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 Communiqué de presse 

Les réseaux de la colère – Des chercheurs de l’UniGe révèlent un mécanisme fondamental du cerveau humain au carrefour de l’émotion et de l’attention

Comment notre cerveau décode-t-il les événements émotionnels et plus particulièrement ceux associés à la colère? Est-il nécessaire que nous prêtions attention à la voix d’un individu pour que notre cerveau détecte la colère qu’elle exprime? C’est à ces questions essentielles que des scientifiques de l’Université de Genève, pionniers dans le domaine des sciences affectives, viennent de répondre. En explorant les relations entre l’émotion et l’attention via des techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle dernier cri, les chercheurs genevois ont montré qu’il existe, dans le cerveau, des régions spécialisées dans la perception de la voix humaine qui peuvent détecter la colère d’un individu indépendamment de l’attention prêtée initialement à sa voix. Publiés ce mois dans la revue Nature Neuroscience, ces résultats contribuent à mieux comprendre comment notre cerveau réagit aux signaux affectifs qui lui parviennent. Ce type de recherche constitue les prémisses de l’ambitieux projet interdisciplinaire en sciences affectives, mené par le prof. Klaus Scherer de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, auquel un Pôle de recherche national (PRN) pourrait être prochainement attribué.

A la frontière des sciences affectives et des neurosciences, l’étude des relations entre l’attention et l’émotion, par le biais de l’imagerie cérébrale, est un domaine actuellement en pleine expansion. Des signaux émotionnels peuvent-ils capturer notre attention de manière involontaire? En d’autres termes, notre cerveau est-il capable de remarquer et d’orienter l’attention sur des événements à connotation émotionnelle alors que cette attention est initialement occupée à une autre tâche? Quels seraient alors les circuits neuronaux responsables de tels «réflexes émotionnels»? Ces relations entre émotion et attention sont au cœur de la recherche des scientifiques genevois.

Ce domaine d’investigation très pointu s’est fortement développé ces dernières années grâce aux recherches de Didier Grandjean et du Dr. David Sander du Geneva Emotion Research Group, dirigé par le prof. Klaus Scherer, en collaboration avec l’équipe du prof. Patrik Vuilleumier. Cette collaboration interfacultaire permet aujourd’hui de mieux comprendre comment les émotions interagissent avec l’attention, en influençant perception, cognition, et comportement. Les scientifiques sont en effet récemment parvenus à démontrer la prééminence, du point de vue du traitement cérébral, d’une voix traduisant de la colère sur une voix à la tonalité neutre, indépendamment de l’attention qui est volontairement portée à ces voix.

Pour arriver à un tel résultat, ils ont enregistré les activations cérébrales en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) lorsque des individus entendent simultanément une voix neutre et une voix colérique, chacune présentée dans une oreille différente. La tâche des participants consistait à porter leur attention sur l’une des deux oreilles seulement (pour décider si la voix présentée de ce côté était celle d’une femme ou celle d’un homme), les rendant momentanément inattentifs à la voix présentée dans l’autre oreille. Cette procédure astucieuse a permis aux chercheurs d’analyser les variations d’activité cérébrale en fonction de l’émotion de la voix, quand l’attention était portée à l’une ou l’autre oreille. L’expérience a ainsi pu mettre en évidence une augmentation de l’activation cérébrale au niveau du sillon temporal supérieur, région du cerveau qui semble spécialisée dans le traitement de la voix humaine, lorsque la colère était exprimée. Ainsi, même lorsque les sujets ne devaient écouter que leur oreille droite, une voix colérique présentée dans leur oreille gauche provoquait une forte activation du sillon temporal supérieur.

De plus, les scientifiques suggèrent, sur la base de leurs résultats, que nos réponses sensorielles à des événements émotionnels, comme la colère, pourraient constituer un mécanisme cérébral fondamental de nos systèmes de reconnaissance qui favorisent la perception et l’attention aux signaux affectifs ou sociaux importants, transmis par la voix ou par le visage. Alors qu’il existait déjà des preuves empiriques concernant l’existence d’un tel mécanisme pour la reconnaissance d’expressions faciales émotionnelles, ces résultats démontrent, pour la première fois, un mécanisme similaire sur le plan auditif. Ce mécanisme de reconnaissance nous permettrait de donner la priorité à des stimuli pertinents, quand bien même ces derniers ne sont pas initialement au centre de l’attention.

Produits d’une collaboration fructueuse entre psychologie et neuroscience cognitive, rendus possibles grâce à l’apport des techniques de neuroimagerie fonctionnelle qui pourraient bientôt se développer davantage, ces résultats publiés dans Nature Neuroscience témoignent de l’excellence et de la pertinence des recherches en sciences affectives, dont l’Université de Genève abrite actuellement un des plus importants groupe d’étude au monde.

Pour tout renseignement complémentaire, n'hésitez pas à contacter:
Didier Grandjean au 022 379 92 13
David Sander au 022 379 92 12


Genève, le 24 janvier 2005