2004

Hausse des taxes universitaires?

Etudes universitaires: privilège ou bien commun?

 

Augmenter les taxes d'études pour améliorer les prestations des universités: le pavé dans la mare lancé, en mars dernier, par le groupe de travail "Capital et économie", proche des milieux économiques, n'en finit pas de provoquer des remous. Charles Kleiber, sécrétaire d'Etat à la science et à la recherche, après avoir dit qu'il s'y opposait résolument, se dit aujourd'hui favorable à une telle hausse, à condition qu'elle soit "raisonnable" (entre 2000 et 4000 CHF par année) et couplée à un accroissement des prêts et bourses. Auprès des dirigeants des hautes écoles, les avis varient. André Hurst, recteur de l'Université de Genève, y est pour sa part farouchement opposé.

Démocratisation en panne
Comment augmenter les moyens des hautes écoles, sans pour autant en priver d'accès les couches sociales défavorisées? Tel pourrait être résumé l'enjeu du débat sur la hausse des taxes universitaires. La démocratisation des études supérieures est en panne depuis plusieurs années en Suisse. Ce constat, personne ne le nie. La quasi-gratuité des études ne suffit plus à assurer que les étudiants provenant de milieux modestes qui en ont les capacités rejoignent l'université.

Dans les faits, ce sont donc encore des filles et fils d'universitaires qui forment le gros des effectifs des étudiants. Dès lors, argumentent les partisans d'une hausse des taxes, il serait normal que ces personnes participent davantage aux frais liés à leurs études, étant entendu qu'il faudrait recourir à des mesures sociales annexes (bourses ou prêts) pour ne pas barrer la route aux plus défavorisés. Cela leur paraît d'autant plus justifié que les universitaires perçoivent, lorsqu'ils se retrouvent sur le marché du travail, des salaires plus élevés, en moyenne, que le reste de la population.

Après tout, les apprentis paient pour leurs cours et versent des impôts sur leurs revenus, tandis que les étudiants des hautes écoles sont épargnés. Même d'un point de vue social, analysent les partisans de la hausse, la mesure fait sens. "Etudier est un privilège, pourquoi ne pas le payer plus cher?"(1) lisait-on il y a quelque temps dans la presse.

Selon les calculs de "Capital et économie", une augmentation des taxes d'études à hauteur de 5000 CHF par an permettrait de dégager 500 millions par année pour les hautes écoles, une somme correspondant à l'engagement de 800 professeurs supplémentaires.

Défaut d'image
Face à ces arguments, André Hurst fait tout d'abord valoir l'inversion des réalités dont ils procèdent: "Ce n'est pas l'université qui veut exister, mais la société qui veut l'université." Les hautes écoles sont des institutions publiques, parce qu'elles engendrent des bénéfices pour l'ensemble de la société. Il est par conséquent normal que ce soit la collectivité qui les finance. "De même, on considère que l'armée est une institution indispensable à tous, mais il ne viendrait à l'idée de personne de faire payer les recrues pour leur instruction."

"Notre mission, en tant qu'universités, est de recruter les meilleurs étudiants, quelle que soit leur provenance sociale", poursuit le recteur. Or la hausse des taxes va, selon lui, clairement à l'encontre de cet objectif.

Un système réformé de bourses, qui pourraient d'ailleurs être perçues à partir des taxes, ne permettrait-il pas de contourner l'obstacle? "Même si l'on prévoit une aide financière, les universités renforceront leur image élitiste auprès des milieux défavorisés. Or, c'est ce défaut d'image qui constitue très souvent un obstacle. Raison pour laquelle nous avons d'ailleurs lancé des initiatives(2) pour corriger le tir", observe le recteur.

Par ailleurs, des taxes élevées couplées à un système de bourses, même efficace, pénaliseraient plus spécifiquement les classes moyennes. Ce qui n'est pas non plus souhaitable relève André Hurst.

Inflation galopante
Le recteur place aussi le débat sur le terrain éthique: "Nous devons absolument nous opposer à toute forme de marchandisation du savoir. Ce qui fait notre spécificité, en tant qu'espèce humaine, c'est notamment que toute l'information indispensable à notre développement n'est pas transmise de génération en génération par nos gènes. La diffusion du savoir, via des institutions publiques comme l'école et l'université, n'est donc pas un 'privilège', c'est l'un de nos devoirs primordiaux."

Qu'en est-il alors du système éducatif américain, qui délègue une bonne partie du financement des universités au secteur privé? André Hurst fait remarquer que si l'Europe voulait imiter le système américain, il s'agirait alors de réformer plusieurs pans du système fiscal en vigueur sur le vieux-continent. Aux Etats-Unis, les fondations et entreprises qui versent des contributions aux universités bénéficient, par exemple, de rabais sur l'impôt - autre forme d'intervention étatique. "On ne peut pas prendre seulement une partie du système, lorsqu'on évoque le 'modèle' américain", remarque le recteur. Ce modèle, ajoute-t-il, montre aussi ses limites, au vu de l'inflation galopante des frais d'inscription. Il cite à ce propos un article de Charles Stein(3), montrant que les prix des billets d'avion ont augmenté de 33% depuis les années 70, tandis que les taxes universitaires s'envolaient dans le même temps de plus de 1150%.

Dans un entretien(4) Charles Kleiber raconte finalement l'anecdote d'une rencontre qu'il a faite avec des représentants d'étudiants en Malaisie. Ces derniers, rapporte le secrétaire d'Etat, lui faisaient remarquer que dans certaines mentalités, le prix des études est un signe de valeur. Pour attirer les cerveaux en provenance d'Asie - un phénomène dont les Etats-Unis bénéficient depuis longtemps - il faudrait, suivant cette logique, augmenter les taxes.

A cette anecdote, le recteur André Hurst répond par une autre anecdote: "Nous avons eu récemment la visite de représentants d'une chaîne de télévision chinoise. Lorsque je leur ai cité les propos d'Horace-Bénédict de Saussure sur l'égalité devant l'éducation(5), ils m'ont demandé de répéter la citation devant leur caméra, visiblement enthousiasmés par les propos du célèbre naturaliste genevois. Cela montre que, lorsque nous défendons sans complexe nos valeurs européennes, nous pouvons être efficaces et convaincants."

(1) Le Temps, 21 janvier 2004
(2) Voir Lisons ensemble
(3) Charles Stein, International Herald Tribune, 16-17.10.2004 p.15, à propos de Ronald Ehrenberg, Tuition Rising : Why colleges cost so much, Harvard University Press 2002.
(4) 24 heures, 20 mars 2004
(5) "Dans les Républiques où les lois ne distinguent aucune condition, où elles donnent à tous les citoyens des droits égaux et un accès égal à toutes les vocations, l'éducation doit être égale et commune ; elle doit présenter à tous les connaissances utiles à toutes les vocations afin que les talents seuls en décident ", H.B. de Saussure Eclaircissement sur le projet de réforme pour le collège de Genève, Genève 1774.

Jacques Erard
Université de Genève
Presse Information Publications
Décembre 2004

13 décembre 2004
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