2002

Journée d'études sur l'islam - L'Occident vu par les jeunes en Egypte et au Maroc

L'Occident imaginé des jeunes du Caire et de Casablanca

Mosquée du Sultan Hassan, Le Caire

"Islam et islam radical". Sous ce titre on ne peut plus au coeur de l'actualité, le Forum d'Etude Comparée des Religions - une instance nouvellement créée et intégrée au programme Sciences, Vie, Société - a organisé lundi 14 janvier une "journée d'études sur l'islam", en collaboration avec l'Unité d'arabe et l'Unité d'histoire des religions de l'Université de Genève. Parmi les intervenants, l'ethnologue Micheline Centlivres-Demont a parlé des "images et pratiques dans l'islam populaire afghan". Quant à la politologue Mounia Bennani-Chraïbi, de l'Institut d'études politiques et internationales de l'Université de Lausanne, elle a présenté ses recherches sur les représentations de l'Occident dans l'imaginaire de jeunes Egyptiens et Marocains. A l'heure où l'on s'interroge sur l'état d'esprit qui anime les populations des pays musulmans vis-à-vis de l'Occident, mélange de fascination et de répulsion, la contribution de Mounia Bennani-Chraïbi apporte un éclairage détaillé.

 L'Occident tantôt rêvé tantôt honni 

Les recherches de Mounia Bennani-Chraïbi partent du présupposé classique selon lequel la dynamique de l'altérité participe à la négociation de l'image de soi et relève notamment de facteurs sociaux, politiques et stratégiques spécifiques à un contexte national. D'où l'intérêt à comparer la situation dans deux pays arabo-musulmans, l'Egypte et le Maroc. Paradoxalement, les sentiments semblent beaucoup plus exacerbés et uniformes au Maroc, aussi bien lorsqu'il s'agit de condamner l'Occident impérialiste pendant la Guerre du Golfe que d'en encenser le mode de vie. Question de proximité, mais également révélatrice de trajectoires historiques différentes. Alors qu'en temps de crise, les jeunes Marocains sont plus enclins à opposer un "nous" arabo-musulman à un "autre" occidental et à vibrer aux appels de l' "arabisme", les Egyptiens expriment de la lassitude vis-à-vis d'un nationalisme arabe qui les a conduit à plusieurs catastrophes, d'où une attitude plus nuancée et fragmentée.

Mounia Bennani-Chraïbi identifie trois modes sur lesquels se construit la représentation de l'Occident: appropriation, attrait et répulsion. Dans chaque cas, le rapport à l'Autre et à l'Ailleurs s'inscrit dans une dynamique identitaire. Premier constat: la globalisation n'agit pas comme un rouleau-compresseur au service de la culture occidentale absorbant tout sur son passage. Certes les signes de l'Ailleurs se multiplient, avec le développement du tourisme et l'arrivée des antennes paraboliques. Mais ils sont réinterprétés et "contextualisés": les rythmes et les instruments de la musique populaire occidentale flirtent avec un fonds traditionnel propre aux pays du Maghreb pour donner le raï; le jeans se marie volontiers au hijâb, l'habit traditionnel; les surprises-parties sont considérées non pas comme "occidentales" par opposition aux fêtes traditionnelles, mais simplement comme une activité "jeune". Dans ce cas, l'altérité subit une mise entre parenthèse. L'Occident n'est ni le territoire de l'ennemi, ni l'Eldorado. On se l'approprie.

Lorsqu'il est objet de fascination, l'Occident joue le rôle d'un écran sur lequel sont projetés les attentes déçues et les frustrations assimilées aux conditions de vie au Maroc ou en Egypte. Un phénomène qui, relève la politologue, s'est renforcé au cours des dernières décennies: "s'il y a une quinzaine d'années, le thème de l'absence de solidarité dans les sociétés occidentales était abondamment développé par opposition à l'hospitalité et à l'esprit communautaire prévalant au Maroc, depuis, la tendance s'est bien inversée: ce sont l'humanité et désintéressement de l''Occidental' qui sont opposés au 'matérialisme individualiste' du Marocain". On met alors en évidence le civisme des Occidentaux, qui ramassent leurs détritus tandis que les Marocains les abandonnent sur la plage, leur courtoisie, les libertés et les acquis sociaux dont ils jouissent.

Quant au sentiment de répulsion, il s'est lui aussi renforcé, surtout depuis la Guerre du Golfe. Pour beaucoup de jeunes Marocains surtout, ce conflit indique que le monde arabo-musulman est devenu le nouvel ennemi de l'Occident, après l'effondrement du bloc des pays de l'Est. Là encore, les discours puisent abondamment dans l'histoire nationale pour alimenter cette perspective, n'hésitant pas à invoquer les croisades. Le phénomène est moins marqué en Egypte: "l'écho des misères endurées par les travailleurs égyptiens en Irak, les pertes matérielles que ceux-ci y ont subi pendant la crise du Golfe ont largement diffusé un sentiment anti-irakien". Cela étant, les récits sur la xénophobie en Europe et le traitement réservé aux immigrés légitiment la répulsion vis-à-vis de l'Occident: "la fascination exercée par un espace qui ferme ses frontières détermine en grande partie sa diabolisation. Au Maroc, voire en Egypte, le sentiment que l'Occident se verrouille tout en exhibant ses attraits - notamment par le biais du tourisme et de la parabole - suscite des tensions."


Pour en savoir plus:

  • "Jeunes Egyptiens et jeunes Marocains face à l'Occident: appropriation, attrait, répulsion.", in Egypte/Monde arabe No 30-31 - 2e et 3e trimestre 1997.
  • Un site sur l'actualité du Maghreb.
24 janvier 2002
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