2015

Un nouvel outil pour étudier une cible antitumorale et immunosuppressive importante

La substance chimique rapamycine, utilisée comme traitement immunosuppresseur et anticancéreux, agit en inactivant une protéine nommée TOR (Target Of Rapamycin). Cette protéine, qui est essentielle à la croissance de cellules normales, est hyperactive dans les cellules malignes. Afin de pouvoir accomplir ses différentes tâches, TOR s’incorpore à deux complexes intracellulaires différents, TORC1 et TORC2. Curieusement, tandis que le premier complexe est inhibé par la rapamycine, l’autre y est insensible. L’équipe de Robbie Loewith, professeur en biologie à l’Université de Genève (UNIGE), en Suisse, vient de lever le voile sur ce mystère. Son étude, publiée dans la revue Molecular Cell, décrit la structure de TORC2 et explique pourquoi la rapamycine n’a pas accès à la protéine TOR qui lui est liée. Ces résultats ont permis au groupe de créer une variante de TORC2 dans laquelle TOR n’est plus protégée. Cette variante, qui est sensible à l’anticancéreux, fournit aux chercheurs du domaine un nouvel outil pour étudier comment TORC2 opère dans les cellules. Le décryptage de la structure et du fonctionnement de ce complexe constitue une étape fondamentale pour identifier des médicaments capables d’inhiber la voie de signalisation contrôlée par TORC2.

Lorsque des chercheurs ont rapporté des échantillons de terre d’une expédition à l’île de Pâques dans les années 1960, ils ne se doutaient pas qu’ils étaient tombés par hasard sur un véritable trésor. Les analyses de laboratoire ont révélé dans l’un d’entre eux la présence d’une bactérie, Streptomyces hygroscopicus. Elle produit un composé naturel baptisé rapamycine (selon Rapa Nui, le nom de l’île en langue indigène), dotée de puissants pouvoirs antifongiques. Cette utilisation a toutefois été abandonnée avec la découverte des propriétés immunosuppressives et antitumorales de la rapamycine. De nos jours, elle est utilisée chez des patients transplantés pour empêcher le rejet du nouvel organe. Il s’agit également d’un composé très prometteur pour le développement de nouveaux médicaments anticancéreux.

Comment la rapamycine agit-elle? La première étape a été d’identifier sa cible: une protéine intracellulaire nommée TOR (Target Of Rapamycin), qui stimule la croissance de nos cellules. Lors de son post-doctorat, Robbie Loewith a découvert que TOR devait s’intégrer à deux complexes protéiques distincts, TORC1 et TORC2, pour accomplir ses différentes tâches. Etonnamment, tandis que le premier complexe est inhibé par la rapamycine, l’autre ne l’est pas. La raison de l’insensibilité de TORC2 à ce composé est demeurée un mystère pendant plus d’une décennie.

Difficile à étudier

La capacité d’inhiber TORC1 au moyen de la rapamycine a permis d’étudier comment le complexe fonctionne dans les cellules. En revanche, le manque d’inhibiteur équivalent pour TORC2 a freiné l’observation de son mode d’action. «Afin de pallier ce manque, nous voulions apprendre comment rendre ce complexe sensible à la rapamycine», explique Robbie Loewith, chercheur au Département de biologie moléculaire de la Faculté des sciences de l’UNIGE, en Suisse.

Une collaboration internationale, menée par le scientifique dans le cadre du Programme de Recherche National (PRN) ‘Chemical Biology’, a permis de fournir la réponse à cette question et à d’autres interrogations essentielles. «Nous avons d’abord élucidé la structure de TORC2 et pu visualiser comment les protéines de ce complexe s’organisent en trois dimensions», détaille Christl Gaubitz, doctorante au sein du groupe genevois et co-auteur principal de l’article. «A partir de là, nous avons observé quelle partie du complexe obstruait le site de liaison de la rapamycine sur la protéine TOR».

Les chercheurs ont ainsi découvert pourquoi la rapamycine n’agit pas sur TORC2: «En supprimant cette partie, nous avons créé une variante de TORC2 sensible à la rapamycine», expose Manoel Prouteau, co-auteur principal des résultats. Forts de ce nouvel outil, les biologistes ont pu étudier comment TORC2 agit pour stimuler la croissance des cellules.

Inhiber les tumeurs sur les deux fronts

Au vu de leur prolifération rapide, les cellules tumorales deviennent beaucoup plus dépendantes de TORC1, ce qui leur confère une sensibilité fortement accrue à la rapamycine. Ceci n’est toutefois pas dépourvu d’effets secondaires. «Nous espérons désormais identifier un inhibiteur spécifique de TORC2, afin que la croissance cancéreuse soit enrayée sur les deux fronts simultanément», conclut Taiana Oliveira, autre co-auteur principal de l’étude et chercheuse au sein du groupe de Christiane Schaffitzel, au Laboratoire européen de biologie moléculaire, à Grenoble (France).

Contact :

Pour obtenir de plus amples informations, n’hésitez pas à contacter le Dr Manoel Prouteau (Tél. +41 22 379 61 18).

Communiqué de presse préparé par la Dr Lara Pizurki

29 mai 2015
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