Méthodes et problèmes

Le journal intime

Dominique Kunz Westerhoff, © 2005
Dpt de Français moderne – Université de Genève

IV.4. La construction d'une continuité diariste

Cependant, il faut être conscient des facteurs de cohésion qui contribuent à forger une continuité et à dessiner un tracé diariste par-delà la désagrégation des notes périodiques. Les retours sur soi du journal y participent au premier chef: le diariste se lit et se relit, à la recherche d'une unité qui fait défaut à l'existence. Cette relecture intime est souvent l'enjeu d'une quête de sens pour le sujet, et d'une finalité assignée au discours de soi. Elle participe à l'élaboration des notes journalières en une œuvre: Coup d'oeil rétrospectif sur ce journal: je suis en somme beaucoup plus soucieux d'art et de littérature que je ne me l'avoue ordinairement (Leiris, 9 juillet 1924). C'est un facteur essentiel de cohésion, subjective et littéraire, par-delà la discontinuité journalière.

Il faut relever aussi une organisation de la temporalité intime visant à construire un destin. Cet aspect est particulièrement sensible dans le Journal de Roud, qui relève des moments d'extase servant de jalons pour un véritable parcours mystique. Le mouvement des cahiers articule ainsi les étapes d'un vécu dans toute une pureté tragique, qui va des passions impossibles (homosexuelles) pour les vivants à l'entretien d'une communication hallucinatoire avec les anges de la mort. Les notes contingentes sont envisagées dans la perspective d'une révélation poétique, qui est leur telos ultime. En prélevant des pages de ses cahiers intimes, parfois disséminées sur des décennies, et les faisant paraître, moyennant la suppression de leurs dates, sous forme de recueils lyriques, Roud contribue lui-même à l'organisation du journal en un destin poétique, autant qu'en une œuvre littéraire.

Edition: Ambroise Barras, 2005