2005

Abonnements Elsevier

Les tarifs d'abonnement aux revues scientifiques prennent l'ascenseur: le libre accès comme solution?

Inacceptable! Pour signifier son ras-le-bol face à l'augmentation des tarifs d'abonnement de Reed Elsevier, principal éditeur de revues scientifiques dans le monde, le Consortium des bibliothèques universitaires suisses a décidé de ne pas renouveler son contrat avec l'éditeur anglo-hollandais. En 1999, les bibliothèques universitaires suisses s'étaient alliées afin de négocier un tarif d'abonnement avantageux aux versions électroniques des revues: pour 10% supplémentaires par rapport au tarif des imprimés, Elsevier offrait l'accès à l'ensemble de ses quelque 1600 titres électroniques. Le contrat arrivant à échéance fin 2004, l'éditeur a proposé un nouveau tarif jugé inacceptable par les responsables du Consortium. L'offre proposée depuis à l'UniGe est la suivante: 25% supplémentaires par rapport aux imprimés pour un accès à 300 titres seulement.

Liberté est désormais laissée à chaque institution de choisir sa politique en la matière. A l'Université de Genève, aucune décision définitive n'a été prise. Les abonnements ont été renouvelés provisoirement jusqu'à fin janvier.

La question du renouvellement de contrat avec Elsevier relance la polémique sur le système en vigueur dans le monde de la publication scientifique. Il peut en effet paraître étonnant que les universités doivent payer pour avoir accès, via les revues scientifiques, aux résultats de recherches qu'elles ont elles-mêmes financées. Les éditeurs fournissent certes un service. "Ils ont eu de gros investissements au moment où ils ont lancé leurs premières versions électroniques, mais à terme cela leur coûte nettement moins cher que les imprimées. De fait, les bénéfices d'Elsevier n'ont cessé d'augmenter ces dernières années", relève Jean-Blaise Claivaz, coordinateur pour la documentation numérique à l'UniGe. En 2003, l'éditeur a déclaré un bénéfice avant taxation de 1,5 milliards d'Euros, sur un chiffre d'affaires de plus de 7 milliards d'Euros.

La polémique ne date pas d'aujourd'hui et ne concerne pas que la Suisse. Depuis les débuts d'internet, des universitaires réclament un libre accès aux publications scientifiques, la diffusion et le partage du savoir étant indispensable au développement de la recherche. En 2001, 22'000 chercheurs de 161 pays entraient ainsi en campagne pour boycotter les éditeurs refusant de mettre les articles en libre accès six mois après leur publication, une pratique en vigueur chez certains éditeurs, par exemple BioMed Central (1).

Le mouvement s'est organisé au fil des années. Il a notamment abouti, en 2003, à la Déclaration de Berlin sur le libre accès au savoir scientifique. Plutôt que chaque lecteur ou bibliothèque paie pour avoir accès aux revues, c'est, en théorie, l'auteur, dans la pratique, l'institution, qui paie une seule fois l'éditeur pour publier ses travaux. Ceux-ci sont ensuite en libre accès pour tous les autres chercheurs. Ainsi établi, le principe du libre accès reconnaît le rôle de l'éditeur, tout en faisant sauter les obstacles financiers à la diffusion du savoir académique.

Le copyright reste aux mains de l'auteur ou de l'institution, alors qu'il est actuellement cédé aux éditeurs. Autre possibilité pour contourner les tarifs d'abonnement: les chercheurs eux-mêmes s'organisent en réseau pour diffuser librement leurs travaux.

Les éditeurs ont, bien entendu, réagi à ce mouvement, qualifiant le principe de l'auteur-payeur de vanité érigée en principe d'édition (2). Les sceptiques du libre accès mettent par ailleurs en avant le rôle joué par les éditeurs dans le tri qualitatif entre articles fournis par les chercheurs. Le "peer review", processus par lequel les articles sont relus par un comité scientifique, est le principal garant de l'intégrité et de la qualité scientifique des articles. Mais ce processus n'est absolument pas remis en cause par le libre accès, font valoir ses partisans, puisqu'il inclut lui aussi le "peer review". Ce dernier peut même avoir lieu en ligne et la procédure est ainsi facilitée.

Avis contrastés
A l'Université de Genève, les avis sur la question sont contrastés. Pour Jean-Blaise Claivaz, il ne fait pas de doute que le libre accès serait bénéfique pour les bibliothèques: "En acceptant les tarifs d'Elsevier, nous ne faisons qu'encourager leur politique d'augmentation des prix. L'Université peut aujourd'hui puiser dans des fonds de réserve pour renouveler les abonnements. Mais jusqu'à quand? Ces réserves ne sont pas inépuisables."

Dans le dernier bulletin de l'Académie suisse des sciences médicales (ASSM), le vice-recteur Peter Suter a également pris nettement position en faveur du libre accès, s'exprimant en tant que président de l'ASSM: "L'open access pourrait-il servir à sauver les budgets des bibliothèques de nos facultés de médecine et de nos hôpitaux et offrir un accès plus immédiat à l'information scientifique à tous, y compris aux parties du globe les plus défavorisées, par exemple les pays en voie de développement ? La réponse est définitivement oui." (3)

La vice-rectrice Nadia Magnenat Thalmann, en charge des bibliothèques, est en revanche beaucoup plus circonspecte: "La solution du libre accès n'est absolument pas mûre et les journaux nécessaires aux chercheurs ne sont pas en libre accès." Pour elle, il s'agit de donner la priorité aux intérêts de la recherche, dans ce débat, "en-dehors des considérations philosophiques ou économiques." Dans l'immédiat, la vice-rectrice recommande donc de renouveler l'abonnement à Elsevier. C'est d'ailleurs la position adoptée par l'EPFL. Ce qui n'empêche pas, selon elle, d'envisager d'autres solutions par la suite, lorsqu'elles seront au point.

Ces opinions divergentes reflètent également, il faut le préciser, des approches distinctes selon les disciplines, la problématique étant différente, par exemple, en sciences médicales et en informatique.

Gabrielle Von Roten, responsable du Service de coordination des bibliothèques (SEBIB), estime quantà elle que les universités vivent une période transitoire: "Actuellement, les différents modèles coexistent. Mais un changement a été initié. De nombreuses hautes écoles et bibliothèques ont mis en place leur propore service de publication de documents électroniques. Cette manière de faire va certainement se développer et aura un coût. Mais, nombreux sont ceux qui pensent qu'ils seront moindres que les tarifs pratiqués par les éditeurs actuels. Il est certain aussi qu'une partie des publications scientifiques continuera à être diffusée par des éditeurs commerciaux."

 

(1) "Science World in Revolt at Power of the Journal Owners", The Guardian, 26 mai 2001
(2) "Shake-up for Academic Publishing", The Guardian, 20 juillet 2004
(3) Bulletin ASSM, No 4 novembre 2004

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18 janvier 2005
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