Laurent Jenny, © 2003
Dpt de Français moderne – Université de Genève
Les métaphores sont extrêmement courantes dans le discours ordinaire. Dans leur livre, Les métaphores dans la vie quotidienne, G. Lakoff et M. Johnson soulignent même que notre système conceptuel ordinaire qui sert à penser et à agir est de nature fondamentalement métaphorique
. C'est particulièrement vrai d'un ensemble de concepts abstraits que nous avons tendance à nous représenter de façon métaphorique. Ainsi, nous nous représentons le temps en termes métaphoriquement spatiaux (j'ai du temps devant moi
, le temps est passé
, etc.) ou les émotions en termes de chocs physiques (j'ai été frappé par son attitude,
il a explosé
, je vais craquer
, etc.).
Ces métaphores forment de vastes systèmes analogiques constituant des ensembles de représentations propres à une culture donnée. Elles ne sont pas perçues comme telles et appartiennent à notre façon littérale
de parler.
Dans les termes de l'ancienne rhétorique, on peut les décrire comme des catachrèses, ou figures usées qui n'induisent plus d'effets de réception ni d'effets de sens mais prennent la place d'une dénomination littérale.
Les pieds du fauteuil
Les métaphores novatrices, courantes dans le discours littéraire, ne s'inventent pas à partir de rien. La plupart du temps, elles apparaissent comme des prolongements, des spécifications et des renouvellements d'équivalences métaphoriques déjà établies dans le discours ordinaire.
Dans À l'Ombre des jeunes filles en fleurs, Proust s'appuie sur une équivalence métaphorique entre
jeunes fillesetfleursdont la tradition remonte au moins au Roman de la Rose et qui a été nourrie par des siècles de poésie, notamment à la Renaissance. Mais lorsqu'il écrit que nos regardsbutinentle visage des jeunes filles et que notre désirsucre lentement notre cœur, par extension des implications d'une métaphore conventionnelle il parvient à des métaphores inédites et surprenantes.
Edition: Ambroise Barras, 2003-2004