Journal n°138

Témoignages

image-2A.jpgD’origine syrienne, Abdulaziz Kharsa a rejoint Horizon académique en 2016

Né en 1987 en Syrie, Abdulaziz Kharsa vit depuis l’âge de 15 ans à Dubaï avec sa famille. «J’ai connu un début de vie plutôt normal. J’avais un travail, des chats, une voiture, jusqu’à ce jour de 2014, où tout a basculé.» Alors qu’il s’apprête à faire renouveler son passeport, les autorités syriennes lui font savoir qu’il doit rentrer au pays pour y effectuer son service militaire, faute de quoi il sera privé de passeport.

«C’est difficile aujourd’hui d’expliquer ce qui s’est passé dans ma tête à ce moment. Faire mon service militaire en Syrie, cela signifiait faire la guerre et être amené à tuer mes propres concitoyens. C’était hors de question.» En même temps, privé de passeport, il risque d’être renvoyé à tout moment en Syrie et de perdre son permis de travail à Dubaï.

«Je n’avais pas le choix, la seule solution était de partir, même si cela impliquait de tout quitter. Je me suis concentré sur ce départ. Il me restait à peine quelques mois avant que mon passeport n’arrive à échéance.»

Cela n’a pas toujours été facile. Je ne m’étais jamais préoccupé de ce que pouvait impliquer la vie de migrant. Mais j’étais déterminé à m’intégrer

Après un séjour de quelques semaines en Italie, Abdulaziz arrive en Suisse fin 2014 et y dépose une demande d’asile.  «J’ai passé mon premier mois à Vallorbe, puis je suis venu à Genève. Je suis resté trois semaines dans des abris antiatomiques, avant de rejoindre le foyer des Tattes à Vernier. Cela n’a pas toujours été facile. Je ne m’étais jamais préoccupé de ce que pouvait impliquer la vie de migrant. Mais j’étais déterminé à m’intégrer et à développer de nouvelles amitiés.» Abdulaziz commence donc par se concentrer sur des cours de français. Détenteur d’un permis N  de demandeur d’asile, il n’est pas autorisé à travailler, même s’il se voit proposer un emploi temporaire dans une organisation internationale. De même, il aimerait s’inscrire à un programme de Master en management de l’UNIGE donné en anglais, langue qu’il pratique couramment. Mais bien qu’il ait les titres requis, notamment un Bachelor en ingénierie aéronautique, son permis N l’empêche de s’inscrire à l’Université.

Il serait resté bloqué dans cette situation s’il n’avait pu rejoindre, à la rentrée 2016, le programme Horizon académique.  «Cela a été une très belle opportunité pour moi, après tous ces mois durant lesquels je ne parvenais pas à réaliser mes aspirations. Le programme m’a offert la possibilité de suivre deux enseignements de français à la Maison des langues. J’ai pu m’inscrire à des cours du programme de Master en management. J’ai pris le maximum de cours auxquels j’avais droit, avec à la clef de bons résultats. Par ce biais, je suis également parvenu à établir de nombreux contacts.»

Je veux me rendre utile à la Suisse et à mon pays d'origine

Abdulaziz a obtenu, début 2017, un permis B, l’autorisant à travailler. Il a maintenant pleinement intégré le programme de Master en management. En tant qu’étudiant, il a la possibilité de travailler jusqu’à 15 heures par semaine et il occupe actuellement un poste d’auxiliaire de recherche et d’enseignement à la GSEM. «J’ai l’intention de poursuivre ma formation, en vue d’une carrière professionnelle qui me permette d’être utile à la Suisse et aussi à mon pays d’origine.»

De temps à autre, Abdulaziz ne peut s’empêcher d’être pris par la nostalgie du pays. «Malgré mes années passées à Dubaï, je me sens affectivement Syrien. Ce sont mes racines, même si les contacts se font de plus en plus rares. La plupart de mes amis sont soit morts, soit disparus. Les autres ont quitté le pays, comme moi. Pour beaucoup d’entre eux, je ne sais pas ce qui leur est arrivé.»

 


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Brice Ngarambe est arrivé en Suisse en 2015. Il suit le Master en études africaines

Élégant, tout sourire, il arrive en s’excusant d’être un peu fatigué. La raison? Le Refugee Food Festival, dont il a coordonné la première édition à Genève du 11 au 15 octobre. Le concept né à Paris en 2016 a, depuis, fait le tour de l’Europe. Il est vrai que l’idée est séduisante: des restaurants accueillent des chefs de cuisine réfugiés pour qu’ils y préparent un menu de leur cru. Cinq établissements ont pris part au festival genevois. Le recrutement des chefs a été mené par son coordinateur Brice Ngarambe, en s’appuyant sur son réseau et notamment l’Hospice général avec lequel il collabore bénévolement.

Arrivé en Suisse en 2015 de son Burundi natal, Brice Ngarambe n’a pas traîné avant de s’impliquer dans la vie de la cité qui l’accueille. Son parcours au pays semble tout aussi édifiant: un Bachelor en études du développement obtenu en 2006 ne lui permet pas de trouver de travail. Il se réoriente alors vers la finance, suit une formation accélérée et travaille sept ans dans le domaine. «Avant de quitter mon pays, j’étais banquier, c’est peut-être ce qui m’a poussé à choisir la Suisse», raconte-t-il en souriant. Avant de préciser que la stabilité sociopolitique helvétique, le respect des droits de l’homme et la présence d’organisations internationales qui œuvrent pour le respect de ces droits ont également pesé dans la balance.

En accédant à un logement étudiant, j’ai pu quitter le foyer d’hébergement collectif et intégrer une colocation de huit personnes

Il n’avait pas songé à reprendre des études, avant d’entendre parler d’«Horizon académique». «Comme ma demande d’asile est encore en cours, je pensais n’avoir aucune chance. J’ignorais que ce programme était ouvert aux détenteurs de permis N.» Il a choisi de suivre le Master en études africaines dispensé par le Global Studies Institute. «Cette formation me donne la possibilité de développer un regard neuf, en dehors du continent africain, mais aussi de partager mon expérience et d’informer sur la réalité en Afrique. J’apprends et je partage», commente-t-il.

L’échange semble en effet être un élément moteur du parcours de Brice Ngarambe. Il reconnaît d’ailleurs que l’un des avantages de ce programme est d’offrir l’opportunité d’étendre son réseau de contacts. Et pas seulement dans les salles de cours: «En accédant à un logement étudiant, j’ai pu quitter le foyer d’hébergement collectif et intégrer une colocation de huit personnes, j’y fais des rencontres et m’enrichis culturellement.» Un cercle vertueux du point de vue de l’intégration, puisqu’il précise encore avoir lancé des activités grâce à ses colocataires.

Le futur, il le voit avec un diplôme suisse en poche. Pour acquérir des connaissances et avoir plus facilement accès au marché du travail, ici ou ailleurs. Chez lui idéalement. «Je considère que l’Afrique a plus besoin de moi que la Suisse. Il ne s’agirait pas de dire merci et au revoir à la Suisse, mais de repartir et de tisser des liens entre les deux pays.» S’il devait toutefois rester en Suisse, il s’imagine travailler dans l’intégration
socioprofessionnelle des réfugiés.

J’ai quitté tout ce que je connaissais depuis trente-cinq ans. Il faut faire preuve d’adaptation. C’est la clé pour survivre, et en cela l’éducation peut aider.

Dans l’immédiat, Brice Ngarambe se concentre sur ses activités genevoises. Il ne cache pas que le fait de gérer sa vie de réfugié en même temps que ses études relève du défi. «Le programme «Horizon académique» reste néanmoins une opportunité énorme pour moi. L’Académie est un environnement qui permet l’épanouissement social et intellectuel, qui donne accès à l’information et à la connaissance. Apprendre c’est la base. J’ai été arraché à ma vie, du jour au lendemain. J’ai quitté tout ce que je connaissais depuis trente-cinq ans et je me suis retrouvé ici, dans un contexte culturel totalement différent. Il faut faire preuve d’adaptation. C’est la clé pour survivre, et en cela l’éducation peut aider.»  —