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In Castincaud, F. et Zakhartchouk, J.-M. Croisement de disciplines au collège, Amiens, Centre régional de documentation pédagogique, 2002.

 

 

 

 

 

La croisée des chemins disciplinaires
Préface

 

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation
Université de Genève
2002

Pour que des chemins se croisent, ils doivent d'abord exister chacun pour soi. L'ouvrage de Florence Castincaud et Jean-Michel Zakhartchouk ne met pas en cause la pertinence des disciplines savantes, ni la séparation correspondante des matières d'enseignement. Il propose des pistes pédagogiques et didactiques, évaluation comprise, à ceux qui estiment nécessaire que les élèves se rendent compte :

On pourra trouver ambitieux d'aborder les croisements de disciplines alors même que celles-ci sont à peine découvertes et loin d'être maîtrisées. Mais les croisements ne prétendent pas, au collège, former au travail interdisciplinaire pointu, juste sensibiliser à sa possibilité et montrer que chaque discipline ne renvoie pas à un monde distinct, que toutes participent à l'intelligibilité du même monde.

Du 10 % aux itinéraires de découverte, en passant par les projets d'action éducative, les parcours diversifiés et les travaux croisés, le collège français cherche des voies vers l'interdisciplinaire, le lycée faisant un pas dans ce sens avec les travaux personnels encadrés. Florence Castincaud et Jean-Michel Zakhartchouk montrent que les textes officiels ont légitimé les entreprises audacieuses, souvent inventives et passionnantes, de professeurs acquis à l'idée de croisements féconds entre disciplines. L'ouvrage présente divers cas de figure et réfléchit sur les raisons de faire coopérer des disciplines.

Il donne surtout à voir, de façon très vivante, des essais multiples et concrets, qui devraient encourager ceux qui croient aux tentatives de croisement, mais ne voient pas trop comment sortir des sentiers battus de leur propre discipline. L'ouvrage développe une pensée à la fois rigoureuse et pragmatique, nourrie de l'expérience personnelle des auteurs, comme professeurs et formateurs, comme innovateurs et chercheurs, mais aussi comme membre du réseau des Cahiers pédagogiques et des Centres régionaux de documentation pédagogique. Peu d'ouvrages de pédagogie puisent à des sources narratives aussi diverses et proches du terrain, dans la perspective d'une pratique réflexive et novatrice.

Quiconque pense que les croisements interdisciplinaires ouvrent l'esprit et donnent davantage de sens aux savoirs trouvera dans ce livre une source d'inspiration et des outils. Les sceptiques y trouveront, pour leur part, des raisons de revenir sur leurs préjugés, de constater que l'approche interdisciplinaire ne tourne pas le dos aux savoirs et qu'elle est praticable dès le collège.

Reste le problème majeur, que l'ouvrage pose sans prétendre le résoudre : le système éducatif veut-il faire des croisements interdisciplinaires davantage qu'une possibilité ouverte à ceux qui en voient l'intérêt et sont prêt à investir dans une collaboration ? Dans son " interpellation " finale, Raoul Pantanella pose bien le problème : comment pourrait-on attendre d'étudiants formés dans le cloisonnement disciplinaire, y compris durant les années d'IUFM, qu'ils changent leur fusil d'épaule lorsqu'ils deviennent professeurs de lycée ou de collège ? Si le système voulait étendre cette approche, aller au-delà des exceptions militantes, il prendrait des mesures en amont des dispositifs proposés au collège :

Les profils de compétences : il serait souhaitable que tous les professeurs développent un rapport au savoir et des compétences favorables aux croisements interdisciplinaires, encouragés par les concours, des programmes et les plans de formation. Il se peut d'ailleurs que l'adoption de la déclaration de Bologne par les universités européennes (un premier cycle de trois ans, suivi d'un second de deux ans) favorise une spécialisation plus tardive des études universitaires et des identités plus larges. Mais en attendant cet improbable mutation, pourquoi ne pas faire du travail interdisciplinaire une spécialisation parmi d'autres, différente de celle de professeur documentaliste, mais partageant avec elle une identité extra disciplinaire ? L'orientation serait cette fois plus épistémologique que méthodologique, la vocation de ces professeurs étant de construire des ponts entre les disciplines, donc d'en connaître plus d'une, d'avoir une culture plus étendue en histoire et philosophie des sciences et de maîtriser les démarches de projet-

La formation des enseignants : elle pourrait être facilement orientée dans un sens plus favorable aux croisements interdisciplinaires, en valorisant les formations et les expériences de ce type dans les concours et en offrant des modules de formation didactique au carrefour de plusieurs disciplines. Il importerait aussi de donner la maîtrise d'outils technologiques et de démarches favorables aux métissages.

La définition des finalités de l'éducation de base : si elles s'inspiraient plus clairement des propositions d'Edgar Morin, la capacité d'intégrer ou de relier les disciplines ferait partie des objectifs prioritaire de l'éducation de base, plutôt que de rester dans le registre des dispositifs spécifiques et souvent marginaux. Morin rejoint d'ailleurs certaines thèses de Pierre Bourdieu et François Gros (Principes pour une réflexion sur les contenus de l'enseignement, Le Monde de l'Éducation, n° 159, avril 1989, pp. 15-18.).

La construction du curriculum : elle pourrait également favoriser les croisements, à la fois en prévoyant moins chichement des zones n'appartenant à aucune discipline (20 à 30 % plutôt qu'un petit 10 % ou deux misérables heures par semaine). Mais surtout en concevant de façon systémique les progressions parallèles dans les diverses disciplines : il est difficile de conduire des projets interdisciplinaire faisant appel à des ressources disciplinaires dont le degré de maîtrise est très inégal. Si l'on élargissait la part des sciences sociales dans les programmes (économie, droit, démographie, sociologie), on réduirait ces déséquilibres et on favoriserait des approches interdisciplinaires plus évidentes dans les sciences de la société que dans celles de la nature.

Le livre de Florence Castincaud et Jean-Michel Zakhartchouk présente donc ce double mérite : donner des clés et des outils pour un passage à l'acte immédiat et laisser entrevoir ce qu'il faudrait changer dans le système éducatif pour faire peu à peu de l'exception la règle.

 

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