Méthodes et problèmes

L'autobiographie

Natacha Allet et Laurent Jenny, © 2005
Dpt de Français moderne – Université de Genève

I.1.2. Pacte fictif

Ce lieu commun est toutefois réversible. Certains écrivains éprouvent manifestement l'impossibilité de raconter leur existence, soit qu'elle se soustraie à la mémoire, soit qu'elle se trahisse nécessairement dans l'écriture, et en viennent à énoncer un pacte rigoureusement inverse à celui que Lejeune a mis en lumière, un pacte que l'on pourrait qualifier de fictif. Ils ne postulent pas en effet que tout roman est autobiographique, mais, symétriquement, que toute autobiographie est romanesque. Dans W ou le souvenir d'enfance, par exemple, Georges Perec fait le constat du néant de sa mémoire:

Je n'ai pas de souvenir d'enfance. (p.13)

Je ne sais pas si je n'ai rien à dire, je sais que je ne dis rien; [...] je sais que ce que je dis est blanc, est neutre, est signe une fois pour toutes d'un anéantissement une fois pour toutes. (p.58-59)

Ce néant correspond d'ailleurs à la disparition de ses parents dans son enfance, son père à la guerre et sa mère dans les camps de concentration. Perec entreprend alors de reconstituer laborieusement ses souvenirs, en les tressant avec une histoire inventée à treize ans, oubliée puis réinventée bien plus tard, une histoire intitulée W. Ce faisant, il présente ses souvenirs comme aussi hypothétiques que la fiction qu'il propose.

Sur un mode plus frivole, Alain Robbe-Grillet signale lui aussi la part de reconstruction imaginaire qui travaille son autobiographie, Le miroir qui revient. Il commence cependant par formuler, à la façon de Gide ou de Mauriac, un pacte de type fantasmatique:

Je n'ai jamais parlé d'autre chose que de moi. Comme c'était de l'intérieur, on ne s'en est guère aperçu. (p.10)

Mais il contrebalance cette assertion en écrivant:

Et c'est encore dans une fiction que je me hasarde ici. (p.13)

Il avance ainsi que l'histoire de sa vie est elle-même un roman, scellant un pacte strictement opposé à celui qu'il vient de former, un pacte fictif.

Les tenants de ce pacte ont le mérite de mettre l'accent sur la construction de sens que suppose toute mise en récit: l'histoire d'une existence, mais aussi l'histoire tout court, ne trouve sa signification que par un acte qui la construit et qu'il importe à chaque fois d'identifier. Le geste autobiographique en effet n'est nullement évident: écrire sa vie, c'est lui imposer une orientation, c'est lui donner un sens.

Edition: Ambroise Barras, 2005