Méthodes et problèmes

Histoire de la lecture

Laurent Jenny, © 2003
Dpt de Français moderne – Université de Genève

IV.3. Nouvelles dimensions

Ainsi le paradoxe du support écran, c'est qu'il offre à la fois moins qu'un texte (par les contraintes spatiales de l'écran) et plus qu'une bibliothèque (par le réseau virtuellement infini des liens qu'il propose).

Nous ne devons pas méconnaître que cette structure hypertextuelle est en passe de modifier profondément les pratiques de la lecture et l'identité même de ce qu'on entend par texte. Sur le plan de la lecture, l'hypertexte introduit une dimension nouvelle d'interactivité qui fait du lecteur le créateur de son propre parcours, et quelque sorte le co-auteur de son texte. Il peut d'ailleurs garder trace de l'originalité de son parcours. Cette mutation de la fonction lecteur vers une fonction auteur est encore accentuée dans tous les cas où le lecteur peut intervenir en annotant ou réécrivant le texte qu'il est en train de lire et de composer. La souplesse du medium informatique qui accueille sans difficulté des ajouts ou des modifications textuelles en se recomposant automatiquement ouvre ainsi de nouvelles possibilités de glose.

Cependant, à la différence de la glose ancienne qui cherche à fixer le plus nettement possible le sens d'un texte dont la lettre doit demeurer immuable – parce qu'elle est révélation divine –, la glose moderne met en question l'identité même du texte. Si le texte se présente sous la forme d'un réseau ouvert de choix et de bifurcations, deux lecteurs pourront-ils affirmer qu'ils auront lu le même texte? Ce qui se trouve ainsi mis en question c'est la stabilité des significations qui découlent d'une lecture et donc aussi la possibilité de s'entendre sur les valeurs culturelles dont les textes sont porteurs.

Edition: Ambroise Barras, 2003-2004