2001

Denis Duboule s'exprime sur la "révolution génétique"

"Pour échapper à la dictature des gènes, commençons par devenir des hommes!"

"La révolution génétique ne doit pas servir de bouc émissaire aux problèmes de la planète. Ce dont nous avons besoin en ce moment, ce n'est pas d'interdits, mais d'une solidarité qui n'a rien à voir avec la génétique." Denis Duboule, qui s'exprimait mardi 13 novembre dans le cadre des 38èmes Rencontres internationales de Genève organisées à Uni-Dufour, en a appelé à la responsabilité de chacun au cours d'un exposé consacré à la génétique expérimentale, où il était notamment question de clonage, de cellules souches et de thérapie génétique. Professeur de biologie animale à l'Université de Genève et seul scientifique invité à des Rencontres placées sous le signe des "grandes mutations" engendrées par la science et la civilisation actuelles, il s'est attaché à dédramatiser le débat sur les modifications génétiques, en s'armant de beaucoup de pédagogie.

     

Du mythe de la copie conforme...
Denis Duboule n'est pas du tout convaincu du bien fondé des applications en ingénierie génétique. Il s'oppose notamment aux technologies transgénétiques, qui modifient le patrimoine génétique et interviennent sur des générations d'individus. Selon lui, toutefois, l'interdiction de ces technologies par crainte qu'elles ne soient utilisées à des fins d'eugénisme ou pour assouvir des rêves d'immortalité masque les véritables enjeux du débat. Le clonage, par exemple, permet la création d'un embryon muni du même outillage génétique que l'individu donneur, mais pas d'une même conscience. Un individu cloné ne sera jamais identique à son donneur adulte. Séparés d'une génération au moins, ils évolueront dans des environnements différents qui feront d'eux des personnes distinctes, y compris physiquement.

...au mythe du surhomme
Dans un autre domaine, celui du typage génétique, les chercheurs ont abandonné depuis un moment l'idée d'identifier génétiquement des traits de caractère sociaux, comme l'agressivité ou la criminalité: "les gènes sont solidaires les uns des autres, impossible de changer une séquence spécifique d'ADN sans entraîner une modification du tout". La génétique n'a donc pas le pouvoir de générer des personnalités qui, par définition, ne se résument pas à leur enveloppe biologique. Par un curieux paradoxe, relève le scientifique, les personnes qui avancent des argument moraux pour s'opposer aux modifications génétiques sont les mêmes qui insistent pour attribuer à l'homme des qualités autres que purement biologiques, ce en quoi elles ont raison.

Identifier les véritables dangers
Dès lors que ces technologies ne s'attaquent pas à la notion de personne et qu'elles sont utilisées dans des buts thérapeutiques, Denis Duboule ne voit rien de moralement répréhensible à ce qu'un individu modifie son héritage génétique en vue de plus de bien-être. Sommes-nous à ce point convaincus de notre perfection actuelle pour nous opposer à toute idée d'amélioration? La nature elle-même met en place des mécanismes réparateurs, rappelle Denis Duboule. Il importe par conséquent de replacer le débat dans une perspective plus modeste et plus réaliste. Ce qui devrait permettre, selon lui, d'identifier les véritables dangers liés à ces technologies, qui sont d'ordre plus social que moral, selon lui. Tout le monde n'aura pas accès à des thérapies forcément très coûteuses, ce qui pose la question de l'égalité de traitement des citoyens. "Si nous voulons éviter la dictature des gènes, conclut Denis Duboule, commençons par revenir à des préoccupations plus humaines."

30 novembre 2001
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