2002

Les femmes et la recherche - Interview de Martine Collart

La solitude de la femme dans son labo

Comment les femmes vivent-elles leur position minoritaire dans la recherche scientifique? La Fondation Culture et Rencontre organise en ce début d'année une série de conférences données exclusivement par des femmes chercheuses, afin d'attirer l'attention sur cette problématique. Les universités suisses n'ont pas la réputation d'être des lieux où les discriminations sont particulièrement flagrantes. Le contexte académique, avec ses horaires flexibles, offre même des avantages non négligeables lorsqu'on est une femme. Cela dit, les chiffres parlent d'eux-mêmes: alors que la proportion d'étudiantes se situe en moyenne autour des 50% dans les universités suisses, ce chiffre diminue déjà nettement pour ce qui est des doctorantes, et chute à 6% en ce qui concerne le nombre de professeurs. En l'an 2000, elles étaient 4 à la Facultés des sciences de l'Université de Genève pour 90 hommes, soit à peine 4%.

 Les femmes et la recherche 

 

Parmi les conférencières invitées par la Fondation Culture et Rencontre, Martine Collart, docteur en biologie, est chercheuse à la Faculté de médecine de l'Université de Genève. Si ses travaux n'ont rien de particulièrement féminin - elle étudie les mécanismes gouvernant l'utilisation des gènes dans des cellules de levure - Martine Collart est en revanche très bien placée pour évoquer les difficultés rencontrées par les femmes dans leur carrière académique.

Comment expliquez-vous que les femmes soient à ce point sous-représentées dans la recherche scientifique?
A priori, il n'y a aucune raison. Les femmes ne sont pas moins habilitées à pratiquer la science que les hommes. Dans la réalité toutefois, les choses se gâtent. Pour être chercheur, de manière générale, il faut avoir énormément confiance en soi, oser s'exprimer. Or, on apprend aux femmes à avoir une attitude plutôt réservée et passive, ce qui nous dessert complètement dans le travail que je fais. Il y ensuite la pression venant de l'extérieur. Très peu de femmes travaillent à 100% en Suisse. Du coup, j'entends très régulièrement des commentaires culpabilisant du genre, "Quoi, tu travailles à plein temps? Et comment fais-tu avec les enfants?". Cette pression vient, je dois le dire, surtout des femmes. Enfin, plus on avance dans sa carrière et moins on rencontre de collègues femmes. Il en résulte une solitude qui peut être difficile à vivre. Je collabore par exemple avec des laboratoires en Europe et je suis la seule femme chef de groupe. Lorsque nous avons fini nos réunions, vers 11 heures du soir, les hommes vont au bar, pas vraiment le genre d'endroit où j'ai envie d'aller…

N'avez-vous pas hésité à un moment donné entre votre carrière à l'université et votre vie de famille?
Jamais, j'ai toujours voulu tout faire! Et mes enfants s'en portent très bien, alors que j'en vois d'autres qui ont des tas de problèmes avec une mère au foyer... Je crois que le meilleur cadeau qu'on puisse faire à ses enfants est de se sentir bien et pour moi, cela veut dire faire le travail que je fais. Naturellement, ma fille adolescente me réclame davantage maintenant, mais elle est aussi consciente de jouir de plus d'indépendance par rapport à d'autres filles de son âge. Cela dit, le contexte social en Suisse est assez catastrophique pour une femme qui travaille à plein temps: les structures d'accueil pour les enfants en bas âge sont insuffisantes, les horaires scolaires catastrophiques, le suivi pour les enfants est de plus en plus lourd puisque les notes ont été remplacées par des dossiers de dimensions non négligeables et les réunions avec les enseignants ont lieu à des horaires incompatibles. Finalement, l'homme suisse n'est pas prêt de recevoir la médaille d'honneur pour sa contribution à la gestion de vie de famille... On se trouve donc toujours sur la corde raide. Mais, contrairement à la solitude que j'évoquais, c'est un problème qui peut être résolu avec un surcroît d'organisation.

On dit souvent qu'à compétences égales, une femme doit donner plus qu'un homme pour être reconnue. Est-ce vrai aussi à l'université?
Malheureusement oui. Les critères d'évaluation demeurent essentiellement masculins. On estime par exemple que la période la plus propice à la recherche se situe entre 30 et 40 ans, en tous cas la production durant cette période est essentielle pour les chances de succès. Cela est peut-être vrai pour les hommes. Le problème, c'est que cela correspond justement à la période où les femmes sont le plus occupées avec leur vie de famille. Je pense que si l'on faisait une étude à ce sujet, on découvrirait que beaucoup de femmes donnent le meilleur d'elles-mêmes plus tard, entre 40 et 50 ans, après avoir éduqué leurs enfants. Par ailleurs, j'entends souvent dire autour de moi que lorsque les nominations se font sur la base de concours ouverts, l'égalité de traitement est respectée. Je veux bien. Mais on oublie de dire que les concours ouverts ne constituent qu'un petit pourcentage des procédures de nomination. Dans un pourcentage élevé des cas, on est nommé parce qu'on est intégré dans un réseau ou soutenu par un professeur bien établi. Et là, nous sommes prétéritées, tout simplement parce que les postes à responsabilité sont occupés, dans une proportion écrasante, par des hommes.

16 janvier 2002
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