Méthodes et problèmes

L'œuvre dramatique

Danielle Chaperon, © 2003-2004
Dpt de Français moderne – Université de Lausanne

III.4. Le Temps

III.4.1. La durée

Le présentateur décrit des actions et rapporte des paroles en discours direct. Conséquence de l'imitation par le moyen de personnages en action et en paroles, la seule mesure du temps est au théâtre la vitesse de prononciation des mots du discours. On ne peut que supposer que celle-ci est la même dans le monde de la diégèse (dans lequel l'Action se déroule) et dans le monde dramatique (du Drame). Le temps du drame n'est donc pas – ou beaucoup moins – un pseudo-temps comme celui du récit romanesque. Pour reprendre les termes de Genette, il n'y a formellement dans le texte théâtral ni pause, ni sommaire: il n'y a que des scènes (le mot utilisé en narratologie n'est évidemment pas choisi au hasard).

Cette homologie entre les deux déroulements temporels n'est cependant pas tenue pendant toute la durée de la pièce et elle est régulièrement ou sporadiquement interrompue par des ellipses. La répartition entre les scènes (plages d'homologie) et les ellipses, est un des résultats du travail de la dispositio. Dans la dramaturgie classique, l'homologie règne en principe à l'échelle de l'Acte entier: la continuité étant assurée par la liaison des scènes (dès que la scène se vide, une ellipse est possible qui troublerait le spectateur). La répartition des faits de l'Action, en ce qui concerne la dimension temporelle, se fait entre des Actes et des entractes. Mais quelle que soit l'esthétique, le Drame est toujours un ensemble composé de scènes (liées ou non) et d'ellipses (plus ou moins nombreuses).

Que la portion de l'Histoire représentée, entre le début du premier acte et la fin du dernier, soit limitée à douze ou vingt-quatre heures (comme le conseillait Aristote et comme l'imposa sous le nom d'unité de temps la doctrine classique) ou s'étende sur vingt ans, importe peu. Dans les deux cas il faut découper les séquences que l'on veut retenir et les disposer dans une durée qui sera prise en charge par celle du spectacle mais qui est d'abord une durée de lecture. Pour combler la différence entre les événements représentés par les scènes et la totalité de l'Action que l'on veut raconter, on se servira des intervalles entre les actes (entractes), ou entre les scènes (en régime non classique). On se souviendra que c'est pendant un intervalle que Rodrigue bataille contre les Maures. Comme les événements qui adviennent hors-scène, les événements qui se déroulent pendant les ellipses devront être racontés par un personnage ou seront inférés par le lecteur.

Les ellipses inaugurales et finales sont très importantes pour le théâtre classique: l'instant où commence la première scène est en effet la conséquence d'un choix dramaturgique important, puisque tout ce qui la précède, pour autant que cela concerne l'Action, devra faire l'objet d'un récit. Le début de la première scène ne coïncide pas nécessairement – et même très rarement – avec le début de l'Action. Celui-ci fait généralement l'objet d'une ellipse inaugurale que l'exposition prend en charge sous la forme d'un récit. (Songeons par exemple au nombre extraordinaire d'événements qui se sont déjà produits lorsque commence la première scène de La Fausse Suivante de Marivaux.) Il en est de même de la fin, car la dramaturgie classique exige que les dénouements soient complets et ne laissent rien en suspens (le cas du mariage prévu et néanmoins différé de Chimène et de Rodrigue est un cas à la fois atypique et exemplaire). Il convient donc de faire raconter par les personnages ce qui va se passer après la fin de la dernière scène.

Edition: Ambroise Barras, 2003-2004