle, non pas pour leurs élèves, mais pour eux-mêmes, comme adultes ? On pourra rétorquer qu’ils ne sont pas payés pour ça, qu’on ne vit plus dans l’université médiévale ni dans un collectif de savants de disciplines diverses, que chacun fait sa vie comme il veut ou comme il peut. L’idée n’est pas d’inscrire l’échange interdisciplinaire dans le cahier des charges, comme obligation morale ou pédagogique. Mais on peut se demander quelle image les adultes donnent aux élèves de la culture, de la complémentarité des savoirs, de leur commune nécessité en même temps que des limites de chacun.

L’une des expériences d’un adolescent, c’est d’être confronté à des enseignants qui prétendent tout connaître ou presque sur un secteur de la réalité, mais avouent très tranquillement, apparemment sans complexe et parfois même avec fierté, qu’en dehors de cela " ils n’y connaissent rien ". Il y a les schémas connus : affirmer hautement qu’on n’a pas la " bosse des maths " ou l’esprit de géométrie pour faire croire qu’on a l’esprit de finesse, avouer un total manque d’intérêt et de compétence pour l’informatique pour laisser entendre qu’on est un grand humaniste, afficher son mépris des sciences humaines pour faire croire qu’on est un scientifique sérieux, dévaloriser les disciplines maniant des valeurs esthétiques ou morales pour leur opposer la neutralité et l’objectivité des véritables sciences. Au-delà de ces attitudes, en partie solidaires des stratégies des groupes de pression disciplinaires et de défense de territoire, il y a l’image qu’on donne aux élèves de l’intellectuel, de l’enseignant, de celui qui aurait les moyens de comprendre beaucoup de choses mais qui choisit, parfois pour des raisons incompréhensibles, de se limiter.

Bien entendu il ne s’agit pas d’inviter le corps enseignant à donner, à des fins purement pédagogiques, une représentation idyllique de l’interdisciplinaire. Personne ne serait dupe. L’image du savoir, de son unité et de ses découpages échappe en partie à la manipulation. Les élèves ont largement le temps, tout au long de ces années, de percer les façades à jour et de se faire une idée assez juste de ce qui intéresse vraiment, dans la vie, les adultes qu’ils ont en face d’eux.

8. L’équilibre, pondération ou interaction ?

Suffit-il de doser divers types de savoirs ou de savoir-faire pour que la formation soit équilibrée ? L’équilibre, n’est-ce pas la résultante d’un incessant travail de reconstruction, de mise en relation, d’intégration ? Comment les élèves intérioriseraient-il ce travail si les adultes ne le font pas et vivent dans le cloisonnement et la juxtaposition ?

Dans les systèmes physiques, il y a des équilibres stables, du moins tant que les conditions locales ne se transforment pas trop. Pour les systèmes vivants, c’est différent : l’équilibre n’est jamais l’inertie, la conservation immobile ; c’est toujours une reconstruction, le produit d’un constant travail de compensation des déséquilibres qui ne cessent de s’amorcer.

Autre façon de dire que l’équilibre n’est qu’une limite, un passage, un état autour duquel le système vivant fluctue. Ce qui compte, ce sont les mécanismes de régulation, la capacité de retrouver l’équilibre, voire de le redéfinir qualitativement à chaque moment de son histoire.

Si l’on souscrit à cette conception, on devient très sceptique face à toute tentation d’assimiler l’équilibre à un dosage optimal d’ingrédients. Un diététicien vous dira naturellement qu’il est plus simple de conserver un équilibre physiologique en respectant dans son alimentation un certain nombre de proportions. Mais il sait en même temps parfaitement que le respect de telles proportions ne garantit pas l’équilibre absolu, que les proportions changent d’une personne à l’autre et pour la même personne d’un moment à l’autre de sa vie, et enfin que l’équilibre dépend de la capacité d’identifier des risques ou des amorces de déséquilibre et de les neutraliser par une action appropriée.

On ne peut évidemment transposer facilement tout cela aux savoirs, qui ne s’assimilent pas de la même façon. Reste l’idée générale : l’équilibre c’est d’abord une capacité d’action et de rétroaction sur soi-même. Ce qui a des conséquences pédagogiques évidentes : développer l’équilibre, c’est développer des facultés d’auto-analyse, de connaissance de ses propres fonctionnements. C’est ce qu’un sportif de haut niveau apprend à faire, se connaître très bien pour détecter à temps les baisses de régime, les montées d’angoisse, les phases obsessionnelles et tout ce qui peut compromettre sa forme, qui est une incarnation de l’équilibre.

Si l’on conquiert son équilibre, on ne le fait pas nécessairement tout seul. Les autres peuvent y aider ou au contraire l’empêcher. Une mère qui veut constamment suralimenter ses enfants par désir de bien faire, pour qu’ils ne manquent de rien ou paraissent en bonne santé, leur interdit des équilibrations élémentaires, par exemple de sauter certains repas, d’avoir moins faim certains jours ou certaines semaines et d’être un peu plus boulimiques à d’autres moments. La coopération des autres est donc une ressource importante. Elle peut être passive, autrement dit laisser faire : si on ne me dit pas constamment de quoi j’ai besoin pour vivre, je pourrai en décider. La coopération peut être plus active, notamment au sens où les autres peuvent me proposer des modèles, des instruments d’auto-analyse, des philosophies, des disciplines pour prendre ou respecter des décisions.

Favoriser la formation équilibrée, c’est donc favoriser un certain type d’interaction entre maîtres et élèves et entre les élèves eux-mêmes. Ce qui renvoie à un certain climat de coopération et de confiance. Si la seule question qu’un professeur accepte de se poser, c’est de savoir si les élèves maîtrisent ou non le programme, s’il refuse de se demander pourquoi ils travaillent ou ne travaillent pas, s’isolent ou investissent le groupe, sont agressifs ou passifs, il n’a évidemment aucune chance de contribuer à leur équilibre. L’équilibre, même si on le définit en termes d’acquis cognitifs, passe évidemment par une dynamique plus large, relationnelle, affective, physiologique. Favoriser l’équilibre d’une personne, c’est la traiter comme un système complet, c’est refuser d’en nier une part sous prétexte " qu’on n’est pas là pour ça ". L’école n’est pas un lieu de vie familiale, ni de thérapie, ni de dynamique de groupe ; cela n’interdit pas d’envisager un certain élargissement des échanges, une prise en compte plus constante de tout le reste de l’existence des élèves, une implication plus personnelle des maîtres dans le métier.

Il est évident qu’une partie des professeurs vont déjà dans ce sens, vont parfois très loin. Il est non moins évident qu’il subsiste, dans l’enseignement secondaire bien plus que dans le primaire, une tendance à mettre des limites et à ne pas faire entrer dans le rapport pédagogique toutes sortes de facettes des personnes, élèves ou maîtres.

9. Peut-on ignorer les lois de la transposition didactique ?

Enseigner, surtout au secondaire, c’est progresser dans un " texte du savoir ", agencer et enchaîner des " objets " enseignables et évaluables. Cette logique peut-elle composer avec celle de l’équilibre ? Ne conduit-elle pas à la segmentation, à l’encyclopédisme, à l’accumulation sans vue d’ensemble, du seul fait que le savoir paraît alors gérable ? Est-ce le seul modèle ?

C’est un thème que j’ai déjà abordé à propos de l’évaluation. C’est là qu’on saisit le plus clairement le conflit possible entre l’équilibre des élèves et celui des maîtres. Car favoriser l’équilibre des élèves, c’est accepter une part d’aventure, d’improvisation, de réorganisation incessante des savoirs et des activités. C’est rompre avec les routines, les automatismes dans la progression et le travail scolaire, les repères confortables.

Dans une pensée utopique, on peut être tenté de mettre cette flexibilité et cette ouverture sur le compte d’une attitude personnelle, plus ou moins généreuse, plus ou moins tournée vers l’école active et le souci des personnes.

Sans nier cette facette, j’insisterai plutôt sur le poids des programmes et de la structuration des savoirs. Comme le montre très bien Yves Chevallard, une fois les plans d’études et les manuels établis, il reste une assez large part d’interprétation quant aux détails des contenus, quant au poids des notions. En revanche, les lois de la transposition didactique laissent peu de degrés de liberté aux enseignants quant à la nature des leçons et des exercices qu’ils vont donner pour " faire passer " un certain programme.

L’institution ne saurait donc se borner à encourager " simplement " les maîtres à être plus souples, plus aventureux, plus à l’écoute des élèves, plus soucieux de partir du vécu et des personnes. Il faut que les plan d’études soient réécrits dans cet esprit, qu’on s’affranchisse de la liste impressionnante de passages obligés qu’ils contiennent au détriment d’une pédagogie de l’occasion et de la négociation.

ça ne revient pas à donner carte blanche à chaque enseignant en lui disant " Faites au mieux ". Il faut tenter de doser autrement la part de la codification et la part de l’autonomie, viser à substituer au contrôle par les textes une sorte d’autocontrôle ou de contrôle mutuel, en favorisant par exemple le fonctionnement en équipes pédagogiques.

Sur ces thèmes, il faudrait beaucoup plus de temps pour approfondir. Ce que je retiendrai surtout, c’est l’impossibilité de dire : " Enseignez exactement la même chose qu’aujourd’hui, dans le même ordre, avec les mêmes exigences et, par surcroît, favorisez l’équilibre chez vos élèves ". C’est le type même de l’injonction paradoxale, donc paralysante.

10. L’équilibre donne-t-il plus de sens aux savoirs ?

Y a-t-il des raisons de penser qu’une formation plus équilibrée réconcilierait les élèves avec le savoir et l’école. Le problème n’est-il pas ailleurs, dans la nature du travail scolaire, du contrat didactique, de la relation pédagogique, du climat ?

C’est le doute le plus important et j’aurais dû peut-être me limiter à l’expliciter. Il équivaut en somme à se demander si on ne s’est pas trompé de thème et d’objet, à suggérer que c’est moins l’équilibre de la formation qui fait problème que son sens, dans l’acception la plus forte du terme. C’est la réponse à la question implicite ou explicite : " A quoi ça sert tout ce travail, à quoi ça sert toutes ces connaissances qu’on doit assimiler puis manifester tout au long du parcours scolaire ? "

Toute réorganisation des programmes qui n’affronterait pas clairement cette question pourrait aboutir à des formulations beaucoup plus séduisantes, voire " équilibrées " sur le papier, mais sans aucune incidence sur le terrain, par absence totale de modification du rapport au savoir et du sens du travail scolaire dans la tête des élèves, voire des maîtres.

Ce qui donne du sens, ce n’est pas le dosage savant, c’est la prise sur son propre sort, la démarche négociée, l’explicitation des buts et des contrats didactiques, l’autonomie dans l’organisation du travail personnel, toutes sortes de dispositifs connus qui relèvent de ce qu’on appelle souvent école active et pédagogie coopérative.

Ce qui oblige le débat sur la formation équilibrée à puiser dans le fond commun des mouvements d’école moderne.

III. L’équilibre des uns est-il au prix
de l’équilibre des autres ?

Les pédagogues entretiennent entre eux une fiction commode : c’est que les adultes sont, dans l’école, entièrement mus pas le souci des élèves. Certes, ils s’affrontent, parfois durement, sur la conception de la culture et des programmes, sur l’ordre, le poids des diverses disciplines, les méthodes, les horaires. Mais c’est toujours " pour le bien des élèves ".

Si elle ne parvient pas à rompre avec cette fiction, la réflexion sur la formation équilibrée des élèves n’ira pas très loin. Il faut absolument l’articuler à une réflexion sur le sens du travail et le besoin d’équilibre des adultes, et envisager sereinement la possibilité et même la probabilité d’un conflit d’intérêts entre adultes et adolescents, maîtres et élèves.

D’une certaine façon, tout le monde le sait ou le pressent. Reste à avoir le courage de mettre cartes sur table. C’est la seule façon par exemple de faire le départ, du côté des maîtres, entre des conforts et des conservatismes inacceptables et des besoins parfaitement légitimes de sécurité, de stabilité, de calme, de séparation entre vie professionnelle et vie privée, de responsabilité limitée.

C’est dire aussi que le conflit traverse le corps enseignant, qu’il oppose ceux qui n’ont aucune envie de changer et ceux qui veulent changer sans payer les pots cassés ou se retrouver demain dans des situations plus difficiles encore. Contrairement aux apparences, les camps ne sont pas figés. Ils se dessineront tôt ou tard. La position des uns et des autres dépendra en fin de compte de la façon dont ils auront compris les enjeux, pesé les risques et les chances. L’important serait que chacun ne soit pas renvoyé à sa conviction première et solitaire, qu’il y ait un travail collectif, que les plus convaincus aient l’occasion et le temps d’expliquer pourquoi, à leurs yeux, la formation équilibrée n’est pas nécessairement une chimère…

Quelques lectures

Allal, L., Cardinet J. & Perrenoud, Ph. (dir.) (1979) L’évaluation formative dans un enseignement différencié, Berne, Lang.

Bain, D. (1979) Orientation scolaire et fonctionnement de l’école, Berne, Lang.

Bain, D. (1982) Analyse des mécanismes de l’orientation et réformes du premier cycle secondaire, Revue européenne des sciences sociales, n° 63, pp. 161-169.

Ballion, R. (1982) Les consommateurs d’école, Paris, Stock.

Berthelot, J.-M. (1983) Le piège scolaire, Paris, PUF.

Bourdieu, P. (1966) L’inégalité sociale devant l’école et devant la culture, Revue française de sociologie, n° 3, pp. 325-347.

Bourdieu, P. (1979) La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Ed. de Minuit.

Bourdieu, P. & Gros, F. (1989) Principes pour une réflexion sur les contenus de l’enseignement, Le Monde de l’Education, n° 159, pp. 15-18.

Bourdieu P. & Passeron, J.-C. (1970) La reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Ed. de Minuit.

Cardinet, J. (1986) Pour apprécier le travail des élèves, Bruxelles, De Boeck.

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