Méthodes et problèmes

La description

Laurent Jenny, © 2004
Dpt de Français moderne – Université de Genève

III.3. Organisation spatiale de la description

L'organisation de la description n'est pas seulement logique et sémantique. Elle est aussi modelée sur des référents, c'est-à-dire spatialisée. La pièce montée de Madame Bovary est décrite selon une progression régulière de bas en haut. On peut interpréter cet ordre comme un reflet de la fabrication réelle du gâteau, de son montage. On peut aussi y voir le mouvement d'un regard parcourant l'objet de bas en haut. Toujours est-il que, ce principe ascensionnel une fois adopté, la description parvient à un effet d'achèvement lorsqu'on arrive au sommet.

Les formes d'organisation spatiale de la description n'ont rien d'objectif. Elles reflètent des styles de construction de l'espace propres à des modèles picturaux. Dans la description de paysage la plus classique, on définit des directions puis on hiérarchise pour chaque direction une suite de plans, classés du plus proche au plus lointain. Mais, à la fin du XIXe siècle, cette organisation spatiale se trouve contestée en littérature comme elle l'est en peinture. Analysons par exemple cette description de paysage nocturne dans le roman À rebours (1884) de J.K. Huysmans:

Par sa fenêtre, une nuit, il avait contemplé le silencieux paysage qui se développe en descendant, jusqu'au pied d'un coteau sur le sommet duquel se dressent les batteries du bois de Verrières.

Dans l'obscurité, à gauche, à droite, des masses confuses s'étageaient, dominées, au loin, par d'autres batteries et d'autres forts dont les hauts talus semblaient, au clair de la lune, gouachés avec de l'argent, sur un ciel sombre.

Rétrécie par l'ombre tombée des collines, la plaine paraissait, à son milieu, poudrée de farine d'amidon et ensuite de blanc de col-cream; dans l'air tiède, éventant les herbes décolorées et distillant de bas parfums d'épices, les arbres frottés de craie par la lune, ébouriffaient de pâles feuillages et dédoublaient leurs troncs dont les arbres barraient de raies noires le sol en plâtre sur lequel des caillasses scintillaient ainsi que des éclats d'assiettes.

Au premier abord le paysage semble structuré du proche au lointain, du premier au dernier plan. Mais, de façon significative, Huysmans choisit de faire une description nocturne où les plans se brouillent, où les masses deviennent confuses et les repères spatiaux incertains. Il tend à aplatir les profondeurs (les hauts talus sont ainsi gouachés sur un ciel sombre) et il se montre plus attentif à des effets de couleur qu'à une construction de perspective. La description s'achève sur un détail (le scintillement des caillasses) qui paraît disproportionné par rapport à l'ensemble et ne donne pas un effet de clôture. On a souvent parlé d' impressionnisme à propos du style descriptif de Huysmans. Effectivement, il participe d'une nouvelle spatialité où les effets de surface l'emportent sur l'architecture de la profondeur, où l'importance du détail vient contester la hiérarchie de l'espace.

Edition: Ambroise Barras, 2004