2001

Noël, une naissance planifiée?

Noël, fête chrétienne ou païenne? Dans la fièvre des cadeaux, des derniers dossiers à boucler, des recueillements, des appels pour la paix et des compositions de menus, la question reste naturellement d'actualité, et vaut son pesant d'histoire, comme l'explique Frédéric Amsler, maître d'enseignement et de recherche à la Faculté de théologie de l'Université de Genève, qui nous rappelle l'origine inattendue et l'accueil inespéré de certaines traditions liées à la Nativité.

A Noël, nous fêtons la naissance de Jésus en tant qu'expression de la venue de Dieu dans le monde pour apporter le salut à l'humanité. Si l'idée d'une incarnation salutaire de Dieu en Jésus-Christ remonte à la première génération de chrétiens, son articulation à la naissance de Jésus n'est pas attestée avant le dernier tiers du Ier siècle de notre ère. Inconnues de l'apôtre Paul (entre 40 et 60) et de l'Évangile de Marc (vers 70), les premières traditions sur la conception miraculeuse et la naissance de Jésus paraissent avoir d'abord circulé sous la forme de petits florilèges de versets bibliques, comme nous le voyons encore dans les Actes de Pierre ou l'Ascension d'Esaïe, avant de devenir des récits suivis, comme dans l'Évangile de Matthieu ou dans l'Évangile de Luc (vers 80-90), lesquels vont générer, dès le IIe siècle, une littérature à succès (Protévangile de Jacques, Évangiles de l'enfance du Pseudo-Matthieu, du Pseudo-Thomas, etc.).

Mais c'est au IVe siècle seulement que l'habile empereur Constantin entreprend de faire célébrer la naissance de Jésus en signe de victoire de la foi définie au concile de Nicée (Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme) conjointement à la naissance du soleil invaincu (Natalis Solis Invicti), la fête en l'honneur du dieu solaire d'origine iranienne Mithra, au solstice d'hiver le 25 décembre. Cette manœuvre est une réussite en Occident car elle parvient à réconcilier l'armée, dévote de Mithra, et l'Eglise, fidèle à Jésus-Christ. Les Orientaux, en revanche, résistent. La nouvelle fête impériale entre en concurrence avec la célébration très populaire en Orient de la manifestation de Jésus au baptême le 6 janvier. La future Noël tombe surtout pendant la grande foire des Saturnales, ce dont nos ancêtres sauront vite tirer parti, comme s'en plaint Grégoire de Naziance, le grand théologien cappadocien du IVe siècle. Il est vrai qu'aujourd'hui avec l'humoriste Pierre Desproges, bien malin qui peut dire si Noël est la plus païenne des fêtes chrétiennes ou la plus chrétienne des fêtes païennes...

Frédéric Amsler


Pour aller plus loin : CULLMANN, Oscar, La Nativité et l'arbre de Noël (Théologies), Paris, Cerf, 1993.
NORELLI, Enrico, Ascension du prophète Isaïe (Apocryphes 2), Turnhout, Brepols, 1993.
NORELLI Enrico, "Avant le canonique et l'apocryphe: aux origines des récits de la naissance de Jésus", Revue de théologie et de philosophie 126 (1994),

17 décembre 2001
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