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Pratiques pédagogiques et
métier
denseignant : trois facettes
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des sciences de
léducation
Université de Genève
1991
A. Entre routine et improvisation réglée
Lune des questions cruciales est de savoir, lorsquon pense un dispositif et un curriculum de formation initiale, si lon se réfère à des pratiques pédagogiques idéales (maîtrise, rationalité, objectifs clairs, transposition intelligente, contrat didactique novateur, pédagogies actives et différenciées, évaluation formative, etc.) ou aux pratiques effectives, celles quon pourrait observer dans les salles de classe aujourdhui.
On admettra quà elle seule la formation initiale ne saurait transformer du tout au tout le métier denseignant, lever les pesanteurs de la salle de classe et de létablissement, inverser les mécanismes générateurs dinégalités ou neutraliser les logiques usuelles daction des élèves, des collègues, des parents, de ladministration. À linverse, former des maîtres nouveaux à lexemple de leurs collègues en place serait absurde. Il y a sans doute un optimum à trouver entre réalisme conservateur et idéalisme béat (Perrenoud, 1988).
Je me place ici du côté du réalisme novateur, défini comme la juste prise en compte des caractéristiques les plus fondamentales de la pratique pédagogique et du métier denseignant, celles qui participent non de la mauvaise volonté, des traditions, des paresses, non du manque de sérieux ou de formation, non du dysfonctionnement occasionnel des systèmes, mais de la nature même du travail des enseignants dans une organisation.
Le réalisme, en pédagogie, ce nest pas la plus forte pente. Il est constamment neutralisé par :
Je ne puis ici que mattaquer à ce dernier obstacle. Voir la pratique telle quelle est, en prenant de la distance par rapport aux idéalisations, suppose une théorie. Faute de pouvoir la constituer entièrement dans ce cadre, je men tiendrai à trois facettes, qui népuisent pas la réalité des pratiques (je ne parlerai pas, par exemple, des dimensions relationnelles et communicatives), et moins encore la réalité du métier, qui suppose, au-delà de ce qui se passe en classe, une insertion dans un établissement, un corps professionnel, une carrière et un cycle de vie. Néanmoins, la formation des maîtres risque dêtre fort peu convaincante si elle ne se fonde pas, au minimum, sur une représentation construite selon les trois axes suivants :
A. La pratique entre routine et improvisation réglée.
B. La transposition didactique entre épistémologie et bricolage.
C. Le traitement des différences entre indifférence et différenciation.
Selon chacun, je ne pourrais quesquisser lanalyse, en renvoyant à dautres travaux. Dune certaine façon, la reconnaissance de ces perspectives importe davantage que leur explicitation :
Tout nest pas alors résolu. Mais la rupture est faite avec limage rationaliste et simpliste de laction, des savoirs, de lélève, et cest lessentiel.
Une bonne partie des actes denseignement ne sont pas, ne sont plus ou nont jamais été sous le contrôle de la raison et du choix délibéré.
Pour une part, le métier est fait de routines que lenseignant fait fonctionner de façon relativement consciente, mais sans mesurer leur arbitraire, donc sans les choisir et les maîtriser vraiment. Cest la part de reproduction, de tradition collective reprise à son compte ou dhabitudes personnelles dont lorigine se perd.
Dautres moments de la pratique sont lexpression de lhabitus, système de schèmes de perception et daction qui nest pas entièrement et constamment sous le contrôle de la conscience. En raison soit de lurgence, soit du caractère inavouable ou impensable de la pratique, le maître fait des choses quil ignore ou préfère ne pas voir.
1. La tentation rationaliste
Pour toutes sortes de raisons, la pratique pédagogique est volontiers présentée comme plus consciente et rationnelle quelle ne lest en réalité :
2. Le risque de cécité
À ne pas voir que laction pédagogique est en partie une action spontanée improvisée dans lurgence, ou au contraire engluée dans des routines impensées à force dêtre intériorisées, les formateurs courent un risque majeur : navoir aucune prise sur ce qui détermine une bonne partie des actes professionnels.
Certes, à court terme, ils font léconomie dun problème difficile : comment agir sur lhabitus professionnel, linconscient, les automatismes. À long terme, si la formation doit optimiser lenseignement, cette économie est indéfendable, car elle abandonne au hasard une partie des qualifications.
3. Lenseignant englué dans la routine
Dix à vingt-cinq heures par semaine, durant toute lannée scolaire, lenseignant fait face à un groupe auquel il propose des activités qui suivent un schéma de base (variable selon ses options didactique et la discipline). Dannée en année, les programmes évoluent peu, les élèves se ressemblent, les conditions de travail sont relativement semblables.
Si bien que certaines situations se répètent. Pas dans leur détail. Mais les ressemblances sont telles quune réponse stéréotypée suffit. Face à lélève qui nécoute pas, qui ne se met pas au travail, qui tente de " passer entre les gouttes ", qui affirme ne pas comprendre la consigne, qui dit " Encore ! ", qui sagite sur sa chaise, qui bafouille au tableau noir, le maître sait que faire sans avoir à se poser longuement la question. Impression de connu, de déjà vu, de déjà fait.
Sait-il ce quil fait ? On peut en douter. Certes, devant un incident critique, le maître pourra en général prendre conscience de sa pratique ; interviewé, il saura en partie la verbaliser. Mais au jour le jour, aussi longtemps que ses réponses fonctionnent plus ou moins efficacement, il na pas besoin den prendre une conscience claire. Donc, par exemple, en temps ordinaire, un maître expérimenté ne sait pas, ne sait plus :
Ces actions passent souvent pas des messages elliptiques ou non verbaux, par une posture ou une mimique dissuasive ou incitative.
4. Lenseignant pris par lurgence
Toutes les situations denseignement ne sont pas stéréotypées. Certaines sont inédites. Ou, à défaut dêtre originales, suffisamment complexes ou ambiguës pour que laction à mener ne saute pas aux yeux. Par exemple :
Dans ce cas, il faut improviser, prendre une décision sans avoir ni le temps, ni les moyens de la fonder rationnellement. Lenseignant puise alors dans sa personnalité, son habitus davantage que dans des raisonnements ou des modèles.
5. Lenseignant qui préserve son image de soi
Hormis la routine et lurgence, lenseignant a une troisième raison de ne pas savoir exactement ce quil fait en classe : cest le pressentiment quune lucidité totale nuirait à son estime de soi. Aucun enseignant naime prendre conscience de ses trucs pour manipuler les élèves, de ses tics, de ses dérapages verbaux, de ses colères, de ses moments de sadisme ou de panique, de ses incohérences, de ses réactions de défense ou dembarras, de stress ou de doute.
Dans un " métier impossible ", on est nécessairement conduit à faire des choses dont on nest pas très sûr ou pas très fier. Le savoir constamment serait destructeur.
6. Une théorie réaliste de la pratique
Toute théorie de la pratique enseignante relève pour une part dune approche psychanalytique, en raison des fortes composantes relationnelles et affectives du métier, mais aussi de la tension entre un idéal de maîtrise, de probité, de cohérence, de compétence et une réalité plus nuancée. Mais il serait réducteur didentifier la part dinconscient au refoulé. Piaget a plaidé avant Bourdieu pour un inconscient pratique, lié simplement à une sorte déconomie de fonctionnement.
La notion dhabitus, élaborée par Bourdieu, permet darticuler conscience et inconscience, raison et autres mobiles, décisions et routines, improvisation et régularités.
Lhabitus, cest la " grammaire génératrice des pratiques ", le système de schèmes qui gouvernent aussi bien limprovisation (dans lillusion de la spontanéité) que laction planifiée, lévidence que le doute méthodique, linvention de stratégies nouvelles que la mise en uvre de schémas et de recettes, les conduites inconscientes ou routinières que les décisions.
La genèse des savoirs savants ou des pratiques sociales na en général guère de rapports avec leur mode dappropriation dans le cadre scolaire : lapprentissage est coupé dune pratique et de besoins réels, il se fait dans des situations dapprentissage plutôt que de résolution de vrais problèmes, lévaluation est externe plutôt que fondée sur la réussite ou léchec de laction, la maîtrise théorique et le respect des règles lemportent sur lefficacité pratique, la compétition et lobligation altèrent les rapports sociaux.
Mais surtout, le savoir, pour être enseigné, acquis, évalué, subi des transformations : segmentation, découpage, progression, simplification, traductions en leçons, cours et exercices, enfermement dans des moyens préconstruits (manuels, brochures, fiches).
Il doit en outre sinscrire dans un contrat didactique gérable, qui fixe le statut du savoir, de lignorance, de lerreur, de leffort, de lattention, de loriginalité, des questions et des réponses.
La transposition didactique des savoirs et lépistémologie qui sous-tend le contrat didactique puisent dans bien autre chose que la maîtrise académique des connaissances.
1. Une séparation irrecevable
Aujourdhui encore, de façon générale, la structure des formations initiales le confirme, le métier denseignant paraît se caractériser par la juxtaposition dune compétence académique (maîtriser les savoirs) et dune compétence pédagogique (maîtriser la transmission des savoirs). Rien nest plus fallacieux.
Enseigner, cest notamment bricoler les savoirs pour les rendre enseignables, " exerçables " et évaluables dans le cadre dune classe, dune année, dun horaire, dun système de communication et de travail. Cest ce que Chevallard, après Verret, nomme transposition didactique.
2. La transposition didactique
Cest lensemble des transformations que lécole fait subir aux savoirs et plus globalement aux pratiques et aux cultures pour les rendre enseignables. On distingue trois phases :
Les enseignants, collectivement, à travers les associations et dautres instances, participent à lélaboration du curriculum formel (programmes, mais aussi méthodologies et moyens denseignement qui en sont souvent lexplicitation par lexemple et lexercice).
Ils sont les acteurs principaux de la seconde phase.
3. Temps didactique et construction des connaissances
Le bricolage principal consiste à chercher un improbable compromis entre deux logiques :
La première logique permet au maître de retomber sur ses pieds en fin dannée, de progresser régulièrement dans le programme, de découper en leçons, modules, séquences didactiques gérables une matière substantielle.
Mais elle se heurte à la seconde logique, qui passe par des cycles, des retours en arrière, des raccourcis, des chemins de traverse, des temps de latence et des restructurations foudroyantes, des mises en relation et des cloisonnements inattendus.
4. Territoires, objets, découpages du curriculum
Dans la vie, les pratiques et les savoir-faire sont souvent mêlés. Les savoirs savants les plus pointus sont souvent au carrefour de plusieurs disciplines, là où lon remet en question les paradigmes et les découpages institués du réel.
Dans lécole, pour rendre possible la division du travail entre professeur, la gestion du temps scolaire, la progression des acquis au long du cursus, lattribution de moyens denseignement, on est tenu de respecter des découpages stables, de travailler des objets bien identifié, le théorème de Pythagore, laccord du participe, le subjonctif, le 17ème siècle, etc.
Lécole et les enseignants passent donc une partie de leur temps à définir et à maintenir des séparations qui nont de statut et de fonction que dans la transposition didactique.
5. Gérer des situations didactiques
Il ne suffit pas dexposer les connaissances pour quelles soient assimilées. Mêmes les pédagogies traditionnelles sont des pédagogies actives, en un sens limité : elles créent des exercices, des travaux pratiques, des moments de drill, de mémorisation.
La transposition didactique est aussi une traduction pragmatique des savoirs en activités, en situations didactiques. Situations quil faut planifier, introduire, animer, coordonner, conduire à une conclusion.
Ces impératifs pratiques, dans le cadre plus général dune gestion de classe, obligent à nombre daccommodements avec le savoir, à transformer en problèmes, tâches, questions, projets, énigmes, etc.
5. Mettre les élèves au travail
Dans le contrat pédagogique, il y a certes des éléments relationnels, des compétitions à gagner, des profits de distinction, des récompenses, des reconnaissances, toutes choses largement étrangères aux contenus de lenseignement.
Mais le maître tente aussi de sassurer de la coopération des élèves dans le registre des savoirs. Il tente de créer puis dentretenir lintérêt des élèves, au prix dune certaine mise en scène, dune dramatisation des apprentissages, dun suspense, dune mise en relation avec des expériences de vie ou des projets.
6. Donner un statut aux savoirs dans le contrat didactique
Le contrat didactique règle le statut des savoirs dans la classe Les élèves sattendent à comprendre grosso modo les leçons et les consignes, ils shabituent à un traitement explicite des erreurs et de lignorance, ils savent quand ils ont droit à être aidés et quand ils doivent se débrouiller seuls, ils saccoutument à une dose acceptable dincertitude, ils intériorisent certaines procédures de délimitation des activités et des objets de savoir, dadministration de la preuve logique ou empirique, ils savent quels genres de questions et de réponses peuvent être formulées dans le dialogue maître-élèves.
7. Des savoirs et savoir-faire évaluables
Le contrôle des acquis relève du contrat didactique, mais son importance dans la pratique pédagogique justifie quon en traite séparément. Alors que dans la vie la construction des connaissances trouve sa régulation principale dans laction, donc une forme dautoévaluation, en classe, le savoir doit être manifesté, le plus souvent, dans des situations artificielles, en labsence de besoins, projets ou problèmes réels, et dans des formes standardisées qui autorisent lattribution de notes ou toute autre fabrication de classements.
8. Y a-t-il une bonne transposition ?
Le réflexe de la noosphère, la sphère où lon pense et prescrit les pratiques pédagogiques, est désormais de rationaliser, doptimiser la transposition, de la placer sous le contrôle de modèles. Tentation compréhensible, mais qui fait bon marché dune réalité : la transposition résulte en partie de la résistance du réel, de lenvironnement, des élèves. Résistance à jamais irréductible ! Parce quelle est incarnée par dautres acteurs et des processus qui dépassent chacun.
Quel que soit le degré de sélection préalable, enseigner cest être confronté à un groupe hétérogène (du point de vue des attitudes, du capital scolaire, du capital culturel, des projets, des personnalités, etc.).
Enseigner, cest ignorer ou reconnaître ces différences, les sanctionner ou tenter de les neutraliser, fabriquer à travers lévaluation informelle et formelle de la réussite et de léchec, façonner des identités et des trajectoires.
Or les didactiques sont généralement muettes sur les différences, elles parlent dun élève " moyen " ou dun sujet épistémique, ignorent la difficulté de " faire aimer les mathématiques à une jeune fille qui aime lail ".
1. Il ny a pas délève au singulier
Pour deux raisons :
Toute formation qui traite de lélève au singulier, toute méthodologie qui ne sintéresse quà un sujet épistémique remet à lenseignant seul la tâche de faire face aux différences. Or ce devrait être lun des axes majeurs du métier.
2. La fabrication des hiérarchies dexcellence
Le maître nest pas libre dévaluer à sa guise. Mais sa marge dautonomie est réelle. Il peut sen servir soit pour renforcer les écarts et la sélection, soit pour les adoucir. Question de niveau dexigence, dattentes, de pratiques des travaux écrits et des interrogations orales. Les inégalités saccentuent ou samenuisent donc, dans une certaine mesure, selon la façon dont les maîtres perçoivent et contrôlent leur processus de fabrication.
3. La lutte contre léchec et la différenciation
Chaque enseignant doit choisir entre fatalisme et révolte contre les inégalités, entre enseignement frontal et pédagogie différenciée, entre évaluation normative et évaluation formative.
Certes, les politiques de démocratisation sont essentielles : on peut difficilement attendre des miracles dun enseignant isolé. En revanche, dans létat dambiguïté endémique des discours sur léchec scolaire - pour la différenciation, mais sans heurter de front les bastions du conservatisme - les choix individuels des enseignants deviennent déterminants.
4. La différenciation sauvage
Toute gestion de classe, toute didactique porte en elle un mode de traitement des différences qui contribue ou non à les transformer en inégalités. Plan de travail, autoévaluation, ateliers, séquences didactiques, matériel autocorrectif, didacticiels sont autant de façon dinfléchir les interactions didactiques dans le sens de la discrimination positive. Mais linteraction se joue à bien dautres moments, sans être constamment sous le contrôle dune rationalité, souvent à linsu du maître, qui fonctionne avec sa personnalité, des habitudes, ses illères, ses préférences, ses culpabilités, ses automatismes, ses angoisses, toutes choses qui modulent lintensité, la tonalité, lauthenticité, la fécondité des interactions dans lesquelles il sengage avec ses élèves.
5. La maîtrise de la distance culturelle
Au-delà des dispositifs didactiques, linégalité passe par la communication et la relation entre un enseignant de classe moyenne supérieure et des élèves (et des familles) dorigines sociales diverses. Il ne sagit pas ici dindividualisation organisée, mais de la maîtrise de la distance culturelle, du conflit, des rejets mutuels. Une partie de léchec scolaire se jour dans les situations didactiques et leur potentiel de régulation individualisée. Mais on ne saurait sous-estimer la part de la communication (verbale et non verbale), de lacceptation de lautre, de laffectivité, des affinités de goût et de mode de vie. Une fraction des élèves échouent non pas faute de moyens intellectuels, mais parce quil ne trouvent pas leur place en classe, nétablissent pas le contact avec les enseignants.
Le manque de réalisme, qui menace toute conception exigeante de la formation des maîtres, participe dun mouvement général des sciences de léducation et des mouvements pédagogiques novateurs : sous-estimer la force de la raison pratique, ne pas vouloir admettre que la rationalité est souvent :
La rationalité est détournée lorsque les énergies, plutôt que de sinvestir dans la régulation des apprentissages, sont mobilisées à dautres fins : climat, relation, maintien de lordre, fonctionnement pacifique, carrière, climat. Le problème est évidemment que lefficacité de laction pédagogique passe par de multiples voies et que chacun des enjeux précédents peut être, de bonne ou de mauvaise foi, présenté comme un détour obligé. Si les élèves ne sont pas motivés, si les maîtres ne sont pas heureux, si les établissements ne sont pas tranquilles, si les interactions didactiques ne sont pas sereines, si les populations scolarisées ne sont pas accueillies, orientées, si la sélection nest pas assumée, si les didactiques et les programmes ne sont pas modernisés, il ne se passera rien de fécond dans lordre des apprentissages. De là à affirmer que tous les lièvres que courent les enseignants méritent dêtre courus, et cela dabord dans lintérêt des élèves Face au détournement, en appeler à la responsabilité nest pas très utile : le détournement est inévitable, il est en partie légitime, car les adultes ont aussi des besoins et des droits. Plutôt que de le condamner, mieux vaudrait lui donner un statut, aider à en parler, à maîtriser ses investissements, à analyser les processus de décision. Lorsque des intérêts essentiels des adultes entrent en conflit avec les logiques de lapprentissage, il y a peu despoir. Mais souvent, la multiplicité des enjeux tient en partie à labsence de cohérence et de lucidité, à la facilité avec laquelle on se convainc que nimporte quel combat - contre les devoirs, pour une modification de lhoraire scolaire, contre tel statut des directeurs décole, etc. - est un combat pour la culture ou légalité
La rationalité est fantasmée lorsquon feint de croire que des processus aussi complexes que la pensée, lapprentissage, la relation peuvent être intégralement maîtrisés, sans aucune irruption les valeurs, de la subjectivité, de laffectivité, sans aucune dépendance à légard des intérêts, des préjugés, des incompétences des uns et des autres. Trop souvent, la formation suggère que lon peut tout maîtriser si lon est un bon professionnel, alors que dans un métier impossible, comme lappelait Freud, le professionnel " fait de son mieux ", ni plus ni moins, et accepte avec une certaine humilité de ne pas maîtriser tous les processus, de faire la part du hasard ou de lintuition, des réussites et des échecs.
La rationalité est alambiquée lorsque, de compromis en oublis, de déformations en interprétations, personne ne sait plus très bien pourquoi on fait les choses, si elles ont encore un sens ou si elles perdurent par pure inertie. Au départ, la plupart des méthodes, des objectifs, des programmes, des technologies éducatifs, des dispositifs didactiques ont été pensé assez rationnellement, en regard des connaissances disponibles. Cest avec le temps que les choses se dégradent, que les acteurs réinvestissent leurs préférences et leurs intérêts, qui composent avec les choix du système un compromis humainement acceptable, souvent fonctionnel, mais dont la logique devient obscure.
Si lon sous-estime les aventures et mésaventures de la raison théorique lorsquelle doit guider les pratiques, on se retrouve bien étonné quune formation et des modèles aussi intelligents se trouvent régulièrement pervertis et vidés de leur sens dans le terrain. Si les modèles de la noosphère intégrait avec moins de réticence la part de linconscient, de limprovisation, du bricolage, de lautonomie, de la différence, de la négociation avec lautre, des enjeux personnels avouables et inavouables, les formations seraient moins naïves
Il est très difficile de donner une bibliographie complète sur autant de sujets. Je renvoie donc à quelques publications classiques en français et à une partie de mes travaux, qui donnent dautres indications de lecture.
Allal, L., Cardinet J. & Perrenoud, Ph. (dir.) (1979) Lévaluation formative dans un enseignement différencié, Berne, Lang (6e éd. 1991).
Bernstein, B. (1975) Langages et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social, Paris, Ed. de Minuit.
Bernstein, B. (1975) Classe et pédagogies : visibles et invisibles, Paris, OCDE.
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Bourdieu, P. (1972) Esquisse dune théorie de la pratique, Genève, Droz.
Bourdieu, P. (1979) La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Ed. de Minuit.
Bourdieu, P. (1980) Le sens pratique, Paris, Ed. de Minuit.
Bourdieu, P. & Passeron, J.C. (1964) Les héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, Ed. de Minuit.
Bourdieu P. & Passeron, J.C. (1970) La reproduction. Éléments pour une théorie du système denseignement, Paris, Ed. de Minuit.
Chevallard, Y. (1985) La transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné, Grenoble, La Pensée sauvage Éditions.
CRESAS (1978) Le handicap socio-culturel en question, Paris, Ed. ESF.
CRESAS (1981) Léchec scolaire nest pas une fatalité, Paris, Ed. ESF.
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Haramein, A., Hutmacher, W. & Perrenoud, Ph. (1979) Vers une action pédagogique égalitaire : pluralisme des contenus et différenciation des interventions, Revue des sciences de léducation (Québec), n° 2, pp. 227-270.
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Jackson, Ph. W. (1968) Life in Classrooms, New York, Holt, Rinehart & Winston.
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