2002

Une aumônerie pas comme les autres

 

Rien n'indique qu'il pourrait s'agir d'un "poste missionnaire" de l'Eglise protestante de Genève. Coincée entre un commerce de produits de haute technologie et une rangée de parc à vélos aux abords d'Uni Mail, l'Aumônerie protestante de l'Université de Genève réserve, aussitôt qu'on y pénètre, de multiples surprises. Difficile d'imaginer que dans cette minuscule caverne se sont croisés René Girard, Paul Ricoeur, Michel Serres, Luc Ferry, Sœur Emmanuelle, Jean Starobinski et, plus récemment, Jacques Chessex. L'accueil est abondant et chaleureux. Parmi les livres et brochures qui trônent un peu partout dans le bureau de l'aumônier, le visiteur découvre, pêle-mêle, une "relecture critique de l'imagerie nègre en perspective créole", à travers Tintin au Congo, de "petites élucubrations épicées sur le corps frontière…", sur fond de carte des Caraïbes et de poteries amérindiennes. Plus étonnant encore, le locataire de ce presbytère pas comme les autres est un ancien technicien architecte, titulaire d'un CFC de maçon, reconverti en "anthropologue théologien".

L'Aumônerie de l'Université à coeur ouvert

 

L'Aumônerie protestante de l'Université de Genève est d'abord un lieu de dialogue. "Les entretiens occupent 40 à 50% de mon temps", explique Philippe Chanson, pasteur officiel de l'Université. "Ils se déroulent dans une atmosphère apolitique et aconfessionnelle. La plupart des gens qui viennent me trouver sont des étudiants, mais il y a aussi pas mal d'enseignants et de membres du personnel technique et administratif." Parmi eux, une majorité de femmes, "certainement parce qu'elles se livrent plus facilement que les hommes". Les sujets abordés sont aussi variés qu'il y a de visiteurs. Mais de manière générale, la conversation tourne autour de questions sentimentales, affectives ou existentielles: problèmes relationnels avec les parents ou dans son couple, solitude, difficultés d'intégration, déprime, anxiété, besoin de repères et surtout d'écoute.

Parallèlement, la vie académique induit ses propres difficultés: "Il faut réussir ses examens, publier un maximum d'articles, finir sa thèse; les gens vivent ainsi sous l'emprise continuelle d'un "tu dois" qui génère beaucoup de stress. Mais l'Université est également un cocon, et certains étudiants cherchent à tout prix à prolonger leurs études, parce que le vide qui les attend à la sortie les angoisse", poursuit Philippe Chanson.

Deuxième axe d'activités de l'aumônerie: les cycles de conférences et les "Cafés théologiques", propices aux échanges intellectuels et théologiques autour d'une personnalité invitée. Ces dernières années, l'aumônerie a ainsi accueilli quelques grands noms comme Jean Starobinski, Michel Serres ou Sœur Emmanuelle. "Je préfère organiser peu de rencontres et miser sur la qualité. Mon but est aussi de montrer que la théologie est une discipline ouverte, en prise avec les réalités du monde d'aujourd'hui et apte à dialoguer avec toutes les sciences", précise Philippe Chanson.

Enfin, toutes sortes d'événements ciblés viennent compléter cette offre, "comme les célébrations que je donne les lundis à midi ou la retraite que j'organise une fois par année en France", ajoute le pasteur, visiblement heureux dans son exil universitaire.

Aumônerie protestante de l'Université
Arcade Uni Mail (102 bd Carl-Vogt, 1205 Genève)
Aumônier protestant: Philippe Chanson , théologien et pasteur
Tél. prof.: 022/705 86 57; privé: 022/794 39 01
E-mail: philippe.chanson(at)adm.unige.ch
Contact: en permanence le jeudi de 11h à 15h, sur rendez-vous,
à l'improviste

Un aumônier passionné de rencontres et de culture créole

 

Philippe Chanson, né dans le sud de la France en 1950, a réalisé sur le tard ses aspirations. Il a trente deux ans lorsqu'il entame des études de théologie à l'Université de Genève. Peut-être parce que dans sa marmite théologique il dissimule un penchant pour les saveurs prononcées, il rédige une thèse sur Nietzsche, avant de vivre, avec sa famille, une étape décisive de sa vie: la Guyane française, où il séjournera sept ans, de 1987 à 1994, enseignant la théologie. Sept années d'intense travail sur le terrain, de réflexions et de recherche sur les cultures autochtones.

"Je ne pourrais pas être aumônier de cette Université, si je n'avais pas autant pénétré les réalités humaines à travers mes voyages. Les séjours que j'ai effectués, que ce soit dans les Caraïbes, en Amérique du Sud, en Afrique ou en Asie m'aident tous les jours dans mon travail. Dans une université qui accueille plus de cent trente nationalités, on ne peut pas se permettre d'être dogmatique." De ces nombreux voyages, Philippe Chanson a ramené une compréhension du monde où le brassage occupe une place prépondérante. Fasciné par le phénomène créole de la Guyanne et des Antilles, auquel il a consacré plusieurs publications, il y voit un laboratoire-miroir de l'humanité présente.

"La culture créole a créé sa propre manière de faire la cuisine et la musique, sa propre manière de pratiquer la religion, sa propre manière de penser, de parler et d'aimer. Tout cela à partir de bric et de broc historique et culturel issu d'un mélange de populations incroyable. Imaginez que les Caraïbes ont été peuplées non seulement par des populations européennes, africaines et amérindiennes, mais aussi hindoues, syro-libanaises, chinoises et japonaises, qui ont toutes ajouté leur contribution au fond de culture autochtone."

Cette réalité métisse le renvoie à son travail quotidien sur le campus de l'Université. "Des jeunes gens viennent me voir, de toutes sortes d'origines. Ils sont tolérants. Leur identité culturelle et religieuse a beau être parfois très marquée, ils viennent ici pour y trouver une écoute et une compréhension tournées vers une dimension transcendante, touchant à l'essentiel et à l'Ultime, et non pas pour s'entendre professer un enseignement religieux littéral. Aujourd'hui, chacun se construit son univers intellectuel et spirituel", observe le pasteur.

"Les philosophes créoles disent que nous vivons dans un chaos-monde : non pas tant fait de désordre que fondé sur une diversité et une complexité d'ordres qui nous chahutent et auxquels nous devons sans cesse nous adapter. Mais cela crée un sentiment de flottement moral et spirituel, que j'observe tous les jours durant mes entretiens."

Y faire face, pour Philippe Chanson, c'est d'abord se mettre à l'écoute de la parole de l'autre. "J'ai une approche anthropologique du dialogue, et j'y mets beaucoup d'empathie. Lorsque la parole est soutenue par une réelle écoute, elle produit ses propres réponses. Par l'intermédiaire temporaire d'une présence neutre, pastorale, la personne se découvre alors à elle-même, devant Dieu." Et lorsque l'humeur n'est pas ou plus à la conversation, l'aumônier va puiser dans quelque vieille recette créole, "un mot médicament", "un proverbe", "une réflexion philosophique ou théologique" ou encore "une image ou une analogie qui représente quelque chose de fort".

Philippe Chanson - Choix de publications

 
  • "From the Creole God to the God of Jesus. An essay on the concept of God in French Guiana", Exchange. Journal of Missiological and Ecumenical Research, Interuniversity Institute for Missiological and Ecumenical Research, Leiden - Utrecht, Vol. 22, April 1993, pp. 18-45.
  • "Esclavage, Négritude et Créolité. Les lames de fond de l'assomption créole", Bulletin du Centre Protestant d'Etudes, Genève, 1996/3.
  • "Croyances magiques et résonances théologiques aux Antilles-Guyane", in L'altérité religieuse, Actes du colloque AFOM CREDIC tenu à Torre Pellice (Italie) du 29 août au 2 septembre 1999, Paris, Karthala, 2001, pp. 209-239.
  • "Petites élucubrations épicées sur le corps frontière ... Une notice d'anthropologie créole", Cahiers de l'Aumônerie, Genève, Aumônerie Protestante de l'Université, mars 2001.
  • "Corps et mémoire: le maléfice de la couleur", Bulletin du Centre Protestant d'Etudes, Genève, 2001/1-2.
  • En co-direction avec Ion BRIA, Jacques GADILLE et Marc SPINDLER: Dictionnaire oecuménique de missiologie. Paris - Genève - Yaoundé, Cerf - Labor et Fides - CLE, 2001, - PRIX MAISONDIEU 2002 de l'Académie des sciences morales et politiques de l'Institut de France, Paris.
  • Table ronde avec Ruth DREIFUSS, Americo FERRARI, Fernando GABEIRA, Olivier MONGIN et Georges NIVAT: "Le métissage culturel", in Les grandes mutations. Textes des conférences et des débats. XXXVIIIes Rencontres Internationales de Genève 2001, sous la présidence de Georges NIVAT, Lausanne, l'Âge d'Homme, 2002, pp. 269-307.
  • La Créolité antillaise, avènement de la Parole métisse, Louvain-la-Neuve, Université Catholique de Louvain, 2002 (Ethnographie prospective, n° 3).
2 décembre 2002
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