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Prochaine conférence :

  De la « phénocopie » de Piaget aux conséquences qu’il n’en a pas tirées

Roland Maurer
Maître d'enseignement et de recherche, FPSE

MARDI 20 FÉVRIER 2018 - 18h15 - UNI MAIL - SALLE R040

Résumé

Piaget, encore jeune homme, fut immédiatement fasciné par l'épistémologie et décida de consacrer sa vie à "l'explication biologique de la connaissance". Considérant que la théorie centrale de la biologie depuis un siècle est la théorie synthétique de l'évolution, et que la révolution cognitive des années 60 a lentement ramené dans le giron de la biologie des préoccupations concernant le traitement de l'information et la connaissance, il est quelque peu surprenant de constater que Piaget n'est jamais cité dans les ouvrages ou articles contemporains traitant de la biologie de la cognition.

Et pourtant, Piaget, se fondant sur ses propres travaux sur les Limnées, fut un des premiers à reprendre l'idée de James Mark Baldwin que le comportement (et donc le traitement de l'information), à l'interface entre l'organisme et l'environnement, était un moteur important de l'évolution; et que des traits dus à la plasticité phénotypique pouvaient en fin de compte, par ce que Piaget appelait "phénocopie" mais qui est habituellement nommé "assimilation génétique", être incorporés dans le génome. Sans doute sa façon de le dire était-elle trop lamarckienne et, dans une époque qui pré datait les travaux modernes sur l'épigénétique, fut-ce la cause du rejet définitif de Piaget par les biologistes. Or, les idées défendues par Piaget (sans cependant qu'il ne soit jamais cité) se retrouvent maintenant dans des travaux cherchant à étendre le cadre conceptuel de l'évolution darwinienne en lui incorporant, dans un rôle majeur, les processus constructifs (ou dirions-nous "constructivistes"?) à l'œuvre aussi bien dans le développement de l'individu que dans l'évolution des espèces.

Piaget ne s'intéressait à l'évolution que parce qu'il voulait montrer un parallélisme entre les mécanismes évolutifs et ceux qu'il postulait pour expliquer la construction de la connaissance chez l'enfant, une continuité entre les réalités biologiques et logico-mathématique. Il ne semble pas s'être intéressé à certains éventuels résultats cognitifs de l'assimilation génétique chez l'humain, autrement dit, à l'existence d'organes mentaux spécialisés: des structures cognitives informées génétiquement, et permettant un comportement adapté (au sens darwinien: optimalisant la survie et la reproduction); cela découlerait pourtant directement de sa vision de l'évolution. Piaget s'est en effet cantonné à postuler l'existence des structures sous-tendant les processus sensorimoteurs les plus simples, sur lesquelles et grâce auxquelles tout le reste vient se construire. Au fond, on pourrait dire que Piaget a complètement renoncé à être un biologiste évolutionnaire lorsqu'il s'est tourné vers la psychologie du développement.

La question de l'existence de modules de traitement complexes pour lesquels l'information centrale n'est pas acquise mais transmise génétiquement est le domaine d'investigation de la psychologie évolutionniste, qui, ratissant large, s'intéresse aussi bien aux processus cognitifs sensu stricto (comme par exemple l'inférence logique) qu'au traitement cognitif sensu lato (comme par exemple dans le choix de partenaire). Biologie, psychologie et évolution peuvent donc parfois faire bon ménage, même si tout le monde n'est pas prêt à accepter sans grincer des dents ce ménage à trois... que nous allons un peu explorer ici au passage, tout en essayant de garder un lien avec le regard que Jean Piaget portait sur la biologie.

 

Lecture proposée

Laland, K.N., Uller, T., Feldman, M.W., Sterelny, K., Müller, G.B., Moczek, A., Jablonka, E., & Odling-Smee, J. (2015). The extended evolutionary synthesis: its structure, assumptions and predictions. Proceedings of the Royal Society, Serie B, 282 20151019.

 

19 février 2018
  2018