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La cystite traitée comme dans les années 50

Afin de préserver l’efficacité des nouveaux antibiotiques, deux anciens médicaments sont à nouveau prescrits contre les infections urinaires. L’un d’eux semble aussi efficace que les nouvelles molécules, révèlent des chercheurs de l’UNIGE et des HUG.

Afin de lutter contre la résistance aux antibiotiques et préserver l’efficacité des nouvelles molécules, les médecins prescrivent à nouveau des traitements antibiotiques datant des années 50 lors d’infections bénignes. Mais ces «anciennes» molécules n’ont pas été soumises aux mêmes évaluations que les nouvelles avant leur entrée sur le marché, notamment au niveau de l’efficacité du traitement et des effets secondaires. Des médecins de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont analysé deux molécules utilisées fréquemment contre les infections urinaires simples. Résultat : la plus prescrite aujourd’hui n’atteint pas le taux de réussite escompté, alors que la seconde semble aussi efficace que les nouvelles molécules utilisées dans ce genre d’infections. Cette étude, à lire dans la revue JAMA, démontre qu’il est important de soumettre aux normes actuelles l’usage des anciens antibiotiques, afin de préserver le bien–être des patients tout en limitant l’usage des nouvelles molécules aux maladies plus graves.

La résistance aux antibiotiques, fléau des infectiologues

Ultra-performantes en cas de maladies graves, les nouvelles molécules qui composent les antibiotiques sont aussi utilisées contre des maladies bénignes, comme la cystite. En réaction, les bactéries présentes dans notre tube digestif développent une résistance à ces agents et se diffusent ensuite au sein de la population, notamment via la chaine alimentaire et les eaux usées, rendant toujours plus de bactéries résistantes aux traitements. A trop utiliser ces nouvelles molécules, les médecins perdent le moyen de combattre certaines maladies graves. «Aujourd’hui, nous estimons que jusqu’à 20% de la population bactérienne est résistante à la ciprofloxacine, un antibiotique à large spectre très efficace, avertit Angela Huttner, chercheuse aux départements de médecine interne des spécialités et de pathologie et immunologie de la Faculté de médecine de l’UNIGE et cheffe de clinique scientifique au Service des maladies infectieuses des HUG. Il est donc capital de réserver l’usage de cette molécule aux cas graves !»

Un retour aux traitements des années 50, mais pour quels effets ?

Depuis 2011, les médecins sont incités à ne plus recourir aux nouveaux antibiotiques en cas d’infections urinaires simples, c’est-à-dire aux antibiotiques datant de la fin des années 80 à aujourd’hui. L’objectif : préserver la ciprofloxacine afin de limiter l’émergence de bactéries résistantes. Lorsqu’une cystite est diagnostiquée, ils peuvent alors soit prescrire un médicament à base de nitrofurantoïne, datant de 1953, soit un médicament de 1971 à base de fosfomycine.

«Aujourd’hui, l’usage de ces médicaments a été multiplié par 5, sans pour autant que l’on connaisse leur taux d’efficacité et leurs éventuels effets secondaires», s’étonne Angela Huttner. En effet, l’évaluation et la commercialisation de molécules pharmaceutiques n’était pas aussi stricte lorsqu’elles sont apparues que depuis la fin des années 90. «Et ces produits étant déjà sur le marché, les grandes entreprises pharmaceutiques ne veulent pas investir de l’argent pour tester en profondeur ces anciennes molécules. C’est donc le travail des chercheurs de fournir à la population les informations nécessaires sur les antibiotiques qu’elle consomme», ajoute Stephan Harbarth, professeur au Département de médecine interne des spécialités de la Faculté de médecine de l’UNIGE et médecin-adjoint agrégé au Service prévention et contrôle de l’infection des HUG.

Les deux anciens antibiotiques testés sur 513 femmes

Aujourd’hui, le médicament le plus prescrit en cas de cystite est la fosfomycine, car il ne nécessite que la prise d’un seul sachet à dose unique. Au contraire, la nitrofurantoïne se présente sous forme de comprimés à prendre 3 fois par jour durant 5 jours. Actuellement, la fosfomycine est prescrite presque trois fois plus souvent que la nitrofurantoïne en Suisse.

513 femmes de Genève (Suisse), Tel Aviv (Israël) et Lodz (Pologne), âgées de 18 à 101 ans, ont été soumises par tirage au sort soit au traitement par fosfomycine, soit au traitement par nitrofurantoïne. «Nous avons effectué des contrôles au niveau des bactéries avant la prise du médicament, à 14 jours et à 28 jours après la prise du traitement, afin d’observer l’éradication des bactéries infectieuses», détaille Angela Huttner. Le résultat est sans appel : 70% de femmes ont répondu positivement à la prise de nitrofurantoïne et 74% des bactéries avaient définitivement disparu, contre un taux de réussite de seulement 58% pour 63% de bactéries éradiquées chez les femmes traitées par fosfomycine. «Sachant que sans prendre d’antibiotique, une femme a déjà environ 33% de chance de guérir d’une cystite, ce résultat démontre le peu d’effet de la fosfomycine, traitement pourtant le plus prescrit par le milieu médical», constate Angela Huttner.

Le taux de réussite de la nitrofurantoïne est par contre comparable à celui des antibiotiques à base de ciprofloxacine, ce qui en fait un bon remplaçant. De même pour le pourcentage d’effets secondaires (diarrhée, maux de tête, crampes abdominales) : 7% de risque d’en développer lors de la prise des trois traitements. « Les nouvelles molécules obtiennent de meilleurs résultats du point de vue de l’élimination des bactéries nocives, c’est pour cela qu’elles avaient remplacé les anciens médicaments, explique Stephan Harbarth. Mais aujourd’hui, il faut absolument préserver l’efficacité de la ciprofloxacine en ne l’utilisant que lors de grave infection. Sans cela, nous serons bientôt démunis face à certaines infections.»

Le retour aux anciennes molécules est pour le moment une des stratégies proposées pour combattre la résistance aux antibiotiques. «Mais pour cela, il faut tester leur efficacité et la réelle influence qu’elles ont sur les bactéries, afin de ne pas créer d’autres bactéries résistant également à ces molécules», prévient Angela Huttner. Il s’agit d’analyser en profondeur l’arsenal dont disposent les infectiologues, y compris celui qui est déjà sur le marché, afin de ne prescrire que des médicaments réellement efficaces aux patients et de cibler l’usage de chaque antibiotique à la maladie qu’il combat le mieux. «Notre étude financée par la Commission Européenne démontre que la fosfomycine en dose unique n’est pas la solution optimale contre les cystites, mais administrée de manière optimisée, elle l’est peut-être pour autre chose», conclut Angela Huttner. La façon optimale d’administrer la fosfomycine –et ainsi préserver son effet antibactérien– sera le sujet des futures études.

14 mai 2018

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