2018

Un élément chimique oublié révélé par le vide

Des chimistes de l’UNIGE ont découvert une nouvelle liaison pour la catalyse chimique, fondée sur l’antimoine, un élément délaissé par les scientifiques, révélant ainsi au grand jour ses qualités exceptionnelles dans la construction de nouvelles molécules.

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L’origine de la catalyse pnictogène : le grand vide, le « trou bleu », sur l’antimoine, à l’intérieur de la molécule.  Exemple : modèle moléculaire du Sb(C6F5)3, espace vide dans la molécule en bleu, Sb = antimoine. © UNIGE

Environ un tiers des exportations suisses est le résultat de découvertes fondamentales en chimie de synthèse. Médicaments, parfums, nourriture, agriculture ou encore la couleur rouge de Ferrari sont autant d’éléments découlant de nouveaux assemblages moléculaires inventés par les scientifiques helvétiques. Aujourd’hui, des chimistes de l’Université de Genève (UNIGE) viennent de découvrir que des liaisons chimiques fondées sur l’antimoine, un élément oublié tout en bas du tableau périodique, forment de nouveaux catalyseurs performants : elles permettent d’activer avec précision – et de l’intérieur – la transformation d’une molécule. Ces liaisons viennent ainsi compléter les catalyseurs existants, tels que les liaisons hydrogènes classiques ou les liaisons chalcogènes plus récentes du soufre. Cette découverte, publiée dans la revue Angewandte Chemie, permettra de créer des matériaux innovants qui prendront place dans notre quotidien. Une petite révolution dans le monde de la chimie de synthèse, qui croyait le nombre de catalyseurs possibles limité.

La recherche fondamentale en chimie demande de la créativité. Mais le chimiste, véritable sculpteur de structures moléculaires, a besoin d’outils spécifiques. Pour effectuer une transformation moléculaire, il faut mettre en contact la molécule que le scientifique souhaite changer, dite substrat, avec un élément du tableau périodique nommé catalyseur. Usuellement, c’est le contact, c’est-a-dire «la liaison» avec l’hydrogène qui est utilisé. Mais limité à ce seul élément, les possibilités de création se voient réduites. Trouver de nouvelles manières d’entrer en contact avec des molécules permettrait de les transformer différemment, et donc aux chimistes de créer de nouveaux matériaux. «C’est pourquoi mon équipe est sans cesse à la recherche de nouvelles liaisons pour la catalyse», s’enthousiasme Stefan Matile, professeur au Département de chimie organique de la Faculté des sciences de l’UNIGE. «Après avoir découvert la liaison fondée sur le soufre pour la catalyse, nommée calchogène, il y a deux ans, nous avons décidé de nous tourner vers une autre catégorie du tableau périodique, les éléments pnictogènes, caractérisés par leurs composants métalliques». Appartiennent à cette catégorie l’azote, le phosphore, l’arsenic, l’antimoine et le bismuth.


Révéler les éléments par le vide


Pour trouver de nouvelles liaisons pour la catalyse, il faut faire preuve d’innovation. «Contrairement aux recherches habituelles, qui s’attachent à étudier les électrons des éléments, nous prenons le contre-pied en étudiant exclusivement les espaces vides laissés par les électrons, vitaux pour la construction moléculaire, afin de trouver de nouvelles interactions possibles», continue Stefan Matile. Et justement, les éléments pnictogènes sont plus flexibles et déformables que par exemple l’hydrogène, très compact. Les espaces vides deviennent ainsi plus accessibles et lisibles aux chimistes.


Sept éléments ont été choisis par les chimistes de l’UNIGE. «Les calculs théoriques permettent une meilleure visualisation des vides, explique Amalia I. Poblador-Bahamonde, chercheuse au Département de chimie organique de la Faculté des sciences de l’UNIGE. C’est pourquoi, dans un premier temps, nous avons effectué des modélisations informatiques des sept molécules seules permettant de visualiser où sont les électrons et où sont les espaces vides, puis nous l’avons fait à nouveau avec l’élément à tester afin de mesurer la force de la nouvelle liaison.» Plus les espaces vides de la molécule deviennent visibles, plus la liaison fonctionne, et plus l’élément est un bon catalyseur. Lors de cette étape théorique, c’est l’antimoine qui s’est révélé être le meilleur des sept éléments testés. Ces résultats ont ainsi encouragé les chimistes à expérimenter ces éléments du bas du tableau périodique, terrain plutôt inconnu pour la chimie organique.


Un élément oublié depuis l’Egypte ancienne


En se basant sur les modélisations théoriques, les chimistes ont ensuite effectué les liaisons en utilisant la résonnance magnétique nucléaire, qui permet de visualiser les molécules et les transformations de leur structure. «Nos résultats sont venus parfaitement corroborer les prédictions théoriques, confirme Sebastian Benz, doctorant au sein de l’équipe du professeur Matile. A nouveau, l’antimoine s’est révélé ultra performant, allant jusqu’à 4000 fois plus vite que les autres éléments testés dans la création d’une nouvelle structure!»


L’antimoine constitue ainsi une surprise pour les chercheurs de l’UNIGE. Servant au maquillage des yeux dans l’Egypte ancienne, il est ensuite tombé dans l’oubli. Cette recherche le remet en pleine lumière grâce aux qualités exceptionnelles dont il fait preuve pour la transformation moléculaire. «L’antimoine est non seulement ultra rapide, mais de plus, contrairement aux autres catalyseurs qui agissent sur la surface de la molécule, il travaille depuis l’intérieur, ce qui permet d’impacter l’environnement entier de la matière et au chimiste de gagner en précision pour effectuer les transformations», s’exclame Stefan Matile.


La liaison pnictogène de l’antimoine est ainsi la troisième liaison pour la catalyse découverte par les chimistes de l’UNIGE, après les liaisons anion-π et les liaisons chalcogènes du soufre. Toutes trois apportent de nouvelles manières d’envisager les transformations moléculaires et ouvrent de nouvelles perspectives de création. «Nous ne comptons évidemment pas nous arrêter là, ni dans la recherche de nouveaux catalyseurs, ni dans l’utilisation que nous pouvons en faire !», conclut Stefan Matile. A titre d’exemples, les liaisons découvertes précédemment servent aujourd’hui à l’utilisation d’enzymes qui travaillent avec les interactions anion-π réalisées dans le contexte du NCCR (National Centre of Competence in Research) «Molecular Systems Engineering», ou à des sondes fluorescentes qui permettent de visualiser les forces mécaniques dans les cellules vivantes grâce aux interactions chalcogènes du soufre réalisées dans les contexte du NCCR «Chemical Biology» a l’UNIGE.

21 mars 2018

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