Méthodes et problèmes

L'œuvre dramatique

Danielle Chaperon, © 2003-2004
Dpt de Français moderne – Université de Lausanne

I.4. Dramaturgie et narratologie

Dramaturgie et narratologie

Fig.2 - Dramaturgie et narratologie.

Les emprunts que la dramaturgie peut se permettre envers la narratologie ont un double profit. D'abord celui, économique, de ne pas augmenter sans nécessité la terminologie. Ensuite de faire ressortir les ressemblances mais aussi les différences qui règnent entre les deux modes de représentation, narratif et dramatique. Nul doute en effet que le système général des possibles dramatiques recoupe en partie le système général des possibles narratifs. Ne serait-ce que parce que les deux modes de représentation prennent en charge le même type de contenus: des histoires.

Parmi les différentes approches possibles de l'art romanesque, la narratologie de G. Genette est l'étude de l'articulation entre une Histoire (l'histoire que l'on veut raconter), une Narration (l'acte de narrer) et un Récit (le discours, le texte) [La perspective narrative]. Nous pouvons dire par analogie que la dramaturgie est l'étude de l'articulation entre une Action (l'histoire que l'on veut montrer), une Présentation (l'acte de présenter, ou de montrer) et ce que nous appellerons faute de mieux – et faute d'accord, en nous autorisant de l'usage que font du terme P. Szondi, P. Pavis et J.-P. Sarrazac – un Drame. Certaines approches critiques seront forcément similaires dans les deux domaines de la narratologie et de la dramaturgie, mais elles divergeront néanmoins en raison du fait que dans le mode dramatique (c'est à nouveau Aristote que l'on paraphrase) l'Histoire (l'Action) n'est pas représentée par le biais d'une voix étrangère à l'action, mais par le truchement des personnages en action, en tant qu'ils agissent effectivement – c'est-à-dire surtout en tant qu'ils (se) parlent. Elle se donne à voir essentiellement – si ce n'est uniquement – par la représentation des relations interhumaines manifestées par le dialogue (selon les termes de Peter Szondi).

Le narrateur est donc absent du texte dramatique ou, plutôt, est si impersonnel et si discret qu'il fait croire à son absence [Le mode dramatique]. Au premier abord, le texte théâtral peut en paraître simplifié: sans narrateur, il n'y aurait ni narration ni description; sans narrateur, il n'y aurait aucun discours indirect et seulement le discours direct des personnages; sans narrateur, il n'y aurait pas non plus de variations de point de vue [Le point de vue]. On devine cependant que cette simplicité apparente doit avoir sa contrepartie. D'abord, la plupart des phénomènes susmentionnés sont tout simplement transposés dans le discours des personnages eux-mêmes, à qui rien n'interdit de raconter, de décrire, de résumer ou de citer le discours des autres. Ensuite, les contraintes et les ressources propres de la composition dramatique nécessitent pour être décrites l'invention de nouveaux instruments d'analyse, l'adaptation ou l'élimination de certains autres. Surtout, on l'a déjà dit, le narrateur ne disparaît pas totalement.

Le présent cours s'attachera successivement à la description de l'Action, puis à celle de la relation entre l'Action et le Drame. Il envisagera ensuite les rapports qu'entretiennent cette Action et ce Drame avec l'acte de Présentation. Cette dernière question qui s'assimile à celle de la Voix (pour nous inspirer toujours de Genette) appartient de droit au système général que nous esquissons ici, mais elle est aussi très directement liée à la définition même du mode dramatique traité dans un cours spécifique [Le mode dramatique]. Cette question s'ouvre aussi naturellement sur la dramaturgie au sens large [La mise en scène]. L'acte de narration, somme toute assez simple à décrire dans le cas du texte narratif, est remplacé dans le domaine qui nous occupe, par le relais de deux actes différents: l'acte de présentation et l'acte de représentation (pris en charge par le metteur en scène, les comédiens et l'équipe de réalisation d'un spectacle) qui engagent le texte dramatique et la visée spectaculaire qui lui est propre. Cette visée prédétermine en effet fortement certains caractères du texte, que ce soit au niveau de l'Action, du Drame ou de l'acte de Présentation.

Pour des raisons pédagogiques, l'analyse des aspects du texte dramatique adopte dans ce qui suit un ordre qui est emprunté à la rhétorique classique: l'ordre des étapes d'écriture propre au XVIIe siècle. L'Action, le Drame et l'acte de Présentation seront associés respectivement aux résultats de l'inventio, de la dispositio et de l'elocutio. Lier ainsi les concepts anciens et les instruments d'analyse moderne est, on le verra, très éclairant pour autant que l'on n'oublie pas que si les trois étapes de l'écriture classique s'enchaînent naturellement sur un axe chronologique, il n'en est pas de même des aspects du texte dramatique: ces derniers forment un système et non un processus.

Edition: Ambroise Barras, 2003-2004