Journal n°147

En Suisse, les décisions de fin de vie varient selon la région linguistique

image-3.jpgLes pratiques à l’approche de la mort ne sont pas les mêmes dans les trois régions linguistiques de Suisse. Les décisions de fin de vie susceptibles de hâter la survenue de la mort – le plus souvent prises en concertation avec le patient – sont plus fréquentes dans la partie alémanique du pays (82,3%) que dans les parties romandes (75%) et italiennes (74%). En particulier, c’est le renoncement ou l’interruption d’une mesure de maintien en vie qui est la décision prise le plus souvent mais sa prévalence varie selon les régions: elle compte pour 70% des morts non soudaines en Suisse alémanique, 59,8% en Suisse romande et 57,4% en Suisse italienne. Quant à l’assistance au suicide, pratique controversée mais autorisée par la loi helvétique, elle demeure marginale dans tout le pays (1,5% des décès non soudains) et est même inexistante au Tessin. Tels sont les principaux résultats d’une étude parue le 20 avril dans la revue BioMed Central Medecine et dont Samia Hurst, professeure associée et directrice de l’Institut Histoire, Éthique, Humanités de la Faculté de médecine, est la première auteure.

Ce travail, qui fait partie du Programme national de recherche «Fin de vie» (PNR 67), se base sur un questionnaire anonyme envoyé à près de 9000 médecins ayant signé un ou plusieurs certificats de décès. Sur les 5328 réponses reçues, 3678 (70%) contiennent au moins une décision de fin de vie.

Le refus de l’acharnement thérapeutique est entré dans les mœurs

De manière générale, la Suisse se distingue comme l’un des pays européens où l’autonomie des patients est la plus grande en matière de décisions médicales de fin de vie. L’entrée dans les mœurs du refus de l’acharnement thérapeutique est d’ailleurs illustrée par la proportion élevée du renoncement ou de l’interruption d’une mesure de maintien en vie.

«Dans les années 1950, avec l’essor des soins intensifs et, en particulier, l’introduction de la ventilation mécanique, on a appris à allumer la machine, mais personne n’osait plus l’éteindre, commente Samia Hurst. Cela a généré des situations insupportables pour l’entourage du patient aussi bien que pour le personnel soignant. La résistance s’est mise en place dès les années 1960 et 1970 et ce rude combat a finalement mené à l’abandon progressif de l’acharnement thérapeutique. Cela dit, il n’est pas toujours aisé de reconnaître ce moment crucial où l’espoir s’est éteint et où il vaut mieux, pour le bien-être et la dignité du patient, autoriser la mort à venir. C’est un instant entouré d’incertitudes et qui peut faire l’objet de désaccords profonds. Quoi qu’il en soit, la loi suisse n’interdit pas de ‘débrancher la machine’».

Elle ne prohibe pas non plus le geste qui consiste à augmenter les traitements destinés à soigner la douleur ou les symptômes, en concertation avec le patient ou son entourage, au point de risquer de précipiter la fin de vie. En Suisse romande, cette pratique est même plus fréquente que l’abandon du traitement (elle contribue à 61,4% des décès non soudains).

Certains patients demandent explicitement à ne pas être réveillés, de peur de voir la douleur resurgir en reprenant conscience

Autre résultat notable: le nombre de décès accompagnés par la sédation palliative (elle précède 34,4% des décès non soudains en Suisse italienne, 24,4% en Suisse alémanique et 26,9% en Suisse romande). Sans être considérée comme une décision de fin de vie en soi mais pouvant l’accompagner, cette pratique consiste à endormir le patient, de manière intermittente ou continue, lorsque les soins palliatifs traditionnels ne parviennent plus à contrôler les symptômes de la maladie (douleurs, angoisses, etc.). Une fois dans ce coma induit, il arrive que la personne ne se réveille plus – certains patients demandent d’ailleurs explicitement à ne pas l’être, de peur de voir la douleur resurgir en reprenant conscience. Une étude précédente, parue le 29 février 2016 dans la revue JAMA Internal Medicine et ne prenant en compte que la population alémanique, a montré que cette pratique a plus que triplé entre 2001 et 2013 (lire aussi le magazine Campus n° 125).

Le résultat le plus surprenant est l’implication des patients tessinois dans les choix les concernant, qui est presque deux fois plus faible que dans le reste du pays. Cette observation inexplicable par des différences cliniques objectives a dérouté les auteurs de l’étude qui, pour l’interpréter, font l’hypothèse qu’au Tessin les décisions sont davantage prises dans le cadre familial que dans d’autres régions du pays.

Des études similaires ont été conduites en Italie et en France, permettant une comparaison internationale sur une base linguistique. «Si on ne meurt pas de la même manière dans toutes les régions de notre pays, nos approches sont quand même plus semblables les unes par rapport aux autres qu’avec nos voisins, précise Samia Hurst. La Suisse romande, par de nombreux aspects, ressemble ainsi plus à la Suisse alémanique qu’à la France, conformément au rôle accru de l’autonomie des patients en Suisse. Néanmoins, les différences observées entre nos régions sont similaires aux différences notées entre nos voisins, suggérant ainsi qu’il existe des spécificités culturelles liées à la langue.» Ni l’Allemagne ni l’Autriche n’ont toutefois jamais effectué ce genre d’études. —