Disciplina Clericalis

III. Le logiciel

III. PRÉSENTATION DU LOGICIEL MÉDIÉVAL (OLIVIER COLLET) 

La prise en compte des phénomènes de remaniement n’est pas sans conséquences en matière d’édition de textes. Il devient impossible de porter à la connaissance du public un texte critique visant à reproduire au mieux l’état original du texte, de même qu’il est notoirement insuffisant de se contenter d’éditer le texte tel qu’il est produit par un seul manuscrit, fût-ce le meilleur de ceux qui nous transmettent l’œuvre envisagée. C’est ainsi que le Nouveau Recueil Complet des Fabliaux (NCRF)1 prend acte des travaux de Jean Rychner en présentant pour chaque fabliau une édition diplomatique de l’ensemble de sa tradition manuscrite.  

Mais une telle démarche est finalement peu compatible avec la pratique du texte qu’induit le livre imprimé. La juxtaposition de plusieurs états du texte sur la page ruine toute possibilité de s’en tenir à une lecture cursive.

C’est pourquoi, au moment d’entamer une entreprise éditoriale qui devra nécessairement recourir à l’alignement comparatif des différentes composantes de notre corpus, nous avons été amenés à nous tourner vers les techniques informatiques. Le programme d’édition de textes MEDIEVAL, réalisé conjointement par un groupe de chercheurs du Département de langues et de littératures fran¬çaises et latines médiévales de l’Université de Genève et du Laboratoire d’informatique théorique de l’École polytechnique fédérale de Lausanne avec l’appui du Fonds national suisse de la recherche scientifique (requête no 12-52700.97) nous a paru tout désigné pour nous permettre de mener à bien cette tâche. Ce Modèle d’ÉDition Informatisée d’Écrits médiévaux, Visualisés par ALignement vise en effet au développement d’une procédure de type numérique pour l’exploitation hypertextuelle et l’édition comparative des documents vernaculaires du Moyen Age français. 

Le principe consiste à mettre à la disposition de l’usager une base documentaire complète et fiable, sous forme d’images réelles et de transcriptions exactes et neutres, qui constituent le point de départ à partir duquel les textes peuvent évoluer vers une formalisation critique, en fonction des propres sélections de l’utilisateur. Celles-ci peuvent affecter aussi bien la représentation du texte (par exemple, grâce à l’inclusion, optionnelle, indépendante de cas en cas et toujours réversible, de paramètres diacritiques comme l’accentuation ou la ponctuation) que, dans l’éventualité où une formalisation critique du texte est incluse, son contenu (l’utilisateur choisissant ou non d’adopter des interventions préalables, à moins qu’il ne préfère réaliser son propre établissement critique).

Le modèle offre donc l’affichage personnalisé de différentes représentations des documents-sources et la possibilité de se déplacer de l’une à l’autre. Cet outil procure de la sorte un type d’exploitation des documents médiévaux entièrement nouveau, par superposition de strates variables au gré des besoins de chaque utilisateur – enrichissement évolutif de la transcription archéologique de l’original jusque vers une standardisation partielle ou complète –, et par étalement horizontal (réunion des différents états ainsi composés grâce aux possibilités de fenestrage).

Il a d’autre part été complété par un outil de navigation (moteur de recherche) dans les textes, basé sur l’extraction d’un ensemble de catégories – attributs originaux : traits iconographiques, éléments structurels; emploi des signes diacritiques –, ainsi que sur le prélèvement de mots et de phrases, en partie intuitif, en partie fondé sur une grammaire implicite. Il est donc possible d’émettre des requêtes sur un ou plusieurs documents en parallèle, de simuler une navigation comparative, et d’obtenir une première série d’analyses systématiques.

Le modèle est apte à recevoir si nécessaire et à gérer des apparats critiques à différents niveaux.

L’utilisation du principe d’édition MEDIEVAL permet ainsi :

  • un accès direct aux différentes rédactions du Chastoiement et des Fables Pierre Aufons,
  • une comparaison facilitée des différentes composantes de notre corpus, qu’il s’agisse de comparer les manuscrits, de confronter les traductions entre elles, ou chacune d’elles avec la Disciplina clericalis,
  • une présentation des textes sur un support informatique susceptible de rendre compte de la mouvance, de la souplesse et de la variabilité de la tradition manuscrite.

Nous avons mené cette recherche avec la précieuse collaboration de l’équipe de recherche en charge du projet MEDIEVAL. Les objectifs de notre recherche, tant sur le plan éditorial qu’en ce qui concerne l’étude philologique et littéraire du corpus ont rencontré les préoccupations des concepteurs de MEDIEVAL, dans la mesure où les développements qu’ils espèrent pouvoir donner à leur travail visent notamment à permettre l’alignement automatisé de textes aussi hétérogènes que le sont les différentes traductions de la Disciplina clericalis. Ils sont en outre convaincus de la nécessité de faire converger une démarche éditoriale et une démarche de critique littéraire pour rendre compte au mieux des problèmes de lecture que pose la textualité médiévale.

 


 

 1 Publié par W. Noomen, Assen, Van Gorcum, 1983 - 1998, 10 vol. Voir la discussion de Mary Speer, « Editing… », op. cit., pp. 25-28.