2017

Voix et émotions: la clé est dans le front

Des chercheurs de l’Université de Genève ont découvert les régions cérébrales qui permettent à l’homme de catégoriser les émotions transmises par la voix.

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Activations cérébrales significativement différentes en réponse à la catégorisation (rouge-jaune) et à la discrimination (vert-blanc) d’émotions vocales. Les régions temporales (gyri temporaux supérieurs), amygdaliennes et frontales (orbito-frontales et les gyri inférieurs frontaux; pars opercularis) sont plus activées pour la catégorisation que pour la discrimination d’émotions. Les régions des gyri inférieurs frontaux; pars triangularis sont plus activés pour la discrimination. Ces régions sont également plus fortement connectées pour la catégorisation que pour la discrimination d’émotions vocales. © UNIGE

 

La gestuelle et les expressions faciales trahissent notre état émotionnel, mais qu’en est-il de la voix ? Comment une simple intonation permet-elle de décoder nos émotions, par exemple au téléphone ? En observant l’activité neuronale du cerveau, des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) ont cartographié les régions cérébrales permettant d’élaborer les représentations émotionnelles vocales et de les catégoriser. Ces résultats, à lire dans la revue Scientific Reports, soulignent le rôle primordial des régions frontales dans l’interprétation des émotions transmises par la voix. Si celui-ci ne fonctionne plus correctement, suite par exemple à une lésion cérébrale, la personne ne sera plus capable d’interpréter correctement les émotions et les intentions de son interlocuteur. Les chercheurs relèvent également le réseau de connexions intense qui relie cette zone à l’amygdale, structure cérébrale clé de l’émotion.


Chez les mammifères, la partie supérieure du lobe temporal est particulièrement liée à l’audition. Une zone spécifique est ensuite dédiée aux vocalisations de leurs congénères qui permet de les distinguer, par exemple, des bruits environnementaux. Mais la voix est plus qu’un son auquel nous sommes particulièrement sensible, elle est aussi un vecteur d’émotions.


Catégoriser et discriminer


 «Lorsque quelqu’un nous parle, nous utilisons les informations acoustiques que nous percevons chez l’autre et nous les classons selon diverses catégories, comme la colère, la peur ou la joie», explique Didier Grandjean, professeur à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FPSE) et au Centre Interfactulaire en Sciences Affectives (CISA) de l’UNIGE. Cette manière de classer les émotions est nommée la catégorisation. Il s’agit par exemple de déterminer qu’une personne est triste ou joyeuse lors d’une interaction sociale. Celle-ci se distingue de la discrimination, qui consiste à focaliser son attention sur un état particulier, par exemple détecter ou chercher quelqu’un de joyeux dans une assemblée. Mais comment le cerveau catégorise ces émotions et détermine ce que la personne exprime ? Pour répondre à cette question, l’équipe de Didier Grandjean a analysé les régions cérébrales sollicitées lors de la construction des représentations émotionnelles vocales.


Seize personnes adultes ont participé à l’expérience. Elles ont été exposées à une base de données de vocalisations comprenant six voix d’hommes et six voix de femmes qui disaient des pseudo-mots sans signification mais prononcés de manière émotionnelle. Dans un premier temps, afin d’observer quelle zone cérébrale est sollicitée pour la catégorisation, les participants devaient classer chaque voix comme colérique, neutre ou joyeuse. Dans un deuxième temps, afin d’observer la zone sollicitée par la discrimination, ils devaient simplement décider si une voix était colérique ou pas, puis joyeuse ou pas. «Grâce à l’utilisation de l’imagerie à résonnance magnétique fonctionnelle, nous avons pu observer quelles zones s’activent dans chaque cas, et nous avons constaté que la catégorisation et la discrimination ne sollicitaient pas exactement la même région du cortex frontal inférieur», relève Sascha Frühholz, alors chercheur à la FPSE de l’UNIGE et actuellement professeur à l’Université de Zurich.


Le rôle capital du lobe frontal


Contrairement à la distinction voix / bruits de fond qui se situe dans le lobe temporal, les actions de catégorisation et de discrimination sollicitent, elles, le lobe frontal, plus particulièrement les gyris inférieurs frontaux (en bas sur les côtés du front). «Nous nous attendions à ce que le lobe frontal soit impliqué et nous avions prédit l’observation de deux sous-régions différentes qui s’activeraient en fonction de l’action de catégoriser ou de discriminer», précise Didier Grandjean. Dans le premier cas, c’est la sous-région pars opercularis qui correspond à la catégorisation de la voix, alors que dans le second cas, la discrimination, il s’agit du pars triangularis. «Cette distinction est d’une part liée à des activations cérébrales sélectives aux processus étudiés, mais également due à la différence de connexions avec d’autres régions cérébrales que nécessitent ces deux opérations, précise-t-il. Lorsque nous catégorisons, nous devons être plus précis que lorsque nous discriminons. C’est pourquoi la région temporale, l’amygdale et les cortex orbito- frontaux – zones cruciales liées à l’émotion – sont beaucoup plus sollicitées et connectées au pars opercularis qu’au pars triangularis


Cette recherche, qui souligne la différence de sous-territoires fonctionnels dans la perception des émotions à travers la voix, relève que plus les processus liés à l’émotion sont complexes et précis, plus le lobe frontal et ses connexions avec d’autres régions cérébrales sont sollicités. Il y a donc une distinction entre le traitement des informations sonores de base (distinction entre bruits environnants et voix) effectué par la partie supérieure du lobe temporal, et celui des informations de haut niveau (émotions perçues, significations contextuelles) effectué par le lobe frontal. C’est bien ce dernier qui permet l’interaction sociale en décodant l’intention de son interlocuteur. «Sans cette zone, on ne peut plus se représenter les émotions de l’autre grâce à sa voix, on ne comprend plus ses attentes et on a de la difficulté à intégrer les informations contextuelles comme dans le sarcasme, conclut Didier Grandjean. On sait donc à présent pourquoi une personne victime d’une lésion cérébrale qui toucherait les gyris inférieurs frontaux et les régions orbito-frontales ne parvient plus à interpréter les émotions liées aux dires de ses pairs et peut donc adopter des comportements socialement inadaptés.»

14 déc. 2017

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