Journal n°147

«S’il te plaît… dessine-moi Dieu»

image-7.jpg

«Un dieu fille-garçon, gentil-méchant, partout-nulle part, tout en couleur», telle est l’explication donnée par une jeune fille autour du dessin qu’elle a réalisé pour le projet «Dessins de dieux» (ci-contre, à gauche). Initiée par Pierre-Yves Brandt, professeur de psychologie de la religion à l’UNIGE et à l’UNIL, cette recherche est menée par une équipe internationale pluridisciplinaire. Celle-ci s’est réunie fin mai à l’UNIL pour faire le point sur les premiers résultats et examiner de manière critique les contributions et les limites du dessin comme méthode d’étude des représentations de dieu chez les enfants.

Corequérant du projet et professeur au Centre interfacultaire en droits de l’enfant, Frédéric Darbellay explique: «Notre objectif est de comprendre comment les enfants s’approprient, se représentent et transforment le concept de «dieu» selon l’âge, le genre, le pays, la culture ou l’éducation au religieux.» Pour ce faire, plus de 6500 dessins issus de diverses traditions culturelles et religieuses ont été recueillis en milieu scolaire auprès d’enfants âgés de 6 à 15 ans, dans huit pays.

Partout, une seule et même consigne: «Est-ce que vous avez déjà entendu le mot dieu? Fermez les yeux et essayez de l’imaginer. Dessinez maintenant ce que vous venez d’imaginer.» Résultat: un corpus fascinant, qui présente une grande diversité. «Il y a beaucoup de créativité et d’originalité dans la manière dont les enfants s’approprient la figure de dieu, raconte Frédéric Darbellay. Ça va de l’anthropomorphisme jusqu’à la non-représentation de dieu, avec une image toute blanche.» Si l’on peut identifier un grand nombre de figures prototypiques liées aux iconographies religieuses traditionnelles, comme Jésus sur la croix ou la représentation canonique de Bouddha, les variations sont importantes: transferts culturels, hybridations, détournements, etc.

L’analyse comparative interculturelle des dessins montre une large dominance du jaune

«On observe aussi l’importation de motifs qui viennent du monde artistique ou médiatique, ajoute Frédéric Darbellay. Le phénomène s’illustre bien avec le dessin d’un enfant japonais (ci-contre, à droite) qui introduit dans sa forme de religiosité un motif iconographique du film d’animation. L’enfant n’est pas dans une simple reproduction, il se permet des transgressions productives.»

L’analyse comparative interculturelle des dessins montre une large dominance du jaune, alors que les formes fortes (la croix, l’auréole...) sont influencées par le contexte culturel et religieux. On observe partout une complexification des représentations liée à l’âge, passant de l’anthropomorphisme vers des figurations plus abstraites.

Les dessins récoltés en Iran – près de 3000 œuvres – sont en cours d’analyse. Les premiers résultats montrent qu’il n’y a que neuf enfants qui n’ont pas dessiné dieu pour des raisons religieuses. Ceux qui ne l’ont pas représenté l’ont principalement fait parce qu’ils ne l’ont jamais vu, ils le considèrent comme inimaginable et ne connaissent pas son apparence. Les autres ont, de leur côté, développé différentes stratégies de représentation, comme des arabesques, des motifs floraux, des abstractions géométriques ou encore de la lumière. —

POUR EN SAVOIR PLUS
http://ddd.unil.ch/