Méthodes et problèmes

L'autoportrait

Natacha Allet, © 2005
Dpt de Français moderne – Université de Genève

III.2.1. Amplifications, rétractations, renvois

La forme propre à l'autoportrait se prête à cette relance virtuellement infinie. J'ai laissé entendre plus haut qu'elle n'était pas sans rapport avec celle du miroir encyclopédique qui se caractérise notamment par les multiples rajouts et les multiples renvois qu'il autorise. La structure thématique ou topique de l'autoportrait est ouverte dans la mesure où chacun des développements qu'elle distribue peut être repris, étayé ou infléchi ultérieurement. Que l'on pense à Montaigne et aux différentes couches temporelles de ses Essais – l'auteur revient sur tel point de son discours et le complète de diverses façons, il est libre ainsi de poursuivre son propos indéfiniment. Leiris qui décidément exhibe les rouages du genre, décrit les procédés de son invention de la manière suivante:

Opérant [...] à l'aide de fiches dont j'ai mainte occasion, il est vrai, d'accroître la masse en cours de route (inscrivant, tantôt sur les mêmes cartons, tantôt sur d'autres, des lignes plus fraîches qui seront aussi bien rallonges à ce que j'ai déjà recueilli que notations nouvelles motivées soit par des réflexions ou des événements récents, soit par des faits ou des états anciens perçus soudain comme de nature à être mis dans le circuit)[...]. (Biffures, p.282. Je souligne.)

Il se laisse ainsi le loisir d'insérer de nouvelles entrées dans son dispositif ou de nouvelles réflexions dans telle ou telle entrée.

Parallèlement à cette croissance illimitée du texte, l'autoportrait présente un système de renvois que Roland Barthes par Roland Barthes met parfaitement en lumière, en proposant une sorte d'index thématique intitulé Repères qui comprend certaines rubriques connues du lecteur et d'autres inconnues, et qui invite ce dernier à effectuer de multiples trajets à l'intérieur de son texte; l'auteur désigne de la sorte et réalise sous une forme volontairement schématique le travail acharné de liaison, de mise en relation qui fait la particularité de la démarche de Leiris:

Aussi [...] est-ce une nécessité pour moi que d'envisager avant tout les connexions qui peuvent se déceler au sein de ce paquet multiplement cloisonné et de songer, plutôt qu'à ce qui a maintenant l'aspect funèbre d'un acquis, aux engrenages grâce auxquels il me sera permis de passer de chaque fiche à la fiche suivante, tout ce qui entre de libre et de vivant dans mon travail devenant, en somme, question de liaisons ou de transitions et celles-ci gagnant de l'épaisseur à mesure que j'avance, jusqu'à représenter les véritables expériences au détriment de celles qui garnissent mes fiches et ne sont plus que des jalons plantés de loin en loin pour diriger les ricochets de ma course. (Biffures, p.282. Je souligne.)

Edition: Ambroise Barras, 2005