Méthodes et problèmes

Le journal intime

Dominique Kunz Westerhoff, © 2005
Dpt de Français moderne – Université de Genève

IV.6. La mort, gage de l'authenticité diariste

Devancer la mort en suivant le fil des jours, cela relève de l'impossible: et c'est sans doute cette conscience d'un affrontement à l'impossible qui fait de l'écriture diariste une forme littéraire. L'écriture sera toujours plus lente que la vie, et plus lente encore en sera la lecture. À un volume par semaine, cela prendrait une année au lecteur, dit Amiel.

Ce que constate le journal, c'est la fondamentale impermanence du moi, et son incapacité à dépasser l'inachèvement du temps. L'écriture quotidienne ne le révèle qu'au coup par coup, dans ses intermittences. Dès lors, c'est bien plutôt cette impossibilité même de se réunir qu'écrit l'intimiste. Le journal apparaît comme le lieu d'un moi impossible auquel s'origine précisément l'écriture: Amiel se figure en train de s'ensevelir dans ses propres notes, comme en une masse indestructible, comme en son propre tombeau. Chercher une essence de soi par l'écriture du moi barométrique, c'est consentir à l'impossibilité d'être identique, autrement que dans une préfiguration de sa propre mort.

Celle-ci devient dès lors la seule instance susceptible d'authentifier, et peut-être, de totaliser le moi du journal. Son anticipation est récurrente et constitutive de la visée diariste, entre vécu existentiel et fondation de soi: La pensée de la mort ne m'a pas quitté de tout le jour. Il me semble qu'elle est là, tout près, contre moi (Gide, 8 mars soir, 1917). Elle est la vérité ultime de l'intime.

Edition: Ambroise Barras, 2005