2002

Prise de position du Sénat contre la nouvelle LU - Interview du prof. Olivier Fatio

Visite virtuelle d'Uni Mail L'Université se mobilise contre la nouvelle Loi sur l'Université

Il n'est pas courant que le corps enseignant de l'Université se mobilise et récolte des signatures pour exprimer son mécontentement. Le seul fait de cette mobilisation indique la profondeur du malaise. Cause de cette agitation? La nouvelle Loi sur l'Université (LU). Le 30 octobre 2001, en effet, la Commission de l'enseignement supérieur du Grand Conseil genevois adoptait à l'unanimité un projet de nouvelle LU redéfinissant entièrement les rapports entre Etat et Université. Pour manifester leur opposition à ce qu'ils considèrent comme une bureaucratisation de l'institution académique, 281 membres de l'actuel Sénat de l'Université ont envoyé en date du 29 janvier dernier une prise de position demandant aux députés de revoir leur copie. Entretien avec Olivier Fatio, professeur à l'Institut d'histoire de la réformation et président du Sénat.

Quels sont les principaux reproches que vous adressez à la nouvelle Loi sur l'Université?
Olivier Fatio: elle prévoit un conseil unique qui n'est pas adapté à la gouvernance de l'Université. Sa composition est déséquilibrée, puisque la moitié de ses membres seraient des représentants des partis politiques, ce qui ouvre la porte à une politisation de l'Université. Par ailleurs, ce conseil serait doté de pouvoirs exorbitants face à un Rectorat qui, de fait, serait mis sous tutelle. C'est une sottise, qui aboutira à une inéluctable bureaucratisation de l'Université. Sans compter que l'on confiera à des non-spécialistes la résolution de questions critiques pour l'avenir de l'Université, en matière de recherche scientifique par exemple.

Vous parlez de "pouvoirs exorbitants". Il est pourtant légitime que l'Etat ait un droit de regard sur une institution qui coûte un demi-milliard par année à la collectivité…
Bien entendu. Mais ce droit de regard existe déjà! L'Université a des comptes à rendre sur sa gestion administrative. La question est de savoir jusqu'où va le contrôle et il s'agit d'être très clair sur cette question. Ma conviction est que le contrôle ne doit pas empiéter sur l'autonomie académique. En tant que professeur, je dois être libre de dire ce que j'ai à dire. C'est justement ce qui irrite les politiques favorables à la nouvelle loi. Nous véhiculons l'image de mandarins, donneurs de leçons, trop bien payés qui faisons ce que nous voulons. Les politiques doivent toutefois comprendre que la liberté académique n'est pas un privilège de nantis, mais une des conditions sine qua non de l'exercice de notre mandat.

Ne craignez-vous pas que votre réaction renforce l'image d'une institution incapable de se remettre en question?
Le problème, c'est qu'il n'existe pas vraiment de bonne loi sur l'Université. Paradoxalement, chaque enseignant est à l'affût de l'évolution de sa discipline. Ce qui suppose une constante remise en question. Mais l'ensemble du corps enseignant donne une image statique. Peut-être que nous avons besoin d'une institution collectivement stable pour dégager l'espace propice à la remise en question individuelle. Cela étant, nous sommes ouverts au changement et favorables à la révision de la loi actuelle.

David Hiler, député au Grand Conseil, faisait remarquer(1) que le contrôle par le pouvoir politique est nécessaire, ne serait-ce que pour servir de garde-fou aux immixtions du privé, notamment dans la recherche. Vous craignez la bureaucratisation, mais ne faudrait-il pas s'inquiéter aussi du conflit d'intérêt avec le privé?
Les conflits d'intérêt sont toujours possibles. Cela dit, je suis stupéfait par la méfiance vis-à-vis du privé. L'argent privé peut fait avancer la recherche. L'argument d'Hiler est idéologique. Quand l'Etat donne de l'argent, ce n'est pas sans arrières pensées non plus. Il conviendrait d'ouvrir un débat de fonds sur cette question.

Qu'attendez-vous de la prise de position que vous avez fait signer?
J'espère qu'elle incitera la Commission du Grand Conseil à reprendre ses travaux, en tenant compte des propositions du Rectorat. Il doit être possible de travailler ensemble, dans un esprit constructif, pour avoir une loi consonante.

(1) Le Courrier, 27.09.2001

11 février 2002
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