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 Communiqué de presse 

Mesure et démesure du couple - ou la fin du prêt-à-porter familial

Les couples d'aujourd'hui doivent inventer, "bricoler", leur relation : les rôles, les rites, les langages, les frontières sont à créer, à négocier. Tantôt comme dans une fête, tantôt dans la violence ou l'incompréhension. Tel est le constat de départ de Mesure et démesure du couple, le nouvel ouvrage de Jean Kellerhals, professeur au Département de sociologie de l'Université de Genève, réalisé en collaboration avec Eric Widmer et René Lévy de l'Université de Lausanne. Fruit d'une étude publiée en début d'année, ce travail interroge la diversité des fonctionnements du couple contemporain en essayant de cerner les manières qu'il a de se concevoire et de se construire. Il en ressort cinq styles principaux qui témoignent tous, à leur façon, de la complexité, des plaisirs, mais aussi des déplaisirs du coupe actuel. A paraître chez Payot (Paris), le 10 septembre prochain.

En 30-40 ans, l'image de ce que l'on peut attendre du couple et des manières de l'organiser s'est beaucoup modifiée sous l'influence de facteurs tels que l'augmentation de la probabilité du divorce, la généralisation des cohabitations sans mariage, la multiplication des familles recomposées et du modèle de la double carrière féminine et masculine. Ces phénomènes ont des conséquences essentielles: les couples doivent négocier les formes de leur relation, leur mode d'organisation, plutôt que de les recevoir tout faits comme prêts-à-porter familial. De plus, les tensions entre le choix d'une règle du don (aimer c'est donner) et d'une règle du mérite (à chacun selon ses apports) se radicalisent du fait que la réciprocité différée (je donne trop aujourd'hui, je reçois plus demain) n'est plus garantie. Enfin, la concurrence entre les temps et rythmes liés aux contraintes respectives des conjoints s'exacerbe.

Chacun son couple
C'est en partant de ce constat, que les sociologues Jean Kellerhals, de l'Université de Genève, Eric Widmer et René Lévy de l'Université de Lausanne nous livrent Mesure et démesure du couple, un ouvrage fascinant qui fait le point sur l'ampleur des risques et des échecs propres aux couples contemporains, mais aussi sur les facteurs qui encouragent son succès. Dans leurs observations, les scientifiques relèvent d'abord que chacun construit son propre genre de fonctionnement. L'observation de milliers de couples montre en effet qu'ils le font selon cinq styles principaux. Les uns sont fondés sur la recherche du "tout-ensemble", de la ressemblance, du consensus. D'autres exaltent les vertus de l'autonomie, de l'authenticité, des droits individuels. Tantôt ils sont basés sur la complémentarité de rôles spécifiques et stables, créant une dépendance dont on se réjouit, et tantôt l'emporte la passion de négocier, d'improviser, d'inventer au jour le jour de nouveaux partages ou des rythmes originaux.

Les cinq styles affrontent des niveaux de stress, des problèmes, différents. Mais surtout ils les gèrent différemment. Certains couples se précipitent dans l'action pour fuir leur inquiétude. D'autres multiplient la recherche d'informations tant ils ont peur d'agir. D'autres encore, confrontés au problème, se caressent et se soutiennent, mais ne font rien. Certains s'injurient, se frappent, tant ils ont peur. D'autres enfin parviennent à une sorte d'équilibre efficace entre information, action et relation. De cette gestion des problèmes dépend la réussite ou l'échec du couple, sa frustration ou son épanouissement, l'amertume ou la confiance en l'autre.

L'imagination conjugale
Au terme de ce travail ambitieux, les conclusions de l'ouvrage sont éclairantes : réussir son couple n'est pas seulement affaire privée. Comme avant, le conjugal s'inscrit dans les contraintes sociales et a besoin, pour se réaliser, de la communauté. Le couple se joue donc à trois, non à deux. Il n'est pas rêve, mais projet. Mais réciproquement rien n'est joué au départ. Si, bien évidemment, le pouvoir social modèle l'espérance conjugale, il n'en épuise pas la dynamique. L'éducation, la profession, l'argent, conditionnent certes, avec d'autres éléments, le style de conjugalité. Mais ce dernier n'a d'importance pour le succès ou l'échec "final" qu'à travers la manière qu'a le couple d'évoluer ensemble. Or on peut agir sur celle-ci - éviter le blocage sur le mythe, la rigidité du dogme, la fermeture aveugle - sans pour autant bouleverser les structures sociales. Non qu'il faille remplacer la politique par le conseil conjugal. Mais l'un et l'autre, l'un avec l'autre, s'avèrent indispensables pour la réussite d'une entreprise qui a - on le comprend très aisément - l'être humain pour enjeu.

Pour de plus amples informations, n'hésitez pas à contacter
le prof. Jean Kellerhals au 022 379 83 09 ou à Jean.Kellerhals@socio.unige.ch

Résumé des styles conjugaux

Certains couples adoptent un style Bastion : on fait tout ensemble ; on met en commun l'ensemble des ressources du ménage ; on pense pareil et l'on a des rythmes de vie communs, on limite au maximum les contacts avec l'extérieur, préférant l'intimité et la sécurité casanières aux menaces et questionnements qu'apporteraient trop de relations ou d'informations extérieures. Là, le consensus est la valeur-clé: un bon couple est un couple sans désaccord, sans conflit apparent. Cela va de pair avec une organisation très normée de la vie quotidienne. Les rôles féminin et masculin sont très différenciés, les espaces et temps domestiques assignés à des activités et à des modes de sociabilité précis. On tend à légitimer ces ordonnances par le recours à l'idée de nature biologique des personnes. Sur deux plans, on y trouve une certaine asymétrie : les contacts avec l'environnement sont davantage assurés par l'homme que par la femme, et par ailleurs celle-ci insiste sur les finalités expressives de l'union alors que lui met plus en avant les finalités instrumentales.

Un deuxième genre de couples préfèrent un style Associatif : chacun garde ses loisirs, ses idées, son porte-monnaie, et l'on renégocie fréquemment ce que l'on met en commun et ce que chacun fait. Ici, l'exaltation de l'individu s'accompagne d'un accent très fort sur la communication. Un couple "qui marche" est un couple où l'on communique sur les différences plutôt qu'une union où l'on s'accorde sur tout. Le contact avec l'extérieur - informations, relations - est très prisé et apparaît comme une ressource indispensable à la fois pour l'enrichissement de la vie de couple et pour l'équilibre personnel. Les rôles - aussi bien psychologiques que sociaux - sont peu différenciés : l'interchangeabilité des fonctions répond à l'importance donnée à la négociation des droits et devoirs respectifs. Une grande souplesse - voire une certaine improvisation - marque la gestion des temps et lieux quotidiens.

Un troisième genre d'arrangement est du type Compagnonnage : on va de concert, et avec les mêmes idées, à la rencontre des autres. Un bon couple est celui où les conjoints - d'accord sur un projet commun, fusionnels en ce sens qu'ils attribuent une nette prééminence au « nous-famille » sur les individualités qui le constituent - utilisent cependant à fond l'environnement pour se ressourcer, se stimuler et nourrir leur relation. Sans être très rigide, la différenciation des rôles est nette, de même que la spécification des espaces et des temps. Les valeurs d'intégration sociale (éducation des enfants, réussite sociale du couple) prennent une importance comparable à celles de solidarité et d'affection.

Dans le cas du fonctionnement Cocon : le groupe conjugal ou familial est très fusionnel : tout est mis en commun et les valeurs de similitude ou de consensus sont importantes. De même la fermeture par rapport à l'extérieur est-elle considérable, comme dans le cas Bastion. On est jaloux de son intimité, relativement indifférent à la marche du monde, plus intéressé à protéger les enfants des agressions externes qu'à leur proposer des disciplines ou objectifs ambitieux. En cela, ce genre diffère du cas Bastion, comme il en diffère en matière de rôles domestiques (tâches, compétences) et relationnels (information, soutien, décision) : ceux-ci sont peu différenciés et l'ambiance familiale se veut surtout faite de confort, de tendresse, de sollicitude.

On trouve enfin des fonctionnements dits Parallèles. Ici, on est en face d'une insistance assez nette sur l'autonomie (confinant au désengagement) respective des partenaires, mais à l'intérieur d'un lieu familial assez fermé, assez hostile à l'extérieur et structuré par des rôles domestiques bien différenciés, voire rigides. Si le confort est la valeur-clé du mode de fonctionnement Cocon, c'est l'insistance sur l'ordre et la prévisibilité qui l'emporte ici.